Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jean-Baptiste Del Amo
En quelques années, l’association L214 est devenue le porte-parole des animaux d’élevage, dont les droits sont bafoués par une industrialisation intensive de la production de viande. Des élevages aux abattoirs, Jean-Baptiste Del Amo nous fait cheminer dans les pas de ces militants qui n’ont qu’un idéal : un monde où tous les êtres auraient droit au bonheur.
Dans son livre, Jean-Baptiste Del Amo retrace le parcours de L214. Depuis une dizaine d’années, l’association s’est fait une place à part parmi les organisations militantes se revendiquant du mouvement animaliste. Si la protection de tous les animaux est au cœur de ses convictions, L214 a décidé de se vouer à la défense des animaux d’élevage dont le destin n’est que souffrance.
Familiers et pourtant méconnus, ils sont les victimes d’un système de production intensif qui les réduit à l’état d’objets, au mépris de leur statut d’êtres vivants dotés de sensibilité. De quelle façon la législation encadre-t-elle le devenir des animaux d’élevage ? Comment L214 lutte-t-elle pour leur rendre justice et mobiliser les différents acteurs sociaux ? Quel est l’impact des actions entreprises par l’association ? Jean-Baptiste Del Amo dresse un tableau des combats menés par L214 et nous donne à voir comment elle bouscule nos certitudes pour nous inciter à rejoindre sa cause.
Créée en 2008, L214 est une association militante fondée par Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, et dirigée par Antoine Comiti. Elle est l’aboutissement d’un combat contre l’exploitation animale initié une vingtaine d’années auparavant, auprès de mouvements animalistes divers. En 2003, Antoine Comiti propose de s’inspirer des activistes américains, notamment des stratégies d’Henry Spira, en adoptant une approche moins radicale pour se faire entendre des gens. Il ne faut pas juger leurs modes de consommation, mais dialoguer pour les amener à une prise de conscience. Il convient également de cibler un objectif de bataille bien déterminé, qui permettra néanmoins d’élargir le débat et les revendications.
C’est dans cette perspective qu’est créé Stop Gavage, collectif visant à révéler les coulisses de la production du foie gras. L’opération est un tel succès que les fondateurs doivent fonder une nouvelle association pour pouvoir recueillir les dons et financer de nouveaux projets. L214 voit alors le jour. Son nom fait référence à l’article L214-1 du Code rural, datant de 1976, qui reconnaît le statut d’être sensible à l’animal.
L’association focalise son combat sur la défense des animaux d’élevage qui sont victimes d’une tuerie de masse. Chaque année dans le monde, plus de 69 milliards d’entre eux sont élevés et abattus dans des conditions épouvantables. L214 revendique le respect des droits fondamentaux de tous les êtres sentients, c’est-à-dire capables d’éprouver des émotions et de la souffrance.
Elle dénonce la violence faite aux animaux dans les structures agricoles et piscicoles intensives, mais aussi par les techniques de pêche et d’abattage. Se plaçant dans une optique abolitionniste et antispéciste, L214 veut aussi mettre en marche une révolution sociale et éthique qu’elle juge indispensable. L’élevage et la production de viande à grande échelle monopolisent des surfaces agricoles gigantesques dédiées à l’alimentation des animaux, alors que 800 millions de personnes ne mangent pas à leur faim dans le monde. Il est donc urgent de reconsidérer nos modes de consommation et de libérer les animaux de leur calvaire.
L214 prône un militantisme pacifique et non culpabilisant. Son arme de prédilection ? Des vidéos réalisées sur le terrain et révélant la réalité des transports d’animaux, des élevages et des abattoirs. L’objectif n’est pas d’incriminer les auteurs de maltraitances dites « légales » ou volontaires ni de les déresponsabiliser. Il s’agit avant tout de dévoiler les rouages d’un système destructeur et immoral. Pour être efficace, l’association s’appuie sur l’expertise de vétérinaires et de deux avocates.
Depuis 2009, elle a effectué une trentaine d’enquêtes par infiltration ou en collaboration avec des employés. Certaines ont eu un retentissement fort, comme celles concernant l’abattoir du Vigan ou les couvoirs industriels. L214 n’hésite pas à interpeller les politiques et les grandes surfaces pour les contraindre à faire évoluer les choses. En parallèle, elle propose aussi des solutions concrètes pour aider les gens à changer d’alimentation, avec Vegan Pratique, ou inciter les restaurateurs à proposer des alternatives végétariennes avec le programme VegOresto.
