Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Idriss Aberkane
Certains prodiges sont capables de calculer la racine soixante-treizième d'un nombre à cinq cents chiffres en moins de trois minutes. Quels sont les secrets de ceux qui pensent plus vite, qui se concentrent plus longtemps ou développent une mémoire phénoménale ? Selon Idriss Aberkane, ils utilisent leur cerveau de façon différente et harmonieuse, selon des principes qu’il qualifie de « neuroergonomiques ». Dans cet ouvrage ambitieux, foisonnant d'exemples, l'essayiste nous dévoile sa méthode pour libérer notre cerveau à l'école et au travail, en révélant les capacités insoupçonnées, et quasiment sans limites, de notre matière grise.
Comment fonctionne notre cerveau ? À quelles impulsions réagissons-nous lorsque nous apprenons quelque chose ou que nous prenons une décision ? Quels sont les effets, positifs ou négatifs, des dernières évolutions scientifiques et sociétales sur l’esprit humain ? Et surtout, comment faire en sorte de décupler les facultés exceptionnelles que nous a léguées la Nature, source d’une connaissance inépuisable ? Quels comportements laisser de côté et lesquels cultiver pour optimiser l’« économie de la connaissance », qui double tous les sept ans en volume ? Comment arriver à associer science et conscience, deux éléments qui, l’un sans l’autre, selon le mot de Descartes, ne sont que « ruine de l’âme » ?
Autant de problématiques sur lesquelles Idriss Aberkane, érudit et entrepreneur multi-facettes, nous invite à nous pencher dans cet ouvrage foisonnant, qui se veut un « manifeste pour les neurodroits » mêlant concepts scientifiques, observations morales, récit personnel et conseils divers.
La neuroergonomie est l’art de bien utiliser le cerveau humain. À l’école, au travail, en politique, nous n’utilisons pas notre cerveau de manière ergonomique. Cela, au prix du mal-être, de la pétrification mentale et de l’inefficacité.
Selon Idriss Aberkane, entre ceux qui sont capables de prodiges en calcul mental et le commun des mortels, il n’y a en réalité qu’une différence : nous n’utilisons de notre cerveau que l’équivalent de notre petit doigt, alors qu’eux utilisent l’empan, à savoir l’espace maximum entre l'extrémité du pouce et du petit doigt de la main ouverte. De fait, nous n’utilisons pas tout le potentiel de notre cerveau, comme nous n’utilisons pas tout le potentiel de nos mains. Or, nous pouvons saisir des objets bien plus conséquents que notre main si nous les saisissons par une poignée. « Je fais partie de ceux qui pensent que nous pourrions tous être des « prodiges », assure-t-il (p. 25).
La meilleure façon de comprendre notre cerveau, c’est de le voir comme une zone d’activité économique, chaque aire cérébrale étant responsable d’un service, et ce qu’elle crée pouvant être utilisés à plusieurs fins. Chaque « route » du cerveau comprend ses emplacements stratégiques. À chaque compétence correspond, par ailleurs, une « rivière » cérébrale, mue par le chemin de « moindre effort ». Les athlètes de la mémoire et les prodiges jonglent en permanence avec plusieurs empans mentaux. L’un des secrets des personnes capables de retenir de longues séries de chiffres ou des codes compliqués ?
Les changer en une phrase simple à mémoriser, par exemple « Jack Bauer boit une grande bouteille de Pastis à Marseille avec un Parisien », pour le code 24B1551A1375. Ou créer des « palais de la mémoire », ou spatialisation des contenus. « L’idée, c’est de donner du relief aux choses, pour mieux les agripper », résume l’auteur (p. 60). Une maîtrise encore négligée, mais susceptible de révolutionner l’enseignement et la recherche, notamment en mathématiques.
Aberkane décrypte les arcanes du mentalisme : insuffler des réflexes mentaux à l’interlocuteur et détourner son attention. L’astuce consiste à saturer « l’espace de travail global » de la personne, pour le forcer à réaliser d’autres tâches sans esprit critique. La désinhibition chimique (via d’absorption d’alcool ou de drogues) permet d’augmenter nos performances en influant sur notre tendance à douter de ces dernières. Sous hypnose, qui induit l’inhibition, nos facultés peuvent aussi se trouver décuplées. Enfin, l’introspection est indispensable pour faire évoluer la connaissance de l’esprit. Plus l’on est expert dans une discipline, plus la réalisation de la tâche est automatique, inconsciente et moins elle nécessite d’énergie.
