Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Harald Welzer
Dans un avenir proche, de plus en plus d’hommes disposeront de moins en moins de ressources pour assurer leur survie. C’est en partant de ce simple constat que l’auteur analyse les conflits à venir et certains conflits récents, qui ont pour dénominateur commun les changements climatiques actuels. Ainsi des luttes extrêmement violentes, à l’image de celles qui déchirent le Darfour depuis 2003, opposeront-elles bientôt les hommes qui prétendent se nourrir sur une seule et même portion de territoire incapable de les sustenter tous, et s’abreuver à la même source en train de se tarir.
Le modèle occidental arrive à sa limite. Et pas seulement parce qu’à partir d’un seuil de réchauffement d’environ 2°C les conséquences climatiques des émissions nocives ne seront plus contrôlables. Mais aussi, et surtout, parce qu’une économie globalisée reposant sur une croissance ininterrompue et l’exploitation systématique des ressources naturelles ne peut pas fonctionner comme principe planétaire.
En effet, cette économie ne fonctionne, et ne peut fonctionner, que si de la puissance et des richesses s’accumulent en un endroit du monde pour être employées dans un autre, l’endroit de celui qui « exploite », justement. Ainsi, par sa nature même, ce système est particulariste, et non universel. Il n’a pas vocation à s’étendre à l’ensemble de la planète. Et c’est un leurre que de faire croire aux pays émergents que tous les pays du monde peuvent avoir, à terme, le niveau de vie et de consommation des pays développés. Toutes les ressources du globe n’y suffiraient pas, de la même manière que tous ne peuvent s’exploiter mutuellement.
Voilà pourquoi des conflits violents, de plus en plus nombreux, opposeront (opposent déjà) tous ceux qui veulent exploiter de manière intensive des ressources non renouvelables. Voilà pourquoi, également, très bientôt, la distinction entre réfugiés fuyant la guerre et réfugiés fuyant leur environnement, entre les réfugiés politiques et les réfugiés climatiques, n’aura plus de sens, devant la multiplication des guerres causées par la dégradation constante des milieux naturels.
Les conflits liés aux changements climatiques constituent, pour l’auteur, l’essentiel des conflits de demain. Pour autant, ceux-ci existent déjà. En effet, la guerre du Darfour commencée en 2003 représente le premier en date des conflits climatiques.
Région de l’ouest du Soudan au climat et à la végétation de type sahélien, c’est-à-dire semi-aride, le Darfour, aujourd’hui quasiment dépeuplé, ou plutôt peuplé en quasi-totalité de personnes résidant dans des camps de réfugiés subsistant sous perfusion de l’aide internationale, a longtemps été une région agricole relativement prospère.
Coexistaient sur son sol des agriculteurs, « africains » et des éleveurs, « arabes », ces derniers le plus souvent nomades. Mais les défrichements successifs, la déforestation accélérée, le surpâturage et les cultures sur brûlis entraînèrent une modification du climat. À la suite de la quasi-disparition du couvert végétal, les pluies diminuèrent drastiquement, entraînant de terribles sécheresses.
Celle de 1984 fut la première en date à atteindre une ampleur qui n’avait jamais été approchée auparavant. Et c’est alors que les tensions s’exacerbèrent entre agriculteurs et éleveurs, pour le contrôle de la terre et des pâturages comme pour celui de l’eau. Ces conflits avaient toujours existé depuis les années 1930-1940, mais ils changèrent de nature, prenant l’allure de véritables luttes pour la survie.
Tout au long des années 1990, les sécheresses se succédèrent, jusqu’à ce qu’une véritable guerre éclate en 2003, une guerre qui dure encore et qui a entièrement déstructuré cette province soudanaise riche d’un long passé étatique autonome ou indépendant. Le conflit gagne chaque jour en intensité. Si, à ses débuts, ses principaux acteurs, des miliciens appelés Djandjawid, se déplaçaient à cheval, à dos de chameaux ou en Toyota, ils pilotent aujourd’hui des avions russes Antonov qui leur servent à bombarder ce qui subsiste de population civile, rendant encore plus meurtrier ce qui est considéré par la communauté internationale comme un véritable génocide.
