Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Giorgio Nardone
La Stratégie de résolution de problèmes consiste à mettre la capacité de raisonnement d’une personne ou d’un groupe au service de l’amélioration d’une situation, en sortant du mode de pensée habituel pour trouver des solutions créatives, inattendues et originales à un problème d’ordre humain, psychologique, relationnel, professionnel, managérial, etc. Fondée sur l’art du stratagème, l’expérimentation empirique et la logique non ordinaire, elle comporte une succession rigoureuse d’étapes à suivre, permettant de libérer l’imagination en abordant les problèmes autrement.
La Stratégie de résolution de problèmes est « l’art de trouver des solutions à des problèmes impossibles à résoudre selon une logique ordinaire, en recourant à des expédients qui heurtent le bon sens et offrent des possibilités jusqu’alors inaccessibles, car prisonnières de schémas rigides » (p.10).
Puisqu’il s’agit de libérer sa créativité sans perdre la rigueur du raisonnement pour atteindre un objectif spécifique, la méthode consiste à suivre scrupuleusement plusieurs phases successives inspirées à la fois de la recherche scientifique et de la connaissance empirique.
Recourir à la Stratégie de résolution de problèmes, c’est se libérer de la rationalité traditionnelle, où la connaissance des causes constitue le summum du savoir, pour passer à la connaissance des modes de fonctionnement de la réalité que l’on souhaite modifier. La première étape du processus consiste à définir concrètement le problème et ses caractéristiques, en décrivant empiriquement tous ses aspects pour pouvoir l’appréhender sous tous les angles possibles.
Cette démarche est souvent considérée comme allant de soi ; pourtant, se contraindre à cette réflexion permet de libérer son esprit des idées préconçues (préjugés, interprétations, convictions personnelles…) et des limites de sa propre perception. Cette première phase permet de gagner du temps par la suite car la stratégie pourra alors se construire en fonction du problème lui-même, et non sous l’influence des idées des personnes en présence.
Dans un second temps, Giorgio Nardone préconise de définir le plus concrètement possible l’objectif à atteindre, sous la forme de changements tangibles qui permettront d’affirmer que le problème est résolu. C’est cet objectif, formulé simplement et clairement, qui constituera le cœur de la stratégie à mettre en place. Pour cette étape comme pour la précédente, si la réflexion se fait en groupe, il faudra que tous les membres puissent s’accorder sur une définition afin que la cohésion du groupe soit suffisamment puissante pour permettre l’émergence d’idées créatives par la suite.
La troisième étape consiste à étudier toutes les tentatives de solution précédentes qui se sont soldées par un échec, ainsi que leurs effets. C’est une étape cruciale : non seulement parce que toute réitération de mise en œuvre d’une solution erronée ne fera que rendre le problème plus persistant et plus complexe, mais aussi parce que l’évaluation des échecs précédents permet de mettre au jour le fonctionnement d’un problème et, en partant de ce qu’il ne faut pas faire, de sa possible solution. Il est possible également, si le problème n’est ni nouveau ni trop complexe, d’étudier ce qui a déjà fonctionné et de l’adapter à la situation présente.
Pour faciliter et compléter l’analyse des solutions inadaptées, il est important d’interroger également les solutions possibles, pas encore appliquées mais pourtant vouées à l’échec.
La technique consiste simplement à se demander ce que l’on pourrait faire si l’on souhaitait aggraver le problème au lieu de le résoudre, en énumérant et en décrivant précisément toutes les possibilités. Cela permet d’adopter une vision nouvelle tout en éveillant par réflexe la créativité. Cette contrainte mentale « reprogramme » le cerveau pour lui faire rejeter naturellement ces effets et se concentrer sur l’obtention de l’effet désiré. Un paradoxe se manifeste alors : libérée de l’effort volontaire de recherche de solutions fonctionnelles, la créativité spontanée peut s’exprimer.
L’étape suivante consiste à se focaliser encore davantage sur l’objectif à atteindre en imaginant le scénario idéal au-delà du problème. Comment serait la situation une fois le problème idéalement résolu et l’objectif pleinement atteint ? Ce travail permet de décrire les caractéristiques de la réalité idéale à atteindre, que parfois la formulation de l’objectif ne permet pas de saisir pleinement. Il s’agit encore une fois de libérer l’imagination pour pouvoir, par la suite, transformer l’idéal en réalité. Par ailleurs, ce travail permet de mettre en lumière les effets de ces scénarios – et notamment les éventuels effets secondaires indésirables (des réactions en chaîne que l’on a naturellement tendance à sous-évaluer), pour mieux les prévoir et les éviter.
