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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La naissance du Purgatoire

de Jacques Le Goff

récension rédigée parPierre BoucaudAgrégé d’histoire et docteur en histoire médiévale (Paris IV).

Synopsis

Histoire

Une conception chrétienne très exigeante du salut a longtemps laissé dans l’ombre le sort de nombreux pécheurs après leur mort. La Bible étant peu explicite en la matière, la doctrine de l’Église sur ce point est donc le fruit d’une très longue élaboration. Elle affine une vision de l’au-delà jadis limitée au Paradis et à l’Enfer en distinguant un lieu intermédiaire, le Purgatoire, destiné aux âmes perfectibles. Le concept est élaboré vers 1200 par les maîtres des écoles cléricales urbaines et des universités, le pouvoir spirituel de l’Église s’étendant désormais au monde des morts.

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1. Introduction

La publication, en 1975, de Life after life (La vie après la vie), ouvrage dû au psychiatre Raymond A. Moody, a fait date. Non que la question traitée soit neuve, mais formulée par un scientifique, elle a pu paraître osée. L’auteur y analyse, sur la base de témoignages, les « expériences de mort imminente » (EMI), en anglais « Near-Death experiences » (NDE). Celles-ci font l’objet de descriptions alimentées par les souvenirs de personnes parfois déclarées cliniquement mortes et qui auraient expérimenté un « au-delà ».

Or, de nombreux textes sur ce sujet, relevant en particulier du genre des « visions », émaillent la littérature depuis l’Antiquité. En outre, l’hypothèse d’une vie après la mort physique concerne tout un chacun, mais en fonction de l’approche philosophique ou religieuse retenue, les opinions divergent. Il y a pourtant des points communs aux témoignages et cela motive même, actuellement, des programmes de recherche médicale.

De toute évidence, le discours religieux trouve ici un terrain de prédilection propice à la réflexion et à l’expression de l’imaginaire. Que la vie terrestre ait un sens, qu’elle soit une école et un lieu d’expérimentation, c’est certain aux yeux du croyant. En revanche, la vie future constitue un problème autrement plus difficile à résoudre. Comment savoir ce que devient l’âme du défunt dans l’attente de la résurrection des corps ? Dans le christianisme, en effet, la promesse de la béatitude éternelle est contrariée par l’existence du mal et du péché. Deux destinations sont attestées dans l’Écriture sainte : le Paradis et l’Enfer. Mais nul, ici-bas, n’est parfait ou absolument mauvais. Si Dieu est bon, ne doit-on pas postuler l’existence d’un au-delà qui permette encore une évolution, sans doute une purgation ?

De là à concevoir un « lieu purgatoire », il n’y a qu’un pas, que franchissent assez tôt les pères de la doctrine chrétienne. Cette représentation théorique ne jaillit pourtant pas d’un néant intellectuel. Elle est précédée et accompagnée par d’autres traditions philosophiques et religieuses. Il s’agit, en outre, de déterminer la nature de cette destination, qui elle concerne et où la localiser. Telle la longue histoire du Purgatoire, racontée par Jacques Le Goff.

2. Premiers jalons : l’après-vie dans l’Antiquité

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la plus grande confusion a toujours régné dans la description de ce qui attend l’âme du défunt après la mort physique. La diversité marque tout d’abord les théories développées durant l’Antiquité. En tout cas, les idées de peine et de purgation sont bien présentes dans les religions anciennes.

En Asie, l’hindouisme privilégie l’hypothèse de la métempsychose ou réincarnation, dont la nature dépend de la qualité de la vie terrestre sans qu’intervienne la notion de jugement. Les zoroastriens ou mazdéens (Iran) imaginent de leur côté un feu dévorant, mais aussi un pont qui relierait la Terre au Ciel et qu’il faut franchir.

L’Égypte antique accorde, on le sait, une place essentielle à l’après-vie, mais c’est surtout pour imaginer une existence céleste bienheureuse d’abord réservée à Pharaon, puis étendue à d’autres ensuite, l’espace dévolu aux châtiments atroces, cartographié sur des sarcophages, devant accueillir les méchants. Il faut attendre le récit du Voyage de Si-Osire (Ier s. av. J.-C.) pour trouver l’idée d’un périple post mortem. Si les Grecs, à travers l’orphisme, adhèrent parfois à l’idée que l’âme expérimente d’autres formes de vie après la mort physique, comme dans la pensée de Platon (428-348), ils conçoivent aussi une proportionnalité des peines réservées aux morts dans l’Hadès. Les Champs Élysées de la tradition romaine n’apportent quant à eux pas grand-chose à la réflexion.

