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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Guerre des métaux rares

de Guillaume Pitron

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Science et environnement

L’énergie éolienne, l’énergie solaire, la voiture électrique : autant de promesses d’une énergie décarbonée. Cette idylle énergétique repose pourtant sur un malentendu. Les énergies renouvelables nécessitent d’utiliser du néodyme, du tantale, du lithium… Rares à l’échelle de la planète, ces métaux sont également au cœur des technologies numériques. Et, plus généralement, de nos objets quotidiens. Or, l’extraction des métaux rares est très polluante. Elle exige beaucoup d’énergie. La transition énergétique conduit donc à exporter notre pollution, à remplacer le pétrole par des ressources encore plus rares, et à créer de nouvelles tensions dans les relations internationales.

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1. Introduction

Les technologies dites « vertes » (green tech) transforment le monde comme la machine à vapeur en son temps. Cette fois, on ne se rue ni sur le charbon, ni sur le pétrole qui l’a remplacé, mais sur des métaux aux noms exotiques : béryllium, niobium, tantale, cobalt… Dans la nature, ces éléments sont présents à l’état de traces. En particulier les terres rares, groupe le plus discret de ces métaux sans substituts connus : 17 éléments appelés à devenir célèbres : lanthane, cérium, gadolinium… L’exploitation porte sur des quantités relativement faibles. La production de gallium est ainsi de 600 tonnes par an, alors que celle du cuivre atteint 154 millions de tonnes (Mt).

Aussi, « le marché annuel des terres rares avoisine la somme dérisoire de 6,5 milliards de dollars, soit 276 fois moins que celui du pétrole, résume Guillaume Pitron. Mais compte tenu de la présence de ces petits métaux dans tout ce que nous consommons, les retombées de cette industrie microscopique prennent des proportions gigantesques » (p. 180).

2. Des propriétés très recherchées

Les métaux rares ont en effet des propriétés chimiques, optiques ou catalytiques exceptionnelles. Ils permettent d’utiliser les LED (Light-Emitting-Diode) dans l’éclairage et de transformer nos pots d’échappement en pièges à particules. Mais ce sont d’abord leurs propriétés électromagnétiques qui intéressent le secteur de l’énergie. Quand un courant électrique traverse le champ magnétique de deux aimants convenablement orientés, il génère en effet une force qui les fait pivoter l’un par rapport à l’autre.

C’est le principe du moteur électrique. Les propriétés des métaux rares permettent aujourd’hui de produire des aimants très puissants (le plus gros, 132 t, est au CEA de Saclay) ou, à puissance égale, de réduire la taille des aimants, pour fabriquer une brosse électrique par exemple. Sans de tels aimants, l’avion solaire Solar Impulse n’aurait jamais décollé.

Les aimants dopés aux métaux rares sont les auxiliaires des moteurs électriques qui envahissent notre quotidien, et rendent plausible la transition énergétique. Mais ces moteurs sont alimentés depuis des batteries, elles-mêmes tributaires des métaux rares. Pour charger ces accus, il faut aussi produire de l’énergie avec le vent, ce qui suppose des éoliennes, donc de gros aimants, ou employer des panneaux solaires qui font appel au gallium, au sélénium et à l’indium.

Dès lors, on comprend que la consommation des métaux rares explose. À l’horizon 2035, la demande de tantale devrait être multipliée par quatre, celle du cobalt par vingt-quatre. C’est une des limites de la transition énergétique. « Soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans », prévient Guillaume Pitron (p. 25). Les énergies renouvelables vont donc conduire à l’épuisement rapide des métaux rares. Selon des experts, il va falloir extraire d’ici à 2040 trois fois plus de terres rares qu’aujourd’hui, et seize fois plus de lithium.

Face à un tel bilan, produit-on moins de gaz carbonique pour autant ? Selon les calculs d’un professionnel, la production d’un panneau solaire génère plus de 70 kilos de CO2. Si l’on se base sur les prévisions (+23 % de panneaux par an), les installations solaires vont donc rejeter chaque année 2,7 milliards de tonnes de carbone, précise l’auteur, soit l’équivalent de la pollution générée pendant un an par 600 000 automobiles. Pour des chercheurs californiens, la production d’un véhicule électrique demande trois à quatre fois plus d’énergie que celle d’une voiture traditionnelle. Certes, la voiture électrique ne rejette pas de CO2 quand elle roule, mais on comprend les fortes réserves de Carlos Tavares, le patron de Peugeot.

