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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Âge global

de Ian Kershaw

récension rédigée parMorgan DonotDocteure en science politique (CNRS- Paris 3).

Synopsis

Histoire

Dans la continuité de son ouvrage précédent, L’Europe en enfer, 1914-1949, Ian Kershaw dresse ici un tableau de l’Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La volonté de l’auteur de décrire le parcours du continent du milieu du XXe siècle jusqu’en 2018 permet de mettre en exergue les continuités et les ruptures des trajectoires nationales suivies par les États-nations, dans une perspective d’histoire du temps présent. Dans le cadre de la mondialisation, l’auteur se propose d’expliquer la complexité des changements intervenus durant cette période, en identifiant les moments charnières et les principales dynamiques de ces évolutions.

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1. Introduction

Cet ouvrage consacré à l’histoire européenne contemporaine identifie différents paradigmes qui permettent de brosser le portrait de l’Europe post-Seconde guerre mondiale. À une première « matrice de renaissance » au lendemain de la guerre a succédé une période de ralentissement de la croissance économique dans les années 1970 marquant la fin du long essor de l’Europe. La thématique de l’insécurité redevint centrale : la menace d’une guerre nucléaire s’était éloignée, remplacée par de nouvelles formes d’insécurité plurielles dans un contexte chaque jour plus mondialisé.

Le bilan contrasté esquissé par l’auteur oscille entre réussites spectaculaires, échecs retentissants et nouveaux défis qui se profilent pour l’Europe et le monde.

2. Une Europe divisée

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se trouve dans une position charnière au cœur de la guerre froide, notamment durant la période 1950-1962, divisant en deux le continent. La plus grande peur est celle d’un affrontement nucléaire dans un contexte de courses aux armements et de constitution d’arsenaux. Si des mouvements antinucléaires apparaissent dès cette époque, le soutien populaire est faible. Les États-Unis sont alors vus par les pays d’Europe occidentale comme les seuls à pouvoir garantir leur sécurité et leur avenir. Dans le bloc soviétique, si un engagement officiel en faveur de la paix est prôné, le contrôle massif de l’opinion réussit à empêcher l’apparition de tout mouvement de contestation de la politique nucléaire.

Ainsi, dès les années 1950, la division entre les systèmes de l’Europe occidentale et de l’Europe orientale se creuse ; l’Ouest et l’Est sont désormais opposés et séparés par des idéologies, des systèmes économiques et politiques propres, donnant naissance à des sociétés et à des mentalités à priori irréconciliables.

La guerre froide a donné naissance au concept de l’Europe occidentale qui s’est constitué autour d’enjeux communs : protection contre le communisme et défense de la démocratie libérale. La formation de cette entité fut un processus lent et décousu, les États-nations cherchèrent à se rassembler autour de la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. C’est dans ce contexte que s’ouvrit également la vague des indépendances marquant la fin des empires coloniaux.

Si la Grande-Bretagne accepta de relative bonne grâce la fin du colonialisme cherchant à nouer de bonnes relations avec les nouveaux États indépendants, le démantèlement de l’empire français fut vécu comme un véritable traumatisme, l’empire apparaissait aux yeux de nombreux Français comme un élément de prestige national. La spécificité de l’Algérie, partie intégrante de la France depuis 1848, explique également cette différence : pour les Français, mais pas pour les Algériens, les « événements » s’apparentaient à une guerre civile et non une guerre coloniale. Cependant, dès le mitan des années 1960, l’âge des empires était achevé. Ainsi, l’Europe occidentale apparaissait profondément transformée et faisait désormais figure d’entité définissable, avec des caractéristiques politiques, économiques et culturelles.

