Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Henry Jenkins
Le panorama médiatique de ces vingt dernières années a assurément connu de profonds bouleversements que se propose d’explorer dans cet ouvrage Henry Jenkins. Que deviennent les anciens médias à l’heure des Smartphones ? Quelles sont les conséquences de l’effritement des frontières entre livre, cinéma, télévision ou encore jeu vidéo ? Les mèmes et autres phénomènes viraux ont-ils le potentiel d’alerter les autorités sur des enjeux citoyens ? Henry Jenkins propose de comprendre les nouveaux processus de production de la culture par le concept de « culture de la convergence ».
C’est armé d’exemples pléthoriques de la créativité des publics qu’Henry Jenkins amène à repenser, dans La Culture de la convergence, les liens entre les industries culturelles, les contenus médiatiques et les consommateurs d’une culture de masse longtemps dévalorisée.
Au fil de l’ouvrage, l’auteur parcourt des univers variés qui vont des fragiles paillettes de la télé-réalité aux terres magiques d’Harry Potter ou post-apocalyptiques de Matrix. Ce spécialiste mondialement reconnu des médias offre une vision nouvelle et rafraichissante des possibilités qu’offre la culture populaire à ses publics.
De la créativité individuelle des fan fictions et des communautés solidaires d’Internet basées sur le partage et la discussion, jusqu’à l’accueil des œuvres populaires dans les programmes scolaires et aux interpellations citoyennes des responsables politiques… ne nous y trompons pas : au-delà de ses formes récréatives, la « culture de la convergence », bien menée, se veut prometteuse d’un renouveau démocratique.
Avec le concept de « culture de la convergence », Henry Jenkins propose une approche nouvelle des liens entre anciens et nouveaux médias en repensant la place occupée par les publics dans la culture populaire. La convergence désigne un nouvel écosystème médiatique, qui est à la fois le prolongement de traditions anciennes et collectives de la culture populaire (narrations mythiques, réunions autour d’un récit, fables et contes…) et le renouvellement des relations entre industries et publics, relations rendues plus horizontales par les nouveaux médias (mise en réseau généralisée par Internet, ordinateurs et logiciels plus accessibles, terminaux de poche). Ces renouveaux culturels ne sont pas circonscrits au seul domaine culturel, mais trouvent des applications fortes dans le domaine de l’éducation, des médias, de la citoyenneté, de la démocratie.
Cette convergence reconfigure les relations entre les industries culturelles traditionnelles, qui se sont fortement consolidées au cours du XXe siècle, et les consommateurs de la culture populaire. Elle poursuit la logique descendante classique, dans laquelle les industries distribuent aux publics des biens culturels, mais encourage en même temps une logique ascendante, dans laquelle ceux-ci expriment de plus en plus leurs goûts et leurs dégoûts. Jenkins appelle à ne pas confondre la culture de la convergence avec la convergence économique (alliances voire fusions industrielles entre les entreprises des industries culturelles) ou avec la convergence technologique (l’idée que nos terminaux, box Internet, lecteur DVD, chaîne HI-FI, etc., convergeraient tous vers un seul et unique boitier).
Aussi, il ne faut pas non plus imaginer, prévient H. Jenkins, que les nouveaux médias remplacent aisément les anciens. L’auteur rappelle que si les « technologies de fourniture » (disquettes, cassettes, VHS…) sont destinées à devenir obsolètes, les médias, eux, survivent toujours aux nouveaux venus : la radio et le cinéma ont résisté à la télévision, et la télévision elle-même continue d’attirer du public, malgré l’avènement d’Internet. Certes, les nouveaux médias amènent des reconfigurations, mais elles sont à trouver dans les usages : Internet ne tue pas la télévision, industrie solide s’il en est, mais il apporte sur le marché de nouvelles manières de regarder la télévision. Les médias résistent en raison du temps et de l’énergie investis par les publics, qui deviennent très attachés au livre, à la radio ou à la télévision.
