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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Entreprise altruiste

de Isaac Getz & Laurent Marbacher

récension rédigée parCatherine Lomenech

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Créer une entreprise sans objectif économique, se lancer sans business plan ? Une utopie, diront certains ! Partout dans le monde, des entreprises, petites, grandes, voire très grandes, et dans tous domaines d’activité, sont conçues autour d’une valeur humaniste. Leurs créateurs ne se sont pas posé la question de la prospérité, ils ont répondu à une vision, un désir de partage… à chaque fois avec philanthropie. Et cela fonctionne ! Le résultat : des patrons en phase avec leurs valeurs, des salariés heureux, des partenaires fiers et la réussite économique en plus, comment ont-ils fait ?

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1. Introduction

Un jour qu’il faisait un long trajet en taxi, l’un des auteurs de ce livre engagea la conversation avec le chauffeur qui lui expliqua qu’avant de devenir taxi, il avait été commercial pour un grossiste en papeterie et qu’il avait adoré cela. Il vendait très bien ses produits et il avait de bons résultats. « – Comment faisiez-vous ? – je ne cherchais jamais à vendre, je proposais toujours les bons produits au juste prix ». En fait, ses clients avaient tellement confiance en lui que, quand il arrivait, ils le laissaient remplir tout seul le bon de commande dans la réserve, bon qu’ils signaient sans quasiment le vérifier ! et à la question : « Pourquoi vous faisaient-ils donc tellement confiance ? » Il répondit le plus simplement du monde : « Parce que je les aimais ! »

C’est un peu cela l’entreprise altruiste : cela implique d’être inconditionnellement tourné vers l’autre et toujours dans le respect mutuel. Difficile de croire à une entreprise affranchie des contingences économiques ? Pourtant des entrepreneurs font le pari d’écouter leur cœur et de créer leur entreprise sans modèle économique, sans autre objectif que de répondre à une envie qui a du sens pour eux et qui apporte une valeur sociale.

Et contre toute attente, la prospérité arrive comme une heureuse conséquence alors que ce n’était pas le but au moment du lancement du projet. Alors n’ayez pas peur ! Si vous désirez vous lancer à la poursuite d’un rêve généreux, c’est possible pour vous aussi. Toute entreprise peut devenir altruiste.

D’ailleurs il est temps qu’elles se multiplient car la demande est grande, les jeunes générations, les salariés, les citoyens n’attendent que cela, que les entreprises mettent les logiques environnementales et sociales au cœur de leurs priorités.

2. Qu’est-ce qu’une entreprise altruiste ?

C’est une entreprise dont l’essentiel de l’activité se fait au service inconditionnel de ses interlocuteurs : clients, fournisseurs, livreurs, employés, actionnaires même… tout en agissant dans le respect des territoires où elle opère. Cette volonté de servir l’autre se trouve au cœur de l’activité. Il s’agit d’une manière différente de penser l’entreprise, considérant que sa vocation première est de contribuer à aider, à soutenir ou à améliorer la vie de tous ceux qui y sont liés de près ou de loin. Et cela peut se faire dans tous les secteurs comme la finance, l’industrie, l’agroalimentaire, la santé, la grande distribution, etc.

Qui sont ces entrepreneurs et pourquoi ont-ils choisi cette voie ? Ce sont des femmes et des hommes qui, à un moment de leur vie, ont réfléchi différemment. Parfois ils répondent à un besoin de quitter un travail ou un mode de pensée qui ne correspondent pas ou plus à leurs valeurs. Parfois c’est lié à un évènement, un accident, une histoire personnelle.

C’est fut le cas, par exemple, de Roger Pinard, producteur de cognac, qui a décidé de passer en bio quand il a mesuré le danger des pesticides après avoir vu ses enfants arriver, les yeux rouges et les mains irritées d’avoir joué trop près des vignes. Devenu le premier producteur de cognac bio, il a gagné la clientèle des producteurs de Fleurs de Bach qui recherchaient des composants non agressifs pour constituer leurs élixirs.

