Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Howard Zinn
Cette Histoire populaire des États-Unis se fonde sur le point de vue de ceux dont les manuels parlent d’ordinaire peu. Howard Zinn y confronte avec minutie la version officielle et héroïque des grands hommes aux témoignages des acteurs les plus modestes. Indiens et esclaves en fuite, soldats déserteurs, jeunes ouvrières du textile, syndicalistes et militants des droits civiques, GI du Vietnam et activistes des années 1980 à nos jours : tous, jusqu’aux laissés-pour-compte du gouvernement américain et aux victimes contemporaines de la politique intérieure des États-Unis, viennent contester l’histoire vue d’en haut.
L’ouvrage est une histoire vue d’en bas, une histoire sociale, des oubliés, des vaincus, des opprimés. Il ne s’agit pas d’une lecture exhaustive de l’histoire de l’Amérique, mais d’une sélection de moments négligés ou mal connus qu’Howard Zinn porte à notre connaissance. C’est ainsi qu’il expose la découverte de l’Amérique du point de vue des Indiens arawaks, l’histoire de la Constitution du point de vue des esclaves, celle d’Andrew Jackson vue par les Cherokee, la guerre de Sécession par les Irlandais de New York, ou la Première Guerre mondiale par les socialistes et la suivante par les pacifistes.
Pour l’historien, les héros des États-Unis ne sont ni les Pères fondateurs, ni les présidents, mais les paysans en révolte, les militants des droits civiques, les syndicalistes, tous ceux qui se sont battus, parfois victorieux, parfois non, pour l’égalité qui est le maître-mot de ce livre.
Prétendant balayer l’ensemble de l’histoire des États-Unis, de 1492 à nos jours, Howard Zinn propose une histoire globale. Il revient sur les affaires extérieures du pays notamment les guerres qu’il a menées et les révoltes qu’il a encouragées, et étudie les affaires intérieures du point de vue des dominés, distinguant une fragmentation sociale par l’argent, la classe ou le sexe. Il y démontre l’incroyable capacité de résistance d’individus en apparence impuissants et résolus à leur sort.
Howard Zinn fait débuter son ouvrage par le point de vue des Indiens arawaks lorsque Christophe Colomb débarqua sur le continent américain en octobre 1492, chaleureusement accueilli par les autochtones. Rapidement, parce que les terres découvertes n’étaient pas le paradis de l’or tant espéré et qu’il fallait tout de même envoyer en Espagne des cargaisons d’un quelconque intérêt, les colons organisèrent une véritable chasse à l’esclave. Dans de telles conditions, deux années ont suffi pour que meurtres, mutilations et suicides réduisent de moitié la population indienne de l’île d’Haïti.
En 1650, ils avaient totalement disparu. Ce que Colomb fit subir aux Arawaks, les Anglais le firent également aux Indiens d’Amérique du Nord, massacrant les populations locales. L’historien rappelle que ces peuples qui ne connaissaient pas l’écriture avaient une culture riche faite de chants, de danses, de poésies, et au sein de laquelle les rapports humains étaient plus égalitaires qu’en Europe, notamment entre les hommes et les femmes.
De l’esclavage des Indiens, puis des Africains, envoyés sur le continent pour pallier la mort des autochtones, Howard Zinn retient les prémices de la ségrégation raciale qui affecta tant la société américaine. Jusqu’à 1800, dix à quinze millions africains furent ainsi transportés aux Amériques, dans un commerce dominé par les Hollandais, puis par les Anglais. Toutes les (nombreuses) résistances furent réprimées ; très rentables pour les propriétaires terriens, les esclaves ne constituaient pas une population soumise ou passive.
Les insurrections organisées furent toutefois rares, et le plus souvent le refus de se soumettre consistait en une tentative de fuite d’individus isolés.
Dans les années 1760 et 1770, les principes d’égalité et de liberté séduisent suffisamment de blancs pour provoquer un soulèvement contre l’Angleterre sans pour autant mettre fin à l’esclavage et aux inégalités. Les pères fondateurs, s’ils finirent par triompher, ne souhaitaient pas rééquilibrer la société américaine : ni la Déclaration d’indépendance de 1776 ni la Constitution de 1787 ne gommaient les rapports entre les maîtres et les esclaves, entre les blancs et les Indiens, entre possédants et démunis, entre les hommes et les femmes.