Ce conflit semble en définitive insoluble, les Djandjawid pillant, violant et massacrant les habitants, détruisant en outre les villages pour parachever leur œuvre de destruction. Quant au nombre des victimes, il varie du simple au double selon les estimations, entre 200 000 et 500 000 personnes. Les guerres du climat sont, comme on le voit, particulièrement meurtrières…
En août 2005, l’ouragan Katrina dévasta le sud-est des États-Unis, touchant de plein fouet la ville de La Nouvelle-Orléans qui fut presque entièrement détruite. Katrina occasionna au total pour plus de 80 milliards de dollars de dégâts rien qu’aux États-Unis.
Harald Welzer insiste sur le fait que l’ouragan, au-delà de son caractère de catastrophe climatique, entraîna une véritable catastrophe urbaine et sociale. On vit ainsi que, même dans un pays comme les États-Unis, les structures politiques et sociales pouvaient se déliter du jour au lendemain. Ce sort n’est pas réservé au Rwanda, à la Somalie ou à l’Afghanistan.
Ainsi, meurtres, pillages et viols se succédèrent pendant des jours et des jours, jusqu’à ce que l’intervention de 65 000 hommes de l’armée fédérale réussisse à ramener un semblant d’ordre, au prix de tirs parfois sans sommation sur ceux qui semaient la terreur dans une ville qui se trouvait sous l’eau à 80 % après deux ruptures d’égouts.
Après le passage de Katrina, la capitale historique du Sud étatsunien était à ce point sinistrée qu’il fut un moment question de ne pas la reconstruire. C’est de cet épisode climatique d’une ampleur rarement vue que date l’expression « réfugié climatique », promise à un grand avenir.
On estime en effet que 250 000 personnes, d’anciens habitants évacués de La Nouvelle-Orléans, ne sont pas revenues vivre dans leur ville d’origine et se sont fixées ailleurs. Encore ce chiffre global masque-t-il de grandes disparités.
Ainsi, parmi les habitants blancs de la ville, un tiers environ n’est pas revenu après l’ouragan. Mais, parmi ses habitants noirs, seul un quart est revenu, alors que La Nouvelle-Orléans était une ville à majorité afro-américaine avant Katrina.
Résultat : un équilibre démographique entièrement modifié, avec une cité « gentrifiée » en profondeur, où les opinions politiques conservatrices tiennent désormais le haut du pavé, le changement d’équilibre démographique ayant également entraîné un changement en profondeur de sensibilité politique.
Le changement climatique constitue une perspective très sombre pour l’ensemble du globe. Mais, selon Harald Welzer, particulièrement pour les pays qui, comme la Somalie, l’Afghanistan, le Soudan, l’Irak, la Syrie, le Yémen ou le Rwanda, sont en état de déliquescence avancée.
Dans ces pays, les modifications du climat ne peuvent qu’accroître une violence qui est déjàprésente à l’état larvé. Car l’appropriation des rares ressources que les changements climatiques n’ont pas raréfiées ou fait disparaître entraîne des luttes sanglantes et meurtrières, sans merci, de véritables guerres qui mettent les pays qui en sont la proie au bord de la disparition virtuelle.
Le Failed State Index recense ainsi, pour l’année 2006, soixante États menacés d’échec. Soit plus du quart des États existant dans le monde. Ces pays regroupent 2 milliards d’hommes, soit, là encore, environ le quart de l’humanité. Outre les pays déjà mentionnés, il n’est pas indifférent de remarquer que des paradis pour touristes figurent également dans cette liste, ainsi le Sri Lanka ou encore la République dominicaine.