La culture de la convergence repose avant tout sur un constat concernant les nouvelles formes qu’ont pris les contenus culturels ces vingt dernières années. À ce titre, Jenkins mobilise de nombreux cas concrets. Il aborde des productions dont le succès doit beaucoup à l’investissement personnel et même affectif des publics comme Survivor et American Idol (en France, Koh Lanta et Nouvelle Star).
D’autres biens culturels comme Matrix, Star Wars et Harry Potter se succèdent dans l’ouvrage comme exemples d’univers narratifs en constante expansion et dont il est aujourd’hui impossible de tracer les limites. Aucun ne se laisse plus contenir à un seul média, à un seul récit ou à un seul public et, au contraire, les histoires se déroulent de façon simultanée et parfois complémentaire sur Internet, à la télévision, dans des jeux vidéo ou des bandes dessinées.
Ces redéploiements peuvent être à l’initiative du créateur ou de l’entreprise qui en exploite les droits, comme ce fut le cas pour Matrix, ou à l’initiative du public qui s’approprie des personnages pour poursuivre leurs aventures en dehors de leur terre d’origine, comme c’est le cas des fans publiant leurs propres récits ou photomontages, ce qui n’est pas sans poser de problèmes de copyright. Ces nombreux exemples montrent combien la perception habituelle que l’on se fait du consommateur de média est dépassée, plus largement erronée : loin d’être passif, avachi devant son écran, les individus qu’étudient ces analyses font preuve de comportements actifs, ingénieux, créatifs et souvent imprévisibles, qui les amènent à entrer en relation (directe ou indirecte) avec les professionnels de la culture populaire.
L’ambition de cet ouvrage est de penser ces interactions entre publics et industries : d’abord en cessant de penser que les premiers se contentent simplement de consommer ce que les secondes produisent ; ensuite en montrant que la participation forte des publics ne peut jamais être complètement contenue par les industriels ; pour finir en éclairant leurs constitutions en communautés amateures fortes et soudées. Les études montrent que ces individus se soutiennent mutuellement dans la production de contenus (des encyclopédies en ligne, blogs et fan fictions, mais aussi des tweets, vidéos et mèmes) jusqu’à constituer des groupes de pression sur les industries (les enjoignant de ne pas annuler tel programme, ou de cesser de favoriser tel ou tel candidat de télé-réalité).
Selon Jenkins, ces nouveaux dialogues entre anciens et nouveaux médias sont plutôt bien acceptés par les industries culturelles car ils leur offrent des avantages considérables, à une époque où elles sont, d’un côté, reconfigurées en gigantesques conglomérats (à l’instar, par exemple, des monstres Disney ou Warner Media), et, d’un autre côté, bouleversées par les phénomènes de téléchargement et de partage en ligne. Dans cette situation où, par des jeux de rachats permanents des uns par les autres, le panorama des industries est celui d’une concentration très forte des médias, c’est-à-dire où quelques entreprises dominent la majorité du marché, la convergence permet d’insuffler un renouveau créatif. Le rachat de Star Wars par Disney en 2012 lui permet de décliner la franchise dans ses films, bandes dessinées, jeux vidéo, mais aussi parcs d’attraction, boutiques de costume, etc.
Cette déclinaison des œuvres sur plusieurs médias peut aller jusqu’à une complémentarité forte des récits : c’est ce qu’H. Jenkins propose de nommer le « storytelling transmédia ». Ce terme désigne un contenu culturel qui se déploie sur plusieurs médias, et où chacun de ceux-ci apporte, avec ses spécificités techniques, une nouvelle facette à l’histoire. Matrix ne se laisse ainsi pas limiter à sa trilogie cinématographique, mais déploie des pans entiers de son récit dans la bande dessinée, le jeu vidéo, Internet ou encore les dessins animés… sans compter les déclinaisons amateures sous forme, par exemple, de fan fictions ou de fan arts. C’est bien une toute nouvelle économie narrative qui voit le jour, en même temps que de nouveaux espaces-temps de l’imaginaire.
