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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Pour sauver la planète

de Hervé Kempf

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Science et environnement

Depuis les années 1980, le capitalisme a changé de visage, c’est-à-dire de moteur. Permise par le flottement des monnaies, favorisée par l’informatique, la mainmise de la finance sur l’économie aboutit aujourd’hui à une impasse économique, sociale et écologique. Nous atteignons en effet les limites de la biosphère, et le réchauffement menace l’avenir de la planète. L’avenir ne dépend donc pas de technologies miraculeuses, mais d’une remise en cause du capitalisme et de la croissance qui le nourrit, pour bâtir un monde où le bien commun remplacera la quête du profit.

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1. Introduction

L’affaire Kerviel est exemplaire à plus d’un titre. Quand le trader fait perdre près de cinq milliards d’euros à la Société Générale, les magistrats chargés de l’instruction ordonnent son expertise psychiatrique. Comme s’il n’y avait pas de précédents. Comme si la rationalité était à chercher du côté du marché et des mécanismes de spéculation.

Ce faisant, ils reproduisent le schéma qu’impose le libéralisme depuis plusieurs années, en particulier dans le monde économique : réduire la relation sociale au couple moi/autrui.En témoignent l’individualisation des contrats de travail ou les incitations à sortir du salariat, en créant sa propre entreprise, ce qui met chaque individu forcément « libre » en concurrence avec tous.

Cet individualisme moderne nourrit une névrose collective, qu’expriment les suicides dans des entreprises comme France Télécom. Il a été théorisé par la philosophe Ayn Rand, bien connue des ultra-libéraux américains, et popularisé de ce côté-ci de l’Atlantique par Margaret Thatcher, pour qui « la société n’existe pas », car il n’y a que des individus et des familles.

En d’autres termes, l’organisation sociale n’a pas à être remise en cause : si l’individu réussit ou échoue, il le doit à lui-même. C’est sur ce ressort idéologique que prospère le capitalisme.

Il est à l’œuvre partout. Kempf cite cruellement le Petit livre vert de la fondation Nicolas Hulot, où l’on se situe du point de vue de l’individu : « Je réutilise les objets », « Je refuse les traitements chimiques »… Mais la fin du sentiment collectif détruit d’abord les solidarités. Le mouvement syndical se disloque, la violence individuelle vient pallier l’absence de représentation des plus démunis. D’où le renforcement continu des dispositifs de maintien de l’ordre. Le nombre de vigiles augmente de 8,5% par an en France.

2. Une consommation sans limites

Les liens sociaux étant d’importance secondaire, le plaisir ne vient plus de l’interaction avec les autres. Vivre, c’est désormais consommer, d’autant que dans un univers inégalitaire, comme l’expliquent Jean Baudrillard (avec le système des objets) et Thorstein Veblen (avec sa théorie de la rivalité ostentatoire), la compétition passe par la suprématie symbolique.

Cette vision particulière de l’existence est entretenue par la télévision, que la classe des consommateurs (un milliard et demi de Terriens) regarde en moyenne trois heures par jour. On se souvient de la formule de Patrick Le Lay, le directeur de TF1 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible. » On oublie presque que Baby First et Baby TV diffusent leurs programmes à des bébés de six mois à trois ans. Ce qui fait bondir les pédopsychiatres ; mais la mondialisation est aussi culturelle. Avec les écrans et la publicité (530 milliards d’euros de CA), le mode de vie occidental impose ses normes et ses comportements. Résultat : dans un marché étendu à la planète entière, tout se vend et tout s’achète.

Kempf cite le cas des mères porteuses (légales en Californie, mais moins chères en Inde : 7500$, sans les frais), des ventes d’organes (5% des greffes légales) et de la prostitution (2 à 14% du PIB de pays comme la Thaïlande). C’est-à-dire le trafic d’êtres humains, enfants compris. Si des bordels légaux ont accompagné la coupe du monde de football en Allemagne, alimentés par 40 000 prostituées venues en renfort, la pornographie est devenue une véritable industrie : 10 000 films sont tournés chaque année aux États-Unis, pour un CA de 10 milliards de dollars. C’est une façon de répondre aux frustrations d’individus toujours en quête de biens. C’est surtout l’aveu que des activités délétères obtiennent droit de cité, quand elles font l’objet d’un marché actif.

« Le plus étonnant n’est pas tant la violence de l’exploitation […] que l’indifférence et l’acceptation implicite qu’elle rencontre dans une culture qui place officiellement les droits de l’homme au pinacle de son échelle de valeurs […]. Le capitalisme arrivé à son apogée n’a plus à s’embarrasser des idéaux dont il prétendait naguère encore recouvrir sa réalité profonde » (p. 65).

3. L’appât du gain ou le triomphe de la finance

Pour l’auteur, le capitalisme est un « état social dans lequel les individus sont censés n’être motivés que par la recherche du profit et consentent à laisser régler par le mécanisme du marché toutes les activités qui les mettent en relation » (p.69). Dans ce cadre, la frontière entre activités licites et illicites est d’autant plus floue que le système financier n’a plus qu’un rapport lointain avec l’économie réelle.

