Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jared Diamond
Au rythme actuel de la croissance démographique et de l’augmentation des besoins économiques, les sociétés contemporaines pourront-elles survivre demain ? L’auteur apporte sa réponse à partir d’un tour du monde dans l’espace et dans le temps de sociétés confrontées à des menaces d’effondrement.
Ce livre représente une étude comparée et unique dans l’édition actuelle sur des sociétés confrontées à des menaces d’effondrement. Menaces que les sociétés en question ont gérées avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de succès, plus ou moins d’efficacité.
Certaines de ces sociétés ont disparu corps et bien, emportées par un effondrement qui n’a pas été surmonté. C’est le cas des sociétés de l’île de Pâques, de Pitcairn et d’Henderson dans le Pacifique, des colonies vikings du Groenland, des sociétés maya et inca en Amérique du Sud ou encore des peuples indiens mimbres et anasazis du sud-ouest des États-Unis.
D’autres sociétés, à l’inverse, surent enrayer les menaces d’effondrement qui pesaient sur elles. Parmi ces dernières, Jared Diamond étudie le Japon des shoguns Tokugawa, la société papoue de Nouvelle-Guinée ou encore l’île de Tikopia dans l’archipel des Salomon, dans le Pacifique.Enfin, certaines sociétés actuelles sont fragilisées par des données écologiques qui les prédisposent à un effondrement relativement proche dans le temps si rien n’est fait pour inverser la tendance. Ainsi de l’Australie ou du Rwanda, d’Haïti ou de la Chine, de la République dominicaine ou de l’État du Montana aux États-Unis, région par laquelle l’auteur entame son tour d’horizon mondial.
Mais Jared Diamond conclut qu’il n’existe aucun exemple dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques. Il existe en effet une combinaison de différents facteurs qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre, du côté de la survie ou du côté de l’effondrement final.
L’auteur insiste sur un point : il n’existe absolument aucun cas où les seuls dommages écologiques sont à l’origine de l’effondrement d’une société. Pour que survienne cet effondrement, il faut que cinq facteurs entrent en jeu. Toutes les sociétés étudiées par l’auteur ont connu la combinaison soit de ces cinq facteurs, soit de certains d’entre eux, trois au minimum.
Le premier de ces cinq facteurs est constitué par les dommages environnementaux. Ainsi, quand les habitants de l’île de Pâques ont abattu la totalité de la couverture forestière de l’île, ils ont gravement obéré leurs chances de survie dans cet habitat précis.
Le deuxième de ces facteurs est le changement climatique. Ainsi, lorsque le « petit âge de glace » (qui va du début du XVe siècle au début du XIXe siècle en Europe) atteignit de plein fouet le Groenland au XVe siècle, cela modifia radicalement l’économie de la survie sur cette terre des colons scandinaves, en la rendant infiniment plus précaire.
Le troisième de ces facteurs est l’existence de voisins hostiles. Une telle menace n’existait pas, par exemple, pour les habitants de l’île de Pâques, qui n’avaient pas de voisins ou du moins pas de relations suivies avec ces derniers, établis sur d’autres îles beaucoup trop éloignées ou sur un continent avec lequel l’île n’entretenait de rapports que totalement fortuits et aléatoires. Mais cette menace existait bel et bien pour les Vikings du Groenland, qui étaient confrontés à l’hostilité de deux voisins différents : les Inuits au Groenland et, dans l’actuel Canada, les Indiens d’Amérique. Il faut en effet rappeler que les Vikings du Groenland « découvrirent » l’Amérique avant Christophe Colomb, mais qu’ils cessèrent rapidement leurs rapports avec ces contrées, d’où ils tiraient du bois et du fer, en raison de l’hostilité des Indiens à leur égard.
Le quatrième de ces facteurs est un rapport de dépendance avec des partenaires commerciaux. Là encore, le cas des colonies vikings du Groenland est particulièrement significatif. Ces établissements exportaient principalement de l’ivoire de narval sculpté, qui en Europe passait pour des cornes de licorne. Mais quand la mode de ce type d’objet d’art vint à décliner, l’exportation principale des colonies vikings du Groenland se réduisit comme une peau de chagrin : ce peuple entreprenant avait trop concentré ses ressources à l’exportation sur un seul poste.
Le cinquième et dernier de ces facteurs tient à la réponse apportée par une société, selon ses valeurs propres, aux quatre autres problèmes.Ainsi le Japon de l’ère des shoguns, au début du XVIIe siècle, était-il menacé de déforestation. Un comble, lorsque l’on sait que le Japon est actuellement l’un des pays qui possèdent la couverture boisée la plus importante au monde : plus de 70 % du territoire.
