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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Une Société sans école

de Ivan Illich

récension rédigée parClara BoutetDoctorante en anthropologie sociale (EHESS/EPHE).

Synopsis

Philosophie

Afin d’engager une véritable révolution des institutions pour l’autonomie des individus, Ivan Illich préconise la déscolarisation des institutions et de toute la société. Il s’agit d’instaurer des réseaux de communications visant une éducation universelle.

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1. Introduction

Le propos de l’ouvrage est inspiré des échanges entre l’auteur et le théoricien de l’éducation, Everett Reimer, à Porto Rico en 1958. La traduction française de son titre apparaît quelque peu malencontreuse car il s’agit davantage de déscolariser la société, selon le titre original Deschooling Society ; l’auteur ne propose pas d’éliminer l’école mais bien de décupler les lieux et les modes d’apprentissage.

Ivan Illich défend la thèse suivante : « Le système scolaire obligatoire représente finalement pour la plupart des hommes une entrave au droit à l’instruction » (p.3). Néanmoins, il se montre conscient des difficultés inhérentes à l’idée d’une société déscolarisée et se demande à quelles institutions (déjà existantes) s’en remettre. Il propose une phénoménologie de l’école pour tenter de dissocier ce que nous avons l’habitude de penser ensemble comme une seule et même chose : l’école et l’éducation.

En réalité, nous devons admettre que l’on acquiert la grande majorité des savoirs (et savoir-faire) en dehors du système éducatif. L’auteur s’érige contre le caractère obligatoire de l’école et du contenu des programmes, contre la domination des diplômes qui créent une ségrégation entre diplômés et non-diplômés à travers une discrimination par les compétences.Les sources de l’apprentissage passent par divers vecteurs, parmi lesquels on compte les objets éducatifs (les informations, les instruments, etc.), les modèles, l’aide apportée par les aînés qui s’illustrent comme des conseillers ou encore la rencontre des pairs. L’éducation trouve son fondement dans ces quatre ressources : aussi est-il nécessaire de les rendre disponibles, hors d’un cadre obligatoire et contraint. L’instruction doit en premier lieu puiser son origine dans une motivation personnelle.

2. En finir avec l’institution

En premier lieu, l’école apparaît comme le lieu où se trouvent rassemblés des individus par catégories d’âge, autour d’enseignements, impliquant une présence obligatoire et des programmes imposés. L’institution scolaire est « fondée sur l’axiome que l’éducation est le résultat d’un enseignement » (p.38). L’attachement à cette institution est ancré dans la promesse de diplômes. On se soucie davantage du diplôme que de ce que l’on apprend… et de ce qu’il en restera !

En continuant de la sorte, nous allons droit dans le mur : Ivan Illich annonce autant une « pollution du milieu physique » qu’une ségrégation sociale. Pour les prévenir, il propose de mettre la technologie au service de l’autonomie personnelle en sorte d’aboutir à de nouvelles valeurs, tirées des mains des technocrates. Il s’agit de ne plus traiter les besoins immatériels comme des biens de consommation (santé, éducation, liberté individuelle, bien-être social, équilibre psychologique, qui tendent à être redéfinis comme des produits de service…).

Pour l’auteur, le problème concerne toutes les institutions modernes, mais il choisit de traiter le paradigme de l’école : la déscolarisation de la société profiterait certes à l’éducation publique mais aussi à la cellule familiale, à la politique, à la sécurité et même à la foi. En somme, nous sommes conditionnés à penser que se soigner seul est irresponsable ou que s’instruire seul représente un danger. Or, d’après le mot de Paulo Freire dans sa Pédagogie des opprimés : « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. »

3. Un projet pour l’éducation

L’auteur part du constat que l’école trie plus qu’elle n’oriente. L’institution scolaire sert à modeler des individus aliénés par la société de consommation et de concurrence. Le projet soumis par Ivan Illich s’annonce révolutionnaire car il implique de réviser le fondement institutionnel de l’ensemble de la société en prônant une éducation accessible à tous et transmise par la communauté. Assurer à tous des possibilités éducatives égales – ce qu’il ne faut pas confondre avec la scolarité obligatoire – s’avère l’objectif du projet.

