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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Chefs d’État en guerre

de Henri Bentégeat

récension rédigée parAna PouvreauSpécialiste des questions stratégiques et consultante en géopolitique. Docteur ès lettres (Université Paris IV-Sorbonne) et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auditrice de l'IHEDN.

Synopsis

Histoire

Au vu de la multiplication des opérations militaires menées par la France sur de lointains théâtres de guerre depuis le début du nouveau millénaire, le général Bentégeat s’interroge sur les relations entre les pouvoirs politique et militaire. En analysant les réactions de dix chefs d’État français et étrangers au fil de l’histoire mondiale, il tente à la fois d’identifier les qualités personnelles des gouvernants qui rendront possible le succès de toute action militaire menée sur le terrain et de discerner les défauts et les failles qui conduisent à l’échec et à la débâcle militaires. Ce faisant, l’auteur montre la validité des postulats du théoricien de la guerre Carl von Clausewitz, dont il admire la pensée, et selon lequel, le succès de la guerre repose en particulier sur l’indissociable trépied constitué par le Prince, le chef militaire et le peuple.

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1. Introduction

À travers dix portraits historiques de chefs d’État français et étrangers (Napoléon III, Abraham Lincoln, Georges Clemenceau, Winston Churchill, Staline, Adolf Hitler, Ben Gourion, Lyndon B. Johnson, François Mitterrand et Jacques Chirac), le général Bentégeat souligne la difficulté pour les gouvernants de présider à la conduite de la guerre. Il limite volontairement son analyse en débutant dans la deuxième moitié du XIXe siècle marquée par la guerre de Crimée (1853-1856) et la guerre de Sécession (1861-1865).

Si la guerre était dans l’Antiquité, selon le philosophe grec Héraclite, « la mère, la reine et la souveraine de l’Univers », elle est, dans les temps modernes, bannie et encadrée par le droit international. Mais il n’en reste pas moins que paradoxalement, loin d’avoir disparu des relations internationales, elle est omniprésente. Dans ce contexte, les chefs d’État n’ont d’autre choix que celui d’endosser leur rôle de chef des armées, avec les pièges que cela comporte.

La réflexion de l’auteur s’articule en deux parties distinctes. Au cours des huit premiers chapitres, l’auteur, fin connaisseur de l’histoire mondiale, juge de la pertinence de l’action militaire des gouvernants face aux multiples dilemmes surgis de la guerre. Dans les deux derniers chapitres, il tente d’évaluer avec la plus grande objectivité possible, le legs stratégique des présidents Mitterrand et Chirac, sous les ordres desquels il a servi.

2. Une galerie des portraits hauts en couleur

Pour cet ouvrage historique, le général Bentégeat a choisi des personnages à partir du milieu du XIXe siècle. En raison de l’évolution des techniques dans le domaine de l’armement et dans un souci de cohérence, il n’était pas pertinent, selon lui, de se placer dans une période antérieure. Chaque chapitre propose de manière originale trois parties permettant de retracer l’ascension d’un chef d’État vers le pouvoir, la nature des conflits qu’il doit affronter et son bilan stratégique.

Un certain équilibre existe entre les chapitres consacrés aux remarquables personnalités de Lincoln, Churchill, Clemenceau et Ben Gourion et ceux analysant l’action dans le champ militaire de personnages « maudits », tels que Hitler, Staline, et Lyndon B. Johnson. Dans la partie dédiée aux mandats de François Mitterrand et de Jacques Chirac, l’auteur saisit l’occasion d’apporter un précieux témoignage personnel.

Napoléon III apparaît quant à lui comme un cas particulier, un personnage étrange, indéchiffrable et mal cerné par ses contemporains, mais que l’auteur décrit malgré tout sous un jour nouveau et positif, car il considère que son passé d’exilé en Allemagne et en Suisse, puis ses relations particulières avec le Royaume-Uni, ont nourri chez lui une véritable vision européenne. La conséquence en est la réconciliation franco-anglaise et la fin des tensions qui perduraient depuis la guerre de Cent Ans. En dépit de sa vision romantique qui le pousse à mener deux tentatives de coup d’État, il est le premier chef d’État français à avoir une vision, où tous les conflits en Europe paraissent solubles.

