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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Diplomatie

de Henry Kissinger

récension rédigée parAna PouvreauSpécialiste des questions stratégiques et consultante en géopolitique. Docteur ès lettres (Université Paris IV-Sorbonne) et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auditrice de l'IHEDN.

Synopsis

Histoire

Diplomatie est un volumineux ouvrage écrit par Henry Kissinger à l’aube d’un nouvel ordre mondial issu de l’effondrement du monde bipolaire de la guerre froide. L’auteur y promeut la théorie réaliste des relations internationales à travers l’analyse de l’exercice de la diplomatie par les grandes puissances entre les XVIIe et XXe siècles. Les portraits de personnages historiques alternent avec des réflexions sur des périodes spécifiques de l’histoire (ex. la Détente), des chapitres développant des concepts particuliers de l’approche kissingerienne et des analyses rétrospectives sur des conflits passés tels que la guerre du Vietnam.

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1. Introduction

À première vue, l’ouvrage de Henry Kissinger propose au lecteur une étude retraçant l’histoire de la diplomatie occidentale sur une période de quatre cents ans. En s’attachant à analyser l’action diplomatique de personnages historiques tels que Richelieu, Guillaume d’Orange, Bismarck, Metternich, Napoléon III, de Gaulle ou Reagan, l’auteur fournit à son lectorat américain les bases d’une réflexion sur les différences de perception du monde et de l’Histoire entre l’Europe et l’Amérique.

En filigrane, il y défend le concept bismarckien de Realpolitik qui favorise, dans le domaine des relations internationales et de la diplomatie, le choix du pragmatisme sur toute considération morale ou idéologique. Selon lui, il s’agit de « la politique étrangère fondée sur l’estimation des rapports de force et l’intérêt national ». Par ce biais, cet ouvrage permet à son auteur, en tant que maître d’œuvre de la diplomatie américaine pendant plusieurs décennies, à la fois, de se placer sur un pied d’égalité avec de grandes figures historiques et d’inscrire dans l’Histoire ses propres actions diplomatiques tout en leur apportant une justification morale.

Les chapitres de l’ouvrage empruntent des formes variées. Kissinger y manie souvent avec brio des concepts philosophiques complexes qu’il ponctue ici ou là d’anecdotes. Son acerbe capacité d’analyse lui permet d’une part, d’établir des parallèles particulièrement intéressants entre diverses crises diplomatiques survenues au fil des siècles, et d’autre part, de discerner des schémas et des dynamiques particulières permettant ainsi aux spécialistes des relations internationales de rationaliser l’étude de leur domaine.

2. Des traditions européenne et américaine divergentes

Au fil des pages, Henry Kissinger tente de démontrer l’existence d’une dichotomie entre la froideur et le raffinement qui caractérisent la diplomatie des puissances européennes par comparaison avec l’idéalisme, l’optimisme, l’altruisme et une certaine naïveté dont témoignerait l’action diplomatique des États-Unis depuis la création du pays.

Fondateur de la diplomatie européenne au XVIIe siècle, Richelieu s’appuie sur la notion d’État-nation et axe avant tout son action d’une part, sur la raison d'État plutôt que sur la primauté des principes, et d’autre part, sur la défense de l'intérêt national plutôt que sur la coopération entre les puissances. Une de ses motivations principales, comme en a témoigné son Testament politique, est la construction d’un État fort contre les ennemis extérieurs de la France. La Grande-Bretagne souligne, pour sa part, au siècle suivant, l’importance de la recherche de l'équilibre des forces plutôt que celle de la sécurité collective. Quant à l’Allemagne de Bismarck, elle contribua à transformer la diplomatie européenne « en un jeu impitoyable de politique de puissance » (p. 9).

Par contraste, bien que bipolarisée entre les perceptions idéaliste (Woodrow Wilson) et réaliste (Théodore Roosevelt) des relations internationales, la diplomatie américaine demeure, quoi qu’il en soit, guidée par l’universalisme et le messianisme de ses idéaux. Ces deux dernières caractéristiques constituent à la fois une force, car elles génèrent une puissante dynamique, mais également une faiblesse, en raison de l’aveuglement des États-Unis face aux différences culturelles des autres puissances.

