Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Fanny Nusbaum, Olivier Revol & Dominic Sappey-Marinier
Publié en 2019, cet ouvrage s’intéresse à ceux que l’on nomme les philo-cognitifs, ces personnes qui réfléchissent de façons différentes et qui ne s’arrêtent jamais de penser. Ces trois auteurs se penchent ici sur la compréhension de la philo-cognition et son fonctionnement sur le plan neurologique.
Une psychologue, un médecin et un enseignant chercheur ont réuni leurs connaissances pour relever un défi : celui de comprendre qui sont ces enfants et ces adultes que l’on dit surdoués. Ce qu’on appelle habituellement précocité, surdouance ou encore haut potentiel est ici désigné sous le terme de philo-cognition : « philo » pour les réflexions philosophiques et l’intérêt pour les choses, « cognition » pour le processus neurologique qui diffère de la majorité des gens.
Mais tous les philo-cognitifs ne sont pas les mêmes : il y a les complexes et les laminaires. Les auteurs ont voulu, grâce à leurs différentes connaissances et recherches, montrer les convergences et divergences de fonctionnement entre la population lambda et les cognitifs, et entre les différents types de philo-cognitifs.
Cela fait qu’une cinquantaine d’années que les recherches s’intéressent aux surdoués. Même s’ils peuvent présenter des capacités différentes, « à tout âge, on leur a conféré généralement de l’humour, d’importantes capacités verbales, une avidité de penser, une rapidité, voire une précocité dans les apprentissages, une tendance à l’inadaptation sociale et une grande intolérance à la justice » (p.16). Selon les auteurs, cette description est trop partielle. De la même façon, les nombreux termes possibles pour qualifier ces personnes douées entraînent confusion et amalgames : surdoués, précoces, haut-potentiels… Le mot « surdoué » implique une performance notable, alors que beaucoup de ces gens peuvent être parfois sous-performants.
De plus, la une notion de « don », présente dans ce terme, s’oppose à certains exemples montrant que c’est l’environnement familial (entraînement excessif) qui amène un enfant à être surdoué dans une discipline. Le terme « précoce » implique aussi une notion d’avance, alors que ce n’est pas toujours le cas. Pour finir, l’appellation « haut potentiel », qui est la plus utilisée de nos jours, s’intéresse aux ressources cognitives, mais « implique des qualités en sommeil (en puissance) qui ne deviennent opérationnelles que si on les réveille, ou après une transformation. Il suppose donc un processus non abouti » (p.19).
Pour que l’appellation colle au mieux aux caractéristiques de ces personnes, les auteurs ont opté pour le terme de « philo-cognition » : le terme « philo » désigne l’intérêt marqué pour quelque chose, et aussi le besoin de réflexions philosophiques, spirituelles et métaphysiques ; et le terme « cognition » désigne l’ensemble des opérations mentales conscientes et non conscientes. Ce besoin de mobilisation massive de la pensée se lit à travers trois processus : « un raisonnement actif et compulsif (hyperspéculation), une sensibilité et une alerte exacerbées (hyperacuité) et une pensée automatique et analogique surdéveloppée (hyperlatence) » (p.32).
Qui sont ces êtres particuliers ? S’il est difficile de poser un mot pour les nommer, les auteurs savent les définir. Tout d’abord, il y a l’hyperspéculation : penser est un besoin, une compulsion. Il y a chez ces personnes à l’esprit critique aiguisé une tendance naturelle à s’interroger sur tout, à remettre en question des choses communément admises, à se poser de nombreuses questions philosophiques, et cela dans tous les domaines. Il y a aussi l’hyperacuité au niveau de la motricité, des perceptions sensorielles et des émotions. Ces personnes perçoivent mieux les bruits, les odeurs, les émotions (hypersensibilité) mais cela peut être aussi une faiblesse de capter autant d’informations. On parle aussi d’hyperlatence qui est un réassemblage permanent des idées : « le cerveau réassemble les dernières expériences vécues et les compare avec des expériences antérieures de même ordre pour se créer un modèle de compréhension et d’interprétation de la réalité » (p.27).
