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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Fin de l’histoire et le dernier homme

de Francis Fukuyama

récension rédigée parAna PouvreauSpécialiste des questions stratégiques et consultante en géopolitique. Docteur ès lettres (Université Paris IV-Sorbonne) et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auditrice de l'IHEDN.

Synopsis

Histoire

Paru en 1992, un an après l’effondrement de l’Union soviétique, le livre de Francis Fukuyama célèbre le triomphe des valeurs occidentales et la perspective d’une paix internationale. Conforté dans ses convictions par la chute du mur de Berlin, les manifestations en faveur de la démocratie sur la place Tiananmen en Chine et la vague de transitions démocratiques en Europe orientale, l’auteur considère que toutes les sociétés finiront par se rendre à l’évidence que la démocratie libérale constitue la forme ultime d’organisation de la société humaine et que le « marché libre » est un gage incontournable de la prospérité matérielle.

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1. Introduction

La Fin de l’Histoire et le dernier homme développe une réflexion amorcée par l’auteur dans un article intitulé : « La fin de l’histoire ? », paru en 1989 dans la revue américaine néoconservatrice de relations internationales The National Interest. Le point d’interrogation a donc disparu du titre de l’ouvrage. Cette absence laisse supposer que, trois ans après la chute du mur de Berlin et dans la foulée de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’auteur a jugé que ses prévisions s’avéraient exactes. Pourtant, on notera qu’entre l’été 1989 et l’année 1992, l’auteur a été témoin de deux événements particulièrement marquants de l’immédiat après-guerre froide: le déclenchement de la Première guerre du Golfe en août 1990 et le début des Guerres de Yougoslavie en 1991.

Fukuyama réinterprète, au vu du nouvel environnement issu de la guerre froide, une idée déjà développée par le passé par le philosophe allemand Hegel dans son ouvrage La Phénoménologie de l’Esprit (1807) : celle de la fin de l’histoire. Au vingtième siècle cette idée est notamment reprise par le philosophe français Raymond Abellio et le penseur franco-russe Alexandre Kojève.

L’auteur précise tout d’abord qu’il ne fait pas référence, dans son analyse, à l’histoire comme succession d’événements. Il la pense, comme Hegel, en tant que « processus simple et cohérent d’évolution prenant en compte l’expérience de tous les peuples en même temps » (p. 12). Ce dont il annonce la fin, dans le titre de son livre, concerne le cheminement au fil des siècles de l’humanité vers la modernité. Cette modernité s’incarne, selon lui, par la démocratie et le capitalisme. « Fin » signifie donc ici un but vers lequel on tend et non le moment où se termine quelque chose. Ayant apporté cette précision essentielle l’auteur va s’attacher, tout au long de son analyse, à démontrer le caractère inéluctable de l’avènement de la démocratie libérale et de l’économie de marché à l’échelle planétaire.

La portée de l’ouvrage de Francis Fukuyama est inévitablement mesurée à l’aune des évolutions géostratégiques qui ont jalonné l’histoire de l’après-guerre froide.

2. Une réflexion basée sur le concept de thymos

Tout comme le philosophe Alexandre Kojève, Fukuyama utilise le concept de thymos, évoqué par Platon dans La République. Le politologue le définit comme « un désir de reconnaissance, en tant que désir humain le plus profondément ancré et le plus fondamental » (p. 340). Le thymos est distinct des deux autres parties de l'âme que sont la raison et l'appétit. La raison est ce qui nous rend humain tandis que nous partageons les appétits avec les animaux. Le thymos se situe entre les deux. Ni bon ni mauvais, il est la partie de l'âme qui aspire à la reconnaissance ou à la dignité.

Le meilleur des régimes, estime Fukuyama, est celui qui comble le mieux les besoins des trois parties de l’âme simultanément. Face aux autres alternatives historiques, la démocratie libérale serait le système qui satisferait au mieux les piliers jumeaux de la reconnaissance et du désir rationnel.

C’est le ressort « thymotique » qui permet d’établir un lien entre libéralisme politique et libéralisme économique. Le désir d’être reconnu est ce chaînon manquant. À titre d’exemple, Fukuyama écrit : « Si les êtres humains n’étaient rien d’autre que raison et désir, ils seraient (ou auraient été) parfaitement heureux de vivre en Corée du Sud sous une dictature militaire ou sous l’administration technocratique éclairée du franquisme espagnol, ou encore dans un Taiwan obsédé de croissance économique accélérée sous la férule du Guomindang.

Et pourtant les citoyens de ces pays sont quelque chose de plus que désir et raison : ils ont aussi une fierté « thymotique » et une croyance en leur propre dignité ; ils entendent bien que cette dignité soit reconnue, surtout par le gouvernement du pays où ils vivent » (p. 339).

