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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Winston Churchill

de François Kersaudy

récension rédigée parYann HarlautDocteur en histoire (Université de Reim).

Synopsis

Histoire

Churchill est surtout connu pour avoir été le vainqueur du nazisme, avoir résisté puis défait Hitler. Pourtant, il n’a pas pu entériner sa paix, battu sèchement aux élections de juillet 1945. Il alerte toutefois les opinions publiques internationales sur la future guerre froide. En 2000, François Kersaudy renouvelle l’étude de ce monument de l’histoire contemporaine, montrant un Churchill aux prises entre réussites et échecs, influence et isolement. En plus de 700 pages, la vie du Prime Minister devient un roman exceptionnellement humain, rythmé par des antagonismes à l’image de l’homme : colère/sang-froid ; optimisme/dépression ; réalisme/intuition ; imagination/travail ; brouillon/perfection… Finalement, l’ambivalent Churchill ne serait-il pas le seul cancre à avoir reçu le Prix Nobel de Littérature ? Kersaudy nous livre ici un portrait haletant et contrasté d’un leader d’exception, non par le mérite mais par les vicissitudes de son histoire.

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1. Introduction : le dirigeant numéro 1 du XXe siècle

En janvier 1950, le Time Magazine avait décerné le titre d’ « Homme du demi-siècle » à Winston Churchill. En 2000, Historia le juge comme l’ « Homme d’État du siècle » avant qu’en avril 2013 le cabinet PricewaterhouseCoopers n’en fasse de même lors d’une étude sur les personnalités inspirant les dirigeants de multinationales dans l’exercice de leur leadership. Churchill serait unanimement et universellement le dirigeant du XXe siècle le plus plébiscité. Pourquoi un tel choix ?

Winston Churchill est un homme politique atypique. Aristocrate, cavalier exalté, journaliste polémique, écrivain renommé, homme politique d’envergure, ministre à de nombreuses reprises, conservateur puis libéral et à nouveau conservateur, il s’oppose le premier à Hitler, devenant par la suite le grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. Modèle, il est souvent cité par les hommes politiques. Affable et épicurien, ses traits d’esprit ont été souvent repris, parfois déformés. Nous aimons tellement ces hommes qui se construisent face à l’adversité et influe sur leur destin. Car que de chemin parcouru par cet enfant, considéré comme un cancre, arrogant, indiscipliné et bagarreur. Le futur homme politique et orateur, l’homme de radio et des grandes conférences, souffre même dans son enfance d’un léger bégaiement et d’un fort zézaiement.

Le jeune Churchill est pourtant intelligent, énergique et passionné, mais il s’oppose frontalement au rigide système éducatif anglais. Churchill dira lui-même de sa période scolaire : « Quand ni ma raison, ni mon imagination, ni mon intérêt n’étaient sollicités, je ne voulais ou ne pouvais apprendre » (p. 26). Quel gâchis (ou quelle opportunité) ! Car ses dons, non accompagnés (parfois brimés) se développent. Dès lors son cerveau n’accepte aucune frontière ni limite, de temps ou d’espace. Ses idées et son action sont en perpétuel mouvement, ne pouvant se contenter de faire une seule chose à la fois.

La vie de Churchill s’annonce comme une épopée contemporaine. Couronnée, cette nouvelle biographie de François Kersaudy a obtenu, en 2001, le grand prix d’histoire de la SGDL (Société des gens de lettres) et le Grand prix de la biographie politique 2009.

2. La construction d’un leader

Winston Churchill a vécu son enfance dans l’ombre de son passé et de son père. Ses ancêtres ont brillé dans l’histoire de l’Angleterre, le premier duc de Marlborough ayant été l’un des plus grands généraux. Son père est un brillant étudiant d’Oxford, député à 25 ans, ministre des Finances à 30. Parents absents, Winston Churchill est un enfant à la santé fragile, capricieux, turbulent et insolent, refusant d’apprendre ses leçons.

Trouvant sa passion dans l’instruction militaire, il se révèle excellent au Royal Military College de Sandhurst. Il veut sa revanche et cherche la gloire d’abord par les armes puis les écrits. Battu sèchement à ses premières élections à 24 ans, il part à l’aventure en Afrique du Sud, en plein conflit armé. Sauvant ses compagnons lors d’une attaque d’un train blindé, il est fait prisonnier puis s’évade, faisant ainsi la une des journaux anglais. Célèbre et populaire, il est élu ; sa carrière politique débute à 26 ans.