Idriss Aberkane plante la métaphore d’un buffet à volonté, composé de plats plus alléchants les uns que les autres, mis sous les yeux d’une personne affamée. Surgi alors un maître d’hôtel, qui lui hurle qu’elle est obligée de tout manger, en un temps imparti, sous peine d’être chassée et humiliée. « Le buffet n’a pas changé, pourtant nous sommes passés du paradis à l’enfer rien qu’en changeant les règles du jeu », décrypte-t-il (p. 150). Ce cauchemar, nous l’avons déjà tous vécu : il s’appelle l’éducation.
Notre éducation a été conçue sur un mode industriel. « Elle est centrée sur la pensée de l’usine, et sa vertu cardinale est la conformité », accuse-t-il (p.150). La notion de QI, de performance individuelle, y est surévaluée, alors que le succès et l’échec sont bien plus souvent collectifs qu’individuels. L’omniprésence des notations freine tout initiative personnelle et toute discussion de l’ordre établi. Or, de tout temps, les plus grands innovateurs sont ceux qui ont eu le courage de suivre leur cœur et leur intuition.
Qui plus est, l’éducation actuelle méconnaît profondément le fonctionnement du cerveau humain. Le cerveau n’aime pas les tâches répétitives et limitées sur le plan cognitif, qui ont tendance à l’enfermer plutôt que l’épanouir. L’institution nous donne bien plus souvent une image négative que positive de nous. « À l’école, échanger des savoirs, c’est tricher, alors que dans la vraie vie, cela s’appelle de la coopération », illustre-t-il (p.154). L’école est fossilisée (via le sacro-saint respect des programmes, notamment) sur une logique de moyens et non de résultats.
On n’y débat jamais du « pourquoi », qui est pourtant la justification de l’enseignement. Cette éducation standardisée est totalement disproportionnée en faveur de l’exploitation, de l’efficacité économique au détriment de l’exploration et de la créativité (que l’on ne sait guère évaluer en classe). Aberkane dénonce une éducation « tout en hiérarchie, verticale, dogmatique et figée », qui « ignore que le pire des risques, c’est encore de ne pas en prendre » (p. 53)
L’économie de la connaissance, basée sur la reproduction infinie des savoirs, maximise le « pouvoir d’achat » de ceux qui aiment ce qu’ils font. C’est en effet l’enthousiasme qui motive le savoir-faire. L’auteur cite Montaigne : « L’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume » (p. 51). Il ne faut pas forcer notre cerveau à ressembler à notre école : il faut forcer notre école à ressembler à notre cerveau. Quels leviers mettre en œuvre, en lieu et place du mode d’enseignement actuel ?
Il ne faut jamais négliger l’élan cognitif de l’élève, et au contraire cultiver chez lui la certitude qu’il est capable de réussir. Aberkane pointe l’effet Pygmalion : quand un professeur attend d’un élève qu’il soit bon, il devient bon ; quand il attend de lui qu’il soit mauvais, l’élève devient mauvais. Pour retrouver le sens et la passion du travail, encore trop souvent vu comme un « instrument de torture » (du latin « tripalium »), il prône ce qu'il appelle la « matrice » Love Can Do (« l'amour peut le faire »). Une matrice basée sur deux questions : « est-ce que tu aimes ton métier ? » et « est-ce que tu sais bien le faire ? » Celui qui coche les deux cases est un acteur au-dessus de la mêlée. Les prodiges combinent pratique passionnée et tendance forte à ne pas rester à leur place. Par ailleurs, ils ne travaillent pas pour un prix, pour une note ou pour la reconnaissance de leurs pairs, mais par amour de leur art.