3. Une exploitation sans retenue

Accompagnant et décuplant les effets des green tech, les technologies numériques sont également avides de métaux rares. Téléphones et ordinateurs portables avalent 19 % du palladium mondial, 23 % du cobalt.

Et le fonctionnement de ces équipements est énergivore. L’ADEME a montré que l’envoi d’un mail avec une pièce jointe représente la consommation électrique d’une ampoule basse consommation pendant une heure. Un data center, celle d’une ville de 30 000 habitants. Le cloud ? La dématérialisation ? Au niveau de la planète, les TIC (technologies de l’information et de la consommation) consomment 10 % de l’électricité mondiale et produisent 50 % de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien, souligne l’auteur.Le verdict est terrible. « Un monde à 7,5 milliards d’individus va consommer, au cours des trois prochaines décennies davantage de métaux que les deux mille cinq cents générations qui nous ont précédés » (p. 83). Le bilan est d’autant plus lourd que l’extraction de métaux rares est polluante.

Plus encore que l’activité minière en général, car il faut littéralement casser des montagnes pour obtenir quelques kilos de précieux métal. Puis traiter le minerai avec des produits chimiques qui partent avec les eaux de traitement (200 m³ pour 1 t de terres rares). Pour obtenir un seul kilo de métal, il faut ainsi purifier 16 t de cérium, 50 t de gallium, et 2200 t pour le lutécium. Car on ne trouve que 0,8 mg de lutécium dans un kilo de minerai.

Les green tech masquent donc des paysages d’apocalypse que Guillaume Pitron a observés au cours de ses reportages. Partout où sont extraits des métaux rares, l’environnement et les populations en paient le prix fort : au Congo, qui produit la moitié du cobalt mondial, à destination des batteries au lithium, au Kazakhstan qui fournit 14 % du chrome, ou dans des pays développés comme les États-Unis. Les accidents de la mine de Mountain Pass, plus grande mine de terres rares avant l’intervention chinoise, en fournissent l’illustration.

La pollution, qui peut être radioactive (quand les métaux sont associés au thorium ou à l’uranium), va de pair avec des conditions de travail dignes d’un autre âge. En particulier en Chine, où des milliers de mines sont exploitées. Le marché noir n’arrange rien. Or, il représenterait un tiers de la demande officielle pour les terres rares.

La transition écologique s’apparente plutôt à une « transition métallique », où de nombreux pays sacrifient leur environnement pour s’enrichir. La Chine la première. Mais le dumping environnemental de Pékin est à rapprocher d’un dumping économique permis par la situation privilégiée du pays, qui produit 75 % des terres rares de la planète. Ces deux éléments participent d’une stratégie que l’auteur analyse en profondeur.

4. Les grandes manœuvres chinoises

En pesant sur les cours à la baisse, Pékin a d’abord fragilisé les mines, ce qui a conduit à leur fermeture ou à leur rachat : à Mountain Pass, au Canada, etc. Mais le monopole chinois a emprunté d’autres voies, comme le montre l’histoire de Rhône Poulenc (Solvay), dont l’usine de La Rochelle purifiait huit à dix mille tonnes par an de terres rares : 50 % du marché mondial. Confronté à des problèmes de pollution, l’industriel décida de ne plus faire entrer de produit radioactif dans son usine. Il s’adressa aux Norvégiens dans les années 1990, mais les Chinois se révélant beaucoup plus compétitifs, les Français dépendent aujourd’hui des mineurs de Baotou.

Les Chinois utilisent aussi les pressions politiques, comme au Kirghizistan, où la licence octroyée à une compagnie canadienne a été retirée sans justification. En fait, tous les moyens sont bons. Même le jeu trouble joué par Bill Clinton vis-à-vis de la Chine (le Chinagate) n’est pas sans questionner. Le parti démocrate et son candidat ont été subventionnés par la Chine. Le transfert de technologie auquel le Président a sacrifié pourrait avoir porté sur les aimants aux terres rares.

Pékin a de gros appétits car la Chine est le premier consommateur de métaux industriels de la planète. Consommant déjà les trois quarts des terres rares qu’elle produit, elle est soucieuse de son approvisionnement. D’autant que les besoins augmentent de façon exponentielle. Au rythme actuel, dit l’auteur, « les réserves rentables d’une quinzaine de métaux de base et de métaux rares seront épuisées en moins de cinquante ans » (p. 216).

