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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jean-Charles Asselain
Dans ce premier tome, Jean-Charles Asselain détermine les forces motrices du développement économique depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la guerre de 1914 et dégage les facteurs permanents qui font l’originalité de la croissance économique française. Première puissance économique à la fin du XVIIIe siècle, la France perd son rang à la veille de la Première Guerre mondiale, « surclassée par la Grande-Bretagne dans le domaine financier, par les États-Unis en termes de niveau de vie, par l’Allemagne en termes de puissance industrielle ». L’auteur s’oppose pourtant à un certain pessimisme.
Au XVIIIe siècle, le secteur agricole occupe une place prépondérante dans l’économie française, mais ce n’est plus une économie stagnante. On assiste en effet à une phase de développement préindustrielle sur laquelle s’appuiera l’essor industriel du XIXe siècle, ainsi que sur l’assimilation des techniques anglaises.
Quant au commerce, il est particulièrement dynamique au XVIIIe siècle, en particulier grâce à l’exploitation du domaine colonial. À la veille de la Révolution, la France est la première puissance économique européenne. La Révolution a, d’une part, un effet négatif sur le court terme, les guerres pesant sur la croissance, et, d’autre part, elle a un effet bénéfique sur le long terme car, en bousculant les institutions de l’Ancien Régime, elle ouvre la voie à la croissance économique moderne. Avec les guerres de la période révolutionnaire, puis de la période napoléonienne, la France accuse un retard important sur la dynamique industrielle de la Grande-Bretagne.
À partir de la Restauration en 1815, la paix revient et avec elle une longue période de croissance et d’essor industriel. Cependant, à partir de 1860, on assiste à un fléchissement de l’activité économique, notamment en raison de l’achèvement du réseau ferroviaire principal, son développement ayant eu un effet moteur sur le reste de l’économie.
Enfin, à l’orée du XXe siècle, soit dès les années 1890, de nouvelles industries apparaissent, comme l’automobile ou l’aéronautique, et l’essor industriel reprend. C’est aussi une période de retour du protectionnisme, qui provoque une concurrence accrue entre les États pour trouver de nouveaux débouchés, avant l’éclatement de la guerre mondiale en 1914.
L’agriculture occupe une place prépondérante dans l’économie française au XVIIIe siècle. La population rurale représente près de 85 % de la population totale.
Sous l’Ancien Régime, le progrès agricole rencontre plusieurs obstacles : complexité des régimes de propriété, prélèvements en cascade sur le produit du travail des paysans, utilisation de techniques et d’outillages peu évolués, faible degré de spécialisation régionale ou encore cloisonnement régional lié au coût élevé des transports. Cependant, le progrès agricole devient au XVIIIe siècle un sujet de préoccupation majeur et l’agronomie bénéficie d’un véritable engouement. La monarchie encourage ces progrès agricoles, notamment en améliorant le réseau routier.
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la population française amorce une croissance soutenue. Le démarrage de la croissance démographique est imputable à un recul de la mortalité, auquel on peut trouver plusieurs causes. En premier lieu, les progrès de l’hygiène ont permis de faire reculer la mortalité infantile, et peut-être également d’éradiquer la peste, qui frappe pour la dernière fois en 1720 à Marseille. En outre, au XVIIIe siècle, le territoire français est épargné par la guerre. Enfin, l’une des conséquences favorables des progrès agricoles est de circonscrire les disettes dans l’espace et dans le temps, ce qui réduit la mortalité.
La courbe de production agricole prend de l’avance sur celle de la population, ce qui génère une amélioration des disponibilités agricoles par habitant ainsi que du niveau de vie. En conséquence, la demande de produits manufacturés s’accroît et se diversifie. Les progrès dans le domaine agricole semblent donc avoir joué un rôle déterminant dans le démarrage de la révolution industrielle.
On ne peut pas néanmoins parler de « révolution agricole », l’ampleur des progrès étant très inégale selon les régions et ces progrès ne présentant rien de « révolutionnaire », mais plutôt une série de « fronts » de progrès, tels que les défrichements, le développement de l’élevage ou l’amorce d’une plus grande diversité régionale.
Durant le XVIIIe siècle, le commerce extérieur français est en plein essor. En 1720, il représentait à peine plus de la moitié du commerce britannique, tandis qu’en 1780 il lui est presque équivalent. La prospérité du commerce extérieur français dépend en grande partie de l’expansion du commerce colonial, notamment avec les Antilles (importations de sucre, de café, d’indigo et de coton).
Cet essor provient de l’amélioration de l’organisation des transports maritimes : la généralisation de l’assurance maritime facilite la mobilisation des capitaux en réduisant les risques, ce qui permet de baisser le coût du transport de marchandises. Le dynamisme du commerce extérieur exerce un « effet industrialisant » sur les provinces maritimes françaises, en particulier sur le « secteur atlantique », où se concentre toute une gamme d’industries diversifiées, surtout près des ports de Bordeaux et de Nantes.Au XVIIIe siècle, l’économie française n’est plus seulement une économie agricole.
L’artisanat et l’industrie sont à la fois omniprésents et très diffus. Les trois branches les plus développées sont l’industrie textile, le bâtiment et les industries alimentaires. Le tissu industriel se caractérise par la coexistence de trois secteurs : les corporations, qui rassemblent l’ensemble des artisans pratiquant le même métier dans la ville au sein d’une organisation hiérarchisée ; les manufactures, qui constituent une forme de production en grand et réunissent parfois plusieurs centaines d’ouvriers ; enfin, l’artisanat rural. La naissance de l’industrie moderne s’insère donc dans un milieu préindustriel complexe et développé.