3. Une galerie de portraits

Dressant une fresque historique sur la pratique du pouvoir et la conduite de la diplomatie par les grandes puissances, Kissinger choisit d’illustrer sa perception en analysant l’action d’une série de grands hommes d’État à travers les époques et en ponctuant son analyse de diverses anecdotes. Il en ressort que le mérite de ces grands personnages historiques a été de parvenir à un équilibre par le biais de l’action diplomatique, en combinant pouvoir et légitimité.

Par le biais des portraits de Richelieu et de Metternich, Kissinger dissèque le système européen d’équilibre des puissances et met en avant le principe du respect de la souveraineté des États tel que permettent de le comprendre les traités de paix Westphalie signés le 24 octobre 1648 à Münster et Osnabrück, qui mirent fin, dans l'espace germanique, à la guerre de Trente Ans.

Consacrant au XXe siècle la majeure partie de l’ouvrage, l’auteur met en exergue la contribution des présidents américains successifs – de Woodrow Wilson à Bill Clinton – à la grandeur des États-Unis, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Guidée par des principes universels, l’Amérique lance le Plan Marshall pour reconstruire l’Europe et façonne l’Alliance atlantique pour en assurer la défense, en axant son action diplomatique sur le partage, à l’échelle planétaire, de ses valeurs.

C’est à travers un tel prisme que l’auteur fait par exemple le bilan de l’action de Ronald Reagan en matière de politique étrangère, laissant transparaître, de manière surprenante, la dimension messianique de ses mandats présidentiels (1981-1989) sur fond d’idéalisme.

4. Les concepts « kissingeriens »

Dans ses mémoires parus en 1979 et 1982, l’auteur décrit avec force détails le déroulement de ses mandats au sein de deux administrations républicaines. Dans Diplomatie, il clarifie les concepts-clé de son approche des relations internationales parmi lesquels on peut citer :

• La « diplomatie triangulaire » (Triangular Diplomacy), dont il fut l’architecte. Kissinger rappelle au lecteur comment l’alliance informelle entre Washington et Pékin s’est nouée, pendant la guerre froide, sous l’administration Nixon, afin de faire face à la menace soviétique, alors que d’autre part, les superpuissances américaine et soviétique tentaient d’optimiser leurs relations bilatérales. Il cite à cet égard le président américain : « Nous ne devons pas oublier la Chine. Nous devons saisir toutes les occasions d’entamer le dialogue avec elle comme avec l’URSS » (p. 654), et ce en dépit de la politique d’endiguement du communisme (« containment ») mise en œuvre à compter de 1947.

• « L’équilibre des forces » (« Balance of Power ») entre États souverains ou équilibre des puissances, désignait à l’origine le système politique de l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. Kissinger a fait de cette réalité politique à la fois un concept central et une véritable stratégie politique. Il illustre dans Diplomatie comment, par leur action, Richelieu, Wallenstein, Talleyrand, Palmerston, Metternich, sont parvenus, par exemple, au fil des siècles, à conférer un ordre au monde, en appliquant ce concept.

• La « diplomatie de la navette » (Shuttle Diplomacy), dont il est également à l’origine, et désigne l’action d’une tierce partie servant d'intermédiaire entre les belligérants d’une crise ou d’un conflit, comme l’a illustré, en 1974, l’action diplomatique qu’il mena afin de désengager les forces israéliennes, égyptiennes et syriennes, à la suite de la Guerre du Kippour déclenchée le 6 octobre 1973.

• Enfin, Kissinger demeure l’artisan de la politique de détente (Policy of Détente) entre les États-Unis et l’Union soviétique. À la suite de la crise des missiles de Cuba en 1962, celle-ci permit de favoriser le dialogue entre les deux superpuissances, jusqu’à l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques en 1979.

5. L’obsession vietnamienne

Kissinger consacre trois chapitres de son ouvrage au conflit vietnamien, conflit déjà analysé dans ses deux volumes de mémoires précédents. Cette période constitue manifestement pour lui un tournant pour l’Amérique : « En l’espace d’une génération, écrit-il, l’Amérique avait traversé la Seconde Guerre mondiale, la Guerre de Corée et quinze années de crises nées de la guerre froide. Le Vietnam fit déborder la coupe, le sacrifice se révéla trop insupportable parce qu’il se situait aux antipodes des valeurs et des attentes traditionnelles de l’Amérique » (p. 612). Pour rappel, il conclut les Accords de paix de Paris mettant fin à l'engagement militaire américain au Vietnam en 1973, et reçut pour cela le Prix Nobel de la Paix la même année.

