dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Économie symbiotique

de Isabelle Delannoy

récension rédigée parThéo JacobDocteur en sociologie à l'EHESS, chercheur associé aux laboratoires PALOC (IRD-MNHN) et CRH (EHESS)

Synopsis

Science et environnement

Dans cet ouvrage, Isabelle Delannoy montre qu’un autre type de développement est possible. En analysant les alternatives durables qui se multiplient à travers le monde, elle montre que s’affirme une nouvelle logique économique : un système où les écosystèmes vivants, techniques et sociaux entrent en symbiose, laissant émerger un nouveau modèle de société.

google_play_download_badge

1. Introduction

La Terre est en danger et notre survie en tant qu’espèce, de plus en plus compromise. Si cette crise est par nature multidimensionnelle, c’est bien l’économie mondiale qui est, au premier chef, sur le banc des accusés. « En cinquante ans, nous avons modifié la planète plus rapidement et plus amplement que pendant toute l’histoire de l’humanité » (p. 23). La croissance économique, dépendante des énergies fossiles, est à l’origine du réchauffement climatique.

De plus, elle a engendré le pillage des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes – contribuant à ce que certains n’hésitent plus à qualifier de « sixième crise d’extinction des espèces ».

Cette globalisation économique se montre également nocive pour l’humanité. En effet, jamais les inégalités sociales n’ont été aussi grandes. Le pouvoir économique est concentré dans les mains de la finance, dont seulement 3 à 5% des flux monétaires sont réinvestis dans l’économie réelle. Aujourd’hui, 64 personnes détiennent autant que la moitié de la population mondiale. Sur le plan individuel, ce modèle se montre tout aussi insatisfaisant : nos vies professionnelles sont éreintantes, nous sommes entourés par la pollution et, la plupart du temps, privés de contact avec la nature.

C’est pour apporter une touche de lumière à ce triste tableau qu’Isabelle Delannoy est à la recherche de solutions. En parcourant le monde, elle a ainsi étudié différents types d’innovations technologiques, associatives ou entrepreneuriales, qui permettent de penser différemment notre développement. À partir de ce travail de collecte et d’analyse, son ouvrage s’efforce de dessiner une nouvelle logique économique et productive, et de poser les bases d’une autre civilisation.

2. La symbiose ou le pari d’un design commun

L’économie dominante postule que la libre concurrence serait un mécanisme efficient. Cette confiance dans les vertus de la compétition n’est pas nouvelle. Dans L’Origine des espèces (1859), Charles Darwin démontrait déjà que la « sélection naturelle » était le moteur de l’évolution biologique. Mais cette vision du monde est extrêmement datée. Depuis, les recherches sur le vivant ont fait apparaître de nouvelles connaissances. L’évolution, si elle repose sur des mécanismes de compétition, dépend aussi de phénomènes de coopération où les organismes interagissent pour assurer leur survie.

C’est dans ce nouveau contexte épistémologique que s’inscrit l’ouvrage d’Isabelle Delannoy. Elle ambitionne ainsi de conceptualiser une nouvelle matrice économique, fondée sur la notion de symbiose. « La symbiose est le mécanisme le plus puissant et le plus subtil du vivant. Elle est cet espace intelligible entre deux êtres qui trouvent dans leurs différences leur complémentarité » (p. 318). En effet, quand les écosystèmes sont riches et diversifiés, il s’établit des relations à bénéfice réciproque entre leurs composantes. Par exemple, dans les mers tropicales, les coraux ont su développer des synergies avec les algues microscopiques qui leur permettent de s’alimenter grâce à la photosynthèse – à partir du dioxyde de carbone, ces algues produisent alors des sucres qui compensent la rareté du plancton !

