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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Penser la Révolution française

de François Furet

récension rédigée parAnthony GuyonEnseignant agrégé et docteur en Histoire (Montpellier 3).

Synopsis

Histoire

« La Révolution est terminée », c’est par ces quatre mots que l’historien François Furet appela à mettre un terme à une lecture passionnelle des événements ayant transformé la France à la fin du XVIIIe siècle. Brûlot contre l’école marxiste dominante incarnée par Albert Soboul et Claude Mazauric, cet ouvrage apparaît également comme un plaidoyer en faveur d’une nouvelle approche de l’histoire de cet événement. Remettant à l’honneur Alexis de Tocqueville et présentant les travaux peu connus d’Augustin Cochin, l’historien cherche ici à repenser la charnière 1789-1793. En réfléchissant aux ruptures et aux continuités, il commence déjà à penser cette période dans un temps long.

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1. Introduction

En 1965, François Furet et Denis Richet publient La Révolution française en deux tomes contestant l’idée d’une « Révolution bourgeoise » qui aurait balayé les restes du système féodal et permis l’avènement du capitalisme. Cette remise en question de la lecture marxiste entraîne une longue controverse avec les chefs de file de cette école : Albert Soboul et Claude Mazauric, qui émettent une série de critiques de l’œuvre de Furet et Richet. Le livre de 1978 constitue à la fois la réponse de François Furet, mais aussi un ouvrage méthodologique qui confronte l’histoire problème au récit de la Révolution et invite à ne plus lire l’événement au prisme de l’année 1917 en Russie ou des ruptures idéologiques du second XXe siècle. Pensée par l’École des Annales, l’histoire problème interroge le passé en recourant aux autres disciplines, puis en croisant et diversifiant les sources. Il s’agit alors de privilégier l’analyse au récit.

Il s’agit donc pour lui de présenter dans quelle mesure l’histoire problème renouvelle-t-elle l’histoire de la Révolution française, tout en se détachant d’une lecture idéologique ? Pour cela, l’auteur invite d’abord à en finir avec la Révolution et les anachronismes, il présente ensuite le travail du libéral Tocqueville qui a pensé la Révolution et l’Ancien Régime comme un bloc alors que le légitimiste Augustin Cochin s’est focalisé sur l’étude du mouvement jacobin.

2. Finir la Révolution

Comme toute histoire, celle de la Révolution française est le produit d’une relation entre le passé et le présent. Pourtant, par l’étendue de sa promesse, la Révolution a un début mais pas de fin, puisque toute l’histoire du XIXe siècle serait une lutte entre la Révolution et la Restauration. Si l’historiographie de ce siècle célèbre le triomphe des principes des Lumières en 1789, elle condamne la Terreur de 1793-1794. Un changement s’opère après les révolutions russes de 1917. Le club des Jacobins, dont l’action fut primordiale entre 1792 et 1794, devient alors le symbole de la Révolution française. En effet, beaucoup cherchent dans les événements français, les prémices de la Révolution russe et voient dans les jacobins, les précurseurs des bolcheviks. Par exemple, l’historien Albert Mathiez n’hésite pas en 1920 à justifier la violence de Lénine et Trotski par le précédent français. Dès lors, la curiosité universitaire se déplace de 1789 à 1793. Selon François Furet, Albert Soboul et Claude Mazauric seraient les héritiers de ce courant marxiste. Il critique en ce sens deux de leurs ouvrages. Dans La Civilisation et la Révolution française d’Albert Soboul, bien qu’il reconnaisse à ce dernier d’excellentes pages sur la paysannerie, François Furet souligne « une lecture populiste de l’histoire » (p. 162) quand il aborde le clergé et la bourgeoisie. Loin d’une attaque idéologique, il recourt aux travaux d’historiens pour mettre en exergue les lacunes de la lecture de son adversaire. Se référant aux écrits de Tocqueville, Furet fustige la méconnaissance d’Albert Soboul sur le XVIIIe siècle qui n’y voit que guerres, famines et crises. Son attaque du livre de Claude Mazauric, présenté comme plus militant que Soboul, prend une forme encore plus virulente. Il lui reproche d’occulter la pluralité de la bourgeoisie, de caricaturer l’économie du XVIIIe siècle par une approche minimaliste du marxisme et de se tromper sur les causes des guerres révolutionnaires. Au-delà du verbe, souvent virulent, les arguments de François Furet contre les deux auteurs sont étayés avec précision. Il présente ainsi une économie du XVIIIe siècle relativement prospère, dont la croissance paraît comparable au rythme britannique. Il rappelle aussi que l’extension du capitalisme, avant même la Révolution, est freinée par le développement de la micropropriété, propre au monde paysan français.