Dans son ouvrage, feignant de se mettre en retrait, Kissinger saisit l’occasion de défendre la politique étrangère de Richard Nixon. Il met par exemple en avant le concept de « vietnamisation » qu’il juge, en rétrospective, « la meilleure des options disponibles ». Cette politique visait à attribuer un rôle croissant aux forces sud-vietnamiennes dans les combats tout en réduisant le nombre de troupes américaines. Il y défend également les bombardements américains menés au Cambodge contre de supposés convois du Viêt-Cong, entre 1969 et 1973. Ils auraient fait 100 000 morts et 2 millions de déplacés. Il aurait également donné son feu vert, en tant que Secrétaire d’Etat, à 3875 bombardements dans la première phase de cette campagne.

Kissinger juge, près de trois décennies après l’entrée en guerre des États-Unis au Vietnam (1965), avec un grand détachement, que les dirigeants américains n’auraient pas suffisamment déterminé leurs objectifs à atteindre et évalué les coûts de cet engagement de même qu’ils n’auraient pas élaboré une politique réaliste leur permettant de vaincre. Ce faisant, il se dissocie de ces mêmes dirigeants et minimise les conséquences de ses propres actions.

6. Conclusion

Dans cet ouvrage, dont le genre reste à définir tant le style est varié, Kissinger défend subrepticement le lourd bilan de son action diplomatique tout en tentant de discerner les futurs contours de la diplomatie américaine dans l’immédiat après-guerre froide. Il pressent qu’avec l’effondrement du communisme, les États-Unis, en tant que seule superpuissance, se retrouveront d’autant plus écartelés entre la vocation messianique et la tentation de l’isolationnisme.

L’auteur, qui entend bien continuer à modeler la politique étrangère de son pays dans cette nouvelle phase de l’Histoire mondiale, plaide en filigrane pour un nouvel ordre mondial stable au sein duquel l’Amérique, de par sa nature exceptionnelle, sera la cheville ouvrière.

7. Zone critique

À travers Diplomatie, Kissinger répond à ses nombreux détracteurs qui l’ont accusé d’avoir, par son action diplomatique, attisé certains conflits plutôt que de les avoir résolus, provoquant ainsi la perte de centaines de milliers de vies humaines.

Il fut par exemple considéré comme responsable d’avoir préparé le terrain au génocide perpétré par les Khmers rouges (1975-1979). Il écrit à cet égard dans Diplomatie : « Prétendre que ce sont les actions américaines qui en firent des tueurs a autant de validité que les bombardements américains en Allemagne furent à l’origine du génocide des Juifs » (p. 629).

Outre la Guerre du Vietnam, les critiques le visant à travers les époques sont multidirectionnelles et concernent son implication, ou tout au moins son soutien tacite, notamment dans les années 1970, à plusieurs épisodes tragiques en Amérique latine (coup d’État au Chili en 1973, Opération Condor de lutte antiguérilla dans les années 1970, coup d’État en Argentine en 1976) ou bien en Asie (génocide du Pakistan contre le Bangladesh en 1971, invasion du Timor oriental par les troupes indonésiennes en 1975). Son manque d’empathie face au sort des refuzniks (juifs d’Union soviétique candidats à l’émigration) lui fut également reproché.

Le concept de Realpolitik, développé au vingtième siècle par le théoricien des relations internationales Hans J. Morgenthau, dont Kissinger s’inspira, est souvent décrié et utilisé pour désigner une politique étrangère empreinte de cynisme, ouvrant ainsi le champ à une diplomatie plus moraliste ou moralisatrice.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Diplomatie, Paris, Fayard, 1996 [1994].

Du même auteur– À la Maison-Blanche, 1968-1973, (2 tomes), Paris, Fayard, 1979. – Les Années orageuses (2 tomes), Paris, Fayard, 1982.– Les Années de renouveau : Le dernier volume des mémoires, Paris, Fayard, 2000. – La Nouvelle puissance américaine, Paris, Fayard, 2003.– De la Chine, Paris, Fayard, 2012.– L’Ordre du monde, Paris, Fayard, 2016.

Ouvrages critiques– Richelieu, Testament politique, Paris, Perrin, 2011 [1688].– Seymour M. Hersh, The Price of Power: Kissinger in the Nixon White House, New York, Summit Books, 1983.– Walter Isaacsson, Kissinger, New York, Simon and Schuster, 1992.

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