Une expérience préalable de la guerre n’apparaît pas comme décisive dans le succès ou l’échec des chefs d’État sélectionnés, bien qu’elle puisse incontestablement avoir son utilité. À titre d’exemple, Napoléon III, malgré son ascendance et son expérience militaires, n’effectuera pas de choix judicieux en ce qui concerne les chefs militaires qui l’entoureront. Pour Lincoln, son expérience limitée – certes compensée par son sens politique – ne l’aidera pas à choisir non plus son entourage militaire, à l’exception du remarquable général Grant, qui l’aidera finalement à dominer la chose militaire.

Dans le cas de Churchill, son expérience militaire a constitué à la fois un avantage et un handicap. Il fut capable de mobiliser totalement son pays en dépit de ses erreurs lors de la Première Guerre mondiale.

Le président américain Lyndon B. Johnson constitue un cas d’école aux États-Unis, pays où le général Bentégeat exerça les fonctions d’attaché militaire. Précédé par un président charismatique (John F. Kennedy), Johnson apparaît comme le contre-exemple de ce qu’un président doit faire dans une démocratie moderne. Il eut, selon l’auteur, la pire gestion de la guerre au Vietnam, et alla à l’encontre de tous les principes fondamentaux de la guerre.

3. Les inévitables tensions entre pouvoirs civil et militaire

Comme le rappelle le général Bentégeat dans l’avant-propos de l’ouvrage, les relations entre les dirigeants politiques et les responsables militaires font souvent l’objet de tensions. Les chaînes de commandement présentées dans l’ouvrage sont toutes dominées par le pouvoir civil, comme cela est généralement le cas dans les démocraties modernes et témoigne donc de la soumission du pouvoir militaire au pouvoir politique.

« La théorie dominante veut que, dans la conduite de la guerre, le chef de l’État fixe les objectifs et ne se mêle pas des opérations militaires. On verra que, comme le disait Clausewitz, la question est plus complexe qu’il n’y paraît, les buts dans la guerre ne devant pas se substituer aux buts de guerre », écrit-il (p.8).

Pour l’auteur, les politiques et les militaires sont culturellement très différents et leurs rapports loin d’être naturels. Un fossé les sépare. Face à la guerre, le dirigeant politique doit savoir choisir des chefs militaires compétents – et non pas complaisants –, car cela conduit à la catastrophe, comme l’a montré l’expérience du président Johnson dans la guerre au Vietnam. Certains chefs d’État ont tendance à choisir des chefs militaires loyaux, mais inefficaces. Enfin, dans la plupart des cas, force est de constater que lorsque les chefs d’État s’approprient directement la conduite des opérations de guerre, le résultat est pire que s’ils en laissaient le soin à des chefs militaires choisis avec soin.

Clemenceau est le chef d’État en guerre que l’auteur semble le plus admirer, en raison de sa détermination à redonner confiance au peuple français en 1917. Mais tout en s’attirant le soutien indéfectible du peuple, il sut manipuler les grands chefs militaires que furent Foch et Pétain, illustrant ainsi une fois de plus l’ambiguïté des relations entre pouvoirs civil et militaire.

4. Les qualités requises d’un chef de guerre

Pour le général Bentégeat, le cœur de la fonction présidentielle en France est bien celui de la fonction de chef des armées du président de la République, car c’est par le biais de celle-ci que ce dernier engage à la fois la survie du pays, la vie de ses concitoyens et celle de milliers de soldats. Cet aspect est trop souvent ignoré, non seulement par les dirigeants politiques eux-mêmes, mais également par les citoyens, qui élisent l’homme ou la femme qui devra faire face à des conséquences tragiques si la survie du pays est en jeu. À cet égard, l’auteur considère que pour faire face à la guerre, un chef d’État doit avoir une vision claire du rôle de son pays, savoir quelles alliances il lui incombe de nouer. En outre, il doit savoir mobiliser son peuple et toutes les ressources du pays face à une menace terrifiante. À cet égard, on note que Clemenceau visitait régulièrement les soldats dans les tranchées. Churchill, qui a admirablement su mobiliser le peuple britannique tout entier pendant cinq ans autour d’un gouvernement d’union nationale, arpentait les rues de Londres pendant le blitz et fut remarquablement efficace dans l’organisation du soutien logistique.

En étudiant les réactions de ces chefs d’État face à la guerre, l’auteur prend note de leurs défauts manifestes dans cette épreuve inouïe. L’impatience est susceptible de provoquer un désastre. L’émotion excessive face à la mort omniprésente sur le champ de bataille peut conduire à la perte de toute rationalité. C’est pourquoi Churchill avait prévenu ses subordonnés qu’ils ne prennent en considération que ses seuls ordres écrits. Clemenceau, pour sa part, se donnait, pendant la guerre, vingt-quatre heures pour prendre des décisions importantes.

