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Les Rois de France excommuniés

de François-Marin Fleutot

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Histoire

La thèse centrale de François-Marin Fleutot est que la laïcité n’est pas l’antithèse de l’Ancien régime, mais sa conséquence logique. Bravant mille excommunications et interdits fulminés par Rome, les rois de France se sont faits les défenseurs des « libertés et franchises de l’Église gallicane » contre les empiètements de la papauté, se dressant tour à tour contre les réformes grégorienne et tridentine, jusqu’à ce que la fameuse Constitution civile du clergé ne fasse basculer les défenseurs du Trône du côté de ceux de l’Autel.

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1. Introduction

Loin d’être une bien sage « fille aînée de l’Église », soumise comme telle au Saint-Siège, la monarchie française fut de tous temps, selon François-Marin Fleutot, un môle de résistance au césarisme des papes. La laïcité elle-même ne serait pas une invention de la République, mais un fondement de la France comme État, depuis les origines.

Cette résistance porte un nom : ce sont les « libertés et franchises de l’Église de France », que les Capétiens – en cela bien différents des deux premières « races » – se firent fort de défendre pour mieux asseoir leur autorité sur l’Église. Ces libertés ont une histoire, une origine, que l’ouvrage de Fleutot nous permet de comprendre, à travers les conflits du Moyen Âge entre les Princes et l’Église. Et, si elles ont une origine, elles ont encore un destin, à travers la réforme et les guerres de Religion, jusqu’au jansénisme et à la Révolution.

2. La théocratie des papes

En 511, tous les prélats des Gaules sont réunis à l’instigation du roi des Francs, Clovis. C’était le premier concile des Gaules. Ainsi, le premier roi de France faisait naître l’Église de France. En ce temps, nul conflit avec Rome. Les prélats étaient élus par les chapitres, localement. Ils s’occupaient des villes et de leurs affaires ecclésiastiques. Le pape, sujet de l’empereur d’Orient, s’occupait de dogme, et de sa ville de Rome. Le roi s’occupait quant à lui des affaires du royaume, avant tout de la guerre et de la soumission des Burgondes, des Saxons et des Goths.

Mais au IXe siècle s’opère un basculement. On passe de l’Antiquité tardive au bas Moyen Âge. Les Mérovingiens passent le relais aux Carolingiens, qui établissent leur pouvoir sur l’économie de la terre, et donc sur la féodalité. En Orient, Byzance est trop accaparée par ses propres problèmes pour pouvoir défendre l’Italie. Celle-ci doit se trouver un chef et un protecteur : ce sera le pape. Celui-ci couronne Charlemagne, en échange de la reconnaissance de la Donation de Constantin, faux avéré (aujourd’hui) en vertu duquel « l’empereur Constantin aurait donné Rome, l’Italie et le reste du monde inconnu, en propriété temporelle au pape Sylvestre, gardant pour lui l’Empire romain d’Orient et sa capitale Constantinople » (p.19).

Sont désormais fondées les prétentions de Rome : la société est une hiérarchie de pouvoirs féodaux, au sommet de laquelle siégerait le pape. Naissance d’un césaro-papisme, terme désignant traditionnellement l’accaparement des pouvoirs spirituels de la papauté par une autorité laïque. Fleutot le subvertit.

3. Le fond du problème

La prétention des papes à l’autorité universelle se fonde, donc, sur la Donation de Constantin et sur la féodalité. Mais se pose alors la question de l’autorité sur les églises locales et les évêques. Qui est leur maître ? Qui les nomme ?

En principe, le responsable religieux est élu par le chapitre, c’est-à-dire par une sorte de conseil épiscopal. L’impétrant doit recevoir le sacrement : on ne devient évêque, depuis le temps des apôtres, que par l’imposition des mains. Ici, le roi n’a rien à faire. C’est l’Eglise qui s’en charge, par le moyen de n’importe quel évêque. Une fois reçue, elle est reconnue par tous, pape comme roi. C’est cette liberté fondamentale et locale que l’on appellera les libertés et franchises de l’Église gallicane.