Le comportement agressif de Pékin, cependant, ne relève pas de la seule autosuffisance. Il s’agit de capter la valeur ajoutée en aval du minerai, celle des technologies occidentales. Guillaume Pitron dévoile les manœuvres par lesquelles la Chine a fini par s’approprier le savoir-faire étranger. Suite à un incident en mer autour d’îles contestées, et sans prévenir, Pékin a ainsi imposé à Tokyo un embargo de facto. En délocalisant leurs usines sur les lieux de production, les Japonais ont permis aux Chinois d’intégrer leur savoir-faire.

Les Allemands, dont l’industrie de la machine-outil avale énormément de tungstène, ont été plus clairvoyants. Ils ont préféré payer la ressource plus cher, de façon à pérenniser des mines alternatives, et sauver leur indépendance industrielle. « Alors qu’à la fin de la décennie 1990 le Japon, les États-Unis et l’Europe contrôlaient 90 % du marché des aimants, la Chine contrôle désormais les trois quarts de la production mondiale », résume l’auteur (p. 151).

5. Un nouvel ordre mondial

Si la transition énergétique repose sur un jeu de dupes, Pékin dispose d’un joker. Contrairement aux démocraties occidentales, le régime chinois peut mener une action à long terme, sans se soucier des revendications des mineurs ou des écologistes. Malgré les plaintes à l’OMC , la Chine contrôle désormais 61 % du silicium mondial, 67 % du germanium, 84 % du tungstène, 44 % de l’indium, et elle étend sa politique à toutes les ressources sous tension.

Maîtriser le robinet des métaux rares, comme l’OPEP l’a fait avec le pétrole, n’est pas sans arrière-plan militaire. Si les besoins des armées sont quantitativement faibles (200 t d’aimants/an pour l’armée américaine ?), les technologies concernées sont particulièrement sensibles. Guillaume Pitron prend comme exemple le F35. Cet avion intègre de petits aimants produits en Chine, car il aurait coûté trop cher de changer de fournisseur, quand sa véritable nationalité a été découverte. L’aviation américaine est-elle ainsi à la merci de Pékin, comme le craignent certains ?

En France, il a fallu attendre 2013 pour que le terme de métaux rares fasse son apparition dans le livre blanc sur la défense. Pour un expert américain, « notre dépendance à l’égard de la Chine, originellement cantonnée aux ressources, s’est étendue aux technologies de la transition énergétique et numérique » (p. 159).

La dépendance aux métaux rares conduit finalement à nouvel ordre géopolitique. La Chine n’est pas la seule à l’avoir compris. Le Congo produit 64 % du cobalt mondial, le Brésil 90 % du niobium. La Russie contrôle 46 % du palladium, les États-Unis 90 % du béryllium, la Turquie 38 % du borate.

Dans des pays aussi avantagés par la nature, apparaît une forme de « nationalisme minier » que l’auteur met en évidence. Les Kanaks de Nouvelle-Calédonie détiennent désormais la majorité des parts dans la plus grande exploitation de nickel de la planète. Les Bakofengs que Guillaume Pitron a rencontrés en territoire sud-africain sont partie prenante du plus grand gisement mondial de platine. Mais ce sont surtout les États qui cherchent à contrôler les flux de métaux rares : physiquement et commercialement.

6. La course aux ressources

La course aux métaux rares bouleverse les relations internationales. Le détroit d’Ormuz ne sera bientôt qu’un souvenir. L’attention va plutôt se focaliser sur la Corée du Nord, qui dispose d’un formidable gisement de terres rares. Et sur ces acteurs qui apparaissent en Amérique du Sud, en Afrique, ou aux portes de l’Asie. L’Allemagne fait les yeux doux à la Mongolie, alors que la France prospecte au Kazakhstan. Quant au Japon il a intégré les terres rares à sa diplomatie.

Tant que le régime chinois n’aura pas évolué, c’est ce genre d’intervention qu’il faut redouter, résume Guillaume Pitron. Car il n’y a guère d’alternatives. Le recyclage des métaux rares n’est pas au point, d’autant qu’ils peuvent être amalgamés avec d’autres composants. Malgré les expériences menées par Hitachi, le recyclage n’a aucun modèle économique viable, surtout quand Pékin manipule les cours. Le taux de récupération des rares oscille donc, sauf exception, entre 0 et 3 %.