Plus on cherche à résoudre un problème et plus on l’enracine : il convient parfois de détourner l’attention sur autre chose pour que l’objectif puisse émerger spontanément. Giorgio Nardone donne pour exemple un célèbre violoniste qui, après avoir ressenti une violente contracture au bras en effectuant un certain mouvement, avait développé un réel blocage. La technique du scénario idéal a permis de mettre en lumière le souhait de pouvoir jouer sans effectuer le mouvement précis à l’origine du blocage. Cela a conduit le violoniste à explorer de nouvelles postures jusqu’à en trouver une démultipliant les possibilités musicales tout en offrant à son public une image originale et novatrice.
Transformer un trouble en invention artistique à succès lui a permis de détourner son esprit du problème et, au fil du temps, de pouvoir reprendre à souhait sa posture classique.
L’homéostasie est un phénomène qui consiste, pour tout système vivant, à résister par réflexe à la modification de son équilibre de longue date : c’est une forme biologique de résistance au changement. Ainsi, pour mettre en œuvre une stratégie destinée à débloquer une situation problématique, il est essentiel de découper l’action globale en plusieurs « petits pas ». On pourra ainsi commencer par l’action concrète la plus modeste possible et la plus simple à réaliser. La résistance au changement sera considérablement réduite, nos peurs concernant notre incapacité à mettre en œuvre de grandes actions n’ayant pas lieu d’être.
Plus la première action est modeste, voire imperceptible, et plus le changement d’envergure final pourra se réaliser, car la succession des étapes est facilitée et le processus, une fois enclenché, devient exponentiel. Pour construire une telle stratégie de division des actions tout en tenant compte de l’importance des premiers stades et de l’effet d’accélération qui s’ensuit, l’auteur propose une méthode de planification contre-intuitive mais extrêmement efficace : la « technique de l’alpiniste ». Il s’agit d’avancer à rebours : le point de départ sera l’objectif à atteindre. On imaginera les étapes précédant l’objectif une par une, formalisant une succession de micro-objectifs, jusqu’à parvenir à la situation présente.
Giorgio Nardone cite l’exemple d’un romancier en panne d’inspiration qui se sentait pris au piège par les relances pressantes de son éditeur. Confronté à l’impossibilité de se libérer de son mode de travail habituel devenu brutalement inopérant, il était incapable de concevoir son roman. Il estima que le pire scénario serait de persister dans cette voie sans parvenir à créer une nouvelle méthode de travail, tandis que le scénario idéal consisterait à avoir en tête la trame de son histoire.
Il s’appliqua alors, à partir du titre du roman, à imaginer toutes les fins possibles, à choisir la meilleure et, à partir de là, à construire chaque chapitre de la même façon, c’est-à-dire en partant du grand final pour remonter jusqu’au début, jusqu’à obtenir une trame complète. « Transformer notre façon de penser ordinaire en une modalité insolite à laquelle on se tient en procédant de manière rigoureuse est l’une des meilleures façons de débloquer nos pièges mentaux » (p.69).
Giorgio Nardone relève trois domaines d’application de la Stratégie de résolution de problèmes : le coaching (amélioration des performances individuelles, comme celles du violoniste ou du romancier) ; la thérapie (traitement des pathologies psychologiques) ; le conseil et la formation (pour les entreprises et les organismes professionnels).
Dans le cadre de la thérapie, Giorgio Nardone considère les pathologies psychiques et comportementales comme des typologies de problèmes dotés de structures répétitives, malgré la spécificité de chaque situation. Ainsi, les techniques spécifiques de traitement sont efficaces et réplicables quel que soit le contexte culturel, car elles sont fondées sur la structure même des pathologies. Il s’agit avant tout de briser un cercle vicieux persistant, généré et entretenu par la multiplication de tentatives manquées de combattre le trouble. Par exemple, dans le cas d’un trouble d’attaques de panique (dont près de 20% des humains sont touchés), le sujet ne parvient plus à faire face à sa peur pathologique.
Le thérapeute peut alors utiliser « l’imagination du pire » pour exprimer et exacerber la peur afin de pouvoir ensuite paradoxalement en réduire les effets (évitement, demande d’aide, tentatives de contrôle) ; puis la technique de l’alpiniste pour se détacher progressivement du besoin de demander de l’aide. La Stratégie de résolution de problème permet de se focaliser sur les solutions plutôt que de se perdre dans de complexes analyses de personnalité, occasionnant ainsi des guérisons rapides.
Si la Stratégie de résolution de problèmes rencontre un succès important dans le milieu professionnel, c’est en partie parce que la réalité managériale est elle aussi orientée vers l’obtention d’un résultat rapide. L’auteur prend pour exemple un management dysfonctionnel dans une grande entreprise, sous la forme de l’incapacité à déléguer et à contrôler. Il s’agit d’un problème fréquent dû à l’erreur consistant à croire qu’occuper un poste de chef suffit à faire un leader.
La technique du pire scénario met en lumière les dysfonctionnements les plus importants. La technique du scénario idéal précise les attentes de chacun et la réalité de ce rôle dans l’entreprise pour les équipes, les clients et les dirigeants. Cette approche combinée révèle les problèmes concrets et leurs solutions possibles.