La symbiose permet ainsi de repenser notre relation au monde : il ne s’agit plus de le dominer mais bien de « vivre avec » lui. Ce nouveau paradigme relie les diverses pratiques alternatives que l’auteure a observées. « À mesure que je cherchais, il se formait […] un design commun. Sous leur diversité apparente, elles présentaient des analogies de fonctionnement » (p. 29) : un même modèle économique et productif, qui associe le développement des activités humaines à la régénération des écosystèmes ainsi qu’au renforcement des liens sociaux.

3. Se servir des écosystèmes

Mais d’où vient « l’efficacité des écosystèmes à produire de multiples services à mesure de leur montée en maturité » (p.48) ? Séquestration du carbone, filtration des eaux, pollinisation… cette productivité témoigne de l’incroyable capacité du vivant à tisser des réseaux et à faire circuler l’information. Aujourd’hui, l’économie repose sur une logique extractive, qui détruit la matière. Dorénavant, tout l’enjeu est de remodeler nos activités en utilisant les informations et les services créées par nos écosystèmes. Il faut se servir de leur efficacité intrinsèque.

En assurant la régénération de la biosphère, nous augmentons ainsi notre potentiel de développement.Richesse écologique et prospérité économique sont les deux faces d’une même pièce. Pour cette raison, nous devons nous inspirer du vivant. En utilisant son intelligence pour décoder la complexité des écosystèmes, l’humain passerait ainsi du rôle de « destructeur » à celui de « catalyseur » : il pourrait « multiplier une productivité intrinsèque au vivant sans se désynchroniser de ses rythmes » (p.105). Différents mouvements ont prôné cette démarche depuis la fin du XXe siècle. Ils sont parvenus à développer une expertise qui pense simultanément régénération écologique et efficacité économique.

La « permaculture » associe des méthodes économes en surface et en énergie à une forte productivité agricole, favorisée par les synergies entre cultures. L’« agroforesterie » prône des activités d’agriculture et d’élevage qui ne s’opposent plus au maintien du couvert forestier. Le « biomimétisme » s’inspire du vivant pour imaginer de nouvelles technologies à faible impact environnemental. Enfin, l’« ingénierie écologique » imagine des « villes-jardins » où certains services (assainissement, filtration des eaux, dépollution) seraient directement assurés par les écosystèmes. Ces modèles permettent de limiter notre utilisation de l’industrie et de la technologie aux domaines réellement indispensables.

4. Réduire les activités extractives

L’économie symbiotique consacre la productivité des écosystèmes. Elle reconnaît que « le vivant forme un processeur énergétique à externalités positives » (p.115). La société doit donc, autant que faire se peut, éviter les activités extractives qui, à l’instar de l’industrie minière, détruisent la biosphère et rejettent une quantité importante de CO2 dans l’atmosphère. Ainsi, « l’économie symbiotique permet d’envisager une réduction […] des besoins […] énergétiques et est capable de diminuer de façon très importante ses besoins en matière et de renouveler celle-ci très efficacement » (p. 275).

Aujourd’hui, 86% de notre système énergétique provient d’énergies fossiles. Réduire les activités extractives implique donc, dans un premier temps, d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Différentes solutions existent : l’« énergie solaire », avec la production de panneaux photovoltaïques ; l’« énergie gravitationnelle », exploitée par les barrages hydroélectriques et les moulins à eau ; l’« énergie géothermique », qui utilise la chaleur des nappes phréatiques pour créer de l’électricité. Toutes ces nouvelles sources d’énergies ont néanmoins un impact environnemental. C’est pourquoi, parallèlement, nous devons décentraliser notre système énergétique. Il s’agit de penser l’énergie en réseau, à partir d’un marché local plus diversifié et plus efficace.

Les mêmes procédés peuvent être appliqués aux activités productives. Il s’agit en effet de mettre en œuvre une écologie industrielle qui privilégie les réseaux intelligents, l’économie circulaire et la mutualisation des usages. « En joignant producteurs et consommateurs dans un même flux, on passe d’une industrie extractive à une industrie capable de régénérer une partie de ses ressources » (p. 134).

