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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Jusqu’à quand ?

de Frédéric Lordon

récension rédigée parBenoît MichaudÉconomiste, titulaire d'un Master 2 en Économie spécialité Politiques Publiques et Développement de la Toulouse School of Economics.

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Dernière en date d’une longue série de crises financières et monétaires qui a débuté avec la déréglementation des années 1980, la crise des subprimes de 2007 a mis une nouvelle fois en lumière les abus d’une finance bercée dans l’illusion qu’il est possible de gagner plus en éliminant tout risque, occultant le fait que le gain financier n’est que la rémunération du risque. À l’origine de cette crise, il y a la prolifération d’instruments et d’innovations financières, dont la complexité apparente empêche tout débat. Frédéric Lordon met à nu ces mécanismes, et livre ses propositions pour un mettre un terme à la fatalité des crises financières.

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1. Introduction

Depuis que la déréglementation a été mise sur les rails dans les années 1980, les crises financières et monétaires s’enchainent : krach de Wall Street en 1987, crise immobilière en 1990, crises du Système monétaire européen (SME) en 1992 et en 1993, krach obligataire aux États-Unis en 1994, crise financière asiatique en 1997, crise financière en Russie et au Brésil en 1998, éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, et enfin la plus violente de toutes, la crise des subprimes de 2007-2008.

Comme les autres, elle est le fruit du fantasme qu’entretient le monde de la finance qu’il est possible de gagner toujours plus en risquant moins. Dans cet objectif, les innovations financières ont proliféré dans les années 2000, chacun se croyant protégé du risque avec l’illusion de pouvoir réaliser des rendements importants et sûrs. L’éclatement de la bulle immobilière en 2007 a fait s’écrouler ce château de cartes, provoquant des dégâts considérables dans l’économie réelle et obligeant l’État à intervenir.

Pour Frédéric Lordon, il est temps de construire une zone monétaire européenne avec des règles strictes pour éviter qu’une telle catastrophe se répète.

2. Le high yield

La force motrice de la finance est la recherche constante de plus hauts rendements. Les financiers parlent de high yield (« haut rendement »), expression euphémistique qui rend présentable ce processus qui n’est qu’en fait que cupidité. L’industrie financière américaine, qui n’emploie que 5% des effectifs et ne pèse que 15% dans le PIB, représente 40% des profits totaux. L’obsession du high yield semble faire oublier que le gain financier n’est que la rémunération du risque, et que par conséquent le couple rentabilité-risque est indissociable.

Pour augmenter les rendements, l’investisseur peut recourir à l’endettement, grâce à ce que l’on appelle l’effet de levier. Prenons l’exemple d’un investisseur qui pourrait financer un actif dont la valeur est 100 et qui lui rapporterait 10 : le rendement serait de 10%. L’investisseur pourrait également emprunter 80 et engager seulement 20 de ses propres fonds. Dans ce cas, si le taux d’intérêt de l’emprunt est égal à 5%, l’investisseur gagne 10 et verse 4 d’intérêts (soit 5% de 80) : son profit net est égal à 6, et la rentabilité de ses capitaux propres est égale à 30%. La rentabilité des capitaux propres de l’investisseur a donc augmenté de 10% à 30% grâce à l’effet de levier. Si la rentabilité croît, l’effet de levier a également pour effet d’augmenter fortement les risques.

La course permanente au high yield est amplifiée par la concurrence. Elle exerce une pression tant au niveau individuel (avec les bonus, qui rémunèrent les performances financières sans tenir compte des risques pris) qu’au niveau institutionnel, les entreprises étant soumises au jugement de leurs actionnaires et le rendement devenant le critère unique. La concurrence homogénéise les comportements, car toute perte de rentabilité se traduit par la perte de parts de marché.

C’est pourquoi, quand s’ouvre un nouvel eldorado comme les dérivés de subprimes au début des années 2000 ou les entreprises Internet à la fin des années 2000, tout le monde s’y rue.

