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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Robespierre

de Hervé Leuwers

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Robespierre incarne à lui seul une grande partie de la Révolution française, son souffle épique et son soufre aussi. L’homme fut chargé de tous les maux et couvert de tous les éloges avant même son élection au Comité de salut public, en juillet 1793. Aujourd’hui, beaucoup lui attribuent la Terreur et les massacres de Vendée ; d’autres soulignent son combat pour le suffrage universel, sa dénonciation de la peine de mort et de l’esclavage, sa défense d’un pays menacé, son rêve d’une république qui offre à tous les hommes une égale dignité. Dans cet ouvrage, Hervé Leuwers entend dépasser ce paradoxe, bousculant les présupposés et analysant des sources restées longtemps inédites. Il y dévoile un homme d’État, mais aussi une personnalité complexe, dérangeante, mais pourtant souvent généreuse.

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1. Introduction

Dans cette biographie de Robespierre, Hervé Leuwers entend apporter un nouvel éclairage sur un personnage de notre histoire qui a fait couler beaucoup d’encre. Certains ont vu en lui un pur démocrate, un ami du peuple prêt au sacrifice suprême, mais injustement calomnié, dont le message reste un espoir pour les générations futures ; ils l’ont perçu comme l’Incorruptible, l’homme qui a revendiqué le suffrage universel masculin, l’abolition de la peine de mort, la reconnaissance du « droit à l’existence ».

À l’opposé, il y a ceux qui l’ont considéré comme un révolutionnaire insensé, un criminel insensible, le premier responsable de la Terreur, un monstre en somme. Ne voulant ni défendre ni accuser Robespierre, l’historien souhaite écarter toutes les légendes, noires ou dorées, afin de brosser le portrait d’un homme du XVIIIe siècle aux différents âges de sa (courte) vie.

Pour comprendre l’originalité du révolutionnaire, Hervé Leuwers accorde dans son étude une grande place à la formation et à la culture de Robespierre, à la fois auteur et orateur, qui avait compris l’exceptionnelle force des mots et de la rhétorique sur l’opinion. Il met également l’accent sur une notoriété hors du commun dont les choix, les discours et les attitudes ont fait un mythe, attirant sur lui des regards étonnamment contrastés, dès 1790.

2. Robespierre, l’avocat

L’analyse d’Hervé Leuwers remonte à la formation de Robespierre en tant qu’homme d’État. Une telle place faite à ses activités antérieures constitue une particularité notable de l’ouvrage. En 1781, Maximilien de Robespierre sollicita son adhésion au barreau d’Arras. Une fois ses titres de licence vérifiés, les magistrats l’admirent à prêter le serment de respecter les lois et les usages du royaume. Il était désormais avocat au conseil d’Artois, comme le furent son père et son grand-père avant lui. Rapidement, sa vie professionnelle fut riche et certaines de ses défenses firent grand bruit.

L’historien évoque une époque où l’homme débordait de passion, d’ambition, de fantaisie et d’humour. Pour lui, le droit et les lettres allaient de pair : il avait pour vocation d’être juriste, mais également auteur.

Quelques-unes de ses plaidoiries connurent l’honneur de l’édition et firent de lui un membre de l’Académie locale. Il reçut, en 1784, un prix de celle de Metz pour un mémoire sur la responsabilité collective de la famille d’un condamné. Sa critique de la peine de confiscation des biens, qu’il considérait comme un archaïsme choquant au temps des Lumières, le poussa à s’engager résolument dans la voie des réformes juridiques. Au cours des années suivantes, tout en publiant des mémoires judiciaires issus des cas qu’il avait eus à traiter, Robespierre prononça par exemple un discours retentissant sur le statut des bâtards et la nécessité d’améliorer leur sort.

Ainsi, les grands débats des assemblées révolutionnaires étaient préfigurés au sein des cercles académiques, le verbe de l’avocat lui donnant l’occasion d’exprimer des idées neuves et de manifester sa sollicitude pour les plus démunis.