Churchill a toujours eu à cœur de se dépasser et de se confronter à l’inconnu. Ce fils de l’aristocratie anglaise commence par se tourner vers sa « famille naturelle » : la majorité conservatrice au pouvoir. Ses opinions personnelles vont rapidement prendre le dessus, l’amenant à contester certaines décisions de son parti. Il change de camp et rejoint les libéraux. Le transfuge fascine les médias. Son nouveau parti sort largement vainqueur des élections de 1906.

À 32 ans, il est nommé vice-ministre des Colonies, puis ministre du Commerce. Avec Lloyd George aux Finances, ils bouleversent la législation du travail : journée de huit heures, salaire minimum, allocations familiales pour les ménages les plus défavorisés, préparation des lois sur l’assurance maladie, le chômage et les retraites. Lors de la Première Guerre mondiale, Churchill, alors ministre de la Marine, coordonne le fiasco du débarquement des Dardanelles. Contraint de démissionner, il se réfugie dans les tranchées des Flandres comme lieutenant-colonel.

Churchill observe les négociations du Traité de Versailles (1919), qui constitue, selon lui « une folie ». En 1929, face à une situation économique qui se dégrade, les conservateurs perdent le pouvoir. De là, pendant dix ans, Churchill est mis à l’écart de la vie politique. Même lorsqu’un gouvernement d’unité nationale est formé, Churchill n’est pas invité à s’y joindre. Il est vrai que l’homme est de moins en moins populaire, seul militariste dans un monde qui cherche la paix, mais dont plusieurs pays préparent activement la guerre : Japon, Italie et Allemagne. Les tensions montent et Hitler trahit chaque engagement, annexant l’Autriche puis la Tchécoslovaquie.

La guerre est inévitable. Tant pour l’opinion publique que pour les parlementaires, alliés et opposants, le retour de Churchill est nécessaire. Il serait « le seul Anglais dont Hitler ait peur » (p. 316). Le 1er septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale débute et Winston Churchill entre en scène comme ministre de la Marine : « Winston is back ! » (p. 327).

3. Les combats du « vieux lion »

Churchill a 65 ans et revient au pouvoir au début de la guerre après 11 ans d’absence La Pologne est rapidement écrasée et le conflit se limite encore à quelques opérations périphériques. Le vieux lion est le seul à prôner l’offensive dans cette période. En mai 1940, les batailles en France sont un désastre et les forces militaires anglaises doivent battre en retraite.

Dans ce chaos, Churchill devient Premier ministre déclarant : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes ! » (p. 373). Il refuse de se rendre ou de négocier avec Hitler. L’affrontement militaire se poursuit mais l’Angleterre ne peut plus que se défendre et non attaquer. Les Anglais sont maîtres des mers ; les Allemands maîtres des airs. Avec la Luftwaffe, Hitler bombarde massivement les sites militaires et civils. Il entend briser l’Angleterre et Churchill, en brisant les Anglais. Mais notre homme voit plus loin, il croit qu’il sera rapidement rejoint par les États-Unis et, qu’à terme, il remportera la victoire.

La situation est complexe avec l’URSS. Au début de la guerre, les Soviétiques ont joué cavalier seul et conclu un pacte avec l’Allemagne, attaquant la Pologne, les États baltes et la Finlande. Mais Hitler rompt son pacte et envahit l’URSS le 22 juin 1941. Immédiatement, Churchill se rapproche de Staline en lui exprimant son intention d’apporter aux Russes toute l’aide possible. Pragmatique, il indique : « Si Hitler envahissait l’enfer, je mentionnerais au moins le diable en termes favorables à la chambre des Communes » (p. 453). Churchill mise sur la relation personnelle, seule susceptible de briser les clivages. Staline trouve alors chez le vieux lord anglais un interlocuteur privilégié.

En 1943-44, les offensives russes et les débarquements anglo-américains sont un succès. La suprématie aérienne alliée est écrasante et le Reich chancelle. Churchill est finalement vainqueur, mais les élections générales de juillet 1945 le contraignent à quitter la table des négociations. Le peuple britannique exprime ainsi clairement sa volonté de changement.

En retrait partiel, chef de file de l’opposition conservatrice, Churchill reste un homme politique écouté et visionnaire. Alors que d’autres croient à une ère de paix universelle le vieux lion est alarmiste : « Une ombre s’est répandue sur la scène si récemment illuminée par les victoires alliées. […] De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer est descendu sur le continent » (pp. 583-584).

