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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le mécanisme de construction du monde

de Jacques Barnouin

récension rédigée parAgnès Bourahla-FarineDiplômée de l'ESJ de Lille. Journaliste scientifique (Biologiste Infos/Passeport santé).

Synopsis

Science et environnement

Ce livre retrace le parcours de l’humanité pour tenter de déterminer quels facteurs ont été déterminants dans les constructions sociétales. Ce voyage scientifique transdisciplinaire s’appuie sur une grande variété de données dans le but de comprendre le processus de naissance et de développement d’Homo sapiens. Le mécanisme de construction du monde qui en ressort serait à même d’expliquer les importantes inégalités actuellement à l’œuvre sur la planète entre habitants du monde privilégiés, et habitants soumis à des conditions de vie beaucoup plus rudes. Des pistes pour un rééquilibrage des sociétés humaines sont proposées.

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1. Introduction

« D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? », s’interrogeait en 1897 le peintre Paul Gauguin, après la mort de sa fille : il donna alors ce titre à l’une de ses toiles. Ces questions sont éternelles…

Et c’est à une telle interrogation, une quête de sens partagée sous la forme d’une recherche à travers les origines du monde et l’émergence de l’humanité, que s’applique à répondre Jacques Barnouin, via de multiples voies et des chemins nouveaux. Et même si, comme le fait remarquer l’auteur, la position d’homme vivant au XXIe siècle n’est pas forcément la meilleure place pour se risquer à questionner notre parcours d’espèce. « Par quelle voie s’essayer à analyser la société et démêler l’écheveau de son épopée spatio-temporelle ? », s’interroge-t-il (p. 2).

S’appuyant sur des données issues de nombreuses recherches dans des domaines du savoir très variés, il donne à voir la complexité de l’espèce humaine, Homo sapiens, dont l’émergence remonterait, sous sa forme archaïque, à au moins 300 000 ans. Le but de ce voyage scientifique étant de jeter les bases d’un intérêt général de l’humanité.

2. Vers un meilleur équilibre des sociétés

« Comprendre, c’est transformer le monde », écrivait le théoricien de la littérature et psychiatre Jean Starobinski. Reprenant à son compte cette injonction, Jaques Barnouin a tenté de comprendre les déterminants de la trajectoire de l’homme : sa stratégie de recherche est ici écrite en neuf étapes, neuf chapitres dont aucun élément n’a été planifié à l’avance. En effet, une fois une étape franchie, l’auteur décidait immédiatement de la suivante au vu des conclusions auxquelles il venait tout juste d’aboutir. But de ce parcours scientifique, presque initiatique ? « Proposer des voies d’équilibrage des sociétés humaines. » (p. 3) Et ce, « en cohérence avec le fonctionnement du monde que le parcours aura pu mettre en lumière » (p. 3).

L’idée est donc de décrypter les dynamiques humaines, et la finalité est louable : celle de jeter les bases d’un intérêt général commun à tous les hommes, ces animaux ultra-sociaux. Mais par quels moyens y parvenir, est-il permis de s’interroger ? D’une part, les hommes pourraient commencer par « s’affranchir du conservatisme de l’évolution, par la mise en œuvre volontariste d’une réflexion traitant des voies et des moyens de fortifier leur espèce » (p. 4).

Il faut rappeler ce qui semble avoir été « le premier projet conscient d’ampleur à mettre à l’actif des sociétés humaines » (p. 233) : ce serait l’émergence de l’État. En effet, cette forme de gouvernance aurait pris naissance pour la première fois dans la société sumérienne, plus précisément dans la ville d’Ur, vers 2 000 ans avec notre ère. Et ainsi, aurait donc vu le jour, au sein de cette cité, le premier « système institutionnel d’organisation de la vie en commun au sein d’une cité ou d’une nation » (p. 233). Quant à une deuxième grande innovation sociétale essentielle, elle aura dû attendre les XIXe et XXe siècles : il s’agit de la séparation de l’État (basé sur la raison générale) et de la pratique religieuse (basée sur la croyance particulière).

De fait, construire une voie de développement sociétal qui soit basé sur l’intérêt général de l’humanité suppose que la plupart des habitants de la planète qui ont été « gâtés par la nature » (p. 250) prennent à bras le corps cette mission, celle de « rééquilibrer le monde », (Id.), et qu’ils s’en sentent « comme investis » (Id.).