Cette nouvelle organisation ferait de la multiplication de l’usage et de l’accès le moteur de sa rentabilité. En développant l’« interopérabilité », qui permet à un même composant ou à une même machine d’être successivement réutilisé, l’économie symbiotique fait le pari de développer une industrie plus économe et moins standardisée.

5. Partager l’intelligence collective

Chaque aspect de l’économie symbiotique doit entrer en synergie avec les autres, créant un cercle vertueux dans lequel les humains s’épanouiraient. En favorisant la productivité des écosystèmes, l’homme diminue son impact, améliore son organisation et renforce les liens sociaux. Il s’agit donc de décentraliser le système. « Dans un réseau pyramidal et centralisé, il faut attendre la réponse du chef.

Dans un réseau réticulé où chacun est relais, l’ensemble des acteurs est libre de pouvoir entrer en coopération » (p. 168). L’économie symbiotique repose sur l’intelligence collective et implique la mise en œuvre d’une gouvernance de type coopérative.

Ce type d’organisation suppose de reconnaître le potentiel d’innovation des communautés. Dans son ouvrage Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles (2010), Elinor Ostrom montre ainsi que les communautés locales, soudées autour de valeurs partagées, ont une capacité d’autogestion. Elles inventent des institutions efficaces, adaptées à leur environnement.

Aujourd’hui, de nouveaux types de communautés se créent dans des « tiers-lieux », où se rencontrent initiatives sociales et entrepreneuriales. C’est le cas des Fablabs, ces laboratoires de fabrication qui prônent le partage des technologies, des compétences et des savoir-faire – on y apprend par exemple à construire ses propres appareils à l’aide d’une imprimante 3D. De la même manière, les monnaies locales facilitent l’émergence de territoires autonomes, qui renforcent les acteurs locaux.

Internet se révèle également un outil essentiel. « De la même façon que dans un système vivant, […] les tâches [y] circulent librement entre les contributeurs dans un même réseau d’information » (p.145). Si la « toile » reste très énergivore, notamment pour approvisionner ses centres de stockage de données (les fameux Data center), elle fait aussi émerger de nouvelles pratiques fondées sur le libre accès. Par exemple, le pair-à-pair est un système de partage où chaque membre du réseau est la fois utilisateur et contributeur. Autre phénomène, le mouvement de l’open source crée des logiciels dont la licence prévoit des droits de réutilisation et de modification par les usagers.

6. Vers une organisation en écosystème

Comme l’affirme la microbiologiste Lynn Margulis, « le vivant n’a pas conquis le globe par le combat mais par la mise en réseau » (p.109). C’est en tissant des liens et en faisant circuler l’information entre une diversité sans cesse croissante d’entités que le monde vivant a développé ses fonctionnalités. Les externalités positives produites par les uns permettent le développement des autres, et ainsi de suite. Organisés en écosystèmes, les organismes sont capables de régénérer leurs ressources et d’en produire de nouvelles !

Pour l’auteure, cette organisation en écosystème constitue la preuve que la « décroissance » ou l’« effondrement » ne sont pas une fatalité. « C’est par le développement du vivant dans sa parfaite intégrité que les écosystèmes sociaux [et économiques] peuvent se déployer et prospérer » (pp .237-238).

Les écosystèmes vivants permettent donc d’extraire une structure générale de fonctionnement que l’on peut appliquer au champ économique. Plusieurs principes généraux sont nécessaires à un développement de type symbiotique. Les trois premiers sont des principes dits « constructeurs » – c’est-à-dire qu’ils sont indispensables à la naissance d’un écosystème. L’efficacité d’un réseau repose sur la « collaboration libre et directe entre les entités ». Ensuite, il faut que la circulation des ressources forme des « territoires de flux également accessibles à tous ». Enfin, ce réseau doit permettre la coexistence d’une « diversité d’acteurs et de ressources respectant l’intégrité de chacun ».

