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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L'Exercice de la parenté

de Françoise Héritier

récension rédigée parThomas ApchainDocteur en anthropologie (Université Paris-Descartes)

Synopsis

Société

Premier livre de Françoise Héritier, L'exercice de la parenté est une contribution majeure à l'étude de la parenté et de l'alliance, thèmes centraux de l'ethnologie. À partir de l'analyse du système semi-complexe de parenté des Samo, ethnie de la Haute-Volta (aujourd'hui Burkina Faso), l'ouvrage poursuit le travail de Claude Lévi-Strauss consacré aux structures élémentaires de la parenté en introduisant le concept de « valence différentielle des sexes » et, à travers lui, l'idée du primat socialement donné au masculin sur le féminin.

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1. Introduction

Le champ de la parenté renvoie immanquablement, dans l'ethnologie française, au nom de Claude Lévi-Strauss. qui a consacré une partie de son travail aux systèmes dits élémentaires, c'est-à-dire dans lesquels l'alliance est structurée sur deux modes : soit un groupe est lié à un autre dans une relation symétrique et ils s'échangent mutuellement les femmes (on parle d'échange restreint) ; soit plusieurs groupes (au moins trois) forment un ensemble de partenaires potentiels mais non directement réciproques, dans une relation asymétrique où A donne à B qui donne à C qui donne à A (échange généralisé). Au moment où Françoise Héritier rédige L'exercice de la parenté, l'ethnologie n'a pas vraiment dépassé ce stade. Si l'on comprend bien les systèmes élémentaires, les autres types de structures (semi-complexes et complexes) sont peu étudiés. Pour cause, les conditions de l'échange, donc des choix matrimoniaux, à défaut de s'établir sur la base de groupe délimités, semblent relever du hasard ou du choix individuel (ce qui, dans la perspective de l'ethnologie, revient au même). Le travail de Françoise Héritier permet de sortir de cette impasse et affirme la possibilité d'une analyse anthropologique de tous les systèmes de parenté. Le cas des Samo, sur lequel se fondent les réflexions présentées dans L'exercice de la parenté, est représentatif d'une structure semi-complexe, soit un système qui ne fait aucunes prescriptions pour l'alliance mais établit seulement des proscriptions. Françoise Héritier parvient à l'étudier grâce à deux clefs. D'abord, un moyen méthodologique qui consiste à coupler le travail de terrain à l'analyse informatique des généalogies afin de traiter d'un grand nombre de cas et de remarquer des constantes dans les choix matrimoniaux. Puis, en portant son regard sur la différenciation des sexes, elle introduit une nouvelle voie explicative de la raison d'être de ces systèmes.

2. L'étude de la parenté

L'exercice de la parenté fait la somme des théories de la parenté, champ déjà classique de l'ethnologie, et propose de nouvelles voies d'analyse. Françoise Héritier y définit l'étude de la parenté comme l'examen « des rapports qui unissent les hommes entre eux par des liens fondés sur la consanguinité et sur l'affinité » (p.13). En d'autres termes, elle étudie la constitution sociale de parents et d'alliés.

Mais il faut se garder d'interpréter la parenté, et en particulier l'idée de consanguinité, comme relevant du biologique. La filiation génétiquement attestée n'entre pas en compte dans la plupart des systèmes de parenté et la consanguinité est toujours « une affaire de choix et de reconnaissance sociale » (p.13). Deux exemples montrent bien ce point. Chez les Samo, le premier né de chaque femme naît d'un autre homme que le mari légitime qui, pourtant, est le père social de l'enfant ; le géniteur réel est tenu secret et n'entre pas dans la parenté du nouveau-né.