C’est dans l’affaire Dupond du début de l’année 1789, qu’Hervé Leuwers voit le révolutionnaire poindre. Robespierre réclamait justice, à la suite de l’incarcération en 1774 de Hyacinthe Dupond par lettre de cachet, c’est-à-dire dit un ordre du roi permettant l’incarcération sans jugement. Robespierre réclamait pour lui réparation du préjudice et en profita pour dénoncer l’institution des lettres de cachet, les conditions de l’enfermement et soulignait l’urgence d’une réforme de la justice. La voie était tracée pour le futur constituant.

3. Débuts en politique

Avant 1789, Robespierre attendait, réclamait des réformes, mais il n’imaginait pas une révolution violente. Par l’observation des débats publics, par sa participation aux discussions académiques ou aux confrontations judiciaires, il a pourtant appris la politique et développé un ensemble de valeurs issus des Lumières : il affirmait son attachement à la liberté, au bonheur, aux mœurs, au droit ; parallèlement, il criait son refus des préjugés et du despotisme. Il avait incontestablement conscience d’évoluer dans un monde en plein changement, attentif aux révolutions qui s’étaient déroulées ailleurs, et particulièrement à celle qui avait réussi dans les colonies anglaises d’Amérique, en 1776.

L’année 1788 a été cruciale dans ce patient apprentissage. À partir de février, en France, il suivit la décevante réunion de l’Assemblée des notables, sorte d’États généraux, incapable d’adopter les réformes fiscales et administratives attendues par tout un pays ; à partir de mai, il s’indigna des réformes judiciaires imposées par le garde des Sceaux Lamoignon. Robespierre était de plus en plus attentif aux nouvelles du royaume. Le 8 août, Louis XVI avait fixé la réunion des États généraux au mois de mai de l’année suivante. Dans un contexte économique tendu, il y eut en Artois, comme partout en France, des discussions autour de la question du doublement des voix de la représentation du tiers aux États généraux, qui lui permettrait de compter autant que le clergé et la noblesse réunis (cette proposition fut finalement adoptée en décembre 1788).

Deux figures se détachèrent dans ces débats artésiens, devenant l’un et l’autre, un représentant du tiers état de leur province : Brassart, un autre avocat, ainsi que Robespierre. On ne sait ni quand ni comment Robespierre arriva à Versailles ni même s’il assista à l’ouverture solennelle du 5 mai 1789 par Louis XVI. On sait toutefois qu’il ne tarda pas à faire parler de lui, se faisant un nom et devenant un farouche défenseur du peuple.

4. De la Monarchie constitutionnelle à la République

À l’Assemblée constituante, Robespierre se signala avant tout comme un défenseur du peuple. Même si les journalistes écorchaient fréquemment son nom (on l’appelait M. Robert, Robert-Pierre, Robesse-Pierre…), il fut toujours considéré comme un fervent patriote, qui « ira loin, [car] il croit ce qu’il dit » selon le mot célèbre de Mirabeau. Alors que dans la nuit du 4 août, était prononcée l’abolition des privilèges, Robespierre contribua activement à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée le 26 août. Progressivement, il se méfia et s’éloigna de Louis XVI, le suspectant de vouloir censurer la future Constitution. Début octobre, il se réjouit du soulèvement populaire qui, ramenant le roi à Paris, avait sauvé la Révolution.

La rapide notoriété de Robespierre dut beaucoup à un habile effort pour se faire entendre par la parole et l’imprimé. Il savait également l’importance de la manière d’être, de l’image de soi. Hervé Leuwers précise que si la pensée de Robespierre n’était pas figée et se construisait au gré des circonstances, son attachement à certains principes le conduisit à défendre avec opiniâtreté ses positions. Il parlait souvent à l’Assemblée. Mais si certains voyaient en lui un dangereux démagogue, pour d’autres, nombreux dans les quartiers populaires de Paris, il était le champion adulé du peuple : l’Incorruptible, par opposition à des députés de la Constituante qu’il jugeait corrompus par le pouvoir.