Ouvrir de nouvelles mines ? Il faut plus de vingt ans entre l’idée et le premier coup de pioche. Dans le cas des métaux rares, le taux de retour énergétique (TRE) est en outre défavorable. Ce ratio compare l’énergie nécessaire pour produire des métaux, et celle qu’on va obtenir en exploitant ces mêmes métaux. Actuellement, la production nécessiterait 7 à 8 % de l’énergie mondiale. On atteint là les limites de notre système productiviste, résume l’auteur, qui prend position, lucidement, pour que la France, « géant minier en sommeil », renoue avec son passé. Une position à contre-courant qui pointe l’hypocrisie ambiante, voire le non-sens politique. « Rien ne changera radicalement tant que nous n’expérimenterons pas, sous nos fenêtres, la totalité du coût de notre bonheur standard. La mine responsable chez nous vaudra toujours mieux que la mine irresponsable ailleurs » (p. 237).

Les regards se tournent aussi vers les fonds marins, qui placent notre pays en position très favorable, avec un domaine maritime de 11 millions de km², le second derrière les États-Unis. Un immense empire, où les géologues ont déjà identifié le lagon de Wallis-et-Futuna comme un immense réservoir de terres rares. L’exploitation spatiale n’est pas en reste. Guillaume Pitron évoque les Américains, mais il faudrait une nouvelle fois citer les Chinois, dont les missions lunaires visent à ramener sur terre de l’hélium 3, pour l’utiliser dans la fusion nucléaire.

7. Conclusion

Si chaque habitant de la planète ne consomme que 17 grammes de terres rares par an, la consommation va exploser dans les années qui viennent. Car les métaux rares sont au cœur des énergies renouvelables et des TIC. À tel point que leur épuisement se profile, et qu’il faut déjà craindre une mise à sac des océans. La transition énergétique a donc un côté sombre : une nouvelle dépendance, une production qui détruit l’environnement, des populations contaminées, et des techniques qui émettent du CO2 .

Le rôle central, joué par des éléments naturellement peu répandus, fait des métaux rares les paramètres d’un nouvel ordre mondial. Ils n’ont pas de substituts, on ne les recycle pas, et leur répartition met souvent leur propriétaire en état de monopole. Avec possibilité de peser sur les cours ou de fermer le robinet. Conflit commercial, militaire, ou stratégique : la guerre est annoncée.

8. Zone critique

Rares sont les publications sur le sujet de l’extraction minière. Mais Guillaume Pitron produit ici un livre percutant et équilibré, qui associe des reportages de terrain, des rencontres avec des experts, et des données puisées dans les rapports les plus pertinents. Les prix qu’il a reçus témoignent de la qualité de son travail. L’écriture est claire, et l’auteur sait user des statistiques.

Ce livre convaincant fait toutefois l’impasse sur des données essentielles. On ne sait pas, malgré six ans d’enquête, quels volumes de métaux rares sont présents dans un panneau solaire, une éolienne ou une batterie standard, qui sont au centre de cet ouvrage. Dès lors, dans la consommation de métaux et de terres rares (130 000 t/an), comment chiffrer ce qui revient réellement aux énergies renouvelables ?

Certes, les moteurs d’éoliennes sont protégés par des secrets industriels, mais Guillaume Pitron ne donne même pas un ordre d’idées, alors qu’il indique combien de CO2 dégage un panneau solaire par exemple. Alors qu’on attend la donnée qui emporterait la conviction, son argumentation glisse vers les métaux ou aux filières en général. Dès lors, se pose la question de l’amalgame. D’autant que la consommation en métaux rares des TIC en général est mise au passif de la transition énergétique. N’est-ce pas abuser, pour condamner des énergies renouvelables, où l’auteur oublie l’hydrolien, la biomasse et la géothermie ?

Par ailleurs, comment dissocier ce qui relève de la nécessité du procédé de l’amélioration technique ? Selon que les métaux rares sont une option ou une obligation, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. Il est donc dommage que ce sujet soit dévolu aux notes de bas de page, où il s’avère... que des industriels se passent très bien de métaux rares dans leurs moteurs électriques.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Les liens qui Libèrent, 2018.

Autres pistes– Le site de l’auteur : https://www.guillaumepitron.com/asie– Prix du livre d’économie :https://www.economie.gouv.fr/20e-journee-livre-economie– Pour illustrer les enjeux autour des territoires maritimes, un éclairage récent sur Clipperton : https://www.asafrance.fr/item/enjeux.html

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