L’incapacité à mobiliser et à concentrer toutes les ressources de la nation lors d’un conflit peut avoir des conséquences tragiques et irréversibles. Lyndon B. Johnson essaya de conduire la guerre du Vietnam « en catimini », espérant faire aboutir son ambitieux projet de société. Le résultat fut une hécatombe de centaines de milliers de morts civils et militaires.

Dans l’optique de l’auteur, les grands chefs d’État en guerre sont ceux qui font preuve de dureté et de sang-froid, mais également d’une certaine dose de cynisme, nécessaire pour affronter les circonstances tragiques de l’effort de guerre, les exigences de l’union nationale et la nécessité impérieuse de poursuivre une action diplomatique dans des circonstances extrêmes.

5. Les spécificités du cas français

Les présidents Mitterrand et Chirac illustrent le concept de « monarques républicains », qui caractérise la position particulière des chefs de l’État français sous la Ve république. Le cas de François Mitterrand interpelle le lecteur, car ce président « qui n’aimait pas la guerre » (p.395) – dont il avait eu une expérience personnelle en 1939-1940, puis au sein d’un réseau de la Résistance – s’est laissé entraîner dans de nombreux conflits.

En tant que chef de guerre, il était partagé entre un réalisme froid et une passion romantique pour l’humanitaire. Dès son élection en 1981, ayant une très haute idée du destin de la France, il se sentit immédiatement investi de la responsabilité de chef des armées. La première guerre du Golfe l’a profondément marqué. Force est de constater que, lors de ses deux septennats, l’armée française fut engagée de manière quasiment continue au Liban, en Afrique, puis dans les Balkans. Les effectifs engagés en opération étaient souvent supérieurs à 10 000 hommes.

Jacques Chirac, au contraire, avait compris « la grammaire de la guerre ». Tandis que Mitterrand avait des idées générales sur l’équilibre des forces et un souci humaniste, qui lui faisaient considérer la guerre comme un outil au service de la diplomatie, Chirac avait une compréhension intime de la chose militaire. Il s’illustra paradoxalement avec la guerre qu’il décida de ne pas mener : la seconde guerre du Golfe en mars 2003.

Le général Bentégeat occupa la fonction de CEMP adjoint sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac, puis celle de CEMP, avant de devenir CEMA. Ce système n’existe qu’en France et dans certains pays africains qui l’ont copié. Le CEMP est le conseiller militaire au quotidien du Président de la République. Basé à l’Élysée, il informe le Président et transmet ses directives. Il est en plus responsable de la mise en œuvre éventuelle du feu nucléaire. Le président décide tandis qu’il revient au CEMP de s’assurer que la dissuasion nucléaire peut fonctionner.

Le CEMP est avant tout un conseiller et un transmetteur. Il n’a avec lui que cinq collaborateurs.Le CEMA, pour sa part, est hiérarchiquement supérieur au CEMP. Il commande les armées en opération. Parfois, des rivalités entre ces deux fonctions provoquent une tension dans le processus de prise de décision avec des conséquences potentiellement néfastes en temps de guerre en dépit de garde-fous institutionnels.

6. Comprendre la guerre

Pour le général Bentégeat, les principes fondamentaux de la guerre énoncés par Clausewitz sont toujours valides. Ils ne seront jamais remis en cause tant que les nations existeront, en dépit de l’irruption de nouvelles formes de guerre.

Ce théoricien militaire, obsédé par les victoires napoléoniennes, s’attela à discerner, dans son traité de stratégie militaire De la guerre, les conditions nécessaires à la victoire militaire. La guerre n’est pas un acte isolé, mais selon sa célèbre formule, le prolongement de la politique par d'autres moyens. Les gouvernants confrontés à l’irruption d’un conflitdevraient tenir compte du legs de Clausewitz dans leur processus de prise de décision, celui-ci demeurant une base de réflexion pour comprendre les conflits du passé et ceux d’aujourd’hui.

En premier lieu, dans l’optique clausewitzienne, s’il n’y a pas une profonde entente entre le pouvoir politique, les chefs militaires et le peuple, la victoire est impossible.

En second lieu, la guerre est un affrontement des volontés et cela se vérifie encore dans les conflits actuels. Pour vaincre, une nation doit se préparer à mener une lutte acharnée dans la durée. Dans nos démocraties, il est très difficile de mobiliser la nation sur une longue période. Cela constitue un obstacle dans la gestion de crises très complexes, telle que la crise actuelle au Sahel. En effet, nos démocraties modernes occidentales souffrent de devoir répondre en permanence à une besoin d’immédiateté.