Mais il est aigri : « Le roi voudrait me décerner l’ordre de la Jarretière ? Il n’en est pas question : ses sujets m’ont congédié comme un vulgaire domestique ! » (p. 580). Il reconquiert le pouvoir en 1951, redevenant Premier ministre jusqu’en 1955. Malade, il décède en 1965 à 90 ans, ayant continué toute sa vie à se battre pour exister et ne pas déprimer.

4. La lutte contre le « black dog »

Au-delà des faits marquants de la vie de Churchill et des grands événements historiques dont il a été acteur, Kersaudy insiste sur les différentes facettes psychologiques du personnage : énergique, hyperactif, imaginatif, mais aussi dépressif. C’est une personnalité contrariée, fruit d’une enfance humainement négligée.

Jeune homme arrogant par naissance, il est rebelle par goût ou tout simplement pour exister. Il est empressé, pressé de mener sa vie et d’accomplir son destin. Il a vu son père mourir à 46 ans et il est convaincu qu’il va mourir jeune. Opéré d’une hernie dans un hôpital de Londres, il déclare à l’anesthésiste : « Vous me réveillerez vite : j’ai beaucoup de travail ! » (p. 593).

À 75 ans, il continue de mener sa vie énergiquement, sans temps mort. Comment ? « Le dopage, peut-être ? Notre coureur de fond fume toujours ses énormes cigares noirs et continue à boire du sherry, du champagne, du porto, du cognac et du cointreau au déjeuner comme au dîner, du vin blanc au petit déjeuner et du whisky and soda à toute heure… » (Id.)

L’homme a de nombreuses faiblesses personnelles, des points de vigilance qu’il a tenté toute sa vie d’amoindrir ou de contrer. Il se connaît parfaitement, sait lorsqu’il a tort ou lorsqu’il a raison. Son meilleur allié c’est lui ; son pire adversaire, c’est lui !

Surnommé « gueule de bouledogue », Churchill n’est pas un homme de compromis, souvent perçu comme dur et intraitable. C’est un lutteur qui fonctionne au rapport de force. Il s’emporte facilement, tentant au maximum de maîtriser ses nerfs. Il est énergique, imaginatif et bouillonne d’idées. « J’aime qu’il se passe quelque chose ; et s’il ne se passe rien, je fais en sorte qu’il se passe quelque chose ! » affirme-t-il. Déprimé quand il est oisif, il compense par une hyperactivité, travaillant de 16 à 20 heures par jour, enchaînant les journées, les bains et les alcools. Maniaque et cyclothymique, il est enclin à des accès de dépression, accompagnés parfois d’une tendance suicidaire.

Tous ses défauts auraient dû créer un homme asocial ; il s’est pourtant affirmé comme un leader d’exception. Car il maîtrise d’instinct l’art de se faire des amis utiles et dévoués. C’est un homme qui sait attirer et s’entourer.

Gourmet, amateur d’alcool, de cigare et de casino, il joue continuellement avec son image d’homme affable et d’épicurien. Afin de canaliser sa pensée et son énergie, mais également de subvenir à son train de vie princier, il entreprend à partir de 1945 la publication de ses mémoires. Le premier volume paraît en 1948, mais le travail n’est terminé qu’en 1954. Le dirigeant qui rêvait de se voir décerner le prix Nobel de la paix reçoit en 1954 celui de littérature pour toute son œuvre écrite. Consécration et revanche sur une vie si mal engagée !

5. Conclusion

Churchill est un électron libre dont la vie est un roman, celui du XXe siècle. L’homme qui a « changé le destin de l’Angleterre et la face du monde » (p. 664) n’existe pourtant que par des circonstances favorables et le tumulte de l’Histoire. Durant les périodes de paix, il est oublié voire déconsidéré, végète mais s’occupe dans son rôle du gentilhomme campagnard à Chartwell. Le leader a pris tant de décisions, raisonnées ou impulsives, importantes ou futiles, qu’il a échoué (parfois ou souvent) et qu’il a réussi (parfois ou souvent). Il envoie plus de 500 000 hommes dans une expédition dénuée de sens aux Dardanelles (1915-1916) et met en péril le système économique britannique en rétablissant la parité or de la livre sterling (1925). Il n’est pas un leader irréprochable, mais se caractérise par deux traits : courage et vision.