Howard Zinn accorde une large place de son étude au statut des femmes dans la société américaine post-indépendance. Il souligne en ce sens les terribles conditions de vie des domestiques sous contrat, mais également celles des femmes esclaves, qu’il considère victimes d’une double oppression.
Dans les années 1830-1850, les femmes commencèrent à résister à ceux qui voulaient les garder dans la « sphère domestique ». Elles participèrent à des mouvements de toutes sortes, pour les prisonniers, les malades mentaux, les esclaves noirs, ainsi que pour leurs propres droits.
C’est également à cette période que se développa une quête de terres supplémentaires et une volonté irrépressible d’expansion nationale, dont les Indiens furent les principales victimes, notamment les Cherokee qui furent déportés à l’ouest du Mississippi à partir de 1836. C’est ainsi que les populations blanches s’installèrent au sud pour le coton, au nord pour les céréales et que l’expansion fut considérable. Cela s’accompagna de nombreuses constructions, notamment de canaux, de chemins de fer et l’édification de villes nouvelles vers l’ouest. De même, après que le Texas se fut séparé du Mexique en 1836, il rejoignit l’Union en tant qu’État à part entière en 1845. L’événement fut suivi d’une guerre américano-mexicaine, se soldant par la capitulation du Mexique en 1848, qui perdit la Californie et le Nouveau-Mexique.
La guerre civile opposa entre 1861 et 1865 les États-Unis d’Amérique, dirigés par Abraham Lincoln, et les États confédérés d’Amérique, dirigés par Jefferson Davis, rassemblant onze états du sud qui avaient fait sécession. Si elle se solda par une victoire des premiers et la fin de l’esclavage, elle laissa la place à un nouveau régime d’inégalités : la ségrégation, qui touchait aussi bien les États du nord que ceux du sud.
La période qui suivit la guerre fut celle des révoltes des plus humbles : un mouvement en faveur de la journée de travail de 8 heures agita le monde ouvrier, concrétisé par la formation de la première fédération nationale de syndicats, la National Labor Union en 1866. De nombreuses grèves éclatèrent, réclamant chaque fois de meilleures conditions de travail, notamment celle des blanchisseuses de faux-cols de Troy, en 1869.
L’histoire américaine est aussi celle d’une expansion extérieure, notamment vers l’Amérique latine pour laquelle les États-Unis entendaient clairement signaler à l’Europe qu’ils la considéraient comme relevant de sa sphère d’influence. Par exemple, pour aider Cuba à se débarrasser de sa tutelle espagnole, ils s’y installèrent en imposant une base militaire et un droit d’intervention dans les affaires intérieures de l’île.
Le Pacifique était également convoité : c’est ainsi que le pays a forcé le Japon à s’ouvrir au commerce américain à grand renfort de navires de guerre et de menaces, ils se sont également assurés qu’une part des ressources chinoises leur reviennent, au même titre que les puissances impérialistes européennes. Enfin, ils se sont approprié Hawaii, Porto Rico et Guam. Les interventions étaient toujours, comme le souligne Howard Zinn, intéressées.
L’orée du XXe siècle fut également le temps de la montée du syndicalisme et l’essor des mouvement socialistes ouvriers qui entendaient protester contre l’élargissement du fossé entre les classes de la société américaine. Dans le même esprit, de nombreuses femmes militaient pour le droit de vote et leurs défilés dans les principales villes du pays réunissaient chaque fois plus de participantes ; les suffragettes furent ainsi 5 000 dans les rues de Washington au printemps 1913.