L’auteur réhabilite les jeux vidéo, source d’apprentissages ergonomiques. Il préconise le « hackschooling », une « école buissonnière 2.0 » incluant les nouvelles technologies de la mise en réseau. L’éducation ergonomique est multimodale, ou « multicanal ». Il cite notamment Mathew Peterson, neuroscientifique dyslexique qui a réussi à enseigner les mathématiques à ses élèves, sans aucun langage, et uniquement avec des jeux vidéo. La cause ? Dans le jeu, la motivation est intrinsèque, alors qu’à l’école, elle est extrinsèque. « Pour intégrer Stanford, UCLA ou Caltech, être un geek, c’est un avantage », estime-t-il (p. 201).
Il conseille aux parents de s’impliquer dans le choix des jeux vidéo de leurs enfants, d’une façon constructive et non invasive. Mais aussi de jouer avec eux, ce qui est la meilleure façon de les faire décrocher (en cas de pratique excessive) dans la tranquillité.
L’ego est le premier destructeur de valeur dans une entreprise. L’auteur cite cinq expériences réalisées dans les années 1950 sur l’humain en entreprise et en société, parmi lesquelles l’expérience de Ash, qui a conclu à ce que plus d’un tiers des sujets testés se conforme à la pression du groupe, ou l’expérience de Milgram, qui a mis en lumière un inquiétant phénomène d’obéissance quasi illimitée à l’autorité, via l’administration d’injonctions électriques à des patients.
Et celle de la prison de Stanford, qui a conduit au développement, en moins de 72h, d’une cruauté sadique de la part d’un groupe d’expérimentateurs désignés comme gardiens, même si elle apparaît désormais comme controversée et semble relever de la supercherie. Idriss Aberkane pointe l’effet de surjustification : la promesse de récompense (comme des notes, par exemple) détruit la créativité et encourage la conformité. Enfin, le cerveau ne réagit pas de la même façon aux gains et aux pertes : il donne plus de poids à l’insatisfaction qu’à la satisfaction.
Notre ego nous joue aussi des tours en matière de pensée, via quatre biais généralement inconscients. Ce que nous appelons « fait », dans une conversation courante, est intrinsèquement un souvenir, soit une réalité déformée. Or nous avons tendance à nous souvenir d’abord de ce qui renforce nos croyances (biais de confirmation). Nos souvenirs, en plus d’être partiaux, sont peu fiables en soi (biais de mémorisation). Ce dont nous alimentons notre vie mentale a déjà été sélectionné partialement et partiellement par les médias (biais d’échantillonnage). Enfin, une mauvaise nouvelle est plus marquante pour notre cerveau qu’une bonne (biais de sidération).
L’exemple le plus parlant dans nos sociétés est celui des rouages du marketing, dont le but est « de rendre le désir supérieur à la nécessité » (p. 219). La base de la communication publicitaire, c’est la mémoire associative : pour vendre un produit, il faut l’associer à quelque chose que les gens désirent, mais qui est inaccessible (liberté, épanouissement, révolution…).
Un consommateur n’achète pas un produit, mais son aura. Il s’agit de doper la volonté d’acheter au-delà de l’équilibre offre/demande. Pour vendre par association, le marketing contemporain repose aussi sur la frustration permanente, via les deux ressorts les plus fondamentaux : le sexe et la peur (Éros et Thanatos). Ce qui n’est pas exempt de dangers de violence.
Idriss Aberkane fait sienne la devise d’Isaac Asimov : une civilisation qui produit beaucoup de connaissances et peu de sagesse est menacée d’autodestruction. La connaissance mondiale croît bien plus vite qu’un individu ne peut l’acquérir. Mais si nous produisons énormément de connaissance, nous produisons très peu de sagesse. « Nous sommes philosophiquement immatures, ce qui fait de notre civilisation un danger pour elle-même », estime-t-il (p. 273). La sagesse est inexistante dans notre système éducatif : il faut ainsi, attendre l’année de terminale pour étudier la philosophie.
Enfin, nous passons notre temps à vivre dans la pensée des autres, si bien que nos décisions sont rarement les nôtres. Or, si des monceaux d’ouvrages parlent des neurosciences, aucun n’évoque la neurosagesse. Il faut d’abord à l’homme déjouer le risque de « neurofascisme ». Le terme désigne les expériences barbares pratiquées sur des patients au nom de la sécurité nationale, de la guerre ou de la médecine (les lobotomies, les tests physiques et psychologiques sur les humains, les exercices nucléaires, les expériences eugénistes de masse…).
