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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Empire colonial et capitalisme français

de Jacques Marseille

récension rédigée parAlexandre KousnetzoffAncien élève de l'IEP de Paris.

Synopsis

Histoire

Au carrefour de l’histoire économique, politique et culturelle, l’ouvrage retrace les étapes d’un divorce entre une opinion qui, peu à peu, se laisse gagner par les prestiges de l’idée impériale qu’elle ignorait encore à la fin du XIXe siècle et des contraintes économiques qui deviennent de plus en plus inéluctables. Entre le cœur et la raison, entre les sentiments et la réalité, entre la mission civilisatrice de la France et la reconversion radicale de son appareil de production dans le cadre de l’économie des Trente glorieuses, cet ouvrage fait le point sur l’une des questions les plus controversées de l’historiographie économique française moderne.

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1. Introduction

L’ouvrage constitue la version abrégée de la thèse de doctorat d’État ès-lettres de l’auteur, soutenue à la Sorbonne à Paris en mai 1984.

Le livre a donc été élaboré très en amont de sa publication, en réalité depuis le début des années 1970. En fait, Jacques Marseille, qui était alors communiste, voulait prouver par son sujet de thèse la validité des thèses léninistes sur « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». En effet, pour Lénine, le colonialisme était une suite inéluctable et obligée du capitalisme, le régime économique européen se « projetant » en quelque sorte outremer pour y réaliser des profits plus importants que dans les métropoles coloniales.

Las, ses recherches et les trouvailles que ces dernières lui permettront de faire réduiront à néant ses espérances de départ. En effet, l’apport économique du colonialisme au capitalisme français n’est ni aussi clair ni aussi évident qu’il peut apparaître de prime abord. Et, chemin faisant, Jacques Marseille s’apercevra très rapidement que le débouché du marché colonial est une conséquence à la limite secondaire voire contingente de la colonisation, et non pas une des causes premières de la mise en place d’une politique de conquête de nouveaux territoires ultramarins.

C’est fort de cette découverte fondamentale que l’auteur livrera au public Empire colonial et capitalisme français, une somme qui constitue l’ouvrage de référence sur la question.

2. Dans les années 1950 a eu lieu un divorce entre capitalisme français et empire colonial

En 1956, 49 % des Français pensaient, selon une enquête d’opinion, que l’Algérie devait conserver son statut de département français (en fait trois départements et deux territoires sahariens). Seules 25 % des personnes interrogées acceptaient l’idée d’un lien moins étroit entre la France et l’Algérie qui, selon la formule, « n’étaient séparées par la Méditerranée que comme les deux rives de Paris le sont par la Seine ».

Pourtant, au même moment, c’est-à-dire vers le milieu des années 1950, se produit un fait d’une importance capitale pour l’histoire économique française : le divorce de plus en plus marqué entre capitalisme français et empire colonial.

En effet, les élites économiques françaises se détournent alors d’un ensemble de territoires qui est perçu non pas comme un marché captif et privilégié, mais comme un boulet qui absorbe des ressources rares que la métropole ferait mieux de consacrer à son développement économique.

On se trouve en effet au début des Trente Glorieuses (1946-1975), les trois décennies de croissance économique prodigieuse du pays, telles que la France n’en avait jamais connues jusqu’alors. La peur est donc grande qu’un tel regain soit stoppé ou freiné. La transformation du tissu industriel et commercial français demande en effet des investissements colossaux, que les guerres coloniales et l’équipement des territoires d’outremer en infrastructures viennent gravement obérer.

Alors, pour les décideurs économiques de la France de la IVe République, le choix est fait : il faut à tout prix, et rapidement, se débarrasser d’un empire colonial qui ne représente plus aucun intérêt du point de vue du développement de la France. La IVe République ne pourra qu’imparfaitement accomplir ce programme, que la Ve République du général de Gaulle réalisera en revanche entièrement, ne conservant que les « vieilles colonies » des Antilles, de l’océan Indien et de l’Océanie, transformées en « DOM-TOM » (Départements d’Outre-mer-Territoires d’Outremer).