3. Le concept de « mégalothymie »

Les aléas de la fierté thymotique peuvent être la source de troubles portant atteinte au libéralisme politique ou économique. Le besoin d’être reconnu peut et doit être maintenu en équilibre. On parle alors d’« isothymie ».

L’auteur appelle « mégalothymie » l’expression incontrôlée de ce besoin de reconnaissance. Dans les sociétés du passé, la mégalothymie se manifestait par la volonté de conquérir des peuples ou des pays étrangers. Dans les démocraties libérales contemporaines, ces accès de mégalothymie ont baissé en intensité et en nature. L'individu qui souhaite être reconnu comme supérieur sera désormais, par exemple, enclin à conquérir l’Annapurna.

Dans un ouvrage plus récent intitulé Identity, The Demand for Dignity and the Politics of Resentment (2018), Fukuyama repensera le concept de mégalothymie. Ce faisant, il reconnait implicitement avoir sous-estimé la virulence des manifestations liées à ce besoin. Car l’individu ou le groupe mégalothymique, s’estimant soudain insatisfait des bienfaits du libéralisme, entend alors prendre «de gros risques, s'engager dans des luttes monumentales, rechercher des effets importants, car tout cela mène à la reconnaissance de soi comme supérieur aux autres » (Tim Adams, The Guardian, 16 septembre 2018).

4. Quel rôle pour les États-Unis dans l’environnement de l’après-guerre froide ?

Pour Fukuyama, l’après-guerre froide ne peut être caractérisé que par l’irrépressible désir d’unité des peuples et par l’aspiration générale de la communauté globale à l’instauration d’une paix planétaire. Ces deux tendances supplanteront les clivages, les rivalités et les conflits encore existants. Dans ce « nouvel ordre mondial », concept développé par le président George H.W. Bush dans son discours au Congrès des Etats-Unis, il ne fait aucun doute que l’hyperpuissance américaine, en raison de ses intérêts stratégiques globaux, doit jouer le rôle d’« empire global ».

Se percevant comme une puissance investie d’une mission universelle, les États-Unis ne doivent pas renoncer à l’universalité de leur culture. C’est la raison pour laquelle la thèse de Fukuyama va être utilisée comme base idéologique par les Administrations qui vont se succéder aux États-Unis à compter des années 1990, notamment par les néo-conservateurs favorables au concept de « regime change ». Les chefs de file de ce mouvement néo-conservateur défendent une politique « néo-Reaganienne ».

Ils partent de l’hypothèse selon laquelle seuls les gouvernements démocratiques libéraux peuvent être considérés comme rationnels. En suivant cette logique, ils considèrent que le renversement de régimes non-démocratiques, suivi de l’installation de régimes démocratiques amis, est légitime. La coexistence pacifique est impossible entre les démocraties libérales d’une part, et les autres systèmes de gouvernement d’autre part. Avec la publication, en 2006, de son ouvrage After the Neo-Cons: America at the Crossroads, Fukuyama va se démarquer du courant néoconservateur, tout en réitérant sa confiance dans le modèle de démocratie libéral américain.

La posture néo-conservatrice américaine, élaborée à partir de l’analyse de Fukuyama, s’inscrit en opposition à la vision réaliste des relations internationales. Cette dernière avance que la plupart des gouvernements, quelle que soit leur forme, défendent leurs propres intérêts sur la scène mondiale et parviennent souvent à des accords mutuellement bénéfiques en évitant la confrontation militaire par la négociation et le compromis.

5. La persistance d’idéologies non libérales dans le nouvel ordre mondial post guerre froide ?

Il n’a pas échappé à Fukuyama que son analyse, consistant à démontrer que la démocratie libérale était une aspiration universelle, pouvait être perçue comme ethnocentriste par des peuples non-occidentaux. C’est le cas de certaines sociétés asiatiques qui pourraient, reconnait-il, rejeter le modèle occidental de démocratie libérale. Un nouvel autoritarisme basé sur l’obéissance volontaire des individus à une autorité suprême pourrait apparaître. Le règne de Lee Kuan Yew (1923-2015), Premier ministre de Singapour pendant 31 ans, en fournit un exemple.

L’auteur écrit à cet égard : « Le défi le plus significatif posé aujourd’hui au libéralisme universel des révolutions américaine et française, ne vient pas du monde communiste, dont l’échec économique est patent pour tout observateur, mais bien de ces sociétés asiatiques qui combinent l’économie libérale avec une sorte d’autoritarisme paternaliste » p. 386).

La prospérité matérielle de ces sociétés asiatiques, sur fond d’affaiblissement économique du monde occidental, pourrait faire surgir des alternatives nouvelles combinant rationalisme économique technocratique et autoritarisme paternaliste. La forme démocratique pourrait alors être rejetée par ces sociétés qui y verraient une forme d’ingérence occidentale. Les progrès de la démocratie libérale pourraient donc être mis à mal.