Dans le judaïsme, plusieurs théories sont avancées, mais l’on ne trouve presque rien dans la Torah, la Bible hébraïque rédigée à partir du VIIe siècle avant Jésus-Christ, qui éclaire la question. Le Shéol, assez semblable à l’Arallû des Assyriens, désigne en effet un contexte dans lequel les morts n’éprouvent ni souffrance ni bonheur, plongés qu’ils sont dans une espèce de léthargie qui ne leur permet même pas de louer Dieu. Tout juste trouve-t-on déjà les images de la montagne et du fleuve, appelées à une belle fortune dans l’imaginaire du futur Purgatoire. Une évolution s’amorce toutefois dans le judaïsme de l’époque perse et hellénistique.

Peu à peu s’affirme la conviction que les défunts ont un « avenir » et qu’il convient de prier pour eux, les suffrages des vivants apparaissant ici.

3. « Le purgatoire, c’est l’espoir » : l’apport chrétien

Dans le christianisme, trois conditions sont nécessaires au salut : le baptême, l’exercice de la foi et la pratique des bonnes œuvres. La question du statut de ceux dont la vie ne justifie ni le Paradis ni l’Enfer s’est donc rapidement posée. Dès la fin du IIe siècle, les Actes de Paul et de Thècle suggèrent de prier pour les morts. Puis Clément d’Alexandrie († v. 215), Origène († v. 254), saint Augustin († 430) et le pape Grégoire le Grand († 604) distinguent plusieurs catégories d’individus.

Augustin contribue à en fixer le nombre à quatre : les justes, les mauvais, ceux qui ne sont pas complètement bons et ceux qui ne sont pas tout à fait mauvais. Pour les deux premiers groupes, les destinations sont claires : c’est le Paradis et l’Enfer, respectivement. Mais pour tous les autres, vraisemblablement la majorité, l’incertitude domine.

Tout dépend, en effet, de l’idée que l’on se fait du péché. Longtemps les péchés légers (levia peccata) furent distingués des péchés mortels (mortalia peccata). Les premiers, que l’évêque Atton de Verceil († 961) qualifie de véniels (venialia), un terme qui s’impose ensuite, peuvent seuls être expiés après la mort. Mais ici, une difficulté apparaît.

S’amorce en effet un schéma ternaire : Paradis, Enfer et « lieu purgatoire », tandis qu’existent au minimum quatre catégories de défunts. Augustin résout le problème en affirmant que les « pas complètement mauvais » (non valde mali) vont en enfer pour y subir une peine moins insupportable que celle des damnés absolument condamnables (peuvent-ils seulement exister ?). C’était cependant mélanger des différences de nature. La société féodale du XIIe siècle, marquée par l’exigence de justice et le concept de proportionnalité des peines, ne pouvait s’en satisfaire.L’histoire de la préoccupation pour les morts se précise alors. Vers 1024-1033, l’abbé de Cluny Odilon diffuse la pratique de la commémoration des défunts le 2 novembre.

Non seulement on peut, mais on doit prier pour les morts. Puis, vers 1170, un maître des écoles de Notre-Dame de Paris, Pierre le Mangeur († v. 1178), évoque non plus seulement un « lieu purgatoire », mais le Purgatoire. Le substantif désigne clairement un « lieu » distinct. C’est un espoir pour les pécheurs, les « pas complètement » désormais réunis en une même catégorie, car ces derniers ne sortent du Purgatoire que pour jouir de la béatitude éternelle. En 1254, le pape Innocent IV donne une définition du Purgatoire et, en 1274, le deuxième concile de Lyon intègre officiellement ce point de doctrine (canon 21), qu’entérine ensuite le concile de Trente (1563).

4. Le Purgatoire : un enfer ?

Certes, le Christ a libéré les justes de l’Antiquité des Limbes, désormais fermés, et l’on réserva d’autres Limbes aux enfants morts sans baptême, que l’on ne put finalement se résoudre à condamner à l’Enfer éternel. Dans les deux cas, les Limbes désignent un séjour où l’âme est privée de la vision de Dieu, mais où elle ne souffre pas la peine des sens.