Il ne faut pas y voir les seules retombées du flottement des monnaies (1971) et de la hausse des taux d’intérêt américains (1980). Le marché financier est devenu « un système de cavalerie » généralisé, par le biais de la titrisation, opération qui transforme une dette en produit financier, à l’image des subprimes à l’origine de la crise de 2008.

La financiarisation de l’économie doit beaucoup à l’informatique, mais aussi à la corruption, « un de ses principaux moteurs ». La libre circulation des capitaux, en particulier dans les pays offshore qui concentrent 50% de l’activité bancaire internationale, facilite les pots-de-vin, l’évasion fiscale et les abus de biens sociaux. Ces paradis fiscaux privent les collectivités des ressources dont elles ont besoin pour réduire les injustices sociales et mettre fin à la crise écologique.

Une réglementation complaisante, conçue par des élites qui font par ailleurs des allers-retours entre public et privé, suscite l’apparition de caisses noires, la manipulation du cours des actions, la modification des dates d’attribution des stock-options… alors que les dirigeants ne paient plus leurs erreurs. À la tête d’Alcatel-Lucent, qui avait perdu 3,5 milliards d’euros et 16 500 emplois, Patricia Russo a ainsi demandé un parachute de 6 millions d’euros.

Corruption et financiarisation de l’économie ne sont que deux aspects du capitalisme contemporain. Kempf y associe la hausse de la productivité, et la forte remontée des inégalités à partir des années 1980. Dans tous les pays occidentaux, les riches deviennent encore plus riches, selon une logique qui conduit au désastre social et écologique.

Nous sommes en effet entrés dans l’ère de l’anthropocène. Comme l’a souligné la société des géologues britanniques en 2008, l’humanité est désormais un agent géologique, qui laisse sa trace dans la stratigraphie de la planète en raison de ses interventions. Nous sommes donc à un point de rupture, et ce n’est pas la « croissance verte » qui va changer la donne.

4. Verte et pas mûre

Faut-il rappeler que dans le sud de la Biélorussie, 1,5 million d’habitants vivent toujours en zone contaminée ? Même si elle ne produit pas de gaz carbonique, l’énergie nucléaire reste dangereuse, marquée par un risque de prolifération (Iran, Corée du Nord…) et à la merci d’un accident. Par ailleurs, nous ne savons toujours pas quoi faire des déchets. Bref, multiplier les 436 réacteurs en service dans le monde (en 2007) n’a tout simplement aucun sens. L’hypothèse haute retenue par les agences internationales dans le cadre de l’action climatique supposerait la mise en service de 610 réacteurs d’ici à 2030, soit 25 par an à raison de 5 à 12 milliards le réacteur.

Cet exemple est tout à fait symptomatique de la façon dont le capitalisme aborde la question du changement climatique. La technologie est censée tout résoudre, y compris la technologie éolienne. Mais pour Areva, EDF, Suez ou Enel, elle n’est qu’un moyen de réaliser des profits. Une opportunité qui participe de « la frénésie de construction de capacités électriques engagée dans les pays occidentaux » (p.87), artificialisant un peu plus les terres.

Kempf a également mené l’enquête en mer du Nord, où la plate-forme Sleipner capture et stocke une partie du gaz carbonique (CO2) présent dans le gisement gazier. Son taux atteint 9,5% contre 2,5% en moyenne pour la mer du Nord. La Norvège ayant émis une taxe sur les rejets de CO2, un million de tonnes est injecté dans un aquifère salin, à 800 mètres de profondeur. Technique pionnière, mais Sleipner utilise une centrale de 6 MW pour comprimer le CO2, ce qui rejette du gaz et alourdit la facture. Au point que la plate-forme rejette 0,9 Mt dans l’atmosphère. En fait, la taxe compense le traitement du gaz naturel, que l’industrie rend obligatoire…

En Indonésie, l’auteur décrit les dégâts provoqués par la culture des palmiers à huile, induite par les agrocarburants. Un scandale, selon le rapporteur de l’ONU pour l’alimentation. Car la déforestation, le CO2 généré par les incendies de tourbières et l’accentuation de la pénurie alimentaire rendent le remède pire que le mal.

5. Développement durable et équitable

On pourrait multiplier les exemples (arbres génétiquement modifiés, véhicules à hydrogène…). Le charbon va rester le principal combustible des centrales électriques. Un tableau désespérant si l’on reste dans le cadre de la pensée dominante, qui fait un dogme de la croissance du PIB et considère le changement climatique comme un phénomène isolé, ramené finalement à une simple question énergétique.

C’est oublier le caractère global de la crise écologique : disparition des espèces, acidification des océans, perte de biodiversité, ressources en voie d’épuisement… Les enjeux sont donc vitaux, pour nous et les générations futures, ce que traduit la notion de développement durable. Notion politique qu’il faut formaliser en termes économiques : dans l’avenir, quel sera le coût de nos décisions actuelles ? Kempf renvoie au taux d’actualisation, crucial dans le débat sur le changement climatique. Avant de conclure qu’il correspond à un choix politique. Et, au-delà, à un choix de société.

Réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) exige en effet une forte réduction de la consommation d’énergie. C’est le seul choix possible, et il a fait ses preuves. Cette sobriété énergétique suppose toutefois une politique de redistribution. Non par idéologie, mais parce que le transport et le chauffage, les deux domaines où le gisement d’économies est le plus important, pèsent davantage dans le budget des ménages modestes.

Premiers producteurs de CO2, les pays riches doivent donc changer leur logiciel pour entraîner la planète. Là encore, il n’y a pas le choix : si les pays émergents consommaient autant d’énergie que ceux de l’OCDE, la consommation mondiale serait multipliée par trois, quatre ou cinq. Impossible.

6. Vivre, produire et consommer autrement

Moins d’énergie, c’est aussi moins de consommation, et pas seulement ostentatoire. Cela passe par une amélioration des procédés et par une politique délibérée, qui peut se décliner en trois axes : le rationnement, volontaire sous peine de devenir autoritaire (de l’arrosage des pelouses à l’émission de GES), la réduction des inégalités, et un système de prix qui intègre la dimension écologique.Il faut en effet considérer que le mécanisme de marché n’évalue pas correctement les ressources de la nature ; il ne tient pas compte des mécanismes des écosystèmes (les effets de seuil, en particulier). C’est pourquoi il faut imaginer une tarification progressive où, par exemple, le prix de l’eau augmente quand sa consommation augmente.

À l’inverse, un bien partagé (une voiture, une tondeuse…) reviendra moins cher. Hervé Kempf ne remet pas en cause l’économie de marché, mais il en distrait des biens communs essentiels, « qui ne seront pas gérés comme des marchandises » (semences, génome, biens culturels…).

Il propose également de réduire le temps de travail, de proscrire le travail dominical, de manger moins de viande, de réduire la spéculation foncière pour limiter l’étalement urbain… En un mot, de changer le concept même de développement, avant d’y être contraint.

Les tenants de la croissance peuvent crier au cauchemar, mais quelques exemples montrent déjà que le changement peut s’opérer sans douleur : les sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP), les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (réseau des AMAP), le covoiturage, les logiciels libres… pour ne citer que des exemples français. En Europe, l’économie sociale et solidaire (mutuelles, associations…) pèse pour 10% dans le PIB.

À l’occasion, il faut revenir en arrière, et imposer les hauts revenus, taxés à hauteur de 91% aux États-Unis dans les années 1950, contre 15% aujourd’hui. La taxation de tous les hauts revenus « est un préalable pour aller vers la justice, condition de l’harmonie sociale, et rendre à la collectivité les sommes qui lui ont été volées » (p.126). C’est une suggestion de l’ONU, qui a fait ses calculs. Prélever seulement 5% de la fortune des dix millions de millionnaires de la planète (40 700 milliards de dollars) permettrait d’atteindre les « objectifs du millénaire » visant à réduire la faim et la pauvreté pendant plusieurs années.

7. Conclusion

Dans la foulée, Kempf propose l’instauration d’un revenu maximal admissible. « Le moment est venu de sortir du capitalisme, en plaçant l’urgence écologique et la justice sociale au cœur du projet politique » (p.9). Il faut donc rechercher le bien commun plutôt que le profit, la coopération plutôt que la compétition (entre individus ou entre nations), l’écologie plutôt que l’économie.

En un mot, il s’agit de renverser un schéma implanté depuis trente ans, en considérant que l’individualisme enferme et que la solidarité libère. « Si l’on ne parvient pas à imposer des logiques coopératives au sein des sociétés, prévient l’auteur, l’évolution autoritaire du capitalisme le poussera à l’agressivité sur le plan international » (p.134).

8. Zone critique

Écrit avant Fukushima (2011), avant l’élection de Trump, avant le mouvement des Gilets jaunes, cet ouvrage peut sembler daté. Mais ces événements ne font qu’en souligner l’actualité et la pertinence. Les travaux des économistes, des climatologues, des altermondialistes, également. C’est que Hervé Kempf ne fait jamais passer les idées avant les faits. Il nous livre une réflexion nourrie par trente années de terrain : des sables bitumineux de l’Alberta aux salons de la Compagnie financière de Rothschild quand elle lance un fonds d’investissement destiné aux valeurs d’environnement.

Rompu à l’envers du décor, il ne cède pas aux effets de mode. C’est d’ailleurs pourquoi il insiste tant sur l’enjeu que représente aujourd’hui l’agriculture : comment lui éviter de tomber sous la coupe complète d’un modèle technico-économique qui détruit l’environnement, hypothèque la génétique, ruine la paysannerie et compromet notre santé ?

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Seuil, 2009.

Du même auteur– Comment les riches détruisent la planète, Paris, Seuil, 2007.– La Guerre secrète des OGM, Paris, Seuil, 2003 (réédité en 2007).– Notre-Dame-des-Landes, Paris, Seuil, 2014.– Fin de l’Occident, naissance du monde, Paris, Seuil, 2013.– Tout est prêt pour que tout empire. 12 leçons pour éviter la catastrophe, Paris, Seuil, 2017.

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