En 1917, le président Wilson fit entrer son pays dans la Première Guerre mondiale, provoquant une vague de manifestations pacifistes soutenues par les socialistes et réprimée par le gouvernement. Après le conflit dont le pays sortit triomphant, les femmes finirent par obtenir le droit de vote. La prospérité des années 1920 laissa rapidement la place à la Grande Dépression, survenue après le krach boursier de 1929 et qui affecta le monde entier. Elle fut directement provoquée par des spéculations sauvages mal contrôlées, entraînant toute l’économie avec elles. Plus de 5000 banques fermèrent leurs portes et de très nombreuses activités, faute de pouvoir obtenir de l’argent, cessèrent.
C’est ainsi que le New Deal de Roosevelt tenta, en 1933, de réorganiser le capitalisme et d’apaiser les très nombreux mouvements de révolte spontanés qui marquèrent le début de son administration.
Après la Seconde Guerre mondiale, se forgea aux États-Unis un consensus pour unir les républicains et les démocrates autour de l’anticommunisme. Ce sentiment fut accéléré par l’engagement du président Truman dans la guerre de Corée, en 1950. Au même moment, le sénateur McCarthy se lança dans sa chasse aux communistes présents dans l’administration américaine, dont le point culminant fut le procès des époux Rosenberg en 1950, provoquant une vague internationale de protestation en leur faveur.
Cette période fut également celle du retour de la question de l’égalité raciale et de l’explosion du mouvement des droits civiques dans les années 1950. Dans de nombreuses villes du pays, notamment à Albany (Géorgie), des manifestations eurent lieu contre la ségrégation et la discrimination, et furent durement réprimées.
Devant la révolte noire et après diverses lois restées lettres mortes, le président Johnson présenta en 1965 une loi sur le droit de vote que le Congrès renforça, garantissant une protection fédérale aux noirs du pays. Howard Zinn rappelle à ce sujet que si les mots prononcés par Martin Luther King sont aujourd’hui connus de tous, ils n’en demeuraient pas moins éloignés des aspirations véritables de la communauté noire, bien plus proche des idées du militant Malcolm X, davantage radical que le pasteur.
Entre 1964 et 1972, les États-Unis furent engagés au Vietnam afin de venir à bout d’un mouvement révolutionnaire, en vain. Pour l’historien, cette guerre fut un combat entre la technologie moderne organisée et des êtres humains organisés ; ce furent ces derniers qui gagnèrent. Car les mouvements pacifistes américains furent très influents et provoquèrent la démobilisation de l’opinion et des soldats, jusqu’à la défaite.
À cela s’ajouta le scandale politique du Watergate : en pleine campagne présidentielle de 1972, des cambrioleurs furent surpris avec des enregistreurs dans les locaux du parti démocrate. Cette affaire provoqua en 1974 la démission du président Nixon, et contribua encore au désintérêt du peuple pour le système en place. Le taux de confiance de la population envers le gouvernement s’affaiblit considérablement au point que, selon Howard Zinn, « il ne pouvait plus garantir la loyauté de la population ».
Déçue par la politique, l’opinion américaine se détourna, dès la fin des années 1970 vers le divertissement et toutes les recettes de quête du bonheur orchestrées par les médias. Les populations marginales s’abandonnèrent de plus en plus à la violence. Le seul moyen d’action politique pour ceux qui y croyaient encore était l’action associative, notamment pour les droits des femmes, pour un meilleur accès aux soins (surtout après l’apparition du virus du SIDA), ou pour l’octroi de logements aux sans-abris.
Avec l’arrivée au pouvoir de Reagan, la politique devint moins libérale et plus conservatrice, Howard Zinn la qualifiant d’ « agressive » : suppression d’allocations, réductions fiscales pour les plus riches, augmentation du budget de la défense. L’appareil social fut totalement démantelé sous cette présidence et sous celle de George Bush, provoquant une misère profonde et des écarts entre les riches et les pauvres qui se sont considérablement accrus : entre 1977 et 1989, le revenu des 1% les plus fortunés augmenta de 77%.