Dans le cas de Jean-Michel Queguiner, c’est un cancer qui a mis fin à ce qu’il appelle son « activisme » pour lui donner, par la force des choses, le temps de s’occuper de soi et de réfléchir à sa philosophie de vie. Convaincu que « la seule fonction de l’entreprise, c’est de créer du lien », il a développé une entreprise spécialisée dans l’équipement automobile avec 80 % de l’effectif composé de personnes en situation de handicap. Ces salariés, sensibles à son intérêt pour la relation humaine, se sont attachés à leur lieu de travail comme à un véritable lieu de vie pour lequel ils se sont engagés au point de faire de cette entreprise un leader sur son secteur.Cela peut venir aussi d’une rencontre avec un métier, une tradition, qui donnent l’envie de collaborer à un projet harmonieux, cohérent et respectueux des hommes et d’un territoire.

C’est ce qu’ont réalisé Béatrice et Gérard Barras lorsqu’ils ont décidé de reconstruire et de relancer une filature abandonnée qu’ils avaient découverte en Ardèche. Pour y arriver ils ont dû aller consulter les anciens pour réapprendre les gestes : tondre les moutons, filer la laine, fabriquer un matelas, etc. Aujourd’hui leur coopérative emploie environ 60 personnes et utilise la laine de 50 000 moutons pour fabriquer des couettes, des matelas, etc. connus même à l’étranger.

3. Prospérer sans rechercher la réussite économique

Dans une entreprise altruiste, les salariés sont fiers de travailler, et dans une plus large mesure, les fournisseurs et autres prestataires, les familles des salariés, la commune où l’entreprise est installée…

Un tel sentiment naît de la cohérence par laquelle l’entreprise est pensée : cela touche autant les conditions de travail que la relation avec les partenaires ou l’environnement, etc.De fait, l’entrepreneur renonce à viser une réussite économique sans quoi ses actions continueraient à être motivées par la recherche de résultat.

Cela vient, entre autres, du principe d’obliquité. Ce terme de géométrie, ou d’astronomie décrit l’inclinaison d’une ligne ou d’une surface par rapport à une autre ligne ou une autre surface. Dans Obliquity : Why our goals are best achieved indirectly, à propos du vol de Messenger, l’économiste britannique John Kay explique : si la NASA avait visé directement Mercure, la sonde spatiale Messenger se serait écrasée à l’arrivée. Alors qu’en suivant une trajectoire en spirale elle a réussi à se positionner en orbite de Mercure. Il en a retiré un principe général expliquant que, paradoxalement, il est souvent plus facile d’atteindre ses objectifs en ne les visant pas directement. Ce principe permettrait de comprendre pourquoi les gens heureux le sont souvent bien plus que ceux qui cherchent à tout prix le bonheur. John Kay a appliqué ce principe aux entreprises en émettant l’hypothèse que les plus rentables ne seraient pas celles qui viseraient la rentabilité.

L’obliquité se constate chez Châteauform’ par exemple. Cette entreprise propose des lieux de séminaires et autres évènements avec une vocation particulière pour l’hospitalité et la convivialité. Les clients doivent se sentir comme chez eux. Pour ce faire, ils doivent être traités comme des amis, tout doit leur être accordé sans limites. « La relation à ses clients n’est ni « perpendiculaire » – du service contre le paiement –, ni « parallèle » comme le fait la charité. » (p.69) Son cofondateur Daniel Abittan considère que la relation que Châteauform’ établit avec ses clients est plus complexe, c’est une relation d’amitié. Ce qui est oblique dans l’exemple de Châteauform’, c’est que l’entreprise ne dit pas qu’elle considère ses clients comme des amis. Elle le fait à travers un service « comme à la maison ».

Mais son dirigeant rappelle que si on veut que l’entreprise soit au service du client, la direction doit être au service des salariés en les mettant vraiment au cœur de l’entreprise et non pas en les utilisant comme une variable économique, comme c’est souvent le cas. Là encore, l’obliquité : pas de manipulation sur le personnel, s’il se donne à fond, c’est qu’il se sent vraiment bien.

4. Changer de paradigme et ouvrir son esprit

Tout le monde n’est pourtant pas capable de devenir altruiste, on l’est ou on ne l’est pas. Comment se projeter en tant qu’entrepreneur altruiste ? Comment se rendre capable de s’ouvrir inconditionnellement à un autre que l’on ne connaît pas ?

Même une personne très généreuse n’aura pas la même capacité d’ouverture et de lâcher-prise pour son entreprise, elle restera méfiante et gardera son instinct de protection. Un gros travail sur soi est nécessaire pour changer ses a priori sur les autres.Se dire que l’autre, le salarié, le fournisseur, le banquier… est foncièrement honnête et fera de son mieux dans un respect mutuel, demande d’ouvrir très grand son esprit !