Cette nouvelle architecture des récits requiert un investissement fort de la part du consommateur, qui doit naviguer sur plusieurs terminaux et formats pour obtenir de nouvelles informations et comprendre complètement le récit.
À une époque où les comportements des publics reposent de plus en plus sur du papillonnage dans l’offre pléthorique qui leur est faite, la culture de la convergence, et plus encore le storytelling transmédia, ont pour avantage d’ouvrir de nouveaux points d’entrées dans les univers culturels, et ainsi de démultiplier les possibilités de vente. La loyauté des publics est encouragée par ces formats qui les incitent à revenir sans cesse vers l’univers proposé, afin d’en explorer de nouvelles contrées. Ni purement économique ni simplement technique, la convergence est donc résolument culturelle : elle renvoie à l’expérience des gens, au quotidien.
La culture de la convergence dépend d’une « culture participative » qui se crée au gré de communautés. Celles-ci se constituent principalement en ligne mais elles peuvent connaître des émanations « IRL » (in real life : dans la vraie vie), comme c’est le cas des festivals autour de la culture populaire, où les participants sont souvent encouragés à venir déguisés (pratique nommée le cosplay). Ces groupes en ligne ont la spécificité de produire des commentaires sur les biens culturels qu’ils consomment, voire des créations originales, et se soutiennent dans ces expressions inventives.
Ces intérêts entrent parfois en contradiction avec ceux des producteurs : « les communautés qui, sur un certain plan, sont les meilleurs alliés du producteur, peuvent aussi, sur un autre, devenir ses pires ennemis » (p. 73).
Bien souvent, l’enjeu pour les industries culturelles est de trouver un juste équilibre entre autorisation et prohibition. Les pratiques amateures ont l’avantage de produire une publicité par le bas avec un enthousiasme sincère que les industries ne pourront jamais reproduire en réunion marketing ou en studio de tournage. Cependant, elles risquent en permanence d’empiéter sur le copyright, notamment quant aux significations que la production souhaite cadrer.
Par exemple, les relectures du récit par les fan fictions avec des tonalités politiques sont reçues avec méfiance, lorsqu’elles créent des histoires d’amour entre le Capitaine Kirk et Spock ou entre Harry Potter et son meilleur ami Ron Weasley.
Si la convergence ouvre les vannes de l’interprétation et de la réinterprétation par les publics, ceux-ci ne sont donc pas des électrons totalement libres : les entreprises médiatiques et culturelles n’ont pas perdu de leur pouvoir industriel, monétaire et stratégique. Lorsqu’elles estiment que la réappropriation est trahison, elles ne se laissent pas passivement déposséder de leurs productions.
L’ouvrage de Jenkins a ceci de subtil qu’il essaie de ne pas surestimer ni de sous-estimer les capacités d’action et de réactions des industries culturelles comme des publics. Il essaie plutôt de privilégier une compréhension des dialogues – souvent conflictuels – que les deux produisent au gré des contenus qui les mettent en relation : il est évident qu’une émission de télé-réalité (American Idol ou Survivor) ne produira pas les mêmes relations publics-industries qu’une trilogie cinématographique (Matrix).
En plus de la culture participative, la culture de la convergence repose sur l’intelligence collective, qui permet l’avènement de médias alternatifs élaborés de façon non-professionnelle. Le meilleur exemple en est l’encyclopédie en ligne Wikipédia, mais cette intelligence se décline aussi dans les discussions en ligne (forums, commentaires, réseaux sociaux). Elle repose sur la logique suivante : personne ne sait tout, mais chacun sait quelque chose et tous peuvent le mettre en commun.
Ainsi, l’intelligence collective décrit la capacité des publics à partager et à comparer leurs savoirs, tout en effectuant des contrôles mutuels pour limiter toute anarchie de sens ou désinformation. Elle est encouragée par l’accès libre aux plateformes de discussion même si, dans la pratique, cet élan démocratique de discussion généralisée n’est pas sans effets de hiérarchisations internes.