3. La couleur de peau : dominations infondées

Carl von Linné, scientifique du XVIIIe siècle qui a donné la première classification des espèces, distinguait dans son Systema naturae quatre catégories d’hommes. Pour lui, la couleur de la peau notamment discriminait les hommes en quatre types humains, porteurs de défauts et de qualités intrinsèques. La coloration de la peau apparaît bien ici « pouvoir constituer un facteur de déséquilibre des constructions humaines » (p. 12). Par exemple, Linné décrit l’Européen comme « blanc, sanguin, musculeux » mais aussi « inconstant, ingénieux et inventif » tandis que l’Africain, « noir, flegmatique » est supposé être « rusé, paresseux, négligent » et « gouverné par la volonté arbitraire de ses maîtres » (p. 8). Cette division des sapiens en différents types a conduit à des dominations, à la fois humainement et scientifiquement, infondées.

La couleur de peau ne peut être une caractéristique ethnique. De fait, « composée de centaines de nuances, elle dépend principalement de la quantité de rayons solaires ultra-violets (UV) à laquelle les ancêtres d’un individu ont été soumis à très long terme » (p. 12). La production d’un pigment appelé mélanine permet en effet de résister aux agressions solaires, il est donc plus important dans les régions du globe fortement ensoleillées et explique la coloration noire des peaux des gens issus du territoire africain, notamment. Précurseur, le biologiste Buffon avait quant à lui, dès 1749, déjà suggéré l’effet du climat sur la coloration de la peau. De fait, le boulet de la discrimination ethnique, « facteur de haines infondées et de controverses stériles », (p. 21) a deux faces qui se répondent et se complètent : « la face de la dépréciation imbécile des épidermes les plus foncés ; et la face de la glorification inconsciente des carnations les plus claires » (p. 21).

Ce « caractère naturel de l’esclavage » tel que décrit par Linné faisait déjà partie des concepts du philosophe Aristote, qui au IVe siècle av. J.-C., estimait que « la conservation mutuelle des hommes demande que les uns soient naturellement faits pour commander, et les autres pour obéir. » (p. 9). La suprématie de la peau blanche fut particulièrement à l’œuvre au XIXe siècle, apogée de la seconde grande vague colonisatrice.

Finalement, alors qu’en grand classificateur, Linné avait catégorisé les hommes selon des éléments physiques et des traits de caractère, les travaux récents des scientifiques, et plus particulièrement les progrès de la génétique et du séquençage, ont clairement démontré que « les humains dériveraient tous d’une même lignée paternelle et maternelle » (p. 9). Génétiquement assez analogues, les Homo sapiens auraient donc vu leur population s’éparpiller hors de leur berceau africain originel, à la faveur de plusieurs migrations entre -220 000 et -50 000 ans.

4. Trajectoire d’Homo depuis son berceau africain

L’origine de l’homme remonterait à six à sept millions d’années. Des milliards, même, si l’on considère que la vie est apparue, « sous la forme de bactéries filamenteuses » (p. 2), pour la première fois, il y a 3,8 à 4,3 milliards d’années, avant d’évoluer au moyen d’un long processus de transformation des espèces se déroulant à travers les générations.

Le berceau africain de naissance de l’homme, déjà évoqué par Darwin au XIXe siècle, fait largement consensus, même si quelques chercheurs évoquent d’autres possibilités. C’est un fait majeur dans l’histoire des constructions humaines, car les migrations nombreuses qui s’en sont suivies, et notamment la sortie de l’Homo d’Afrique, a eu une conséquence de taille, liée particulièrement à la géographie du continent : en effet, en quittant l’Afrique, les Homo primitifs ont presque forcément dû passer par ce qu’il est courant de nommer le couloir du Levant, ce territoire long et de faible largeur, situé au niveau des actuels Israël, Palestine et Liban, ainsi qu’une partie de la Syrie et de l’Irak.

Ce courant du Levant fut d’un intérêt fondamental, car certains Homo choisirent de s’y installer, quand d’autres poursuivirent plus avant leurs explorations et leur migration. Cette zone devint ainsi un lieu d’échange culturel crucial, où s’effectuaient notamment des transactions de marchandises mais aussi des partages de savoirs, et où s’esquissa aussi probablement, par exemple, la première forme d’écriture alphabétique.

L’accroissement du nombre d’individus vivant dans un même lieu, devenu alors une forme primitive de village, puis de cité, nécessita en outre d’assurer plus sûrement leur autonomie alimentaire : les habitudes de chasseurs-cueilleurs des Homo évoluèrent, ainsi, avec l’augmentation de la taille des groupes humains, vers des modèles agricoles. Les hommes se mirent donc à la domestication et l’élevage des animaux, ainsi qu’à la culture des plantes comestibles, parmi lesquelles le blé. Ce modèle d’agriculture tendit ensuite à se répandre sur de nombreuses autres parties du globe, par vagues progressives.