Les critères retenus pour qualifier d’États en échec certains pays sont de différents ordres. En premier lieu interviennent les indicateurs sociaux : pression démographique (son accroissement a été la principale cause du génocide au Rwanda), réussite ou échec de l’alphabétisation de masse, nombre de réfugiés, conflits entre les différents groupes ethniques ou religieux du pays…
Puis viennent les indicateurs économiques : niveau des inégalités en premier lieu, mais aussi efficacité de l’économie de marché locale, à supposer qu’elle existe, et évaluation des problèmes économiques « classiques » tels que le chômage ou l’inflation, le déficit budgétaire et le solde de la balance des paiements ainsi que de celui du commerce extérieur. À cela s’ajoute l’insertion du pays considéré dans l’économie internationale et dans le réseau mondial des échanges.
Les indicateurs les plus originaux et les plus essentiels, les plus parlants en quelque sorte, sont cependant d’un autre ordre. Il s’agit d’indicateurs politiques. Ainsi la délégitimation de l’État, le manque et/ou l’inefficacité des services publics, la corruption, le caractère prédateur des élites locales, l’intervention d’acteurs politiques extérieurs (les ingérences de pays tiers, par exemple pour la Syrie au Liban), l’existence de réseaux criminels structurés de grande envergure, ou encore la violation plus ou moins fréquente et grave des droits de l’homme. Ce sont ces indicateurs-là qui signent véritablement l’entrée d’un pays parmi les États menacés d’échec, ou en situation d’échec avéré.Autant dire, donc, que les sociétés qui entrent dans cette catégorie sont extrêmement vulnérables à tout changement négatif supplémentaire. Non seulement d’ordre politique ou économique, mais également d’ordre écologique. Des pays comme la Somalie ou Haïti, qui ont d’ores et déjà virtuellement disparu en tant qu’entités autonomes, semblent déjà au bout de ce chemin.
Qu’il s’agisse de guerres civiles ou de guerres interétatiques, l’auteur rappelle que l’environnement est souvent la première victime du conflit. Une donnée qui est souvent oubliée, peut-être parce qu’elle est trop évidente. Ou alors parce que cette préoccupation est considérée comme une sorte de luxe en temps de guerre.
Dans le cas d’un conflit comme celui de l’Afghanistan par exemple, qui ravage ce pays sans discontinuer depuis 1979, soit presque un demi-siècle à présent, les atteintes à l’environnement sont colossales. La proportion des sols touchés par l’érosion du fait de la guerre atteint les 80 %, leur teneur en sel a considérablement augmenté, et les nappes phréatiques ont diminué de manière vertigineuse. La désertification touche à présent une grande partie du pays, l’érosion par le vent y contribuant dans une large mesure.
Depuis le début des opérations de guerre en Afghanistan, 70 % de la couverture forestière du pays a disparu, un taux de déforestation parmi les plus importants au monde. Les terres qui ne sont plus cultivées du fait des opérations militaires atteignent une proportion de 50 %, soit la moitié. La disparition de la couverture boisée et le manque d’entretien des terres arables entraînent une aggravation des périodes de sécheresse, qui ont modifié le climat local.
À cela s’ajoute les autres maux de la guerre : des déplacements de population incessants, qui laissent peu ou pas d’espaces vierges de l’intervention humaine, la faiblesse du gouvernement central, l’absence de toute politique écologique, qu’elle soit suivie ou non, et également la mauvaise gestion des ressources naturelles. Tout cela contribue à créer une situation structurellement catastrophique pour l’environnement en Afghanistan. Dans ce pays, sous peu, une grande partie de la population sera constituée de réfugiés climatiques, de personnes ne pouvant plus subsister sur leurs terres d’origine rendues stériles. Est-ce un hasard si l’Afghanistan est l’un des pays qui fournit le plus important contingent de migrants vers l’Europe ?
Les conséquences sociales, politiques et stratégiques du réchauffement climatique conduisent l’auteur à prévoir un certain nombre de conflits à venir, tous liés à l’environnement.