Néanmoins, reste le temporel. Pour cela, l’évêque n’est qu’un seigneur comme un autre. Il doit avoir la reconnaissance du roi, sans quoi il n’est pas vraiment évêque. Se prévalant de ce droit féodal, rois et empereurs de l’Europe médiévale prétendent nommer eux-mêmes les prélats, ce que la papauté ne peut accepter, bien sûr, ni les chapitres : c’est ce qu’on appelle la querelle des Investitures, qui se termina, en Italie, par la soumission de l’Empereur à la papauté. Non en France, où le roi n’admit jamais qu’un souverain étranger, le pape, puisse intervenir dans les affaires intérieures du royaume.

Quoi qu’il en soit de cette querelle, l’Église tombait en décadence. Ce n’était que corruption, concubinage, luxe. Les évêques, qui parfois faisaient la guerre, ne ressemblaient plus guère à leurs prédécesseurs les apôtres. Le scandale était énorme et permanent. Contre lui grandit un mouvement, le mouvement monastique. En principe, un monastère dépend de l’évêque dans le territoire duquel il se trouve. Or les moines voulaient échapper à cette infamante tutelle. Ils se tournèrent donc vers Rome, seule autorité susceptible de se substituer à celle d’évêques corrompus.

4. La réforme grégorienne

En 1071, année même de la bataille de Mantzikert qui livrait aux Turcs l’Anatolie et peut-être bientôt Constantinople, accédait au trône de saint Pierre un certain Hildebrand, qui prit le nom de Grégoire VII et à qui l’on doit la réforme grégorienne. Le parti des moines a désormais le pouvoir à Rome.

S’étant proclamés uniques héritiers des Césars, les papes n’hésitent plus. Qu’un roi se sépare d’une épouse et se remarie, avec l’assentiment des évêques français, et c’est l’excommunication, peut-être l’interdit, c’est-à-dire la grève des sacrements sur tout le royaume. Même sanction, si le roi place un évêque qui déplaît en cour de Rome. En un temps où les Français sont croyants, c’est un moyen de pression colossal.

Mais les rois de France ne se soumettent pas.Contrairement à l’Empereur, ils ne dépendent pas du pape pour l’onction, et ils affirmeront bientôt que leur pouvoir vient de Dieu, et non de Rome. Contrairement aux autres monarques, dont l’Anglais, son royaume n’est pas vassal de Rome. De nombreux rois de France iront ainsi à l’affrontement, comme ce Philippe Auguste, qui ne craignit pas d’accuser Rome elle-même d’être corrompue, ni de « bouler » hors du royaume les prélats qui avaient consenti à l’interdit fulminé par le pape.

5. La Sorbonne contre le pape

Dans leur longue guerre contre l’autorité des papes, les rois de France vont se doter d’une institution dont le rôle sera crucial : l’Université de Paris. Il s’agit de construire l’armature intellectuelle de la souveraineté absolue du roi contre les féodaux et contre la papauté. Ici, le rôle de la loi salique est central : désignant elle-même automatiquement et immédiatement l’héritier, elle dégage le trône de France de toute ingérence étrangère.

En outre, les légistes du roi établissent cette théorie que la souveraineté appartient au peuple, et que seul l’usufruit en est dévolu aux rois. Manière de dire que le pouvoir des rois ne procède pas du pouvoir spirituel des papes, mais théorie dont les conséquences se feront sentir en 1789…

Contre cette rébellion de la France, qui est aussi la naissance de la modernité politique, le pape va s’employer à liguer toutes les nations d’Europe. D’abord l’Angleterre, et ce sera la guerre de Cent Ans ; puis l’Espagne et l’Autriche. De son côté, le roi s’entête à bâtir sa souveraineté. Il lève ainsi l’impôt sur les ecclésiastiques sans leur demander leur accord (affaire de la maltôte, fin XIIIe siècle). Il institue, pour bien marquer que sa souveraineté ne vient pas du Saint-Siège mais de la nation elle-même, les états généraux (1302). Il soumet toute juridiction, y compris ecclésiastique, à la justice du roi, par l’institution de l’appel (1371). Sur un plan plus pratique, il soutient les Impériaux contre les Papistes dans la lutte des Guelfes contre les Gibelins et, pour soustraire l’élection du pape aux coteries romaines, soutient l’installation des souverains pontifes en Avignon, provoquant ainsi le Grand Schisme.