Le droit français montre aussi un cas d'établissement d'une consanguinité sociale lorsqu'il interdit le mariage entre deux enfants adoptés par les mêmes parents. La parenté qui intéresse les anthropologues concerne donc toutes les règles et coutumes qui régissent, socialement et culturellement, la manière dont les groupes se reproduisent et, ce faisant, créent des alliances entre eux. En cela, « la reproduction des hommes est un instrument de la reproduction de l'ordre social » (pp, 14-15). De ce fait, les choix opérés dans la désignation de sa parenté, par consanguinité ou par alliance, sont d'une grande variété. Néanmoins, Françoise Héritier réintroduit dans la théorie un ensemble de données biologiques, donc invariables, à partir desquelles sont développées toutes les combinaisons possibles. Ces données, souvent oubliées dans l'étude de la parenté du fait de leur banalité et de leur évidence, sont au nombre de trois : il existe seulement deux sexes (masculin et féminin), la procréation engendre une succession de générations, l'ordre de succession des naissances entraîne une différenciation entre cadets et aînés. Ces trois éléments universaux forme une donnée biologique incontournable qui restreint le champ des combinaisons possibles en matière de parenté. Il convient de noter que Françoise Héritier s'intéresse, ici, particulièrement à l'alliance, c'est-à-dire à la combinaison entre les classifications des consanguins et ceux avec qui un mariage est autorisé ou encouragé.

3. Terminologies de la parenté

L'un des moyens privilégiés de l'étude de la parenté est l'analyse des terminologies employées par un individu d'une société donnée pour désigner ses affins et ses alliés. Il n'y a pas de règles universelles déterminant qui un individu appelle père, mère, frère,oncle etc. Pourtant, Françoise Héritier remarque qu'il n'existe qu'un nombre fini de systèmes terminologiques, que des anthropologues ont depuis longtemps mis en évidence et que l'on classe à partir de cas ethnographiques célèbres (systèmes eskimo, hawaïen, iroquois, soudanais, crow et omaha). Dans certains systèmes de parenté, plusieurs personnes sont désignées par le même terme.

Ainsi, la société occidentale relève d'un système dit eskimo, dans lequel un individu distingue, dans la génération supérieure, son père et sa mère mais appelle de la même manière tous les frères et sœurs de ses parents (oncle/tante). Dans sa propre génération, tous les autres individus à l'exception de ses frères et sœurs sont appelés cousins/cousines sans distinction. Le système hawaïen montre une autre possibilité dans laquelle tous les consanguins de la génération des parents sont nommés pères et mères et tous les membres de sa propre génération sont dits frères et sœurs. Lest systèmes crow et omaha, dont relèvent les Samo étudiés par Françoise Héritier, sont plus complexes et ont longtemps intrigués les anthropologues. Les systèmes crow et omaha se présentent comme équivalents bien qu'inversés du fait de leurs principes respectifs de filitation : le système crow est matrilinéaire (la transmission se fait par le biais des femmes) alors que le système omaha est patrilinéaire (transmission par les hommes). C'est à partir du cas omaha que Françoise Héritier explique ce type de terminologie qui induit, pour un individu vis-à-vis de la génération supérieure, une différenciation entre germains croisés et parallèles. Les germains parallèles sont de même sexe : le frère du père et la sœur de la mère. Dans la terminologie omaha, ils ne sont pas désignés comme oncle et tante mais comme mère et père. Il en va différemment des germains croisés (les sœurs du père et les frères de la mère) qui sont désignés par des termes variables qui signifient souvent sœur du père et frère de la mère. Or, ce qui intéresse Françoise Héritier dans la terminologie crow-omaha relève de l'alliance, c'est-à-dire des possibilités et interdits en termes de mariage sur la base de ce type de parenté.