3. L’Ancien Régime et la Révolution

L’aspect le plus intéressant du livre réside sans aucun doute dans la rencontre entre François Furet et l’œuvre du libéral Alexis de Tocqueville. Tout historien peut ici comprendre la découverte d’une nouvelle source contribuant au renouvellement de son propre système de pensée. Sans tomber dans l’éloge systématique, l’auteur présente les forces mais aussi les faiblesses de l’auteur de L’Ancien Régime et la Révolution. À la différence de nombreux historiens du XIXe siècle, Tocqueville rompt avec l’histoire récit pour l’histoire problème. Cassant les ruptures chronologiques, il offre une certaine continuité entre les réformes menées sous Louis XV, puis Louis XVI, et la période révolutionnaire.

L’interprétation générale de la Révolution française par Alexis de Tocqueville se trouve dans son ouvrage L’État social et politique de la France avant et depuis 1789 rédigé en 1836, puis L’Ancien Régime et la Révolution vingt ans après. Pour lui, la Révolution constitue moins une transformation radicale de la France et des Français que l’aboutissement de dynamiques à l’œuvre sous l’Ancien Régime.

La période qui s’ouvre en 1789 vient donc couronner un long processus qui s’étend sur l’ensemble du XVIIIe siècle. Pour cela, il a travaillé sur les Archives nationales, celles de l’administration centrale, puis de nombreux papiers de l’intendance de Tours. Si Tocqueville reste, selon François Furet, simpliste sur les aspects économiques, il brille par son analyse de l’état d’esprit des Français. Il montre ainsi que l’affirmation de la démocratie en Amérique et en France repose sur une conceptualisation et une idéologie différentes. En effet, si la démocratie est le premier régime politique des treize colonies indépendantes, en France elle prend la suite de l’Ancien Régime. L’individualisme démocratique entre donc inévitablement en conflit avec l’esprit de caste de la noblesse. Par l’étude des causes à court et long terme, Tocqueville démontre que les principes portés par la Révolution ne sont pas neufs et concernent plusieurs pays européens. Une de ses idées les plus neuves est qu’en 1789 l’Ancien Régime a déjà disparu sur le plan institutionnel, car le ministre Loménie de Brienne a substitué les assemblées législatives aux intendants dès 1787. Dès lors, l’Ancien Régime n’existe plus que dans les esprits, mais les survivances de ce système n’en deviennent que plus inacceptables.

François Furet n’en porte pas moins un jugement critique sur l’œuvre du libéral. Il lui reproche ainsi ses lacunes sur l’économie, son manque de culture historique sur le siècle des Lumières et le fait qu’il occulte dans son analyse les aspects diplomatiques. L’œuvre de Tocqueville reste un travail inachevé puisqu’il n’a pas eu le temps d’écrire son Tome 2 sur l’histoire de la Révolution. Il n’a donc pas abordé le phénomène jacobin. C’est ici que François Furet rencontre les écrits d’Augustin Cochin et compense cette faiblesse.

4. Le messianisme jacobin

Malgré la brièveté de sa vie, Augustin Cochin (1876-1916) a laissé une œuvre conséquente sur la Révolution. Ses travaux ont pourtant été relégués au second plan de l’histoire universitaire en raison de sa mort au front lors de la bataille de la Somme, puis des critiques des historiens Alphonse Aulard et Albert Mathiez. Présenté comme un catholique royaliste, il ne correspond alors pas aux idées dominant l’étude de la Révolution française. Si Tocqueville accorde beaucoup d’importance aux idées, lui se focalise davantage sur les aspects sociologiques. Il publie un recueil de sources : Les Actes du gouvernement révolutionnaire (23 août 1793-27 juillet 1794), et La Crise de l’histoire révolutionnaire : Taine et M. Aulard. Pour Furet, Aulard et Mathiez sont des historiens du récit alors qu’il présente Cochin comme un historien du problème.