Plusieurs fois, les papes levant (notamment pour les croisades) des impôts considérables sur les domaines de l’Église en France, il pratique la « soustraction d’obéissance » : provisoirement, l’Église de France vit sans aucunement reconnaître la papauté.

6. La Réforme

Enfin, au début du XVe siècle, en révolte complète contre le papisme, le théologien Gerson, lumière de la Sorbonne, affirme haut et fort la supériorité du concile, c’est-à-dire de l’assemblée de tous les évêques, sur le pape. L’Église, un temps réformée par le mouvement monastique, est à nouveau décadente, et cette décadence a une origine, identifiée par tous, l’existence de deux papes, l’un à Rome, soumis à l’aristocratie romaine, l’autre en Avignon, sous le pouvoir des rois de France. En outre, en Bohême, les hussites allument la flamme de la révolte protestante.

Quand l’empereur décide de convoquer un concile à Constance (1414), l’Église de France est enthousiaste. Ses théologiens accourent. Or, ce concile réaffirme l’autonomie de l’Église de France par rapport au Saint-Siège. Le roi, par conséquent, publie sa Pragmatique Sanction de Bourges, que Rome n’aura de cesse que de vouloir casser. Pour le pape, ce concile est nul et non avenu : on a osé y entendre les hérétiques de Bohême. Il convoque un autre concile, à Florence, où les hérétiques ne seront jamais entendus, et où on n’opposera à leurs questions que la guerre et l’inquisition.

Loin de calmer la rébellion religieuse, cette intransigeance provoque bientôt sa résurgence. C’est Luther. Dès lors, la France se fragmente en trois partis : les protestants, les papistes et les gallicans. Le roi, lui, n’est pas si intéressé que cela aux libertés de l’Église. Que des prêtres élisent leurs chefs, voilà qui peut l’indisposer autant que les choix de Sa Sainteté. Il y aura donc accord : par le Concordat de Bologne (1516), la France abandonne les théories de Gerson sur la supériorité du concile et François Ier obtient que le roi de France soit reconnu « chef temporel de l’Église gallicane » (p.305), cas unique en Europe. Les élections épiscopales sont purement et simplement abolies. Comme on s’en doute, cette décision ne fera que précipiter l’adhésion de beaucoup de Français à la réforme protestante. Quant à l’université de Paris, elle interdit l’impression du Concordat, et ses étudiants manifestent dans les rues…

Délicate position de la monarchie française. Il faut satisfaire Rome, sauvegarder l’indépendance nationale et ne pas soulever les réformés. Catherine de Médicis et ses ministres soutiennent que les protestants doivent être admis au concile, qui sans cela ne peut être appelé œcuménique, et que la guerre doit cesser contre les princes protestants d’Allemagne. La France prendra donc les armes du côté des puissances du nord, tout en restant catholique ; non pour des raisons purement politiques, on le voit, mais pour des raisons de principe.

7. Le champion des Infidèles

C’est donc encore la guerre, entre les rois très-chrétiens, qui ne reconnaissent le concile de Trente (1545) qu’avec mille réserves, et une papauté alliée à l’Empire de Philippe II, décidée à noyer dans le sang la révolte de Luther.

Le parti de Rome n’hésitera pas à stipendier, en France, les menées des princes de Guise, supposés descendants de Charlemagne, qui défendent le concile et la guerre à outrance contre les protestants. La lutte sera féroce, comme on sait. Paris, aux mains de la Ligue, connaîtra la terreur catholique, avant que le bon Henri IV, en disciple de Machiavel, ne se résolve à extirper la guerre en acceptant, lui, le chef des Huguenots, de se convertir.