Toujours est-il que les shoguns de la dynastie des Tokugawa prirent des mesures énergiques, qu’ils se donnèrent les moyens de faire respecter. En très peu de temps, quelques décennies tout au plus, la déforestation était interrompue et le processus s’était inversé : la couverture forestière du pays était en perpétuelle augmentation.
En revanche, dans le Montana, un État américain situé dans les montagnes Rocheuses, au nord-ouest des États-Unis, et qui constitue l’un des États fédérés possédant le patrimoine forestier le plus important du pays, les préoccupations environnementales, en l’occurrence mal comprises, ont conduit l’opinion publique à s’opposer à toute exploitation de la forêt. Résultat : cette dernière n’est plus entretenue et de gigantesques incendies la ravagent chaque année.
En Australie enfin, au XIXe siècle, les colons britanniques importèrent des lapins et des renards, afin qu’ils servent de gibier aux chasseurs. Pour le renard, c’est la tradition britannique de la gentry de la chasse à courre qui était en ligne de mire. La chasse au lapin, en revanche, était moins connotée socialement et plus démocratique. Toujours est-il que les lapins se révélèrent un véritable fléau pour l’environnement de l’île-continent, concurrençant les moutons sur les pâturages et exterminant de nombreuses espèces locales d’animaux. De nombreux plans d’extermination des lapins furent lancés au XXe siècle, mais aucun ne réussit à atteindre son objectif.
En bref, il est clair que c’est ce cinquième et dernier facteur qui est décisif dans l’effondrement d’une société donnée.
Pour notre société globalisée, dont les problèmes environnementaux sont eux aussi globaux, les sociétés du passé suggèrent d’après l’auteur deux différents types de leçons, qui constituent ce que l’on peut appeler les voies de la survie. Ce sont ces deux leçons qui forment les raisons essentielles du succès ou de l’échec des sociétés devant les risques d’effondrement.
La première leçon est l’existence de plans à long terme. Il est indispensable de pratiquer la pensée hardie et volontaire, de sortir des sentiers battus et de se projeter loin, le plus loin possible dans l’avenir. C’est de manière générale en pensant aux générations futures que l’on résout le mieux les problèmes des générations présentes. Un certain courage est certes nécessaire pour pratiquer ce type de pensée.
Ce courage est cependant non seulement nécessaire, mais même indispensable si nous voulons vraiment trouver une solution durable aux problèmes qui sont les nôtres, notamment du point de vue de la conservation d’un environnement que la civilisation industrielle a particulièrement malmené.
La deuxième leçon est la volonté de reconsidérer les valeurs fondamentales des sociétés dont nous faisons partie. Au même titre que la vision à long terme, cette conversion est impérative, absolument indispensable. Pour avoir voulu jusqu’au bout rester des éleveurs européens chrétiens et ne rien apprendre des techniques de survie en zone arctique des peuples inuits, les colons scandinaves, norvégiens essentiellement, du Groenland ont disparu corps et biens, morts de famine généralisée.
En Australie, pour avoir voulu être plus britanniques que les Britanniques eux-mêmes, multiplier les parcours de golf et pratiquer la chasse au renard, les colons européens de l’île-continent ont épuisé avant l’heure un capital naturel qui, de toute façon, a toujours compté parmi les plus fragiles et les plus vulnérables au monde. Quant à apprendre des Aborigènes, il semble qu’il n’en ait jamais été question…
Ce sont, en définitive, aujourd’hui et demain comme hier, ces deux leçons qui feront la différence dans la course-poursuite que notre civilisation dispute avec les risques d’effondrement.
Les problèmes les plus graves liés à l’environnement que notre civilisation se doit de résoudre si elle veut échapper à l’effondrement sont au nombre de douze.
Tout d’abord se pose la question de la destruction des habitats naturels par l’urbanisation et le développement de l’agriculture. Cette tendance doit absolument s’inverser si l’on veut préserver la planète.
Vient ensuite la question de la préservation des stocks de poissons sauvages et de coquillages sauvages. Environ deux milliards de personnes de par le monde dépendent directement de ces ressources alimentaires pour leur survie.La question de la biodiversité constitue le troisième défi. Les espèces végétales et animales doivent impérativement être préservées. Il faut mettre un terme à l’extinction croissante des espèces, que l’on observe depuis environ un siècle.