On parle de pensées en arborescences. Que l’on soit au repos ou occupé à une tâche qui n’implique pas de focalisation de l’attention, l’esprit part dans tous les sens. Cela peut paraître pénible, mais les auteurs assurent que c’est grâce à cela que des liens se créent entre les différents événements vécus. Le surinvestissement de la pensée est omniprésent chez les personnes philo-cognitives, mais cela déclenche aussi la rumination mentale. Pour conclure, un philo-cognitif n’est pas obligatoirement un génie, une personne douée dans un domaine, mais plutôt quelqu’un qui a une capacité à réfléchir meilleure que ses pairs, quelqu’un qui va élaborer une réflexion, questionner le monde, faire des associations d’idées de haut niveau… Il existe deux types de philo-cognitifs : les philo-complexes et les philo-laminaires.
Les philo-complexes, par définition, ne sont pas simples ! « Pétillants, créatifs, magnétiques, une foule d’idées originales, une perception aiguisée, des émotions à fleur de peau rendent leur vie intérieure passionnante mais leurs relations avec leur environnement inégales » (p.41). Le philo-complexe a un esprit qui foisonne et qui fulmine, il mène une quête de sens et de vérité, mais il n’est pas toujours simple pour lui d’ajuster sa pensée visionnaire à la réalité. Les choses prennent vite de grandes proportions.
Quel est leur portrait chinois ? Si le philo-complexe était un animal, il serait un ouistiti, car tout comme le ouistiti qui est différent des autres primates, le philo-complexe peut être perçu comme un extraterrestre. Sa façon de penser, son comportement peuvent le faire passer pour une personne à part, qui détonne forcément. Il sait être excessif, exubérant ou alors l’inverse exctrême. Une autre caractéristique est qu’il peut quelquefois passer pour quelqu’un de peu fiable (car n’a pas obligatoirement le goût du travail).
S’il était une énergie, elle serait libre et torrentielle, car « typiquement, un philo-complexe a tendance à déchaîner à la fois les haines et les passions. Il peut avoir l’aura du dictateur ou du leader » (p.45). En effet, même s’il paraît peu fiable, on peut compter sur lui en cas de situation désespérée. Au sein de cette énergie libre bouillonne l’hyperactivité ou l’impulsivité. Il ne tient pas en place, fait plusieurs choses en même temps, en plus d’être intolérant à la frustration. Certains peuvent souffrir de trouble du déficit d’attention. C’est pour cela qu’il est important de compléter le test de QI par un bilan neuropsychologique.
Si le philo-complexe était une posture, il serait l’entièreté. Pour lui, c’est tout ou rien. Il n’est pas rare qu’il passe d’une passion à une autre, une fois que celle-ci n’est plus assez stimulante. Son moteur est la nouveauté, du coup il lui faut beaucoup d’énergie pour continuer quelque chose qui ne l’excite plus. C’est ainsi que des enfants peuvent se retrouver en échec scolaire et des adultes avoir un curriculum vitae qui semble décousu, des changements professionnels réguliers. Heureusement, cette entièreté se ressent aussi à travers cette boulimie de penser, ces questions qui fusent à longueur de temps sur tous les sujets possibles. Certaines professions sont donc mieux adaptées que d’autres : chef de projet, enseignant-chercheur, artiste, journaliste, enquêteur… S’adonner à ce que les auteurs appellent des empêcheurs de penser comme les mots croisés, énigmes, jeux vidéo, sudoku, jeux de cartes, est une bonne idée.
Comment est-ce dans la tête d’un philo-complexe ? La connectivité cérébrale y est supérieure, tout spécialement dans l’hémisphère gauche, spécialisé dans le traitement du langage, dans le fonctionnement analytique et dans « l’interprétation de l’information provenant de l’extérieur pour la faire coïncider avec des théories intrinsèques » (p.53). Tout cela fait que le philo-complexe a une richesse intérieure très développée, un monde intérieur coloré et une imagination féconde ( il développe toute une vie intérieure en parallèle à la vraie vie). La pensée est imperméable et autonome, il est donc moins influençable que les autres. La prédominance de cet hémisphère fait que le philo-complexe est très sensible aux mots. Il est tout simplement hypersensible et subit ses émotions. Cela peut l’amener à s’isoler, à être dans le catastrophisme, dans l’agressivité, dans les hyper-réactions.