3. La titrisation

Pour assurer la solvabilité des banques, les autorités financières ont imposé un ratio de solvabilité, c’est-à-dire une règle selon laquelle les banques doivent détenir un certain montant de capitaux propres (capital apporté par les actionnaires et profits) par rapport au niveau de leurs engagements. Par exemple, un ratio de solvabilité de 8% signifie qu’une banque doit avoir en sa possession au minimum 8 millions de fonds propres pour pouvoir prêter 100 millions. Cette règle constitue une contrainte pour la banque, car elle fixe une limite au niveau de crédits que la banque peut accorder.

La titrisation, consistant à transformer des créances en titres négociables, permet de contourner légalement la règle du ratio de solvabilité, car les créances titrisées sortent du bilan de la banque. La banque se défausse ainsi du risque de défaut des débiteurs. L’opération de titrisation passe par la création d’une entité juridique appelée SPV (Special Purpose Vehicle) à laquelle la banque cède un portefeuille de crédits (prêts immobiliers, prêts automobiles…). D’un côté, le SPV perçoit les intérêts des prêts, de l’autre, il verse aux investisseurs des paiements conçus comme des droits attachés à des titres à revenus fixes. Ces titres sont appelés ABS pour Asset Backed Securities.

Certains débiteurs font défaut et ne versent pas les intérêts de leur prêt. La baisse est répercutée par le SPV sur les versements qu’il fait aux investisseurs. Pour savoir lesquels doivent supporter cette baisse, les ABS sont découpés en tranches selon un ordre dit de séniorité : une première tranche (equity) absorbe les pertes liées aux premiers défauts ; une deuxième tranche (mezzanine) enregistre les défauts après l’equity ; une troisième tranche (senior) prend les défauts en dernier. On parle alors de finance structurée. Plus une tranche présente de risques, mieux elle est rémunérée. Les investisseurs peuvent ainsi choisir dans quelle tranche d’ABS investir selon leur propre aversion aux risques.

4. Les CDO (Credit Debt Obligations)

La titrisation est itérative : il est possible de retitriser des produits déjà titrisés. C’est ainsi que naissent les CDO (Credit Debt Obligations), formés à partir de produits déjà titrisés comme les ABS. Ceci affecte grandement les anticipations faites sur la qualité des actifs sous-jacents, et donc la mesure du risque. Un CDO peut par exemple être constitué de titres mezzanine d’un ABS. Ces titres étant redécoupés selon l’ordre de séniorité, la tranche senior du CDO offre l’illusion d’un actif très sûr avec la rémunération importante de titres plus risqués.

Les banques ont pratiqué la titrisation dans le but d’alléger leur bilan et de bénéficier des « juteuses commissions » qu’elles touchent chaque fois qu’elles agencent une nouvelle structure de titrisation pour le compte d’un tiers. Dans un second temps, elles se rendirent compte (notamment Goldman Sachs, banque pionnière du proprietary trading) qu’il serait particulièrement rentable de jouer pour leur propre compte sur les produits structurés, notamment en retenant les tranches les plus rémunératrices (qui sont aussi les plus risquées). Les autres banques s’engagèrent, elles aussi, dans le proprietary trading, faisant passer la titrisation à un niveau industriel.

Dans les années 2000, la titrisation fait s’effondrer la sélectivité des crédits bancaires. Sachant qu’elles peuvent se débarrasser du risque de défaut, les banques se mettent à distribuer à tout-va des prêts immobiliers à des ménages insolvables (les subprimes, prime désignant le standard de solvabilité et sub signifiant « en dessous »). La croissance des prix de l’immobilier offre de plus une garantie supplémentaire : si un ménage fait défaut, la banque peut vendre la maison hypothéquée et ainsi réaliser une plus-value. L’arrivée massive de nouveaux débiteurs peu solvables fit bondir le taux de défaut. Les pertes furent supportées non seulement par les tranches equity, mais également par les tranches mezzanine. En conséquence, les CDO constitués à partir de tranches mezzanine d’ABS furent réduits à néant.

5. Les CDS (Credit Default Swap)

Les CDS (Credit Default Swap) offrent une autre manière plus flexible que la titrisation de gérer le risque. Imaginons une banque qui accorde un prêt et souhaite s’assurer contre le risque de défaut de son débiteur. Elle propose à un investisseur de lui verser une part des intérêts (une prime), moyennant quoi l’investisseur doit assurer la banque si survient un événement de crédit (le défaut du débiteur, sa faillite…). Auquel cas, la banque cesse de verser la prime et l’investisseur doit indemniser la banque. L’intérêt pour l’investisseur est de toucher la prime sans avoir eu à avancer le moindre fonds. Il peut en outre revendre le CDS librement puisque c’est un titre négociable.