Quel est le véritable but du Purgatoire ? Il sert à purger, donc châtier les pécheurs. Certains théologiens, comme Guillaume d’Auvergne († 1249), considèrent que le Purgatoire continue la pénitence terrestre. Or, celle-ci permet d’acquérir des mérites, une fonction que saint Thomas d’Aquin († 1274) limite à la vie ici-bas. Il est donc entendu que le Purgatoire est un « lieu » de peines pour les âmes qui n’ont pas été purgées des péchés véniels par la pénitence, n’ont pas « satisfait » à la peine, pour citer le terme exact. Quoi de mieux adapté à la purgation que le feu ? Il est vrai que saint Paul évoque ceux qui doivent être purgés « comme à travers le feu », consumant le bois, le foin et la paille qu’ils y apportent. L’unanimité se fait donc autour de l’idée que le feu du Purgatoire, le plus faible soit-il, est supérieur à la plus lourde des peines terrestres.

Les récits de visions et les témoignages de revenants en témoignent : la vallée ou le pont à franchir sont environnés de flammes mais aussi, à l’inverse, bordés de glace. Voici par exemple un chevalier que la chasse passionnait à l’excès. Il est condamné à tenir sur son poignet, pendant dix ans de purgatoire, une buse dont le bec et les griffes le déchirent. Moins l’on a payé l’impôt (la dîme) à l’Église, plus l’on souffre des odeurs atrocement fétides du Purgatoire sous le regard moqueur des mauvais anges.

Une « comptabilité de l’au-delà » s’instaure, car la peine obéit à la règle de proportionnalité, et le temps s’invite dans l’au-delà. Les prédicateurs, au moyen d’exempla (historiettes), diffusent ainsi un « christianisme de la peur » (Jean Delumeau). Autrement dit, le Purgatoire « s’infernalise ». Les clercs étendent également l’aire d’influence de l’Église à l’au-delà. C’est un « pouvoir exorbitant », écrit Le Goff. Seul le pape peut délier les âmes. Lors du jubilé de 1300, Boniface VIII promet l’indulgence plénière, donc la remise des peines du Purgatoire dans certaines conditions, aux pèlerins morts sur les routes menant à Rome. Les autres croyants, par leurs suffrages (prières, aumônes bien sûr et messes), peuvent toutefois alléger, voire abréger un tel supplice.

Pourtant, outre certains hérétiques qui refusent de croire au Purgatoire, des voix divergentes s’expriment sur le sujet. Dans le Purgatoire de la Divine Comédie (1319), Dante diffuse l’idée que de bons anges entrent en jeu, que l’on peut être également purgé des péchés capitaux dans le Purgatoire et gravir ainsi les sept corniches qui séparent l’âme en peine du Ciel éternel.

5. Vers une géographie de l’au-delà : localiser le Purgatoire

Certes le corps physique meurt et les peines de l’au-delà concernent l’âme seule, du moins dans une perspective chrétienne. Néanmoins la souffrance s’impose bien à un sujet pris dans un temps et dans un espace qui lui est propre, dans l’invisible.

Des théories se développent donc sur la localisation d’un Purgatoire proche des vivants, qui pourrait expliquer les visites de revenants. De tels récits forment une part substantielle de la littérature de visions, comme celle du moine Drythelm, rapportée au VIIIe siècle par Bède dans l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais (V, 12). Le Purgatoire est ici une vallée située en périphérie du puits de l’Enfer. Cette proximité du Purgatoire et de l’Enfer est d’ailleurs récurrente et elle s’impose encore sous la plume du théologien Albert le Grand († 1280).

D’autres, comme Grégoire le Grand, estiment que le Purgatoire se fait sur Terre, là où l’on a péché, ou bien qu’il forme l’Enfer supérieur, situé sous la Terre, comme le suggère l’auteur de l’Apocalypse de Paul, un apocryphe chrétien du IIIe siècle. Le Purgatoire de saint Patrick, rédigé par le moine cistercien H. (Henri ?) de Saltrey (Huntingdonshire), en repère l’accès dans une île d’Irlande (Donegal). D’après ce roman, le chevalier Owein s’y soumet avec succès aux épreuves du Purgatoire en invoquant le nom de Jésus. Là se développe même un pèlerinage du XIIe au XVe siècle, mais dès le XIVe siècle s’exprime une certaine suspicion à cet égard. D’autres auteurs évoquent un volcan, l’Etna par exemple. Un « processus de spatialisation » de ce « lieu purgatoire » est en tout cas à l’œuvre dès le haut Moyen Âge.

Des tentatives de localisation interviennent encore dans un XIIIe siècle où la pratique de la cartographie s’améliore et où la mesure du temps s’affine. Elles s’accompagnent toutefois d’un « processus de rationalisation d’une croyance » qui prend en compte la nature particulière de l’au-delà. Thomas d’Aquin lui-même opte pour la prudence en évoquant un « quasi-lieu » (quasi in loco).