Une fois la première constitution rédigée, il fallait brandir ce texte comme une garantie et une arme. Robespierre publia ainsi une gazette à partir du printemps 1792, Le Défenseur de la Constitution. Progressivement, il revint sur le nouveau régime qu’il avait pourtant contribué à construire, la monarchie constitutionnelle, qui disparut le 10 août 1792. Dès lors, selon lui, la république devait triompher et elle devait être plus qu’un mode de gouvernement, car elle reposait avant tout sur un ensemble de principes. Mais rapidement les divisions politiques gagnèrent le camp politique républicain au sein du nouveau système, la Convention. Robespierre était persuadé, comme Danton ou Marat, qu’un nouveau combat avait commencé. Les adversaires étaient désormais les Girondins, révolutionnaires libéraux, qui dominaient l’Assemblée et lançaient de vives attaques contre l’Incorruptible, l’accusant d’être l’homme du désordre.

5. Vers le gouvernement révolutionnaire

Pendant les premiers mois de la Convention, Robespierre observait, délivrait des analyses, des mises en garde, des mots d’ordre. Il s’inquiétait également des divisions du pays et de la détermination des ennemis de la Révolution, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, où les armées françaises luttaient contre une coalition européenne. Car à partir du mois de mars 1793 la situation devint critique : la Vendée et les départements voisins se soulevèrent, les armées françaises reculaient partout et les tensions entre les Girondins et les Montagnards s’envenimèrent à la Convention. De nombreux députés craignaient alors pour l’existence même de la république, d’autant que le premier projet de code civil, qui avait été confié à Cambacérès, fut rapidement abandonné.

Dans le même temps, il fut décidé de reporter l’application de la nouvelle Constitution (qui n’entra finalement jamais en vigueur) : une transition politique s’imposait, ferme, forte, intraitable. Mais rien ne définissait alors, dans les traités politiques du temps, un tel régime. Il fallait l’imaginer et ainsi naquit le gouvernement révolutionnaire.

Le 2 juin 1793, les Girondins, principaux opposants aux Montagnards et donc au groupe auquel appartenait Robespierre, furent chassés de l’Assemblée. Mais bientôt de nouvelles divisions apparurent, brisant l’unité de la Montagne. Robespierre définissait alors le gouvernement révolutionnaire comme un « despotisme de la liberté », selon une formule qui répondait aux enjeux du moment : c’était une nouvelle version du despotisme, où des moyens politiques d’exception pouvaient être utilisés s’ils étaient encadrés par les principes révolutionnaires.

La Terreur, caractérisée par des violences d’État et dont résultèrent des exécutions de masse, en fut la première des conséquences. Au sein du Comité de salut public, organe gouvernemental de la Convention, Robespierre était désormais le premier des onze membres, en notoriété et en autorité ; dans l’Assemblée, plus aucune voix ne pouvait désormais s’opposer à la sienne.

6. Spectre de dictature et fin de vie

En 1794, le tribunal révolutionnaire de Paris jugeait et condamnait à mort toujours plus d’individus : 116 personnes en ventôse (février-mars), 155 en germinal (mars-avril), 154 en floréal (avril-mai). Quelques semaines plus tard, alors qu’une loi devait accélérer les procédures devant le tribunal, beaucoup ne comprenaient plus la situation et se demandaient où et quand tout cela s’arrêterait ; ils s’interrogeaient sur les objectifs de la Convention, du Comité de salut public, de Robespierre. L’accusation de dictature, souvent entendue depuis l’été 1791, revint plus vive que jamais. L’image de Robespierre commençait à se brouiller, y compris dans l’esprit de ses partisans. Hervé Leuwers précise que l’Incorruptible n’entendait plus Paris, il ne l’écoutait plus. La lassitude, l’écœurement et l’effroi étaient pourtant bien là, tout comme l’attente de paix.