Il est peu probable cependant, selon Fukuyama, qu’un tel modèle d’organisation non libérale et non démocratique de la société puisse être exporté au-delà de la région Asie-Pacifique. Le problème serait donc circonscrit.

6. Conclusion

Fukuyama considère que « la maturité politique signifie l’acceptation du monde tel qu’il est et non tel que l’on souhaiterait qu’il soit » (p. 41).

Cependant, la multiplicité des conflits meurtriers dans le monde de l’après-guerre froide a certainement remis en question l’optimisme de l’auteur. Elle interroge aussi sur le bien-fondé des stratégies américaines qui s’appuyèrent, dès la fin du monde bipolaire, sur les thèses de l’auteur dans l’élaboration de la politique étrangère des États-Unis. Près de trois décennies après la publication de La Fin de l’histoire, force est de constater que l’environnement international actuel ressemble peu à l’avenir radieux qu’entrevoyait alors le penseur. L'autoritarisme s’est enraciné en Russie, en Chine, en Turquie et dans de nombreux pays.

Au cours de la dernière décennie, les démocraties ont connu de graves crises financières. Le fossé entre riches et pauvres s’est creusé. L’islamisme radical a fait des ravages conduisant les États occidentaux à former une coalition avec d’autres États pour lutter contre l’État islamique en Irak et en Syrie. Les espoirs suscités par les Printemps arabes à compter de 2011 se sont évanouis.

Plus récemment, la montée des revendications identitaires au sein même des démocraties occidentales va à l’encontre de l’évolution pressentie par l’auteur. Il n’en reste pas moins que le nombre de démocraties a augmenté dans le monde en quelques décennies. Fukuyama considère d’ailleurs que le régime démocratique demeure « le mode par défaut » parmi les systèmes de gouvernement observés sur la planète. Il illustre ainsi l’affirmation de Churchill selon laquelle : « La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres ».

7. Zone critique

En contrepoint de l’analyse de Francis Fukuyama, la thèse défendue par le politologue américain Samuel Huntington dans son ouvrage-phare Le Choc des civilisations balaye l’illusion du retour de l’harmonie dans les relations internationales après la fin de la guerre froide. Huntington souligne que l’après-guerre froide a donné lieu à d’innombrables conflits sanglants, voire à des génocides.

À la suite de l’effondrement du monde bipolaire de la guerre froide, les civilisations s’entrechoquent dans un environnement mondial caractérisé par un climat d’hostilité perpétuel. Le monde se trouve divisé en une entité occidentale et une multitude d’entités non occidentales. Dans le monde de l’après-guerre froide, la notion d’empire ou de puissance globale est dépassée. Il faut se rendre à l’évidence : aucun État n’a d’intérêts stratégiques globaux et l’idée de communauté globale n’est plus qu’une utopie. À plus long terme, cependant, une nouvelle division de la planète en sphères d’influence finira par voir le jour.

Force est de constater qu’ainsi confrontée à la réalité, la vision de Francis Fukuyama concernant le rôle des États-Unis sur la scène internationale dans l’après-guerre froide est mise à mal. En dépit de l’appel du président Donald Trump à rendre à l’Amérique sa grandeur passée (Make America Great Again), le tournant protectionniste, nationaliste et isolationniste que ce dernier a effectué depuis 2016 annonce un repli de l’Amérique. Au vu des velléités hégémoniques de plus en plus manifestes de la Chine dans la région Asie-Pacifique, les États-Unis sont désormais forcés de mener contre elle une guerre à la fois commerciale et technologique. Dans le domaine stratégique, les mises en garde américaines vis-à-vis de l’Otan concernant « le partage du fardeau » ou le retrait unilatéral des troupes américaines de Syrie, annoncé le 19 décembre 2018, sont annonciateurs de futurs réarrangements. Au plan économique, le retrait américain est également visible.

Face aux difficultés que rencontrent les États-Unis, Fukuyama a finalement dû se rendre à l’évidence et reconnaître que les Américains s’étaient éloignés de leurs idéaux. « Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que nous traversions des bouleversements politiques comparables à la chute du communisme », écrira-il en 2016, en soulignant que cette sorte de dégénérescence serait même susceptible de contaminer l’ordre mondial.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 2018 [1992].

Du même auteur– La Confiance et la puissance, Paris, Plon, 1997.– Le Grand Bouleversement : La nature humaine et la reconstruction de l'ordre social, Paris, La Table Ronde, 2003.– Le Début de l'histoire : Des origines de la politique à nos jours, Éditions Saint-Simon, 2012.

Autres pistes– Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, Paris, 1997.

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