Si Tocqueville cherche à comprendre la continuité, Cochin s’intéresse à la rupture, puis au phénomène jacobin, tout comme Aulard et Mathiez. Toutefois, à la différence de ces derniers, Cochin déteste le jacobinisme qui défend la souveraineté populaire. Ses deux principales qualités apparaissent comme son intérêt pour la sociologie puisqu’il a lu Durkheim, puis il s’illustre comme un historien de terrain et un archiviste. Augustin Cochin ne voit pas le jacobinisme comme une idéologie mais comme une « société de pensée » caractérisée par le lien de chacun aux idées, préfigurant donc ici la démocratie. Les meneurs deviennent ici secondaires : Brissot, Danton et Robespierre se manifestent plus comme des produits du jacobinisme que des leaders jacobins. La société des jacobins apparaît comme le triomphe d’un mouvement né au XVIIIe siècle et incarné par la Bretagne où des sociétés se réunirent sur la base de la philosophie. Peu à peu, cet esprit de société remplace l’esprit de corps. Les clubs, académies et loges maçonniques ont en quelque sorte préparé le terrain.

Plus qu’une bataille sociale ou un transfert de propriété, la Révolution devient selon Cochin un nouveau type de socialisation fondé sur la communion idéologique, mais manipulé par des appareils. Pour autant, la philosophie des Lumières ayant amené selon lui ce système existe également dans d’autres pays européens. Des sociétés de pensée se créent en Angleterre et Allemagne sans y nourrir de révolution. C’est ici que pêche l’analyse de Cochin qui s’attarde assez peu sur les derniers mois de l’Ancien Régime. Au fond, Tocqueville et Cochin se complètent, tout en partageant le même étonnement horrifié devant le jacobinisme. Le premier analyse 1789 et le second 1793.

5. Conclusion

Oscillant entre le manifeste et le règlement de compte, François Furet fustige l’école marxiste et surtout signe un plaidoyer pour l’histoire problème privilégiant la compréhension des idées et dynamiques à la cohérence chronologique. Il appelle autant à une histoire la plus objective possible de la Révolution qu’à une « nouvelle » façon d’aborder l’événement.

S’il renforce la réputation de Tocqueville, il présente au grand public le travail peu connu de Cochin sur les sociétés de pensée. Cet ouvrage lui donne incontestablement une plus grande dimension qu’il consolidera par la direction du Dictionnaire critique de la Révolution française avec Mona Ozouf pour le bicentenaire et également Le Passé d’une illusion en 1995.

6. Zone critique

Ce recueil d’articles transformé en livre doit être abordé avec prudence. Trois forces sont à retenir de cet ouvrage.

D’abord, le fait de penser la Révolution comme une continuité contrairement à ce qu’il avait fait en 1965 avec Denis Richet. 1793 et 1789 ne peuvent être séparées et relèvent d’une même dynamique. Ensuite, l’histoire présentée se veut en rupture avec l’histoire récit. François Furet propose d’analyser la Révolution plutôt que de la célébrer. Enfin, les auteurs sur lesquels il appuie sa conception renouvellent l’approche des historiens du XIXe siècle. Tocqueville devient incontestablement la référence de Furet et contribuera ainsi à penser l’événement depuis 1770 jusqu’aux années 1880 .

Toutefois, à force de vouloir rompre avec le récit, le propos de François Furet manque parfois d’éléments concrets et de portée chronologique. Ses ouvrages des années 1980 permettront de corriger, dans une certaine mesure, ces deux lacunes. Par ailleurs, le ton acerbe amène à une caricature de l’école marxiste puisqu’il oublie de souligner les atouts des travaux d’Albert Soboul sur les sans-culottes.

Comprendre François Furet implique d’abord de séparer l’historien de la Révolution de l’intellectuel. Certains l'ont vu comme un ancien étudiant communiste ayant basculé à droite et renié son passé par son travail universitaire. Pourtant, ses travaux sur la Révolution ont gagné en profondeur et sa méthode historique, que l’on retrouve dans L’Atelier de l’histoire, offre une approche plus ambitieuse. Sans être devenue un objet froid, l’histoire universitaire de la Révolution parvient aujourd’hui à réconcilier, autant que faire se peut, ces différentes écoles par une approche plus globale des différents phénomènes, tout en offrant un solide cadre chronologique.

7. Pour aller plus loin

Ouvrages de François Furet

- Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Robert Laffont/Calmann Lévy, 1995.- Avec Ozouf Mona (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988.- La Révolution française (1770-1880), Paris, Hachette, 1988.- L’Atelier de l’Histoire, Paris, Flammarion, 1982.

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