L214 dénonce une réglementation censée protéger les animaux d’élevage et d’abattoir, mais qui autorise des pratiques ne respectant pas leur bien-être. Le principe même de l’élevage intensif leur impose des conditions de vie en contradiction avec leurs besoins fondamentaux.
Pour la plupart, ils vivent dans des bâtiments clos, sans accès à l’extérieur ni lumière naturelle. Le surnombre et la promiscuité développent chez eux des pathologies comportementales, pouvant se traduire par de l’agressivité, du stress ou du cannibalisme. Les infrastructures dans lesquelles ils sont confinés les contraignent à l’immobilité ou ne correspondent pas à leurs caractéristiques physiologiques. Cages, stabulations ou enclos occasionnent des pathologies physiques, telles que des boiteries ou des infections.
Force est de constater que ces types d’élevages sont la norme la plus généralisée en France : 99 % des lapins et 68 % des poules pondeuses sont élevés en batterie, tandis que 95 % des cochons et 83 % des poulets vivent dans des bâtiments. Pour les adapter à ces conditions de vie, les éleveurs les soumettent à des mutilations. Dégriffage et épointage des becs pour les volailles, écornage des veaux, meulage des dents pour les porcs, sont effectués pour éviter les blessures entre animaux et les rendre facilement manipulables.
Les animaux d’élevage sont considérés comme des marchandises, dont il faut optimiser le rendement et la qualité. Les sélections génétiques permettent de créer des races répondant à des exigences d’engraissement, de production laitière ou de fertilité toujours plus importantes. Les poules pondent 300 œufs par an au lieu d’une vingtaine à l’état naturel. Les volailles atteignent leur poids d’abattage en 35 jours. Quant à la race bovine Blanc Bleu Belge, elle présente une masse musculaire hypertrophiée à la suite d’une modification génétique. Pour augmenter leur productivité et la qualité de leurs produits, les éleveurs procèdent à diverses manipulations : insémination à répétition, injections d’hormones pour provoquer les chaleurs, castration à vif pour atténuer l’odeur de la viande ou carences en fer pour lui donner un goût conforme aux attentes des consommateurs. Cette gestion industrielle conduit également à l’équilibrage manuel des nids : les nouveau-nés inutiles ou inexploitables sont éliminés par broyage ou par claquage, en les cognant contre un support.
Dans les abattoirs, la réglementation vise à limiter la souffrance animale par des procédés d’étourdissement. Ces techniques sont destinées à provoquer une perte de conscience et un amoindrissement de la sensibilité au moment de la mise à mort.
Parmi les principales méthodes d’étourdissement, l’électronarcose ou le bain d’eau consistent à électrocuter l’animal grâce à des électrodes placées sur la tête ou une immersion dans un bac d’eau électrifiée. Les fosses à CO2 sont souvent utilisées pour les porcs qui sont exposés à un mélange gazeux. L’étourdissement par pistolet à tige perforante est, quant à lui, largement employé pour les bovins, les chevaux ou les veaux. Il engendre de graves lésions cérébrales. Bien que vecteurs de souffrances, ces dispositifs sont validés par les autorités. Ils prennent en compte des critères de qualité finale du produit et les intérêts économiques des éleveurs.
Bien que la législation soit claire, les enquêtes L214 ont révélé des manquements systématiques. Certaines vidéos donnent à voir des élevages insalubres où les animaux évoluent dans leurs déjections, à proximité de congénères agonisants ou morts. Elles dévoilent aussi des lapereaux ou des porcelets difformes, conséquence d’une fertilité toujours plus poussée ou d’infections. Le taux de mortalité des animaux de ferme est d’ailleurs spectaculaire.
Selon l’Association des animaux trouvés morts avicole, 41 % des volailles meurent en raison d’une panne de matériel ou d’un problème sanitaire. Les transports vers l’abattoir sont si stressants et épuisants que 70 % des porcs décèdent dans les bétaillères et 30 % au moment du déchargement. Du côté des abattoirs, il s’avère souvent que les équipements sont inadaptés ou défaillants.