Si Churchill est né des circonstances, il est également le maillon d’une équipe qui le cadre. Son secrétaire au ministère de l’Intérieur note dans ses souvenirs : « Une fois par semaine, et parfois davantage, M. Churchill arrivait au bureau avec quelque projet aussi audacieux qu’irréalisable. Mais après une demi-heure de discussion, nous avions élaboré quelque chose qui restait audacieux, tout en n’étant plus irréalisable » (p. 118). Même ses mémoires « personnelles » s’apparentent à une œuvre collective, ayant mobilisé aux frais de ses éditeurs sa familles, plusieurs secrétaires, ses amis et les plus grands spécialistes. Tel Alexandre Dumas, Churchill supervise, synthétise et y met sa touche, dictant, écrivant et réécrivant.

Visionnaire, Churchill l’est assurément par sa capacité à savoir tout sur tout. Lors de son retour aux affaires en 1939, il prépare la guerre en créant un « corps central de statistiques », dirigé par le professeur Lindemann. Futilité ou génie ? Ce dernier transforme tous les chiffres (équipement, délais, coût, stocks…) en graphiques prouvant que la guerre devenait une affaire de planification et de logistique. Churchill contre volontairement son impulsivité par la raison des chiffres. Homme de terrain et d’action, il n’hésite pas à déranger n’importe lequel de ses collaborateurs, à n’importe quelle heure, pour avoir l’information qu’il juge primordiale. Pour lui, ne pas savoir est la conséquence de ne pas avoir posé la bonne question. Que de bons conseils à relever dans les détails de cette biographie fleuve !

6. Zone critique

La biographie de Kersaudy est une œuvre magistrale, d’un style équivalent aux écrits de Churchill : précision, référence et humour. La plume est alerte, donnant vie aux actions et aux rebondissements. Espiègle autant que Churchill, Kersaudy dénote parfois avec le style académique, ajoutant des traits d’humour personnel : « Lorsqu’on saute à pieds joints dans l’inconnu, mieux vaut le faire avec un homme qui connaît le maniement du parachute » (p. 323)

Indéniablement, Churchill exerce une fascination sur le lecteur mais aussi sur l’auteur qui peut paraître parfois plus complaisant que critique. Par exemple dans le second chapitre « un cancre brillant » qui dresse le tableau d’enfance, entre délaissements de ses parents et brimades du système scolaire, on pourrait s’interroger sur les références quasi-exclusives aux mémoires de Churchill. Qu’en est-il réellement de cet enfance forgeant caractère et paradoxes ? Churchill a pris soin de se substituer à l’histoire. Par ses écrits, il a savamment construit son mythe que l’auteur reprend en partie. Critique, Arthur Balfour avait en son temps indiqué : « Je suis en train de lire la brillante autobiographie de Winston déguisée en histoire de l’univers » (p. 666).

Kersaudy se rend bien compte d’un tel risque, montrant systématiquement les empressements et les erreurs de son personnage, s’attachant à en cerner toute sa psychologie. Dans un ultime sursaut, il se remet en cause dans une trop brève conclusion, déclarant : « nous manquons encore de recul pour apprécier la véritable dimension d’un homme aussi complexe et riche de contradictions […] Sans doute faudra-t-il attendre que se dissipent les lourds nuages du conformisme idéologique, pour pouvoir enfin contempler librement le soleil de la grandeur » (p. 593). Une invitation est ainsi lancée aux historiens futurs…

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Winston Churchill. Le pouvoir de l’imagination, Paris, Éditions Tallandier, 2009 [2000].

Du même auteur

– De Gaulle et Roosevelt. Le duel au sommet, Paris, Perrin, coll. Tempus, 2006.– Staline, Paris, Perrin, 2012.

Écrits de Churchill (avec commentaires, critiques et annotations)

– Le monde selon Churchill : sentences, confidences, prophéties, réparties, édité par François Kersaudy, Paris, Alvik éditions, 2007.– Winston Churchill. Mémoires de guerre, texte traduit, présenté et annoté par François Kersaudy, 2 tomes, 1919-1945, Paris, Tallandier, 2010-2011.– Winston et Clementine Churchill. Conversations intimes (1908-1964), Paris, Tallandier, 2013.

Autres pistes

– William Manchester, Winston Churchill. 1. Rêves de gloire, 1874-1932, Paris, Robert Laffont, 1985.– William Manchester, Winston Churchill. 2. L’épreuve de la solitude, 1932-1940, Paris, Robert Laffont, 1989.

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