4. L'alliance, des structures élémentaires aux structures semi-complexes

Dans les Structures élémentaires de la parenté, Claude Lévi-Strauss a exposé la théorie selon laquelle la prohibition universelle de l'inceste et la règle concomitante de l'exogamie sont les éléments créateurs du lien social sur la base de l'échange des sœurs et des filles par les hommes, scellant ainsi l'alliance des groupes. Il a particulièrement traité des formes élémentaires de l'alliance, c'est-à-dire des cas où l'alliance est organisée autour de règles prescriptives qui définissent le groupe dans lequel trouver les potentielles épouses. Les rapports qui unissent les groupes sont alors de deux sortes différentes : échange restreint, échange généralisé. Contrairement aux structures élémentaires, les structures complexes ne sont pas déterminées positivement par des prescriptions, mais négativement par des proscriptions qui se contentent d'interdire certains mariages en fonction des positions dans la parenté. La société occidentale, par exemple, interdit le mariage entre germains, mais n'édicte absolument aucunes règles prescriptives. Dans les structures complexes, le choix du conjoint est donc en apparence laissé à l'initiative individuelle, à condition bien sûr de respecter la prohibition de l'inceste. Il en découle que, sauf à mener une analyse statistique, les choix matrimoniaux semblent tomber en dehors des compétences de l'ethnologie. Mais il existe des sociétés qui, selon les anthropologues, se trouvent entre les structures élémentaires et les structures complexes. Les systèmes crow/omaha en sont des exemples typiques. Comme dans le cas des structures complexes, ils n'édictent aucunes règles prescriptives et, en apparence, ne favorisent donc pas un type de mariage. En revanche, il existe un certain nombre de proscriptions qui restreignent sensiblement l'éventail des alliances réalisables. Comment comprendre l'existence, le moteur, d'un tel système ? N'est-il pas possible d'interpréter le fonctionnement de ces structures semi-complexes dans un cadre qui permette la mise en évidence de lois de portée générale pour l'étude de la parenté ? C'est ce à quoi Françoise Héritier va s'attacher.

5. Le cas Samo et l'explication des systèmes semi-complexes

L'exercice de la parenté est en partie fondé sur l'étude ethnographiques des Samo de Haute-Volta - une société patrilinéaire de type omaha. Leur organisation territoriale est établie sur la division en plusieurs territoires qui, selon Françoise Héritier, forment autant de groupes matrimoniaux. L'unité de base des villages qui forment les territoires Samo est le lignage (groupe de filiation se réclamant d'un ancêtre commun) auquel correspondent un quartier, une identité, des noms individuels, des fonctions, un doyen etc. Le lignage est une unité exogame.

Trois règles forment la loi de proscription à appliquer dans les choix matrimoniaux : on ne peut pas prendre d'épouse de son propre lignage ou de celui de la mère ; on ne peut pas prendre d'épouse dans un lignage où un « père » ou un « frère » (entendus au sens classificatoire) a déjà pris une épouse ; on ne peut pas prendre une épouse appartenant à l'un des quatre lignages d'une précédente épouse. Les interdictions, portant sur des lignages, sont valables sur quatre ou cinq générations, puis cessent d'exister. Il apparaît que les proscriptions Samo sont encore plus grandes que dans la définition minimale de Claude Lévi-Strauss. De ce fait, Françoise Héritier introduit la notion d'inceste de deuxième type : chez les Samo, l'inceste ne concerne pas seulement l'union des consanguins mais - également - le partage par des consanguins du même sexe d'épouses d'un même lignage, de sorte qu'il semble extrêmement difficile, dans des villages de petite taille, de trouver une épouse autorisée.

Françoise Héritier dresse alors un inventaire qui révèle que 75% des mariages sont endogames et qui montre l'existence de mariages préférentiels entre certains lignages. Ces faits semblent contredire les règles édictées. Pourtant, les Samo suivent les proscriptions : les règles sont respectées, mais au cœur de stratégies privilégiées et les mariages se font en général « au plus près » des interdits, c'est-à-dire à la génération même où ils cessent d'exister.

Grâce à cet inventaire, redoublé d'une analyse informatique, Françoise Héritier parvient à une découverte majeure : dans les structures semi-complexes, les règles de proscriptions ne font pas que délimiter un espace d'interdictions pour l'alliance, elles ont également une portée prescriptive puisque les individus cherchent leurs conjoints potentiels au plus près de la ligne ainsi tracée.

6. La valence différentielle des sexes

L'exercice de la parenté introduit un concept que Françoise Héritier développera tout au long de sa carrière, la valence différentielle des sexes, et qui va ajouter une nouvelle loi universelle de la parenté à l'ensemble de données biologiques évoquées dans le premier chapitre du livre (différences des sexes, succession des générations, ordre des naissances dans une même génération).