De nos jours, la science est incontestablement sous l’influence de normes sociales, religieuses, politiques, économiques. Or la Stratégie de résolution de problèmes n’est pas fondée sur des théories préexistantes mais sur les résultats. Libérée de ces considérations idéologiques, elle atteint une rigueur scientifique absolue. Les résultats sont réplicables et prévisibles dans la réalité quel que soit le contexte. De plus, ils permettent de connaître avec précision les problèmes résolus, par un biais davantage technologique que purement scientifique : il ne s’agit plus de connaître pour changer, mais de changer pour connaître.
Outre l’expérimentation empirique, l’art millénaire du stratagème et la « logique non ordinaire » sont au cœur de l’esprit même de la Stratégie de résolution de problèmes. Ces principes, ajoutés à la connaissance pointue des biais cognitifs humains, ouvrent de nombreuses possibilités dans le parcours de recherche de solutions. Cela peut être « agiter l’herbe pour faire sortir les serpents » (restructurer la perception d’une réalité en transformant les faiblesses en ressources sur lesquelles agir pour induire le changement) ; user des penchants naturels pour orienter l’esprit d’un groupe dans la direction voulue ; ou encore utiliser « l’effet Hawthorne » (savoir que l’on a recouru à une personne pour améliorer sa réalité prédispose au changement).
Il peut également s’agir d’utiliser l’art du stratagème pour obtenir un maximum de résultat avec un minimum d’efforts (par exemple, utiliser un algorithme pour réaliser un calcul répétitif), ou encore pour obtenir des solutions aussi créatives que spectaculaires (choisir de projeter des millions de balles de tennis de table pour faire remonter en douceur un navire ayant sombré avec munitions, bombes et missiles).
Enfin, la capacité de communiquer efficacement est indispensable. À propos d’un problème humain, il est nécessaire de combiner la Stratégie de résolution de problèmes avec la Communication stratégique, sans quoi la prise en compte rigoureuse des informations factuelles entre en conflit avec notre mode de communication (émotionnel, non verbal), comme si l’on parlait deux langues différentes. Il est important en outre d’utiliser une communication persuasive car le but est avant tout de conduire les personnes à mettre en place un changement, qu’il s’agisse d’état d’esprit ou de comportement.
La Stratégie de résolution de problèmes est orientée avant tout vers la recherche de solutions fonctionnelles, passant par l’adoption d’un point de vue nouveau qui permet de libérer la créativité. Elle conduit à classer les problèmes en typologies et ainsi à y apporter des réponses adaptées, efficaces, transmissibles, prédictives et réplicables quel que soit le contexte.
Elle concerne avant tout les problèmes relatifs à l’humain, mais elle peut être appliquée avec succès dans toutes les disciplines dès lors que l’on sait allier rigueur des étapes à suivre et adaptabilité à chaque situation, et que l’on maîtrise la communication stratégique.C’est une méthode ayant rencontré un grand succès à l’international auprès de spécialistes, de psychothérapeutes ou encore de dirigeants, et qui s’est illustrée avec brio dans des domaines aussi variés que la thérapie psychologique, l’armée, l’entreprise et le coaching individuel.
Le propos du livre est majoritairement centré sur la résolution de problèmes psychologiques : on pourrait penser que c’est uniquement dû à la spécialité de l’auteur ; toutefois, il est rappelé que l’humain est au centre de toutes les organisations et entreprises et que la Stratégie de résolution de problèmes peut s’adapter à toute situation insoluble ayant au moins un facteur humain – et a fortiori à toute situation, du moment que l’on est capable d’adapter précisément la méthode à une situation spécifique.
Une autre question se pose qui est celle de l’éthique : la maîtrise de la Stratégie de résolution de problèmes alliée au savoir-faire en termes de communication, à la connaissance du fonctionnement du cerveau humain et à la maîtrise de l’art du stratagème peut conférer un grand pouvoir de persuasion et, par là même, pourrait permettre de manipuler des groupes entiers pour orienter leurs actions et obtenir certains effets choisis à l’avance. Un certain contrôle est-il nécessaire, et si oui, comment le mettre en place sans entraver la créativité ?
Ouvrage recensé– La Stratégie de résolution de problèmes. L’Art de trouver des solutions aux problèmes insolubles, Paris, Enrick B. Editions, 2017.
Du même auteur– L’Art noble de la persuasion. La Magie des mots et des gestes, Paris, Enrick B. Editions, 2016.– Le Dialogue stratégique. Communiquer en persuadant : techniques avancées de changement, Paris, Enrick B. Editions, 2012.
Autres pistes– Paul Watzlawick, John H. Weakland et Richard Fish, Changements. Paradoxes et psychothérapie, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2014.– Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer. Trouver l’ultrasolution, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2014.– Jean-Jacques Wittezaele et Teresa Garcià-Rivera, À la recherche de l’école de Palo Alto, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2014.