L’intelligence collective est favorisée par les productions massives des industries culturelles traditionnelles, une surproduction qui encourage les individus à échanger entre eux afin de choisir parmi une offre abondante. La nature pléthorique de la culture de masse, qui offre une multiplicité de supports, de genres et d’œuvres, en fait donc une culture éminemment collective : les individus ayant une énergie et un temps limités, ils ne peuvent tout lire, tout regarder, tout écouter.
Le choix, au quotidien, est souvent cornélien et amène les consommateurs à compenser leurs frustrations par des discussions dans toutes les sphères de l’existence (amis, famille, travail…) sur ce qu’ils ont vu ou au contraire raté. Ces échanges nourrissent de plus belle la connaissance et l’interprétation des biens culturels en circulation dans leurs vies.
Les retombées de cette intelligence collective ne sont pas seulement culturelles, mais aussi politiques. L’intelligence collective redistribue en partie le pouvoir entre les mains des citoyens qui, armés de leurs smartphones, ordinateurs ou encore tablettes, peuvent interpeller les États, les gouvernements et les politiciens. La culture populaire a ainsi des effets à long terme sur des sphères jugées plus « sérieuses » comme la politique, l’éducation ou le droit.
L’auteur montre à quel point les mèmes et autres phénomènes viraux ont participé de la campagne en ligne de Barack Obama en 2008. L’enjeu politique, démocratique même, est qu’à travers l’ouverture des médias et la convergence des contenus, la culture populaire se trouve saisie comme un langage, une ressource pour l’expression citoyenne.
La culture participative et l’intelligence collective forment les deux faces de la culture de la convergence, et encouragent la prise de parole publique et l’engagement politique.
On peut, selon Henry Jenkins, guetter les expressions de cette culture contemporaine dans quatre domaines : elle se trouve dans les communautés en ligne (réseaux sociaux, forums, jeux), mais aussi dans les expressions individuelles à l’origine de nouvelles formes de créations (mèmes, fan fictions, skins, mash-ups…), ainsi que dans les résolutions de problème par le collectif (découvrir avant la diffusion les gagnants d’une émission) et, enfin, dans la circulation de contenus qui floutent les frontières traditionnelles entre producteur et consommateur (podcasts, blogs).
Ces histoires en circulation dans la société deviennent plus nombreuses et variées, apportant avec elles une meilleure représentativité d’individus et de groupes sociaux jusqu’ici exclus des médias traditionnels.
Dans l’étude des médias et de la culture populaire, cet ouvrage d’H. Jenkins fait autorité. Nourris de nombreux cas concrets, écrit par un universitaire si connaisseur du milieu qu’il se décrit lui-même comme un « aca-fan » (un académicien fan), La Culture de la convergence offre une critique argumentée des utopies qui annonçaient, au début des années 2000, une « Révolution numérique » démodant tous les vieux médias. En lieu et place, l’ouvrage dégage les nouvelles dynamiques de la culture de masse et ses potentialités pour la vie citoyenne.
Dans le même temps, l’ouvrage n’est lui-même pas exempt d’un optimisme franc, voire d’une certaine utopie, quant aux capacités créatives des individus et aux rapports sociaux qui les lient aux industriels. H. Jenkins n’aborde que rapidement les inégalités d’accès aux médias ainsi que les inégalités d’usages : l’accès à Internet ou aux Smartphones est loin d’être universel et l’on peut tout à fait disposer d’un terminal ou d’un logiciel sans savoir s’en servir, comme cela est souvent le cas auprès des populations défavorisées ou vieillissantes.
Ouvrage recensé
– La Culture de la convergence. Des médias au transmédia, Paris, Armand Colin, coll. « Médiacultures », 2013 [2006].
Du même auteur
– « Rethinking ‘Rethinking Convergence/Culture’ », Cultural Studies, 28, 2014.– Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, Londres, Routledge, 1992.
Autres pistes
– Hay James, Nick Couldry, « Rethinking Convergence/Culture : An Introduction », Cultural Studies, 25,? 2011.