Enfin, le déroulement de toute guerre est ponctué de développements imprévisibles. La multiplicité des acteurs et des moyens d’action peuvent rendre caduque la planification la plus aboutie : c’est la conséquence du « brouillard de la guerre », selon l’expression de Clausewitz, car, écrit celui-ci, « la grande incertitude liée au manque d'informations en période de guerre est d'une difficulté particulière parce que toutes les actions doivent dans une certaine mesure être planifiées dans une lumière crépusculaire, une sorte de brouillard ou de clair de lune, qui donne aux choses des dimensions exagérées, une image grotesque. »

7. Conclusion

Dans ce brillant ouvrage, qui a le mérite de n’être ni un traité théorique ou académique et qui est d’une lecture particulièrement agréable, le lecteur se familiarise avec aisance à différents types de conflits, qu’il s’agisse de guerres civiles, de guerres postcoloniales, de conflits mondiaux ou d’insurrections, illustrant ainsi la nature multiforme et protéiforme de la guerre, décrite par Clausewitz comme un caméléon.

L’occasion inédite est donnée au lecteur d’observer sous un angle nouveau la réaction de chefs d’État confrontés à des décisions difficiles dans la conduite des opérations militaires. Il peut également être conduit à s’interroger sur les possibles transformations de la fonction de chef des armées face au surgissement de nouvelles formes de guerres telles que les guerres hybrides et à l’utilisation de nouveaux moyens tels que les drones et les robots sur le champ de bataille.

Si l’auteur semble ne pas nourrir d’illusions inutiles sur les capacités de la puissance française, il considère indubitablement que la France jouit encore d’un prestige certain dans le domaine de la défense et que sa voix ne peut être ignorée sur la scène internationale.

8. Zone critique

Il est évident qu’à la suite des portraits particulièrement fascinants consacrés par le général Bentégeat à Churchill, Staline et Hitler, le lecteur aurait certainement été friand de lire une analyse de l’action menée par le général de Gaulle, notamment pendant la guerre d’Algérie. Mais l’auteur a certainement estimé que son jugement aurait pour effet de diviser l’opinion.

Par ailleurs, l’apparition de l’arme nucléaire ayant indubitablement changé la nature de la fonction de chef des armées dans les pays qui la détiennent, il eût peut-être été utile d’y consacrer un chapitre particulier. Si dans tous les exemples présentés, le pouvoir civil prévaut incontestablement sur le pouvoir militaire, l’auteur aurait pu évoquer de manière utile des cas, où ce sont les militaires qui dominent la chaîne de commandement. Au sein de l’Alliance atlantique par exemple, en Turquie, les militaires occupaient une place prééminente par rapport au pouvoir politique au sein de l’appareil d’État, jusqu’aux changements réalisés sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan.

Enfin, un index des noms cités et un glossaire auraient été utiles. Cette pratique demeure généralement rare dans l’ensemble des ouvrages publiés en France, à la différence de la tradition anglo-saxonne.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Henri Bentégeat, Chefs d’État en guerre, Paris, Perrin, 2019.

Du même auteur– Henri Bentégeat, Aimer l’armée : une passion à partager, Paris, Dumesnil, 2011.

Autres pistes– Michel Goya, Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Paris, Tallandier, 2014.– Jean-Claude Guillebaud, Le Tourment de la guerre, pourquoi tant de violence, Paris, L’Iconoclaste, 2016.– Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La Guerre au nom de l’humanité, Paris, PUF, 2017.– François Lecointre, Le soldat: XX?-XXI? siècle ?, Paris, Gallimard, 2018. – Bernard Penisson, Histoire de la pensée stratégique. De Sun Zi au nucléaire, Paris, Ellipses, 2013.– Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Paris, Perrin, 2017.– Pierre Servent, Les Présidents et la guerre, 1958-2017, Paris, Perrin, 2017.– Alexandra Shwartzbrod, Le président qui n’aimait pas la guerre. Dans les coulisses du pouvoir militaire 1981-1995, Paris, Plon, 1995.– Bruno Tertrais, Jean Guisnel, Le Président et la bombe, Paris, Odile Jacob, 2016.– André Thiéblemont, Cultures et logiques militaires, Paris, PUF, 1999.– Général Pierre de Villiers, Qu’est-ce qu’un chef ?, Paris, Fayard, 2018.

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