La France, elle, se fera le champion des Infidèles. Elle soutiendra les princes protestants d’Allemagne, s’alliera aux monarques schismatiques d’Angleterre et aux sultans musulmans de Constantinople. Longtemps, cette politique fut interprétée comme une marque de pur machiavélisme, notamment par Maurras et Bainville. Fleutot démontre ici qu’il n’en est rien : cette politique s’explique par la fidélité au concile œcuménique de Constance contre le concile purement papiste de Trente, et par le refus de la violence inquisitoriale.

En 1663 encore, Louis XIV fera publier par la Sorbonne une Déclaration réfutant l’infaillibilité pontificale et arguant de la supériorité du concile. Et, pour le temporel, on peut lire dans son testament : « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés, aussi bien par les gens d’église que par les séculiers » (p.473). On ne peut être plus clair. L’État s’était accordé à la papauté pour interdire l’élection et l’autonomie des évêques ; ce n’était tout de même pas pour que le pape, et non le roi, en recueille le fruit.

8. Conclusion

Ainsi donc, le roi très-chrétien était l’ennemi irréductible de Sa Sainteté. À part certains intermèdes, il semble que la guerre fut permanente entre le Trône de France et l’Autel de Rome, ce qui vient, naturellement, contredire les thèses faciles des partisans comme les adversaire du Trône et de l’Autel. Et on ne peut pas dire que la querelle allait s’apaisant. Bossuet, encore, s’opposait violemment à Bellarmin. Tout au long du XVIIIe siècle, la révolte grondait encore contre les théories et les empiètements de ces Jésuites auxquels Louis XIV avait ouvert le royaume pour mieux étouffer les Jansénistes.

Lors de la Révolution, le bas clergé devait se faire le porte-parole de cette tradition séculaire. C’est par sa décision que les États généraux purent se transmuer en Assemblée. En un sens, le roi avait abdiqué devant le pape ; et le clergé gallican, ce jour-là, remit aux mains du peuple cette souveraineté, cette Couronne qui, selon Jean de Terremerveille, n’avait jamais appartenu qu’au peuple, les rois n’en ayant jamais eu que l’usufruit.La Révolution, disait Charles Péguy, est très Ancien régime.

9. Zone critique

Écrit d’une plume alerte qui jamais ne sacrifie aux lourdeurs de l’érudition, l’essai de François-Marin Fleutot est extrêmement bien documenté. Il fourmille de détails et de citations qui viennent égayer le récit en donnant à lire la langue, et donc la pensée, de chacune des époques évoquées. On sent la truculence du Moyen Âge, la violence de plus en plus baroque des papes, le ton, d’abord gêné, puis obséquieux, puis revendicatif des Capétiens ; enfin la hautaine majesté des Bourbons.

Cependant, toutes ces citations, d’époque, émanent exclusivement des clercs, et l’auteur reste au point de vue tout théorique de leurs argumentations. Cela permet de comprendre ce que ces gens se donnaient comme motifs d’action, et ce n’est pas rien. Mais jamais l’auteur ne s’interroge sur la signification sociale des luttes qu’il décrit. Pourtant, Dieu sait que les guerres, si elles aiment à se draper de théorie, recouvrent bien souvent des contradictions très concrètes.

Cette omission a des conséquences. S’interdisant de fouiller les causes sociales des phénomènes qu’il décrit, l’auteur est bien obligé de prendre parti dans ces logomachies. Étant monarchiste de tradition maurrassienne, il prend celui des rois, champions d’une sorte de pré-souverainisme contre les papes, champions quant à eux d’une sorte de pré-mondialisme moralisateur. Même si cela permet de dépasser nombre d’idées reçues concernant l’Ancien régime et la papauté, c’est un peu manichéen.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– François-Marin Fleutot, Les Rois de France excommuniés. Aux origines de la laïcité, Paris, Cerf, 2019.

Du même auteur– François-Marin Fleutot, Des royalistes dans la résistance, Paris, Flammarion, 2000.

Autres pistes– Dale Van Kley, Les Origines religieuses de la Révolution française, Paris, Seuil, 2002.– Sylvain Gouguenheim, La Réforme grégorienne. De la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde, Paris, Temps Présent, 2010.– Victor Martin, Les Origines du gallicanisme, Paris, Bloud et Gay, 1939.

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