La protection qu’offrent les CDS est cependant en grande partie illusoire. En effet, si la banque est protégée contre le risque de défaut de son débiteur, elle ne l’est pas contre le défaut du détenteur du CDS. Or, les CDS sont des titres négociables : si la banque peut éventuellement faire un contrôle de solvabilité sur le vendeur de protection avec lequel elle contracte, ce dernier peut revendre le CDS à un autre investisseur, lui-même peut s’en débarrasser, etc. En conséquence, au moment où survient l’événement de crédit, la banque n’a aucun moyen de savoir si le détenteur du CDS peut être en mesure de l’indemniser.

Durant les années 2000, les CDS rencontrent un succès considérable. Créé en 1995, l’encours des CDS atteint 62 trillions (milliers de milliards) de dollars en 2008. Les CDS prennent de plus en plus le statut d’actifs négociables en soi, indépendamment de leur finalité originale de couverture. Ils deviennent ainsi totalement déconnectés de l’économie réelle : les spéculateurs couvrent le risque de leurs positions sur les CDS en contractant d’autres CDS. « Les 62 trillions de dollars de CDS de la mi-2008 n’ont ainsi pour sous-jacent que les 5,7 trillions de dettes d’entreprise. »

6. La prolifération financière à l’origine de la crise

Les ABS, CDO et CDS ne sont qu’une part infime des produits dérivés de crédit. La titrisation a produit une multitude de produits financiers. L’empilement de toutes ces protections, chacune ayant pour but de couvrir le risque, produit paradoxalement son exact contraire. Avec les innombrables mélanges, plus personne n’a la moindre idée de ce qu’il détient vraiment et la mesure du risque devient impossible. Le jugement des agences de notation, censées être des garde-fous, est biaisé : entreprises commerciales privées, elles doivent noter la qualité des produits de leurs clients, et comme « le client est roi » , elles surévaluent largement leur qualité.

L’illusion de se protéger du risque, qu’elle provienne des banques ou des investisseurs, va conduire au désastre. Dans les années 2000, les banques accordent des prêts immobiliers à des débiteurs insolvables, protégées selon elles par la montée des prix. La manufacture de CDO tourne alors à plein régime. Lorsqu’en 2007 la bulle immobilière éclate, les ménages ne sont plus en capacité de payer leur dette, et le prix des maisons ne couvre plus les passifs qui en ont permis l’acquisition. Les difficultés atteignent d’abord les banques qui ont accordés les prêts immobiliers, puis s’étendent rapidement à la finance structurée.

Le crédit étant le fluide vital de l’économie, la crise se propage à l’économie réelle, ne laissant d’autres choix aux autorités que d’intervenir pour soutenir le système bancaire. La faillite bancaire prend alors la portée d’un événement macroéconomique : on parle de risque systémique. Si la morale libérale de l’économie de marché louée par les milieux financiers voudrait que la sanction de ces paris perdus soit la faillite, « les hommes de la finance […] n’ont rien de plus pressé que d’appeler à l’aide la puissance publique » . Certains parlent d’aléa moral, situation dans laquelle un agent se surexpose à des risques sachant qu’une autre partie sera contrainte d’endosser le rôle d’assureur. Pour Lordon, cette situation devrait plutôt être qualifiée de « prise d’otage » .

7. Les solutions pour tout changer

Il y a selon Frédéric Lordon pire que de constater que les déboires de la finance peuvent provoquer autant de dégâts dans l’économie réelle en étant pourtant sûre d’en réchapper : ce serait de ne pas tirer les leçons de la crise et de ne rien changer. Il propose donc de revoir la stratégie de régulation et de « frapper fort » . Actuellement, elle est inefficace, car elle tente de s’adapter constamment aux innovations financières, un combat perdu d’avance. Il faut donc au contraire prendre pour acquis que la finance est incapable d’évaluer correctement les risques, et la contraindre à limiter la prise de risques.