Les théologiens préfèrent dès alors insister sur l’état dans lequel se trouvent les âmes concernées. Dante, pour sa part, inscrit dans sa vision un mouvement ascensionnel qui sépare l’Enfer du Purgatoire et consolide le lien de continuité entre ce dernier et le Paradis. La prédication par la peur, certes longtemps active, n’empêche pas l’acquisition de certitudes au sujet d’un Purgatoire désormais appréhendé comme un « lieu » de l’espoir dans l’au-delà. Cependant, les modalités nécessairement individuelles d’une telle expérience retiennent longtemps les artistes de généraliser les représentations qui lui sont associées.

6. Conclusion

La complexité de la nature humaine et le conditionnement terrestre ont nécessité l’approfondissement de la réflexion sur l’au-delà. Au moyen du Purgatoire, qui rompt la logique binaire (Enfer/Paradis), l’Église catholique étend aux morts les modalités d’une miséricorde libérée des limites de l’ici-bas. Cependant, elle ne parvient pas à créer l’unanimité autour du sujet, compte tenu de la rareté des fondements bibliques de cette doctrine. Dès le XVIe siècle les Protestants, par exemple, lui en font le reproche.

En tout cas, le Purgatoire constitue un apport sur le plan conceptuel. C’est « une idée neuve du christianisme mais qui a emprunté aux religions antérieures une partie de ses principaux accessoires ». Celle-ci traduit assurément l’affirmation du pouvoir de l’Église, une tendance à la rationalisation et l’insistance sur la pénitence, mais également une solidarité accrue entre les vivants et des morts. Elle rend en quelque sorte l’au-delà présent dans l’ici-bas. À l’inverse, ce dernier est présent à l’au-delà au moyen des suffrages que les vivants consentent pour le salut des morts.

7. Zone critique

La naissance du Purgatoire est un ouvrage qui a fait date ; c’est un classique résultant de l’intérêt pour l’histoire des mentalités, qui s’était déjà manifesté à propos de l’au-delà. Jacques Le Goff s’inscrit donc dans une tradition historiographique, à laquelle il apporte cependant une contribution majeure. Le Goff signale ainsi l’ouvrage de Joseph Ntedika sur le Purgatoire chez saint Augustin.

Dès 1980, Jacques Chiffoleau avait aussi publié un livre sur la « comptabilité de l’au-delà ». Il faut ajouter que de nombreuses sources ont, depuis lors, fait l’objet d’éditions critiques et d’études approfondies qui ont notamment permis une meilleure connaissance de l’histoire doctrinale. En témoigne la littérature de visions, un objet de recherches qu’illustrent les publications de Claude Carozzi. Après Jacques le Goff, Peter Brown a également analysé la formation du concept du Purgatoire durant le premier millénaire chrétien.

Bien entendu, la recherche progresse. Jacques Le Goff évoque ainsi Haymon d’Halberstadt († 853). Mais l’on sait aujourd’hui que l’ouvrage intitulé Sur la diversité des livres, qui lui a été jadis attribué, doit être restitué à un certain Emmo, actif non en Germanie, mais dans le sud de la Gaule franque au tout début du IXe siècle. Quelques détails de ce genre ne suffisent pas, en tout cas, à ternir l’ouvrage de Jacques Le Goff ni même à le rendre obsolète.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La naissance du Purgatoire, Paris, Éditions Gallimard, 2016 [1981].

Du même auteur– Marchands et banquiers au Moyen Âge, Paris, PUF, 1956. – La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1964.– Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident : 18 essais, Paris, Gallimard, 1977.– « La peste dans le haut Moyen Âge » (avec Jean-Noël Biraben), Annales, 1969, 24-6, pp. 1484-1510.– « Rire au Moyen Âge », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 3, 1989, pp. 1-14.

Autres pistes– Une vie pour l’histoire. Entretiens avec Marc Heurgon, Paris, La Découverte, 1996.– Joseph Ntedika, L’évolution de la doctrine du purgatoire chez saint Augustin, Paris, Études augustiniennes, 1966.– Jacques Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avigon à la fin du Moyen Âge, vers 1320-vers 1480, Rome, École française de Rome, 1980.– Claude Carozzi, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la litéraure latine (Ve-XIIIe siècle), Rome, École française de Rome, 1994.– Peter Brown, « Vers la naissance du Purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au Haut Moyen Âge », Annales HSS, 52/6, novembre-décembre 1997, pp. 1247-1261.

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