Le 26 juillet, à la Convention, Robespierre tenta de justifier sa décision de réformer le tribunal révolutionnaire. Il s’opposa également à ceux qui l’accusaient de tyrannie, car nombreux voyaient en lui un assassin de la république en devenir. Hervé Leuwers insiste sur ce point et indique que Robespierre ne fut jamais un dictateur, car la France disposait d’une Convention et ses comités de gouvernement, même si un représentant du peuple y détenait une notoriété d’exception. Les opposants se mobilisèrent et se montrèrent prêts à agir, négociant avec de nombreux conventionnels la fin de la Terreur contre leur alliance. L’Assemblée vota un décret d’arrestation contre Robespierre ainsi que d’autres députés déclarés rebelles. Le lendemain, sans procès, il fut conduit vers la place de la Révolution en compagnie de vingt et un partisans pour y être guillotiné.

Hervé Leuwers revient dans une dernière partie sur quelques éléments qui ont permis l’élaboration du mythe de Robespierre. Il dénonce notamment le témoignage de Madame Tussaud qui affirmait avoir réalisé une empreinte de la tête de l’homme après sa mort : pour l’historien, ce masque est un faux. Enfin, et surtout, il remet en cause la théorie selon laquelle la Terreur s’est interrompue à la mort de Robespierre. Certes, la pression a diminué et les prisons se sont ouvertes, mais la justice d’exception existait toujours et faisait toujours de ravages. Il prend pour exemple Valenciennes, où soixante-dix exécutions furent prononcées entre septembre et décembre 1794.

7. Conclusion

Après avoir été avocat, député de l’Artois, membre de la Convention nationale, député de la Seine, membre du Comité de salut public, Robespierre fut arrêté et condamné à la peine capitale, à seulement 36 ans. En quelques années de présence politique, il a fasciné au point de devenir un personnage mythifié, alimenté par ses admirateurs comme ses détracteurs qui fleurirent dès 1790 et jusqu’à notre époque, dans le verbe d’historiens, de romanciers ou d’hommes politiques.

Les travaux d’Hervé Leuwers visent à démêler l’histoire du fantasme, à partir de sources qui n’avaient jusqu’alors pas été exploitées. En remontant jusqu’à sa formation, il cerne davantage la personnalité de Robespierre. Il montre également que s’il fut incontestablement responsable du tournant pris par la Terreur, sa mort ne l’interrompit pas brutalement, contrairement à ce qui avait souvent été avancé par l’historiographie de la Révolution française.

8. Zone critique

L’exercice de la biographie est difficile. Hervé Leuwers le réussit parfaitement et ne tombe ni dans le travers devenu fréquent des explications d’ordre psychologique ni dans les questions relatives aux mœurs de son héros. En cela, il diffère du récent ouvrage de Marcel Gauchet, Robespierre : l’homme qui divise le plus, auquel il a été reproché un grand nombre de facilités. Hervé Leuwers dresse un dense portrait de son personnage et déconstruit bon nombre de légendes relatives à Robespierre.

Ce livre s’inscrit dans un renouveau historiographique des études robespierristes depuis le début des années 2000, nuançant l’image du révolutionnaire. Il fait suite à la parution du Robespierre. Portraits croisés sous la direction de Michel Biard et de Philippe Bourdin, et du Robespierre. La fabrication d’un mythe de Marc Belissa et Yannick Bosc.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Robespierre, Paris, Fayard, 2014.

Du même auteur

– L’invention du barreau français (1660-1830). La construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, Ed. EHESS, 2006.– La Révolution française et l’Empire, Paris, PUF, 2011.– Camille et Lucile Desmoulins : un rêve de république, Paris, Fayard, coll. « Biographies historiques », 2018,

Autres pistes

– Marc Belissa et Yannick Bosc, Robespierre. La fabrication d’un mythe, Paris, Ellipses, 2013.– Michel Biard et Philippe Bourdin (dir.), Robespierre. Portraits croisés Paris, Armand Colin, 1992.– Jean-Clément Martin, Contre-révolution, Révolution et nation en France, 1789-1799, Paris, Le Seuil, 1998.– Albert Soboul, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’an II, 1793-1794, Paris, Flammarion, 1973.– Gérard Walter, La Conjuration du neuf thermidor, 27 juillet 1794, Paris, Gallimard, 1974.

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