3. Première époque : 1880-1930

Entre 1880 et 1930 une poignée de Français, aventuriers visionnaires comme Savorgnan de Brazza, Galliéni ou Lyautey, constituent un Empire à laquelle la majorité de leurs compatriotes ne s’intéressent absolument pas.

Pour la majorité de la population française, les colonies, c’est loin, c’est abstrait, c’est coûteux, et cela ne peut qu’entraîner des problèmes diplomatiques avec l’Angleterre et l’Allemagne.

On connaît le cri du cœur d’un écrivain emblématique de la IIIe République, Paul Déroulède, évoquant tout à la fois le sort de l’Alsace-Lorraine et la politique coloniale française dans les années 1890 : « J’ai perdu deux sœurs et vous m’offrez vingt domestiques ».

Non, décidément, entre 1880 et 1930, l’Empire, pour le plus grand nombre des Français, n’est pas vu comme une aubaine. Mais bien plutôt comme une mode passagère, qui ne rapporte pas grand chose à la France sinon en prestige, et surtout qui lui coûte énormément.

Il est vrai que l’intérêt économique de l’Empire pour la métropole est alors faible, et que toutes les potentialités économiques des territoires liés politiquement à la France sont loin d’être exploitées. La mise en valeur est en effet plus qu’imparfaite, et la France n’a pas le génie de l’Angleterre ni de la Belgique au Congo pour faire de ses colonies des sortes de rentes étendues à l’échelle de pays entiers.

4. Deuxième époque : 1930-1960

Puis tout change dans les années 1930. Année charnière pour Jacques Marseille : 1931, l’année de l’Exposition coloniale au bois de Vincennes à l’est de Paris. Tout à coup la France s’enthousiasme pour l’idée impériale, et découvre « la plus grande France », celle qui est représentée sur les manuels de géographie en bleu ou en violet (le rose étant réservé aux colonies anglaises et le vert aux colonies portugaises).

C’est qu’à l’époque, dans l’entre-deux-guerres, le marché colonial représente un débouché vital pour le capitalisme français. Débouché sûr, protégé, sans concurrence, c’est une véritable rente de situation, un marché captif qu’aucun pays étranger ne peut venir disputer à la petite industrie française, et qui dispense cette dernière d’une modernisation qu’elle peut différer indéfiniment ou presque.

Parallèlement de très grandes banques d’affaires, la Banque de Paris et des Pays-Bas au Maroc par exemple ou la Banque de l’Indochine en Annam-Tonkin, au Cambodge et au Laos, fondent de véritables empires industriels et commerciaux dont les dividendes se déversent sur la métropole, venant enrichir des rentiers quelque peu « prolétarisés » par l’inflation galopante de la Première Guerre mondiale et des années 1920.

C’est, pendant trente ans, le temps d’une génération environ, une véritable lune de miel qui va s’établir entre la métropole et son Empire, mêlant intérêts économiques objectifs, souci de la puissance et du prestige et attachement historique et sentimental.

Cette lune de miel se terminera dans les larmes des guerres de décolonisation, quand les élites économiques les plus modernes du pays décideront de se débarrasser de ce qui est devenu un fardeau qui entrave la modernisation de l’économie française.

5. Le débouché colonial a été vital pour le capitalisme français

Dans l’entre-deux-guerres, on l’a vu, pour l’auteur le débouché colonial s’est imposé comme le « sauveur » du capitalisme français.

En effet, l’économie française de l’époque était caractérisée par un certain nombre de traits fondamentaux : démographie atone en métropole, qui ne permettait pas d’espérer une masse importante de consommateurs supplémentaires. Population paysanne importante, aux habitudes d’épargne et d’austérité bien ancrées, et au sein de laquelle l’autoconsommation demeurait encore très importante. Croissance extrêmement faible du salaire ouvrier enfin, qui limitait d’autant le renouvellement des débouchés.

On le voit, pour le capitalisme français de l’époque, la croissance représentait une véritable quadrature du cercle. Et ce d’autant plus que le secteur manufacturier français des années 1920 et 1930 est particulièrement déséquilibré, puisque près de 60 % de la valeur ajoutée industrielle totale provient de trois secteurs seulement : textile-habillement, agroalimentaire et métallurgie.