Les systèmes de parenté proposeraient autant de combinaisons possibles à partir de cette donnée universelle. Pourtant, Françoise Héritier remarque l'absence d'une combinaison à partir de l'examen des terminologies employées pour désigner les germains de la génération supérieure. Après s'être employée à en prouver la possibilité théorique, elle conclut que la combinaison n'est manquante que parce qu'elle rompt avec un principe fondamental et universel de la parenté qu'est l'impossibilité de rompre une paire de germains masculins, ici le père et l'oncle paternel. Pour Françoise Héritier, « c'est en définitive sur le compte de la dominance masculine que doit être mise l'absence de réalisation de certaines figures logiquement et conceptuellement pensables » (p.51). En effet, l'idée d'un oncle maternel partageant le statut de père alors que, simultanément, l'oncle paternel serait exclu de la relation est impensable « pour ce qu'il donne de poids, de stabilité résidentielle et de supériorité au principe féminin sur le masculin » (p.50). Or, les systèmes de parenté semblent toujours donner une préférence au principe masculin. C'est ce que Françoise Héritier appelle la « valence différentielle des sexes ».

Dans les systèmes de type omaha, comme celui des Samo, le principe d'une différenciation entre parenté parallèle et croisée est à la fois central et dirigé par la dominance du masculin car les femmes du lignage se trouvent systématiquement rapportées à une génération inférieure : les sœurs du père sont appelées sœurs et engendrent des neveux et nièces tandis que les frères du père sont appelés pères et engendrent des frères et sœurs.

Le concept de « valence différentielle des sexes » permet à Françoise Héritier une percée importante dans le champ de la parenté : elle suggère que le moteur des configurations de parenté se trouve directement dans ce principe, l'ordre social de la parenté s'établissant dans et pour la reproduction de la domination masculine.

7. Conclusion

Ouvrage majeur dans l'histoire de l'ethnologie, L'Exercice de la parenté accomplit plusieurs avancées importantes. Somme de nombreux travaux en anthropologie de la parenté, il parvient à y adjoindre l'étude de l'alliance dans les systèmes complexes, jusqu'alors laissés de côté.

Cet accomplissement est d'abord le fruit d'une méthode, une ethnographie approfondie auprès des Samo de Haute-Volta, couplée d'une analyse informatique des généalogies et mariages qui révèle une continuité alors ignorée entre structures élémentaires et structures semi-complexes (type crow/omaha). Mais c'est surtout par une attention particulière portée aux différentiations des sexes dans les structures de parenté que l'ouvrage se classe au rang d'étude incontournable, en développant, pour la première fois, le concept de « valence différentielle des sexes » et en postulant l'universalité du primat accordé au masculin comme constante et moteur de la structuration des régimes de parenté et d'alliance.

8. Zone critique

L'exercice de la parenté brille à la fois par son érudition sur la question de l'anthropologie de la parenté et par les ruptures qu'il introduit dans sa conception. Parmi ces ruptures, la plus importante consiste à s'interroger sur le statut différentiel attribué aux femmes dans les différentes structures, alors que les systèmes de parenté sont toujours abordés du point de vue masculin.

De ce fait, c'est ni plus ni moins qu'une nouvelle loi universelle que Françoise Héritier met en évidence à travers le concept de « valence différentielle des sexes ». La démonstration s'appuie, en partie, sur quelques pages d'anthropologie-fiction au cours desquelles l'anthropologue démontre la possibilité théorique de combinaisons pourtant inexistantes. Cette technique, peu orthodoxe et qui implique de sortir du modèle traditionnel de l'analyse ethnographique, lui sera parfois reprochée sans que l'on conteste la vraisemblance d'une théorie qui sera, ensuite, développée dans d'autres ouvrages dont Masculin/Féminin qui tente de revenir aux origines du primat accordé au principe masculin.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L'Exercice de la parenté, Paris, Gallimard, 1981.

Du même auteur– Les Deux Sœurs et leur mère : anthropologie de l'inceste, Paris, Odile Jacob, 1994. – Masculin/Féminin I. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996. – Masculin/Féminin II. Dissoudre la différence, Paris, Odile Jacob, 2002.

Autres pistes– Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Presses Universitaires de France, 1949. – Louis Dumont, Groupe de filiation et alliance de mariage. Introduction à deux théories d'anthropologie sociale, Paris, Mouton, 1971. – Robin Fox, Anthropologie de la parenté : une analyse de la consanguinité et de l'alliance, Paris, Gallimard, 1978.

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