En parallèle, le bloc soviétique chercha également à se consolider en tant que construction politique. La mort de Joseph Staline en mars 1953 marqua une césure importante. Si cette période est traditionnellement nommée « le dégel », Ian Kershaw propose l’utilisation de la métaphore de « l’étau » qui peut être serré ou desserré par l’action de l’homme et qui, à la différence du dégel, n’est pas lié à des causes naturelles. Selon l’auteur, si l’étau se relâcha sous Khrouchtchev, le système n’a pas pour autant été ébranlé, comme le met en exergue la construction du mur de Berlin débutée en août 1961. La cohésion de la sphère soviétique était maintenue par la force des armes si nécessaire, tout en autorisant certaines mesures de libéralisation économique visant à augmenter le niveau de vie de la population.

3. Vers une nouvelle ère

L’Europe occidentale a été marquée par une prospérité sans précédent, ouvrant à partir des années 1950 une période que beaucoup qualifient de « miracle économique ». Le modèle de croissance prévalut jusqu’au premier choc pétrolier de 1973 et entraîna des améliorations sensibles de la qualité de vie de la population.

L’augmentation des recettes fiscales permit également aux États de mettre en place des programmes sociaux et de consacrer des sommes importantes à la protection sociale, posant les bases de l’État-providence. En parallèle, les premiers jalons de l’intégration européenne ont été posés, même si concrètement les objectifs d’une union toujours plus étroite des pays européens étaient dictés par des buts nationaux et ont eu tendance, à terme, à renforcer le système des États-nations de la région.

L’auteur met en exergue un point important pour la constitution de l’Europe occidentale en tant qu’entité politique : l’existence d’une culture partagée. Celle-ci, à l’instar du bloc oriental, reposait aussi sur certains mythes concernant le passé immédiat, notamment une certaine amnésie vis-à-vis de la période nazie en Allemagne de l’Ouest ou encore une présentation de la Résistance en tant que socle de l’identité française passant sous silence l’existence et l’ampleur de la collaboration avec le régime nazi.

La volonté de rompre avec le passé, notamment le passé proche, et avec ses valeurs, donna naissance à de nouvelles formes culturelles, transformant profondément la culture populaire et plus encore la « culture jeune ». À l’est comme à l’ouest du rideau de fer, les jeunes contestaient l’ordre social et politique, porteurs d’un discours de libéralisation : mai 1968 était proche.

4. Le tournant de 1973

La crise pétrolière de 1973 inaugure le changement de paradigme de l’Europe : de la renaissance au retour à une insécurité plurielle. Les problèmes économiques et financiers qui ont secoué la majorité des pays finissent par imposer un nouveau dogme économique en jetant les bases du « néolibéralisme » ou du « monétarisme ». L’objectif central est de remplacer l’État par le marché comme moteur de l’économie par la mise en place d’une politique de dérégulation, la privatisation de l’industrie et des services, la réduction de la taille du secteur public et une fiscalité faible.

Face à cette crise, les pays, notamment ceux d’Europe occidentale, essayèrent de travailler ensemble dans le cadre de la coopération internationale. Les sommets devinrent un rendez-vous régulier de la gestion économique, même si les réponses apportées à la crise s’inscrivaient dans le cadre des États-nations. Quelle que soit leur position sur l’échiquier politique, les gouvernements initièrent tous un virage vers une certaine forme de néolibéralisme dans le courant des années 1980. Paradoxalement, si la crise économique était généralisée sur le continent européen, les relations internationales connurent une accalmie. Le principal changement vint de là où personne ne l’attendait : du cœur même de l’Union soviétique. Le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev accède à la tête du PCUS en tant que secrétaire général. En ouvrant la voie à la perestroïka, les bases de l’édifice soviétique furent profondément ébranlées.

Ian Kershaw revient ici sur le rôle de Gorbatchev dans la chute du bloc soviétique : les problèmes d’interprétation résident dans une détermination du poids respectif de l’individu et des facteurs structurels pour expliquer ce grand changement historique. Le pouvoir communiste était au cœur d’une crise structurelle de grande ampleur : la dégradation des conditions économiques s’était muée en crise de légitimité des structures du pouvoir dans tous les pays du bloc communiste. Mais, le rôle de Gorbatchev a été déterminant dans l’ampleur et la rapidité des changements qui ont secoué toute l’Europe de l’Est.