Dans ces conditions, nul doute que le débouché colonial ait été perçu et vécu comme une aubaine, ce qu’il fut d’ailleurs. Tout au long de l’entre-deux-guerres, à une époque de rétractation des échanges commerciaux internationaux et de repli sur soi de chacune des grandes puissances économiques, l’Empire représentait bien l’hinterland rêvé dont le capitalisme français ne pouvait se passer. Au premier chef l’Algérie bien entendu, mais également l’Indochine et les deux protectorats d’Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie.

6. La décolonisation s’est jouée à fronts renversés d’un point de vue politique

Si le débouché colonial a été le sauveur de l’économie française dans l’entre-deux-guerres, il n’en va plus de même à partir de 1945 et de la reconstruction et, surtout, des débuts de la construction européenne dans les années 1950.

La France ne peut pas en effet faire partie de deux communautés : la Communauté européenne, et l’Empire. C’est Pierre Mendès-France qui, le premier, dira clairement que le pays ne peut tout à la fois conserver l’Indochine et assurer son redressement économique.

Pourtant, c’est largement à fronts renversés que s’opérera sur la scène politique le divorce entre la métropole et l’Empire.

En effet, pour Jacques Marseille, à une gauche « archaïque » représentée par un homme politique comme Jules Moch, partisan inconditionnel du maintien dans son intégralité de l’Empire français en pleine IVe République, s’oppose une droite « moderne » gagnée à l’idée des indépendances nationales inévitables, ou qu’elle perçoit comme telles.

Ainsi, contre un Parti socialiste et un Parti radical englués dans les « sales guerres », les guerres coloniales dont ils appréciaient mal les enjeux, les coûts et également les conséquences, dont l’une des plus graves était l’isolement croissant de la France sur la scène internationale, un gaullisme décomplexé et précocement gagné aux idées technocratiques des impératifs de l’efficacité économique faisait entendre sa voix de manière de plus en plus assurée.

C’est cette dernière école qui l’emporta, rejetant aux oubliettes de l’histoire les présidents du Conseil de la IVe République qui avaient cru pouvoir conserver un Empire devenu anachronique.

7. Conclusion

Les colonies ont-elles été une « bonne affaire » pour l’économie française entre 1880 et 1960 ?

Pour Jacques Marseille, la réponse varie avec les époques. Probablement non de 1880 à 1914, et assurément oui de 1918 à 1940. Mais de nouveau non à partir de 1945. Ainsi, l’opinion de la majorité des Français dans les années 1940 et 1950, selon laquelle l’Empire était l’une des principales sources de la prospérité économique nationale, était largement déconnectée de la réalité statistique mise au jour par Jacques Marseille dans l’ouvrage.

L’auteur cite en conclusion le général de Gaulle, déclarant lors d’une conférence de presse en 1961 : « L’Algérie nous coûte – c’est le moins qu’on puisse dire – plus cher qu’elle ne nous apporte… Voici que notre grande ambition nationale est devenue notre propre progrès, source réelle de la puissance et de l’influence. C’est un fait, la décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre politique. »

8. Zone critique

Le principal reproche adressé à Jacques Marseille pour cet ouvrage a été de ravaler au rang de péripéties les luttes pour les indépendances nationales des peuples colonisés.

Dans l’ouvrage, en effet, ces considérations apparaissent comme tout à fait secondes, voire de peu d’intérêt, au regard de l’analyse économique des investissements de la France dans son empire colonial et des dividendes qu’elle en retirait.

C’est que, tout simplement, ce n’est pas le thème de l’ouvrage.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Empire colonial et capitalisme français, Paris, Albin Michel, 1984

Du même auteur– Vive la crise et l’inflation !, Paris, Hachette, 1983 (avec Alain Plessis).– Le Grand gaspillage, Paris, Perrin, 2005.– Du bon usage de la guerre civile en France, 2006– Pouvez-vous devenir ou rester Français ?, Paris, Albin Michel, 2010.

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