En 1989, le mur de Berlin tomba, provoquant le début de la fin de la Guerre Froide. Les États-Unis avaient désormais l’opportunité de redéfinir leur politique étrangère et de consacrer des milliards de dollars auparavant destinés à la Guerre Froide à des projets progressistes et sociaux. Mais il n’en fut rien. À la satisfaction d’avoir gagné le conflit suivit la volonté d’être la seule superpuissance. Le chef de l’état-major américain déclara : « Je veux que le reste du monde demeure terrifié », justifiant la baisse de seulement 7% du budget militaire après la chute de l’URSS. Et pour attester que cet arsenal était absolument nécessaire, l’administration Bush mena deux guerres : contre le Panama et contre l’Irak.
Enfin, l’arrivée à la présidence d’un démocrate, Bill Clinton, ne transforma pas la société américaine et entraîna une profonde crise démocratique. Il mena une politique de stabilité avec la Russie de Boris Eltsine, mais le budget militaire ne cessa de croître et les États-Unis devinrent sous cette administration les champions de la vente d’armes à travers le monde.
En outre, ils bombardèrent l’Afghanistan et le Soudan après que leurs ambassades du Kenya et de Tanzanie furent la cible d’attentats en 1998. Cette même année, l’affaire Monica Lewinsky éclata, provoquant une procédure de destitution, qui ne parvint toutefois pas à son terme. Le fossé était cependant trop grand entre le Président et les Américains, accentué par l’absence d’une politique menée en faveur de l’emploi.
En guise de ce qu’il qualifie de « post-scriptum » et qui fait office de conclusion de l’ouvrage, Howard Zinn revient sur les élections de 2000 et la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Il s’agit du dernier ajout de l’historien à son travail (en 2009). Selon lui, dans cet affrontement, il s’est agi de tuer des Afghans innocents pour venger des New-yorkais innocents. Il précise également que George W. Bush et ses conseillers auraient dû savoir que le terrorisme ne pouvait pas se détruire par la force. La critique envers les dirigeants américains y est aussi forte que dans tout le reste de l’ouvrage.
Ainsi, à travers le récit de plus de 500 ans d’histoire, l’historien démontre que la première puissance de la planète s’est construite avec ses oubliés, avec ceux dont l’histoire ne parle d’ordinaire pas, ou peu. D’une histoire globale, il offre en réalité une contre-histoire, et le portrait d’une autre Amérique, faite de failles et de fractures, a contrario de l’image habituellement véhiculée par les grands mythes américains.
Lors de la sortie de l’ouvrage, les travaux d’Howard Zinn furent plutôt bien accueillis par la critique, en dépit des partis-pris très marqués de leur auteur.
L’historien Pierre Mélandri, spécialiste de l’histoire des États-Unis à Sciences-po Paris, souligna ainsi la qualité de l’interprétation de l’histoire américaine, articulant politique étrangère et politique intérieure. D’un point de vue méthodologique, la perspective globale adoptée dans le livre était assez novatrice, proposant une nouvelle manière d’envisager l’histoire sociale.
Cette Histoire populaire des États-Unis se lit avec plaisir, et rassemble en une même étude les principales articulations de l’histoire américaine. Elle offre un regard différent sur le pays. Un documentaire réalisé en 2015 par Olivier Azam fut adapté de l’ouvrage.
Ouvrage recensé
– Une histoire populaire des États-Unis, de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2002 [1980],
Du même auteur
– Le Vingtième Siècle américain. Une histoire populaire de 1890 à nos jours, Marseille, Agone, 2003.– La bombe. De l’inutilité des bombardements aériens, Paris, Lux Éditeur, 2011.– L’Impossible Neutralité. Autobiographie d’un historien et militant, Marseille, Agone, coll. « Éléments », 2013.
Autres pistes
– Daniel Boorstin, Histoire des Américains : l’aventure coloniale, naissance d’une nation, l’expérience démocratique, Paris, R. Laffont, 1991.– Robert Calvet, Les Américains : histoire d’un peuple, Paris, Armand Colin, 2004.– Bernard Cottret, La Révolution américaine : la quête du bonheur, 1763-1787, Paris, Perrin, 2004.– Yves-Henri Nouailhat, Les États-Unis et le monde au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.– Bertrand Van Ruymbeke, L’Amérique avant les États-Unis : une histoire de l’Amérique anglaise, 1497-1776, Paris, Flammarion, 2016.