Les valeurs individualistes gagnaient la majorité du continent, remettant en cause les anciens modes de vie et la construction des intérêts collectifs portés par les générations précédentes. De nouveaux enjeux apparurent : la prise de conscience des effets délétères de l’activité anthropique sur l’environnement se mua en une question politique. On vit essaimer dans le courant des années 1980 des partis verts dans la plupart des pays d’Europe occidentale.

Au-delà des modifications sociales et culturelles, les pays de l’Ouest récupérèrent une certaine stabilité notamment économique et politique après une décennie troublée. La construction européenne poursuivait ses avancées, malgré les tensions récurrentes entre le défi supranational et les objectifs nationaux. Ainsi, durant les années 1980, l’Ouest et l’Est ont continué de suivre des trajectoires divergentes.

5. De la révolution européenne au désenchantement

Dès 1990, tous les regards sont tournés vers l’Europe de l’Est. Sans nier les tensions structurelles et le rôle déterminant joué par Gorbatchev dans l’effondrement de l’Union soviétique et de ses États satellites, le pouvoir du peuple a été ici fondamental. La Pologne, et dans son sillage la Hongrie, ont marqué le pas de ces transformations rapide sans effusion de sang, marquant la victoire de la révolution pacifique du peuple, à l’exception notable de la Roumanie.

De même que personne n’avait pu imaginer la rapidité de la chute de l’empire soviétique, personne n’imaginait que la réunification allemande serait si rapide. Le 3 octobre 1990, la proclamation de l’unité de l’Allemagne marqua un moment historique, tant pour l’Allemagne que pour l’Europe et les relations internationales en général.

Une année plus tard, le 31 décembre 1991, l’Union soviétique fut dissoute marquant la fin d’un épisode mémorable de l’histoire. Malgré la reconnaissance des défaillances du système communiste, l’avortement du projet communiste fut pleuré par certains qui voyaient toujours dans le communisme la possibilité de lutter contre le capitalisme et la montée des inégalités qui l’accompagne.

En tout état de cause, la fin de l’Union soviétique et de la guerre froide transforma l’Europe et la politique mondiale ; la perspective d’une hégémonie mondiale nord-américaine apparaissait aux yeux de la majorité des observateurs de l’époque comme l’annonce d’un avenir radieux. Dans un contexte de grandes espérances tant en Europe occidentale qu’en Europe de l’Est, le retour de la guerre sur le continent européen fut un grand choc. La guerre de Yougoslavie révéla l’incapacité de l’Europe à mettre fin à cette guerre sans l’intervention nord-américaine. Quelques années plus tard, la guerre de Bosnie fit les frais de la nouvelle doctrine de l’interventionnisme humanitaire : en cas d’urgence, les démocraties occidentales peuvent et doivent intervenir dans les cas de violations graves et massives des droits de l’homme, en dehors du mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les guerres yougoslaves ont levé le voile sur l’illusion d’une paix durable sur le continent.

L’euphorie d’une large part de la population d’Europe de l’Est au début des années 1990 concernant l’amélioration rapide de leurs conditions de vie conduisit également à un certain désenchantement. L’accès à la prospérité occidentale avait comme préambule la mise en place des préceptes du « Consensus de Washington », une « vallée de larmes » devait précéder la croissance tant espérée. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’on a pu assister à une convergence entre les économies de l’Est et de l’Ouest de l’Europe. La mondialisation contribua à rapprocher ces deux zones à travers les moyens de communication, les voyages, les médias, les modes de consommation et la culture populaire.

6. Les menaces mondiales

Les attentats du 11 Septembre ont marqué l’entrée dans le XXIe siècle. Le terrorisme n’est pas chose nouvelle, mais le terrorisme islamiste est d’une nature fondamentalement différente : il est décentralisé, internationalisé, cherche à maximiser le nombre d’innocents tués et à imposer la terreur. La guerre contre le terrorisme fut décrétée : l’attaque de l’Afghanistan débuta en octobre 2001 et un deuxième volet de la guerre commença en 2003 avec l’invasion de l’Irak. Le monde et l’Europe se retrouvèrent aux prises avec un ennemi déterminé et difficile à éliminer, les deux premières décennies de ce nouveau siècle ont ainsi été meurtries par la multiplication des attaques terroristes notamment sur le sol européen.