5. Inégalités entre les peuples

L’une des explications des inégalités planétaires actuelles réside dans les difficultés climatiques auxquelles sont exposés certains peuples.

Dans le chapitre 2, « Géoclimat et prospérité », il apparaît que parmi les vingt pays dits « PR+ », soient les nations les plus prospères (en lien avec le niveau moyen de prospérité par habitant, classement basé sur des indicateurs chiffrés : le niveau de PIB à PPA –parité de pouvoir d’achat- pour des pays de plus de 10 millions d’habitants et de 20 000 km2), dix-huit d’entre eux sont situés dans des zones plutôt tempérées du globe. Comme facteur majeur d’inégalités, sont ainsi finement décrites, sur la base de cartes et de statistiques, les conditions de chaleur importantes auxquels sont exposés la plupart des pays les plus pauvres du globe, ployant sous le rayonnement solaire.

Un autre fait majeur, déjà brièvement mentionné, a eu un poids considérable et terrifiant dans l’histoire récente de l’humanité : la colonisation. Soit l’occupation, l’organisation et l’exploitation d’un territoire sous la férule d’une puissance extérieure, à des fins de profit, de stratégie ou pour des raisons démographiques. La première vague de colonisation a concerné l’Amérique, à la suite de sa découverte au XVe siècle, décimant des peuples indigènes et des individus par centaines de milliers : « À la fin du XVIe siècle, 60 à 70 millions d’indigènes latino-américains auraient disparu de leur aire de vie décimillénaire, soit plus de 80 % de la population d’origine » (p. 17). La seconde colonisation au XIXe siècle a, quant à elle, conduit les pays européens à se partager, principalement, l’Afrique.

6. Mécanisme de construction

Finalement, c’est au travers d’un processus bioécologique en interaction avec l’histoire de l’évolution des Homo que seraient constituées les différences de prospérité qui existent entre nations. Ce mécanisme de construction du monde aurait été initié sous l’effet de plusieurs facteurs combinés.

Tout d’abord, l’origine africaine des Homo, les menant à utiliser l’Égypte comme voie principale de sortie d’Afrique facilement traversable à pied pour rejoindre le couloir du Levant (actuel Proche-Orient). Ensuite, le fait que les Homo les plus évolués « aient été dotés d’une zone de confort thermique et d’optimisation physio-mentale axée sur les températures fraîches » (p. 155). Fait qui s’explique, entre autres, par des effets du climat, et principalement la tendance à la diminution de température ambiante qui a accompagné l’évolution des Homo.

Par ailleurs, le Proche-Orient, qui a constitué un intense lieu de rencontre des Homo en migration, a vu se constituer les premières sociétés complexes, telles celles de Sumer, déjà mentionnée, ou de l’Égypte. Depuis le Levant, « la zone climatiquement la plus confortable et la plus aisée à atteindre » (p. 157) a alors été celle de l’Europe, dit « Grand lac européen ». Or, ce territoire fut ensuite créateur des civilisations grecque puis romaine, largement à l’origine des actuels États européens prospères. Et c’est, finalement, « l’avance organisationnelle, militaire et financière des États du Grand lac européen, bien positionnés pour optimiser les qualités physio-mentales de leurs habitants » (p. 158) qui leur a donné les ressources pour entreprendre des explorations, des colonisations et des conquêtes, du XVe au XXe siècle.

7. Pistes de rééquilibrage

Des pistes pour améliorer les conditions de vie des populations les plus déshéritées de la planète existent. Une gouvernance mondiale, qui serait en charge de ces questions de rééquilibrage, pourrait jouer un rôle majeur. Il apparaît également fondamental de préserver « la biodiversité animale et végétale », de la conserver et l’enrichir, « grâce notamment à une dépollution contrôlée de l’environnement » (p. 248).

Mais c’est aussi la biodiversité culturelle humaine qui doit être protégée : « La sauvegarde notre biodiversité, qui inclut (…) la protection de l’originalité, de l’égalité, de l’interpénétration fraternelle des cultures, apparaît d’ailleurs constituer un outil de prémunition des sapiens contre les dangers de division que les sentiments de prééminence et d’élitisme peuvent engendrer » (p. 249). Une autre voie est évoquée : la possibilité d’une sorte de jumelage entre habitants des pays les plus favorisés et ceux des pays moins prospères, formes nouvelles de coopération qui pourraient localement permettre de s’investir, proposer des solutions et s’enrichir mutuellement. Enfin, l’éducation s’avère être un grand pilier qui jouera un rôle prééminent dans cette volonté de tendre à un monde plus égalitaire. Toutes ces actions viseront donc à « stopper (…) le fonctionnement du mécanisme qui opprime les humains des pays où il ne fait pas bon exister » (p. 247).