On sait que les abus de confiance, le vol, les manipulateurs… tout cela existe bel et bien. C’est la raison pour laquelle l’entreprise se protège (textes de loi, contrats, etc.)

Adam Smith considérait d’ailleurs qu’une transaction économique contractuelle garantissait l’indépendance, la liberté et la dignité des hommes.

Mais il ne faut pas rester prisonnier des procédures. À trop vouloir protéger les intérêts de l’entreprise par des quantités de textes et de règles, il se crée une sorte de distance entre les divers acteurs comme une cloison étanche qui empêche la relation d’aller au-delà des clauses contractuelles.

Isaac Getz et Laurent Marbacher émettent une hypothèse différente : ils considèrent que non seulement une entreprise peut créer assez de relations amicales pour satisfaire les besoins de nombreux acteurs économiques et faire que tous respectent leurs engagements, mais, selon eux, c’est justement le fait de s’ouvrir sans condition qui enrichira tellement le lien que l’entreprise se distinguera de ses concurrents et que c’est sans doute ce qui lui apportera la prospérité comme un effet secondaire heureux. Il est vrai qu’un menteur, un artisan négligent, un mauvais payeur ou un fournisseur qui livre toujours en retard ont vite fait de se tailler une réputation qui leur fera perdre progressivement tous leurs marchés.

5. « La confiance n’exclut pas le contrôle » … Eh bien si, justement !

Être altruiste, c’est aussi être capable de donner avant de recevoir, c’est se concentrer sur l’autre sans l’instrumentaliser. Et cela passe par la confiance inconditionnelle, pas une confiance sous contrôle. Accorder sa confiance, c’est offrir à l’autre la liberté et, de fait, renoncer à tout contrôle…

Pour autant, « renoncer à contrôler n’entraîne pas la disparition du contrôle. Tout simplement celui-ci change de main et, au lieu d’être exercé par les supérieurs sur les subordonnés, il est exercé par les subordonnés eux-mêmes – il devient de l’autocontrôle. » (p.439-440). C’est une approche très différente, iconoclaste même.

Dans un management classique, lorsqu’un cadre envisage une prise de décision pouvant provoquer un tournant stratégique à son entreprise, il soumet son projet au vote du comité de direction, par exemple. Or, à bien l’analyser, cette démarche peut être considérée comme une pratique déresponsabilisante : le cadre fait une proposition, à partir du moment où elle est validée par une autorité supérieure, si jamais c’était un mauvais projet, il n’en est plus tout à fait responsable : « Ils n’avaient qu’à pas le valider, là-haut ! » Par contre, quand vous êtes cadre et qu’avant même la présentation de votre projet, votre hiérarchie vous dit oui sans condition, vous en êtes, pour le coup, totalement responsable. Est-ce que cela n’est pas la garantie que ce projet sera forcément parfaitement « bordé », étudié jusqu’aux extrêmes hypothèses ? Par conséquent, le meilleur projet qui soit !

Bien sûr la confiance ne peut pas être la même à tous les niveaux, elle dépend du périmètre de responsabilité défini pour chaque personne. Mais chacun doit se sentir libre d’agir en conscience à son niveau sans devoir se justifier.

En fin de compte, la confiance est fondatrice de la relation humaine. Accorder une confiance inconditionnelle ne signifie pas être naïf. Dénuées de cynisme ou d’a priori, les personnes qui accordent leur confiance créent plus de relations. Même si elles sont plus souvent déçues que les méfiantes, elles deviennent, par le fait, mieux « équipées » pour fonctionner avec les autres et voir venir les dysfonctionnements. Leur confiance est mieux entraînée, plus lucide.

6. Oser être audacieux, ne pas se laisser bloquer par la peur

Diminuer ses protections pour favoriser le relationnel n’est pas si dangereux qu’on pourrait le croire. Toute entreprise comporte une part de fragilité, même protégée par une législation bien pensée. Tout peut arriver. Les crises récentes nous prouvent que même une entreprise florissante peut subir de terribles aléas. Et parfois, elle s’en sort mieux grâce à la solidarité et à la relation humaine que par les protections fournies par ses contrats d’assurance ou par la loi.