En parallèle, la mondialisation de l’économie s’accrut, la majorité des Européens put profiter de la croissance économique mondiale du début du siècle, marquée par l’essor du commerce international, le déclin du secteur industriel et le développement accru du tertiaire. Mondialisation à deux facettes avec ses gagnants et ses perdants, accentuant les disparités de revenus et de richesses et accélérant la dégradation de l’environnement et la nécessité de prendre des mesures actives de protection de la nature. Dans ce contexte, l’Union européenne devait relever de nombreux défis, notamment le krach financier de 2008, la crise migratoire et la vague des attentats terroristes. Si la crise économique affecta la totalité de l’Europe, les pays politiquement stables et économiquement solides sortirent relativement vite de la récession et, dans l’ensemble, les pays ont fait preuve d’une étonnante résilience. Cependant, les mouvements populistes de droite proliférèrent dans la majorité des pays, alimentés par la crise des migrants et le renforcement de la menace terroriste.

7. Conclusion

Le bilan de l’histoire européenne des soixante-dix dernières années apparaît contrasté. Si l’utopie d’un monde libéré de l’oppression et de la guerre des années 1950 a rapidement montré ses limites, les avancées sont indéniables : la majorité des Européens vit aujourd’hui en paix, dans le cadre d’un État de droit et dans une relative prospérité.

Les défis à relever apparaissent cependant innombrables : un certain nombre de droits individuels sont régulièrement bafoués, l’égalité de principe ne se retrouve pas dans les faits et on assiste au maintien de nombreuses discriminations dans nos sociétés contemporaines. Le défi de la résorption des inégalités est central, les écarts de richesses entre pauvres et riches ne cessent de se creuser.

Le défi de la sécurité et de la protection des citoyens est également un enjeu majeur de nos démocraties qui ne peut être appréhendé que dans un cadre de coopération internationale et d’une acceptation d’une certaine supranationalité au détriment des souverainetés nationales : tout un défi dans le contexte actuel ! La proposition de Ian Kershaw en ce sens est une construction européenne à deux vitesses ou plus afin de surmonter les oppositions nationales et de poursuivre l’intégration européenne.

8. Zone critique

L’auteur nous livre ici un ouvrage remarquable sur l’Europe de la seconde moitié du XXe siècle à nos jours. L’histoire du temps présent éclaire d’un jour nouveau notre compréhension du continent. Les matrices explicatives mises en exergue par Ian Kershaw – de la matrice de la renaissance au paradigme de l’insécurité plurielle – sont nourries d’exemples précis et rigoureux pris à travers tout le continent. Entre désenchantement et réenchantement, l’histoire du continent européen est riche d’enseignements. Avec un accent prophétique, Kershaw postule qu’une nouvelle crise permettra peut-être à l’Union européenne de se réinventer et d’être de nouveau porteuse de sens pour les citoyens. Gageons que la pandémie mondiale lui donne raison.

Cette lecture gagnerait cependant à être approfondie notamment sur certains points comme le populisme et sa prégnance aujourd’hui en Europe, ainsi que sur les inégalités produites par la mondialisation.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L’âge global. L’Europe, de 1950 à nos jours, Paris, Seuil, 2020.

Du même auteur– Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995.– L’Europe en enfer (1914-1949), Paris, Seuil, 2018.

Autres pistes– Bertrand Badie, L’Hégémonie contestée. Les nouvelles formes de domination internationale, Paris, Odile Jacob, 2019.– Erik Olin Wright, Utopies réelles, Paris, La Découverte, 2017.– Michel Maffesoli, Le réenchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007. – Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.– Pierre Rosanvallon, Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020.

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