Quelques exemples d’ordre technique sont aussi esquissés : « entrepreneuriats locaux », « kits de survie et de confort » (p. 250) qui pourraient par exemple, contenir des appareils produisant de l’électricité solaire et des climatiseurs split. En outre, une technique en cours de développement pourrait permettre à un climatiseur d’extraire à partir de l’air de l’eau potable (10 à 100 litres par jour). Il faudra aussi permettre aux populations vivant dans les contrées démunies de bénéficier de réseaux adaptés de « transport de marchandises, de personnes, d’énergie et de données » (p. 250).

L’espoir demeure que le politique, qui, comme l’affirmait le philosophe Paul Ricoeur, « concerne les décisions de portée historique » (p. 250) et la politique, qui « est décisions » (Id.) parviennent à « dénouer les nœuds des dysharmonies du monde » (p. 251). L’intelligence collective humaine est pleine de ressorts. Désormais, il apparaît essentiel de se donner les moyens d’instiller un nouvel engrenage, plus coopératif, qui permette l’épanouissement humain. Et qui ne laisse quiconque sur le bord du chemin.

8. Conclusion

Le Mécanisme de construction du monde est un ouvrage complet et complexe, qui relate de façon claire et originale les racines d’un questionnement pouvant amener l’homme à choisir sa voie de développement sociétal : des pistes y sont donc proposées, ayant pour but de construire un monde dans lequel les inégalités seraient réduites, notamment à travers de grands programmes d’éducation. Il est, ainsi, suggéré que tous les enfants du monde devraient avoir accès à la connaissance de leurs origines en tant qu’Homme, à l’histoire d’Homo Sapiens.

Et ce faisant, cette instruction les rendraient davantage à même de bâtir un monde plus juste et plus coopératif. Comprendre les origines de l’inégalité, et notamment ses causes les plus récentes ; avoir en tête que l’intelligence et les connaissances humaines sont le fruit de centaines de milliers d’années d’évolution de l’homme : voici résumées quelques-unes des bases fondamentales pour un changement véritable vers davantage d’égalité et d’harmonie.

9. Zone critique

Cet ouvrage, exhaustif, se veut fondateur. Le but n’est pas des moindres, puisqu’il s’agit de comprendre la marche des sociétés humaines. La question demeure : « Est-il possible d’agir sur le parcours de l’Homme, étant donné sa force d’inertie » (p. 3) ? Par force d’inertie, Jacques Barnouin entend la propension de l’Homme « à être guidé par une palette de rituels, d’habitudes et de volontés de rester en place ».

La question mérite d’être étudiée. Le désir est bien de poser les bases fondamentales d’une démarche qui ne demande qu’à être poursuivie. Les décennies à venir seront décisives dans le cheminement de l’humanité, et il est donc bien primordial que celle-ci se pose dès à présent la question de son sens, des voies de développement qu’elle souhaite emprunter, des moyens de résoudre les questions d’inégalité qui la traversent. Le questionnement est plus que jamais d’actualité à l’heure où une crise planétaire d’ampleur inédite touche le monde. Un seul petit bémol dans la construction de l’ouvrage : des phrases longues et parfois complexes à saisir d’une seule traite, ce qui peut rendre la lecture ardue. Mais la quête est passionnante !

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Jacques Barnouin, Le mécanisme de construction du monde. Trajectoire, déséquilibres et avenir des sociétés, Londres, ISTE éditions, 2019.

Autres pistes– Sophie de Beaune, Chasseurs-cueilleurs. Comment vivaient nos ancêtres du Paléolithique supérieur. Méthodes d’analyse et d’interprétation en Préhistoire, Paris, CNRS Éditions, 2007.– Samuel Noah Kramer, L’histoire commence à Sumer, Flammarion, Paris, 1994.– Jean Clottes, André Langaney, Jean Guilaine, Dominique Simonnet, La plus belle histoire de l’homme, Seuil, 2004.– Pascal Picq, Premiers hommes, Flammarion, Paris, 2017.– Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015.– Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés ; essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Folio Essais, 1997.

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