Ivan Illich pense son système comme une « banque » au sens où les citoyens disposeraient de crédits qu’ils pourraient utiliser tout au long de leur existence. À partir d’un crédit de base pour accéder à un enseignement, les individus pourraient obtenir de nouveaux crédits, en délivrant eux-mêmes des enseignements, afin de contribuer à la mise en commun des savoirs.

Enfin, il propose une solution en quatre réseaux, sous la forme d’un service à la carte où puiser tout au long de l’existence :

1. la mise à disposition d’« objets éducatifs » dans des lieux de médiation (bibliothèques, laboratoires, musées, salles de spectacles, même usines, fermes, aéroports… et tous les lieux où l’on se rend librement, publics ou professionnels) ;2. un service d’échange de connaissances (faire profiter les autres de ses compétences) avec un organisme dédié à cette tâche, en vue de la mise à disposition des savoirs et des compétences ;3. un réseau de communication, voué à faciliter les rencontres entre pairs et qui pourrait être envisagé par voie numérique ;4. un service de référence en matière d’éducateurs, tel un annuaire des professionnels et des amateurs, qui pourraient être des personnes ressources dans tel ou tel domaine.

Remarquons qu’Illich admet l’utilisation de la technologie pour parvenir à ses fins, car le numérique apparaît comme l’outil le plus efficace pour mettre en relation l’offre et la demande entre un individu voulant apprendre et un autre souhaitant transmettre son savoir.

4. Ce qu’apprendre veut dire

L’auteur souligne l’apparition récente de la catégorie de « l’enfant » (qui naît avec la bourgeoisie). Puisqu’il existe des « enfants », nous pensons qu’il faut les envoyer à l’école, unique lieu envisageable de leur instruction. Quant à l’enseignant, il est considéré comme le détenteur d’une autorité qui se substitue à celle des parents (voire à celle de l’État ou de Dieu) qui se charge de l’endoctrinement, devient censeur des mœurs en déterminant la bonne ou la mauvaise conduite et prend la place du thérapeute, pénétrant dans l’intimité personnelle. Il « réunit les fonctions de juge, d’idéologue et de médecin des âmes » (p. 41).

D’après Ivan Illich, tous les systèmes éducatifs doivent répondre à un certain nombre d’objectifs : offrir l’accès à toutes les ressources existantes ; mettre en réseau ceux qui veulent prodiguer du savoir (mettre en commun leurs connaissances) et les personnes avides de savoir dans tel ou tel domaine ; laisser une place à l’innovation, même si elle s’érige contre l’opinion publique ; enfin, donner une voix à ses porteurs.

L’école donne l’illusion que l’éducation est le produit de l’enseignement. En réalité, elle produit une ségrégation pérenne entre les détenteurs de diplômes et les autres. Il s’agit donc de lutter contre l’école obligatoire plus que contre l’école elle-même, ce qui revient à préconiser une séparation de l’École et de l’État… Beaucoup de compétences s’acquièrent en dehors de l’école et le mode d’apprentissage qui est à l’œuvre à l’école est particulier (il peut être pertinent pour un certain type de savoirs mais pas pour tous et ne devrait pas être imposé) : « Nous pourrions concevoir, à l’opposé de cet entonnoir (à l’opposé du gavage), un réseau souple, un tissu vivant où chaque personne désireuse de s’instruire serait à même de trouver les contacts nécessaires, de participer à sa propre croissance » (p. 85).

En l’état, un enfant se construit en pensant que, quelque part, une institution sera conçue pour être apte à satisfaire nos besoins, dans une société qui crée des besoins plus vite qu’elle n’est en mesure de les satisfaire. C’est la production qui crée la demande. Par ailleurs, plus des crédits sont alloués aux institutions, plus la dépendance à leur égard augmente, ce qui ne cesse d’accroître la pauvreté des plus déshérités. Nous dépendons d’un système où la « liberté » se résume à avoir le choix entre des produits conditionnés.

5. Dissocier éducation et scolarité pour dissoudre l’illusion de l’instruction

Éducation et scolarité ne recouvrent pas des réalités identiques. Si l’éducation est vouée à répandre les objectifs humanistes de l’enseignement, la scolarité dépend de la structure inaltérable de l’école. La société envoie le message que seule la scolarité, et l’initiation qui l’accompagne, sont aptes à encadrer l’entrée dans la société.