L’Europe est une zone d’activité financière autosuffisante. Elle peut donc imposer ses propres règles sans avoir à s’adapter à celles des autres places mondiales ni craindre la désertion des capitaux. Dans cette zone monétaire européenne, Lordon prône la nationalisation des places financières, actuellement « sous la coupe d’entreprises privées » . Il faut également mettre un terme aux marchés de gré à gré, c’est-à-dire les transactions réalisées sans organisme médiateur, directement entre l’acheteur et le vendeur, qui s’exercent sans contrôle. Il prône aussi une politique monétaire anti spéculative, qui mettrait en place des taux d’intérêt différenciés : un taux pour refinancer les banques à hauteur de leurs concours à l’économie réelle, et un autre à hauteur de leur concours à la sphère financière qui serait désincitatif.

Lordon propose également de modifier la rémunération des traders : « les pertes issues de la matérialisation des risques antérieurement contractés ne doivent plus seulement annuler les bonus, mais les rendre négatifs » . Autre proposition : interdire purement et simplement la titrisation (ou au moins, la limiter drastiquement). L’auteur rétorque à ceux qui argumenteraient que la titrisation est devenue une technique indispensable pour les banques qu’elle ne date que d’une quinzaine d’années, et que pendant des siècles les banques portaient les risques des crédits. « Il ne devrait pas être trop difficile de se convaincre que ce que la banque a fait si longtemps sans la titrisation, elle pourrait parfaitement le faire à nouveau » .

8. Conclusion

Avec la déréglementation financière dans les années 1980, les banques ont progressivement délégué le rôle qui leur était pourtant naturellement dévolu : évaluer et porter les risques des crédits. Depuis, les crises s’enchaînent. Dans les années 2000, la titrisation et le marché des CDS leur ont donné l’illusion d’avoir une maîtrise complète de l’aléa, et ont considérablement augmenté leurs profits.

Entraînée dans une course sans limites au high yield, la finance s’est refermée sur elle-même. Elle est devenue selon Lordon une « machine vertigineusement entropique », consommant une quantité infinie de ressources pour un service rendu à l’économie réelle ridicule, agissant avec une certaine impunité sachant que l’État viendrait à sa rescousse en cas de catastrophe comme en 2007-2008.

Frédéric Lordon appelle donc à mettre un terme à la déréglementation en construisant une zone financière européenne affranchie des pratiques les plus risquées pour que les banques retrouvent leur rôle traditionnel.

9. Zone critique

Avec la crise de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour demander de renforcer la régulation des marchés financiers. Aux États-Unis, la loi Dodd-Franck a été adoptée en 2010 dans le but de réformer en profondeur le système financier, en mettant en place des mesures telles que la création d’agences réglementaires, l’augmentation des exigences de fonds propres ou encore l’encadrement de certains produits dérivés financiers.

En mai 2018, le président Donald Trump fit assouplir la loi Dodd-Franck selon lui trop restrictive, estimant qu’elle « écrase les petites banques et les organismes de crédit, qui sont dans un triste état ». Nancy Pelosi, opposante de Donald Trump et cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, considère au contraire que cet assouplissement de la loi Dodd-Franck constitue un retour en arrière qui nous « ramène à l’époque où l’imprudence débridée de Wall Street a provoqué un effondrement financier historique ».

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Jusqu'à quand ?, Paris, Raisons d'agir, 2008.

Du même auteur– Les Quadratures de la politique économique, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel. Économie », 1997.– Fonds de pension, piège à cons ? : mirage de la démocratie actionnariale, Paris, Raisons d’agir, 2000.– La Politique du capital, Paris, Odile Jacob, 2002.– Et la vertu sauvera le monde… : après la débâcle financière, le salut par l'« éthique » ?, Paris, Raisons d'agir, 2003.– La Crise de trop : reconstruction d'un monde failli, Paris, Fayard, 2009.– Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, Paris, La Fabrique, 2010.– Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015.– La Condition anarchique. Affects et institutions de la valeur, Paris, Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 2018.

Autres pistes– Edouard Tétreau, Analyste : Au cœur de la folie financière, Grasset & Fasquelle, 2005.– Charles Ferguson, Inside Job, Sony, 2011 (documentaire vidéo).– Michael Lewis, The Big Short (Le casse du siècle), 2015 (film).

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