Du point de vue psychologique, comme l’explique l’économiste et historien, Luigino Bruni, il est parfois plus difficile de vouloir se prémunir en permanence contre tout risque de blessure que d’affronter le fait d’en être parfois victime. Parvenir au risque zéro et vouloir se protéger exige de s’isoler dans sa bulle et de se couper des autres au prix de relations authentiques et enrichissantes. L’élaboration de stratagèmes pour se protéger par du contrôle et de la surveillance peut faire perdre beaucoup d’opportunités. D’un autre côté, lorsque vous adoptez une posture différente, vous vous heurtez à la critique. C’est le cas de la société Châteauform’ souvent considérée comme une secte parce qu’elle parle à ses clients comme à des amis ! Le poids du conformisme social est parfois très lourd. Il ne faut pas avoir peur.

Il est vrai que beaucoup d’entrepreneurs altruistes ont accepté de prendre des risques et de se lancer sans craindre les aléas. Mais ce n’est pas si simple, certaines personnes sont prêtes à prendre des risques et d’autres les craignent par-dessus tout. Il est forcément plus difficile pour ces dernières de se lancer et d’y croire.

C’est une démarche personnelle que de décider que c’est possible et que l’homme est naturellement bon. Décider de croire que les salariés partageront la vision et s’engageront pour elle, que les fournisseurs suivront, que les actionnaires défendront le projet... Mais si c’est un beau projet positif, sain, altruiste et respectueux, pourquoi ne le feraient-ils pas ?

Après tout, il y a toujours cette part de providence dont chacun est capable de parer ses rêves, ce fameux « aide-toi et le Ciel t’aidera » qui fait que d’une manière ou d’une autre, ceux qui croient en leurs rêves, voient apparaître sur leur route bien plus d’évènements positifs comme si le destin les soutenait. Peu importe que cela vienne des bonnes énergies dégagées par un cœur optimiste ou du fait qu’ils choisissent de ne garder que le meilleur de ce qu’ils vivent. Le résultat est le même : ils sont heureux !

Même Darwin considérait que la compassion est plus forte que l’intérêt personnel et qu’elle semble se transmettre par la sélection naturelle car les heureux feraient plus d’enfants et vivraient mieux et en meilleure santé. Donc !

7. Conclusion

Toute entreprise peut devenir altruiste. Elle doit simplement reposer sur un projet cohérent, qui contient des vraies valeurs. C’est à l’entrepreneur de lui donner ce sens, de savoir ce qu’il veut vraiment faire de son affaire. Cela demande un travail personnel, il faut oser se remettre en question. Ensuite c’est une histoire de conviction et de courage, oser être soi et faire coïncider son cheminement de vie avec sa vision de l’entreprise.

Apprendre à faire confiance n’est pas si simple mais la réponse des collaborateurs et des partenaires ne se fait pas attendre : en les écoutant, en les respectant et en les valorisant on obtient d’eux un formidable accompagnement pour faire aboutir un projet humaniste.

8. Zone critique

L’entreprise altruiste est sans doute l’entreprise de demain. Au vu du désastre produit par la course au profit et d’un management inhumain, il est grand temps que ce monde s’attache à mettre en valeur ce qu’il y a de plus beau dans l’humanité : le respect, le partage, la solidarité, la créativité… plutôt que de parler d’objectifs, de résultats, de compétition et autres pratiques d’un autre âge.

Faire confiance, redonner du sens et intégrer une éthique environnementale à tout cela… et le monde du travail redevient motivant. Le courage ni l’ardeur ne manquent aux travailleurs, que les leaders réapprennent l’altruisme et l’élan sera donné pour un nouveau monde professionnel.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Isaac Getz et Laurent Marbacher, L’Entreprise altruiste, Paris, Albin Michel, 2019.

Ouvrage d'Isaac Getz– Avec Brian M. Carney, Liberté & Cie, quand la liberté de salariés fait le succès des entreprises, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2016.

Autres pistes– Fabienne Alamelou-Michaille, Manager avec son âme, la méthode des grands dirigeants pour mettre l’humain au cœur du travail, Paris, Mame, 2019.– Jacques Lecomte, Les entreprises humanistes, Paris, Les Arènes, 2016. – Muhammad Yunus, Pour une économie plus humaine, Paris, Le livre de poche, 2012.

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