Puis interviennent trois principes dits « régulateurs » – c’est-à-dire qu’ils assurent les fonctionnalités de l’écosystème. Les divers organismes doivent « utiliser en priorité les services rendus par les écosystèmes ». Ils s’engagent à « rechercher l’efficience maximale de l’utilisation des ressources ». Finalement, ils s’emploient à « favoriser la compatibilité des activités humaines avec les grands équilibres de la biosphère ».

Lorsque tous ces principes sont respectés, les écosystèmes vivants se régnèrent, et favorisent en retour la prospérité des écosystèmes économiques et sociaux. Selon l’auteure, « l’avantage [de cette] théorisation [serait] de pouvoir pousser la logique […] jusqu’au bout » (p.227), dessinant ainsi un nouveau mode d’organisation des sociétés humaines.

7. Conclusion

Dans cet ouvrage, Isabelle Delannoy propose une nouvelle théorie économique, par laquelle les sociétés humaines vivraient en harmonie avec la biosphère. En analysant les pratiques d’une multitude d’acteurs, dans des secteurs aussi divers que l’agriculture urbaine ou le numérique, elle montre que ce nouveau modèle émerge aux quatre coins du monde. En plaçant les écosystèmes vivants au cœur du système productif, cette économie symbiotique assurerait la régénération des ressources naturelles ainsi que le développement des activités économiques et des liens sociaux.

À l’instar du film Demain (2015) réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, cet ouvrage montre une grande proximité avec le mouvement des Colibris initié par Pierre Rabhi, qui propose une vision positive de la transition écologique, à partir des initiatives vertueuses qui se développent dans le monde entier : une grande métamorphose sociétale serait en marche sous nos yeux – il ne resterait plus qu’à en assurer la reconnaissance.

8. Zone critique

Si cet ouvrage se présente comme un travail de recherche, certaines ambiguïtés limitent néanmoins son ambition. Une première faiblesse a trait au mode de démonstration choisi par l’auteure : par une liste d’exemples extrêmement variés, Isabelle Delannoy entend apporter la démonstration qu’un nouveau modèle serait en train d’émerger. Néanmoins, accumulation n’est pas raison : le pouvoir rhétorique de l’énumération ne garantit pas une quelconque validité théorique. Un examen rigoureux, appliqué à un nombre plus réduit d’exemples, aurait permis de faire émerger davantage de complexité.

En outre, en voulant démontrer qu’une économie écologique est possible, l’auteure passe un peu vite sur les questions sociales et politiques. Ce choix apparaît dès le début de l’ouvrage : « Je décidais de me consacrer au seul plan écologique ; les problèmes sociaux, mêmes grandissants, trouveraient leurs défenseurs » (p. 28). Mais est-il possible de dissocier ainsi la problématique environnementale du problème social ? Selon Murray Bookchin, théoricien de l’écologie libertaire, c’est justement en s’attaquant à la question sociale – et notamment à celle de la réduction des inégalités – qu’il devient possible d’instaurer de nouveaux équilibres avec le monde naturel.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L’Économie symbiotique. Régénérer la planète, l’économie et la société, Arles, Actes Sud, coll. « Domaines du possible », 2016.

Du même auteur – Avec Marie Beuzard, Mini-kit de survie de la nana bio. 200 conseils pas chers tout au long de l’année, Paris, Eyrolles, 2013.

Autres pistes– Yann Arthus-Bertrand, Albert Jacquard et Isabelle Delannoy, Regards partagés (sur la Terre et sur les hommes), Paris, La Martinière, coll. « Nature et Écologie », 2006. – Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Paris, De Boeck, 2010 [1990]. – Murray Bookchin, Pouvoir de détruire, pouvoir de créer. Vers une écologie sociale et libertaire, Paris, L’Échappée, coll. « Versus », 2019.

© 2021, Dygest