Beaucoup d’avancées en neuroergonomie sont le fait de la recherche militaire. Cette confiscation des recherches par l’armée nous expose à un risque d’utilisations abusives (notamment l’intelligence artificielle armée, comme les drones). Idem pour la programmation génétique (signature statistique de nos comportements) ou la datamétrie (traçage des internautes à partir de leur navigation sur Internet). À la clé, le spectre d’une société proche de celle du roman 1984. La spiritualité doit toujours accompagner la science, et non la combattre.
Pour Aberkane, qui vante le biomimétisme (processus d'innovation s'inspirant du vivant), la nature est le plus grand gisement de connaissances sur Terre. L’économie va devoir apprendre à respecter la nature, et elle va y gagner. Il va aussi devoir apprivoiser les richesses permises par les biotechnologies, qui permettent d’« augmenter » les facultés humaines. Par exemple, le développement de la neurocybernétique, avec la mise au point de télécommandes à signal cérébral pour les personnes lourdement paralysées. Il assure qu’une fois mûres, les neurotechnologies grand public vont créer plus d’emplois que les biotechnologies.
La « neuronaissance » – ou accession de l’humanité entière à la connaissance en s’appuyant sur le mode de fonctionnement naturel de notre cerveau - qu’Idriss Aberkane appelle de ses vœux ne se réalisera que lorsque la société civile se sera emparée des neurosciences et les aura assimilées d’elle-même. Les neurosciences ne doivent pas être une affaire d’élite, comme certains aimeraient à le faire penser. L’augmentation de notre cerveau ne doit pas nous venir du dehors, en réalité, mais aller de l’intérieur vers l’extérieur. C’est la technologie qui doit servir l’humanité, et non l’inverse.
Au même titre que le biomimétisme, le « neuromimétisme » peut nous aider à ne pas piétiner notre futur et à nous libérer de nous-mêmes, car pour respecter la nature extérieure, il nous faut d’abord rendre sacrée notre nature intérieure. « Le XXIe siècle sera sage ou ne sera pas », prédit-il (p.341).
Un ouvrage dense et érudit, parfois fouillis, même si pédagogique. Les nombreuses métaphores et exemples concrets tendent à faciliter la compréhension. Idriss Aberkane nous rappelle en permanence la nécessité d’une expérimentation libérée face aux conformismes.
On peut regretter la multiplication des néologismes (neurodroits, neurochronologie, neuro-infirmité, neuro-inspiration, neurofascisme…), pas toujours très explicites et parfois même vagues et flottants. Jamais l’auteur ne s’arrête pour définir ces termes, encore moins pour les questionner. Le propos a tendance à parfois s'égarer et témoigne d'un manque de logique et de rigueur scientifique sur des points qui auraient mérités d'être approfondis.
Surtout, dès la fin 2016, plusieurs médias ont mis en cause la véracité du CV impressionnant qu’il met en avant, rapportant après vérification qu’il n’était ni normalien ni enseignant-chercheur au CNRS ou à Polytechnique. Par ailleurs, alors qu’il se présente souvent comme « neuroscientifique », aucun de ses doctorats (dont seulement deux sont recensés dans les bases françaises) n'implique la moindre compétence en « neurosciences ».
Ouvrage recensé– Idriss Aberkane, Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, Robert Laffont, 2016.
Du même auteur– L’âge de la connaissance, Robert Laffont, 2018.
Autres pistes– Patrice Van Eersel, Boris Cyrulnik, Jean-Michel Oughourlian, Pierre Bustany, Christophe André et Thierry Jansens, Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner : Entretiens avec Patrice Van Eersel, Paris, Albin Michel,2012.– Deepak Chopra, Le fabuleux pouvoir de votre cerveau, Paris, Guy Trédaniel, 2014.– Tony Buzan, Développez votre intelligence avec le mind mapping, Paris, Alisio, 2018.– Olivier Roland, Tout le monde n’a pas eu la chance de rater ses études, Paris, Alisio, 2019.