En premier lieu, il est à craindre que le nombre des conflits violents, qu’ils soient locaux ou régionaux, pour l’exploitation des sols et l’accès à l’eau potable augmentera considérablement. Mais l’auteur prévoir bien d’autres catastrophes pour la sécurité de la planète. Tout d’abord, une multiplication des migrations transnationales, ainsi que du nombre des réfugiés climatiques intérieurs à chaque pays. Il en résultera de graves tensions, sachant que l’afflux de migrants en Europe depuis une demi-douzaine d’années génère dans les pays du Vieux continent une opposition de plus en plus vive, dont les formations politiques populistes se font l’écho.
Quant à la question des réfugiés intérieurs, il n’est que de voir la situation au Soudan, où la population du Darfour a dû quitter sa province d’origine devenue quasi désertique pour trouver asile dans d’autres régions du pays ou à l’étranger, pour comprendre qu’à l’avenir ce sujet deviendra un enjeu majeur de sécurité et de stabilité pour de nombreux pays, en Afrique notamment, mais pas uniquement. Pour d’autres raisons, on peut penser que les habitants des très nombreuses zones inondables du Bangladesh ou du Sud des États-Unis (La Nouvelle-Orléans étant l’exemple le plus emblématique) devront à terme trouver refuge dans d’autres parties de leur pays.
Autres possibilités de conflits en perspective : la réduction de la superficie des lacs, l’exemple du lac Tchad étant le plus connu, le tarissement des cours d’eau, la disparition des forêts, comme en Amazonie, à Bornéo ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée ainsi que les empiètements sur les réserves naturelles entraîneront des conflits transfrontaliers extrêmement graves pour l’appropriation des ressources. Relativement au contrôle de l’approvisionnement en eau, on sait par exemple tout le prix qu’attache Israël au contrôle du Jourdain, qu’il refuse de « partager » avec d’autres, qu’il s’agisse de la Jordanie ou d’un État palestinien indépendant.
Dans le même ordre d’idées, il va de soi que les mesures d’adaptation aux changements climatiques, tels que constructions de barrages ou prélèvements dans les fleuves et les nappes phréatiques dans un pays donné créeront des problèmes quasiment insolubles dans un autre, suscitant ainsi un nombre toujours croissant de conflits entre États.
Enfin Harald Welzer estime que les conflits se multiplieront dans le commerce international des matières premières et des sources d’énergie : bois ou diamant, pétrole ou gaz. Ces conflits violents entraîneront leur propre dynamique d’escalade, multipliant encore le nombre des réfugiés climatiques. La Croix-Rouge estimait leur nombre à 25 millions de par le monde en 2008, et l’auteur en prévoit entre 50 et 200 millions, soit le double au minimum, pour 2050.
La culture au sens anthropologique est-elle appelée à durer ? Cet ensemble de techniques qui a pour but d’accroître les chances de survie collective des groupes humains peut-elle encore se prolonger longtemps ? Pour Harald Welzer, là est la vraie question posée par les guerres du climat. L’auteur souligne en effet que l’expérience de la culture ne dure que depuis 40 000 ans, et 250 ans seulement dans sa version occidentale.
Or au cours de cette minuscule période au regard de l’histoire de notre espèce il s’est trouvé plus de ressources détruites que pendant les 39 750 années précédentes. Des ressources qui sont perdues non seulement pour le présent, mais également pour l’avenir. Voilà pourquoi la conclusion de l’universitaire allemand est claire : il faut prendre garde à ce que les guerres du climat ne sonnent pas le glas de la présence humaine sur la planète Terre.
La plupart des critiques de Harald Welzer pointent du doigt le même travers de son ouvrage : une complaisance dans le catastrophisme, une vision de l’avenir, si ce n’est du présent, résolument apocalyptique.
Ainsi, il n’est pas du tout assuré que le pire soit toujours le plus certain, même si au vu de la dernière décennie, l'urgence climatique semble être de plus en plus pressante.
Ouvrage recensé– Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle, Paris, Gallimard, 2009.
Du même auteur– Les Exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, 2007.– Avec Sönke Neitzel, Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 2013.