L’incompétence des employés est également notable. Les étourdissements manqués s’avèrent une constante des différents abattoirs ayant fait l’objet d’une enquête par L214. Le matériel est positionné de façon aléatoire ou imprécise, ce qui a une incidence sur son efficacité. À l’abattoir de Limoges, la vidéo de L214 montre que sur 180 bovins, 15 % ont dû être étourdis plusieurs fois. Les reprises d’égorgement sont aussi monnaie courante, les sacrificateurs procédant par cisaillement et non par incision.
À cela s’ajoute le non-respect des procédures visant à réduire la souffrance des animaux. Les délais entre l’étourdissement et la saignée sont trop longs. Les ouvriers n’effectuent pas le test de conscience pour vérifier si l’animal peut être saigné ni d’étourdissement de secours lorsque nécessaire. De nombreux animaux sont suspendus sur la chaîne d’abattage alors qu’ils sont encore conscients et il arrive même que certains soient découpés vivants.
Cette inefficacité des employés s’accompagne de mauvais traitements. Les besoins élémentaires des animaux ne sont pas assurés, alors même que la réglementation y contraint les professionnels. Si leur bien-être doit être garanti durant les transports, il doit aussi l’être après leur déchargement. Ils doivent ainsi disposer d’un espace suffisant pour se mouvoir ou se coucher. En cas d’attente excédant 12 heures, on doit leur fournir à manger et à boire, ainsi qu’une litière. Un audit de l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de 2015 révèle que ces conditions ne sont majoritairement pas remplies.
Par ailleurs, il n’est pas rare de voir les ouvriers frapper les animaux ou leur asséner des décharges avec des aiguillons électriques. Filmée lors de l’enquête réalisée à l’abattoir du Vigan en 2015-2016, une scène édifiante montre un salarié jetant des moutons contre un mur, ainsi que d’autres employés qui s’amusent à les électrocuter à plusieurs reprises.
Les liens que nous entretenons avec les animaux dépendent de notre éducation et de notre culture. Notre société est principalement basée sur l’exploitation animale, ce qui serait une façon d’affirmer notre supériorité.
Pour la philosophe Florence Burgat, « l’institution de l’alimentation carnée reflète un désir profond de l’humanité de se penser contre l’animalité ». En les maintenant dans un statut d’objets-marchandises, nous affirmons notre différence. Cette dévalorisation nous permet d’établir une distance avec eux et de justifier le traitement qui leur est fait. L’élevage industriel va dans ce sens puisque, par son fonctionnement à grande échelle, il empêche les éleveurs de nouer des liens avec leurs animaux. On assiste à la même dépréciation de l’animal au sein des abattoirs. Les employés sont confrontés à des centaines de bêtes qu’ils doivent mettre à mort chaque semaine. La violence devient pour eux routinière. Comment en effet concilier bien-être animal et mise à mort ?
C’est tout le paradoxe que L214 s’efforce de mettre en lumière. Les abattoirs sont des lieux de brutalité et de cruauté où l’homme n’est pas en mesure d’éprouver de la compassion pour l’animal, au vu des cadences et des méthodes de travail.
Il faut aussi souligner que l’exploitation des animaux d’élevage pèse lourd dans l’économie. Les lobbys de la viande n’ont aucun intérêt à jouer sur la corde sensible et à révéler la souffrance qu’ils endurent. Le consommateur est volontairement tenu à l’écart des réalités des abattoirs, d’où l’électrochoc provoqué par les vidéos de L214. Le directeur du groupe Bigard refuse tout tournage en vertu de la politique de l’entreprise, qui consiste à mettre tout en œuvre pour que le client mange son steak sans jamais faire le rapprochement avec l’animal mort. En brouillant les pistes, les lobbys de la viande perpétuent leur système d’exploitation et sa rentabilité économique.
L’auteur note à cet égard que le vocabulaire employé par la filière participe à cacher des pratiques moralement condamnables. On parle d’étourdissement au lieu de perforation du crâne. L’alimentation assistée désigne le gavage et les soins aux porcelets renvoient aux mutilations qu’ils subissent. Il existe donc un contrôle savamment orchestré par l’industrie de la viande pour que le consommateur ne modifie par ses habitudes alimentaires.