Cette idée représente, selon l’auteur, l’enseignement occulte prodigué par l’école en tant qu’unique détentrice d’un enseignement ayant de la valeur. L’instructeur et l’éducateur ne revêtent pas des fonctions identiques. Le premier est conditionné par un programme et des méthodes ; le second s’avère un guide qui n’impose pas son savoir et qui s’efforce de mettre en relation des partenaires.

Illich dénonce l’illusion selon laquelle les savoirs (et savoir-faire) acquis en dehors de l’école ne possèdent pas de valeur et ne contribuent pas au développement des compétences. Cette conception dessert l’autonomie des individus. Le projet d’Illich est que les individus s’emparent de leur capacité d’agir et d’apprendre (ce que recouvre aujourd’hui la notion d’empowerment). Il s’agit de ne pas laisser l’école aux mains des technocrates, mais de s’emparer de l’instruction comme d’une responsabilité personnelle, afin de redonner une valeur à l’acte personnel et à la fabrication des choses hors des savoirs conditionnés.

Le système scolaire tel qu’il est institué culpabilise ceux à qui il ne correspond pas : échouez à l’obtention d’un diplôme et l’institution – voire la société tout entière – vous renverra au fait que vous n’avez pas su saisir la chance que l’on vous a donnée. Pour cette raison, l’auteur défend le droit à l’apprentissage, mais pas de façon unilatérale comme on a l’habitude de le penser : il contient le droit d’apprendre, certes, mais aussi celui de transmettre, de partager ses savoirs et ses compétences. La mise en commun des savoirs est un prérequis essentiel. Cette double définition de l’apprentissage doit demeurer un droit inaliénable.

6. Conclusion

Le projet d’Illich entend déscolariser les institutions et toute la société, pour tendre vers une éducation universelle organisée autour de véritables réseaux de communication. Pour le réaliser, il défend le libre accès aux instruments de l’enseignement et le partage des connaissances avec autrui. Ce projet nourrit en son sein une forte intuition, en ce qu’il annonce les nouvelles formes pédagogiques (plus horizontales, voire bottom-up). La société actuelle nous soumet quelques propositions (la démocratie participative, les universités libres ou encore les pédagogies critiques) qui amorcent un pas vers la révolution institutionnelle, mais la reconnaissance par les diplômes reste la norme.

Illich veut que la critique faite à l’école s’étende à toute institution, tels le système carcéral et les services de santé. Il envisage de démanteler les écoles, ce qui représente l’ultime aboutissement de son projet : redonner place à l’autonomie des individus.

7. Zone critique

Le système éducatif semble aller de soi, surtout en France où l’école républicaine est en apparence un modèle d’égalité. Quand bien même il y aurait des choses à redire sur son fonctionnement, il est rare de remettre en question l’institution scolaire elle-même, comme le modèle d’une école obligatoire, ou encore le format d’apprentissage qu’elle propose. Le projet révolutionnaire d’Illich impliquerait la disparition des maîtres d’écoles pour laisser place à des vocations d’éducateurs indépendants.

Mais la solution ici proposée demeure un peu floue : telle qu’il l’énonce, on ne peut se figurer qu’une mise en pratique des plus compliquées. Cette solution relève d’une vision utopique quoiqu’assumée en tant que telle et qui, en cela, correspond à son temps et à sa mouvance libertaire. Cependant, l’idéal visé est d’assurer à tous l’accès à l’égalité par l’éducation, ce que l’école, contrairement à ce qu’elle prétend, ne permet pas puisqu’elle crée une ségrégation sociale par le diplôme.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Une société sans école, Paris, Seuil, 1971.

Du même auteur– La convivialité, Paris, Seuil, 1973.– Némésis Médicale, Paris, Seuil, 1975.

Autres pistes– Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2004.– Thierry Paquot, Introduction à Ivan Illich, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2012.– Anne Querrien, L’École mutuelle, une pédagogie trop efficace ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005.– Anne Querrien, « L’ensaignement », Recherches, n°23, juin 1976.

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