La qualité des sols arables relève également des priorités si nous voulons vivre encore longtemps sur cette planète. Leur dégradation continue n’est plus possible. Les énergies fossiles doivent progressivement être remplacées par des énergies renouvelables. On doit préserver les ressources en eau douce de la planète (lacs, rivières).
Il faut prendre conscience du fait que la quantité de lumière solaire disponible n’est pas infinie, contrairement à ce que croient beaucoup d’entre nous. Depuis vingt ans environ, on sait que ce n’est pas le cas. En effet, la quantité d’énergie solaire fixée à l’hectare par la photosynthèse des plantes, et donc également la croissance des plantes à l’hectare, dépend étroitement de la température et des pluies. Toute modification de ces dernières entraîne donc des conséquences immédiates sur la quantité de lumière solaire disponible. Partant, il faut intégrer cette donnée à notre réflexion environnementale et climatique.
Il faut impérativement diminuer les atteintes à l’environnement du fait de l’industrie chimique. Il faut également cesser de transplanter des espèces, végétales et animales, hors de leurs milieux d’origine. L’émission de gaz destructeurs de la couche d’ozone par les activités humaines doit décroître de manière extrêmement significative. La croissance démographique humaine doit être mieux maîtrisée qu’elle ne l’est actuellement.
Enfin le douzième et dernier défi auquel nous sommes confrontés est l’impact de l’homme sur l’environnement : il doit impérativement diminuer, quelle que soit par ailleurs l’importance absolue de la population humaine sur la planète.
Entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui, il existe des différences essentielles. En effet, la population est infiniment plus importante (et, pendant un certain temps encore, elle est appelée à croître) et la technologie, colossalement plus destructrice que par le passé. Partant, les risques d’effondrement sont plus globaux que locaux, contrairement, là encore, à la situation qui prévalait il y a quelques siècles.
Pour autant, le pessimisme ne s’impose pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire. L’auteur incline même plutôt à l’optimisme. Parmi les raisons d’espérer que Jared Diamond développe dans l’ouvrage, la première est que l’humanité n’est pas confrontée à des problèmes insolubles. Tous les problèmes environnementaux qui se posent à notre civilisation peuvent être résolus, à l’aide des moyens techniques et à la suite des décisions politiques, économiques et sociales pertinentes.
Une chose est sûre, cependant : la planète tout entière ne pourra pas connaître le niveau de vie des pays développés. Par ailleurs, dans ces contrées extrêmement favorisées, il n’est pas certain qu’à l’avenir le niveau de vie actuel puisse être maintenu. Échapper à l’effondrement, c’est donc, en quelque sorte, changer de civilisation, et tourner le dos à la solution d’exploitation intensive et de gaspillage des ressources qui a toujours été la marque de la société industrielle.
Enfin, la diffusion de plus en plus large de par le monde des préoccupations environnementales constitue une autre raison d’espérer. Cette prise de conscience généralisée, à l’échelle de la planète, permet en effet de changer de paradigme et de s’engager dans la voie de la solution durable à nos problèmes.
En conclusion, l’auteur emploie souvent la même image : dans cette course entre deux chevaux en accélération exponentielle, nul ne sait encore lequel gagnera, du cheval de la destruction irrémédiable de la biosphère ou du cheval conservationniste.
En conclusion, Jared Diamond s’inspire de l’exemple des Pays-Bas pour avancer l’idée fondamentale que « le monde est un polder », c’est-à-dire un organisme vivant infiniment vulnérable, et toujours sous la menace du déchaînement des éléments naturels. Rien n’est jamais acquis de manière définitive, et surtout pas dans le domaine infiniment complexe des rapports entre l’homme et son écosystème.
Tout doit être conquis de haute lutte, quotidiennement, jour après jour. C’est seulement en ayant pleinement conscience de cette donnée que l’homme peut vivre de manière à la fois réaliste et harmonieuse sur la Terre. Et, in fine, éviter l’effondrement.
La plupart des critiques de Jared Diamond pointent du doigt le même travers de son ouvrage : une sorte de déterminisme climatique qui limite singulièrement la marge de manœuvre laissée à la volonté humaine.
Sans méconnaître ce reproche, l’auteur considère néanmoins que son ouvrage en est largement exempt, ce qui est considéré par certains comme une forme de déterminisme n’étant en fait que l’énonciation de circonstances historiques objectives.
Ouvrage recensé– Effondrement, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2006.
Du même auteur– De l’inégalité parmi les sociétés, Paris, Gallimard, 2000.– Le Troisième chimpanzé. Essai sur l’évolution et l’avenir de l’animal humain, Paris, Gallimard, 2000.