Un sondage IPSOS de 2017 révèle que 49 % des personnes sont prêtes à adopter une alimentation végétarienne pour ne plus participer à la souffrance des animaux d’élevage. Certains éleveurs renoncent à leur métier, tandis que de nombreux restaurateurs s’engagent à végétaliser leurs menus. Cette évolution s’explique par les découvertes en éthologie de ces dernières années. Elles ont mis en évidence de nombreuses similitudes entre l’homme et l’animal. Les cochons ont de la mémoire et sont capables de jouer à des jeux vidéo. Les poules savent compter et tirent des leçons de leurs expériences. Quant aux vaches, elles disposent d’un langage complexe et ont le sens du partage.
Au vu de ces découvertes, est-il acceptable de tenir les animaux d’élevage en esclavage et de leur infliger les pires maux ? En outre, les dernières études en matière de nutrition ne peuvent que nous enjoindre à devenir végétariens. Les spécialistes affirment qu’une alimentation végétale est tout à fait viable et même recommandée pour la santé. L’OMS a inscrit la viande rouge dans la liste des cancérigènes potentiels et la charcuterie parmi les cancérigènes certains. L’Académie de nutrition et de diététique américaine abonde dans ce sens, en déclarant qu’une alimentation végétarienne ou végétalienne préserverait de certaines maladies.
L’ensemble de ces découvertes et les révélations sur la face cachée de l’élevage intensif expliquent l’évolution positive que connaît aujourd’hui la société. Si le combat n’en est qu’à ses balbutiements, il convient de constater que d’un point de vue juridique, les animaux ne sont plus considérés comme des biens meubles, mais comme des êtres vivants doués de sensibilité. Bien que les résistances existent encore et l’application de la loi ne soit pas toujours rigoureuse, diverses réglementations européennes permettent de prendre en compte la souffrance des animaux et de les protéger, telles que le traité de Lisbonne ou celui d’Amsterdam.
En 2016, la Commission d’enquête demandée par l’Assemblée nationale à la suite des vidéos diffusées par L214 a marqué aussi d’une pierre blanche le combat mené par l’association. Elle a été l’occasion d’un grand débat national sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie en France. Les sanctions pénales prises à l’égard de l’abattoir du Vigan en 2017 sont aussi la preuve que la justice en faveur des animaux est en marche.
Le combat que livre L214, ce n’est pas seulement un engagement inconditionnel en faveur des animaux d’élevage. C’est également une révolution éthique et sociale visant à abolir la violence qui leur est faite.
La généralisation d’un mode de consommation responsable et une cohabitation harmonieuse, où chaque espèce aurait droit à une égale considération, sont la clé de cet idéal porté par L214 depuis ses débuts.
Le mouvement animaliste trouve ses sources dans les théories du philosophe australien, Peter Singer. Celui-ci prône l’antispécisme, c’est-à-dire le droit à l’égalité de considération indépendamment des critères d’espèce ou de compétences. Nombre d’associations de défense des animaux s’inscrivent dans le prolongement de cette philosophie. Aujourd’hui, deux courants s’affrontent dans l’antispécisme. D’un côté, les abolitionnistes comme L214 ou le philosophe Gary Francione, qui considèrent que le pacifisme et le véganisme sont la clé pour être en cohérence avec ses principes et toucher le maximum de personnes.
De l’autre, les réformistes, comme l’association PETA, se battent pour l’amélioration des conditions d’élevage et d’abattage sans revendiquer un abandon de l’exploitation animale. Certains militants, comme Steven Best ou Tiphaine Lagarde, considèrent que le véganisme et le réformisme collaborent avec le système en place par leur manque de radicalité. Ils justifient quant à eux le recours à la violence comme moyen de faire abdiquer les lobbys et grandes entreprises.
Ouvrage recensé– Jean-Baptiste Del Amo, L214, une voix pour les animaux, Paris, Éditions Arthaud, 2019.
Autres pistes– Florence Burgat, L’Humanité carnivore, Paris, Éditions Seuil, 2017.– Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu’on abat – Journal d’un enquêteur dans les abattoirs français (1993-2008), Paris, Éditions L’Harmattan, 2009.– Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?, Paris, Éditions de l’Olivier, 2010.– Peter Singer, La Libération animale, Paris, Éditions Payot, 2012.