Pour réguler cette hyperémotivité, les auteurs conseillent d’avoir une bonne hygiène de vie (heures de coucher, nourriture, sport, activité absorbante pour canaliser les pensées…) L’estime de soi est assez fragile chez ce type de personnes même s’ils paraissent quelquefois arrogants. L’empathie excessive peut aussi être un souci, alors pour ne plus être submergé par le malheur des autres et pour prendre de la distance., il faut se répéter « cela ne m’appartient pas ». L’instinct et l’intuition sont développés chez lui, ainsi que l’opposition, le déni, la transgression et le refus de l’autorité. Pour vivre plus en harmonie avec soi et avec les autres, les auteurs préconisent la méditation, l’hypnose, la sophrologie, les arts martiaux…
Il est possible de définir les philo-laminaires par leur ouverture d’esprit, leur pondération. Ils sont « solitaires, mais à l’aise en société, pas particulièrement proactifs mais toujours contents de découvrir de nouveaux horizons, respectueux du système mais sachant contourner habilement les règles quand ils estiment cela nécessaire » (p.101). Ils ont cependant un point faible, celui d’être hyperrationnels et donc parfois hermétiques à leurs émotions. Les auteurs dressent leur portrait chinois : si le philo-laminaire était un animal, il serait un ours, car il a des aptitudes dans tous les domaines, il sait s’adapter à tous les environnements, il semble n’avoir besoin d’aucun effort pour faire sa place au milieu des autres.
Bébé, il marche tôt, la parole quant à elle ne vient pas spécialement rapidement mais quand elle est là, tout est déjà structuré. Il a une très grande culture générale, il fera les efforts nécessaires pour atteindre ses objectifs, mais sans pour autant faire preuve d’ambition démesurée. Les autres ont besoin de lui, et ainsi il devient une sorte de couteau suisse. Un laminaire « d’humeur assez égale au cours du temps, ne peut être considéré comme quelqu’un de particulièrement heureux ni de particulièrement malheureux non plus ; c’est plutôt une personne lucide, face aux difficultés ou aux facilités de la vie » (p.105).
S’il était une énergie, elle serait maîtrisée et solaire. Il y a une sorte d’équilibre : il est discret, et les gens l’apprécient pour sa bienveillance et sa clarté, sa solidité, son intelligence et sa fiabilité. C’est d’ailleurs pour cela que s’il était une posture, il serait la constance, la patience et la tempérance. Il évite les excès car il aime garder une sorte de contrôle de lui-même. Il est également modéré dans son rapport aux autres. Il peut être agacé par le côté excessif des philo-complexes, mais est en même temps attiré par leur créativité et leur magnétisme.
Comment est-ce dans la tête d’un laminaire ? La connectivité cérébrale est supérieure chez le laminaire, tout spécialement dans l’hémisphère droit spécialisé dans le traitement global de l’information, dans la recherche de la justesse et de la cohérence des informations, ainsi que dans la détection et la gestion des implicites. « L’hémisphère droit peut être qualifié de cerveau du raisonnement fluide, permettant d’accepter la surprise de s’y adapter avec ingéniosité et intérêt » (p.118). Parfois, le laminaire peut avoir des réflexions qui manquent de nuances. Doté d’une hyperconscience, il sait exploiter toutes ses ressources cognitives. Il aime planifier et anticiper les choses et les événements pour éviter toute source d’angoisse. Son hyperacuité lui permet d’être à l’écoute de son corps et de son environnement.
Côté estime de soi, le laminaire n’a pas de problème avec ça, car « les retours approbateurs répétés de la part de tout son système environnemental ont contribué à constituer chez lui une forme de forteresse intérieure, qui lui permet une autonomie émotionnelle et relationnelle d’une valeur considérable » (p.129), mais ce n’est pas pour autant qu’il se met en avant. Au contraire, il est plutôt discret. Fiable et doté d’une grande capacité d’adaptation, il respecte l’autorité mais sait la contourner si elle ne lui convient pas. Le laminaire est également, comme tous les philo-cognitifs, un être doué d’une grande empathie. Il est sensible aux émotions des autres, plus qu’aux siennes. Il est plus intuitif qu’instinctif, et même s’il est doué pour comprendre la nature humaine et pressentir les évènements du quotidien, il lui arrive du coup de prendre une peur pour une intuition.
Ainsi, les auteurs conseillent de développer la part d’animalité en regardant des films d’action, en jouant aux jeux vidéos, en pratiquant un sport de combat ou un sport extrême, de manière à pouvoir exprimer davantage ses ressentis au lieu d’être consensuel.
Comme vu plus haut, les philo-cognitifs possèdent des caractéristiques bien particulières sur les plans comportemental, psychologique et cognitif. Ce qui amène à se poser la question des caractéristiques du cerveau. Est-ce qu’il y a une différence au niveau de l’anatomie ou du fonctionnement ? Les neurosciences ont prouvé que le développement du cerveau dépend et de la génétique et des différentes stimulations environnementales (cognitives, motivationnelles, affectives).
De plus, le cerveau est le centre de l’intelligence, il engendre plus d’un million de milliards de connexions à chaque instant, il s’est modifié au fil des millions d’années d’existence de l’homme, et continue de se modifier « en permanence grâce au mécanisme de la plasticité cérébrale sous l’effet des stimulations de notre environnement familial, social et éducatif, de nos nourritures intellectuelles et alimentaires » (p.161). Les auteurs expliquent que l’intelligence est une organisation cérébrale à la pointe de l’adaptation.
Une expérience a montré que la connectivité structurale est plus dense chez tous les enfants philo-cognitifs, il y a donc une meilleure efficacité de communication entre les différentes régions cérébrales. « Leur cerveau est constitué d’un meilleur câblage des neurones qui permet d’augmenter les échanges d’information entre les différentes régions cérébrales » (p.169), et cela est encore plus le cas chez les laminaires. Les autres points qui ressortent de cette étude est que l’activité cérébrale est plus pointue chez les philo-cognitifs que chez les autres enfants du même âge, et la connectivité fonctionnelle plus efficace.
Pour les philo-complexes, la connectivité fonctionnelle est plus efficace dans les régions cérébrales impliquées dans la pensée automatique et le traitement des processus de perception de langage, ainsi que dans les fonctions cognitives liées à la subjectivité, la conscience de soi et la sensibilité aux émotions. Les philo-laminaires, « présentent au contraire une baisse de connectivité dans le cortex cingulaire postérieur/précunéus correspondant probablement à un fonctionnement moins autocentré, mais à une introspection et une conscience réflexive plus faibles, limitant la construction identitaire » (p.178).
Qu’on les appelle surdoués, hauts potentiels ou philo-cognitifs, ces personnes ont en commun des caractéristiques. Mais deux profils se distinguent : les philo-complexes et les philo-laminaires. Là où les premiers sont plus originaux, plus colorés, peut-être moins adaptés, les seconds développent une adaptabilité à toute épreuve et semblent peut-être plus froids.
Toutes ces différences avec les pairs du même âge sont expliquées par les recherches en neurologie qui ont prouvé que le fonctionnement cérébral diffère bien des autres fonctionnements.
C’est un livre très appréciable, car il est écrit et mené avec clarté. Le lecteur découvre ce qu’est un philo-cognitif et développe des connaissances plus pointues grâce aux explications sur la neurologie.
Il est assez bref, mais prolonge et complète parfaitement le propos de la spécialiste du genre, Monique de Kermadec, car il s’attarde davantage sur les deux profils de philo-cognitifs et propose une explication neurologique.
Ouvrage recensé– Fanny Nusbaum, Olivier Revol, Dominic Sappey-Marinier, Les Philo-cognitifs : ils n’aiment que penser et penser autrement, Paris, Odile Jacob 2019.
Autres pistes– Monique Kermadec, L'adulte surdoué - Apprendre à faire simple quand on est compliqué Paris, Albin Michel, 2011.– Jeanne Siaud-Facchin, Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué, Paris, Odile Jacob, 2008.– Olivier Revol, 100 idées pour accompagner les enfants à haut potentiel, Tom Pousse, 2015.