Durant les derniers temps de l’Ancien Régime, l’industrie moderne amorce une percée dans quelques branches, fondée sur une politique volontariste d’assimilation des techniques anglaises, facilitée par l’installation en France d’industriels, d’ingénieurs et de techniciens anglais, les inventions françaises étant peu nombreuses. Trois branches « pilotes » sont principalement concernées par les débuts de l’industrie moderne : l’industrie textile, la métallurgie et les mines.
À la fin du XVIIIe siècle et de l’Ancien Régime, la France reste la première puissance économique européenne. Elle bénéficie non seulement d’une unification nationale précoce (un avantage qu’elle partage avec l’Angleterre) mais aussi d’une population double de celle de la Grande-Bretagne. Cependant, à partir de la décennie 1780, l’industrie française peine à amorcer par elle-même les transformations structurelles décisives, et l’avance anglaise commence à faire sentir ses effets sur l’économie française. Dans le secteur agricole, l’Angleterre bénéficie d’une indiscutable supériorité.
Deux traits principaux confèrent à la révolution industrielle anglaise son caractère unique : l’aptitude à engendrer un flux croissant d’innovations et le raccourcissement du délai séparant l’invention de son application industrielle. La France assimile rapidement ces innovations anglaises, mais leur diffusion s’effectue à une échelle plus réduite. L’une des raisons de ce retard de l’industrie française réside également dans des facteurs institutionnels de l’Ancien Régime, qui exercent un effet de freinage indéniable : les corporations, par exemple, tombées en désuétude en Angleterre, mènent en France un combat pour la protection de leurs intérêts qui retarde le progrès économique.
Un autre point crucial est le décalage en Angleterre entre la croissance agricole et la croissance démographique, décalage pratiquement inexistant en France, qui a pour conséquence une augmentation des salaires. Le niveau de vie moyen s’accroît en Angleterre, créant de nouveaux débouchés, et le renchérissement du coût de la main-d’œuvre constitue une incitation au progrès technique pour les entreprises.
Autre facteur explicatif, les allocations en charbon britanniques sont incomparables avec celles de la France. Vulnérable, l’économie française s’expose de plein fouet à la concurrence anglaise en signant en 1786 un traité de commerce franco-britannique, qui a des conséquences immédiatement désastreuses sur l’industrie française.
La Révolution marque une période décisive de mutations structurelles. Dans le domaine agraire, l’abolition des droits féodaux et les transferts de propriété mettent en place un système de petite exploitation paysanne qui a sans doute contribué à ralentir le développement économique. La taille des exploitations est insuffisante pour investir et renouveler les méthodes de culture.
On observe aussi un freinage de la croissance démographique, lié à la volonté de ne pas morceler encore plus les exploitations. Néanmoins, la fin du féodalisme ouvre la voie à la croissance économique moderne, avec la mise en place d’une législation adaptée aux besoins du capitalisme (suppression des corporations, protection des droits de propriété, etc.).
À partir de 1793, la conjonction des guerres civiles et extérieures provoque un véritable effondrement économique et une forte inflation. Sous l’Empire, le commerce colonial est quasiment anéanti à la suite du blocus qu’impose l’Angleterre sur les côtes françaises. L’industrie française souffre des difficultés d’approvisionnement en matières premières. Le « secteur atlantique » s’effondre ; l’axe de l’industrialisation français se déplace alors vers le nord-est. « La période de la Révolution et de l’Empire ne correspond donc pas à un simple freinage temporaire, mais elle marque une inflexion durable des orientations de la croissance. »
De 1815 à 1860, la France connaît une période de forte croissance. Deux secteurs ont contribué à donner une impulsion à l’essor industriel : l’agriculture et les transports. Dans le domaine agricole, les progrès de production s’expliquent par l’extension de la superficie cultivée mais surtout par la profession des rendements. D’autre part, un effort d’investissement est entrepris pour moderniser les transports en réponse aux besoins de l’approvisionnement en charbon. On distingue deux étapes dans la rénovation : de 1815 à 1840, les transports traditionnels sont modernisés (réseau routier et canaux) ; de 1842 à 1860, c’est la révolution des chemins de fer.
À partir des années 1860 apparaissent les premiers signes du fléchissement économique, qui s’explique par trois facteurs majeurs : la signature du traité de commerce franco-britannique de 1860, la défaite de 1870 (amputant la France de l’Alsace et de la Lorraine, deux de ses provinces les plus industrialisées) et surtout la dépression agricole, qui prend dès les années 1870 un tour très brutal. D’autres facteurs circonstanciels ont contribué à accentuer ce fléchissement, comme les ravages du phylloxéra sur la vigne et de la pébrine sur le ver à soie. Le réseau ferroviaire étant en grande partie achevé, les nouvelles constructions ne portent plus que sur des lignes secondaires moins rentables.
Le fléchissement industriel trouve principalement son origine dans la dépression agricole, qui exerce une double influence : les migrations de main-d’œuvre vers l’industrie sont moins importantes, et, surtout, la stagnation du pouvoir d’achat tend à réduire la demande de produits industriels. Les dépenses publiques s’accroissent pour répondre à ces difficultés et soutenir l’activité économique, préfigurant les politiques macro-économiques de soutien de la demande appliquées au XXe siècle. L’industrie française se restructure géographiquement et sectoriellement : la métallurgie, amputée par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871, se déplace vers les façades maritimes ; dans l’industrie textile, le tissage manuel est définitivement supplanté par le tissage mécanique.
Malgré le fléchissement économique de cette période, on assiste à une croissance soutenue des salaires réels. La progression des salaires intervient comme un stabilisateur, ce qui contribue à limiter le recul de l’activité. Il s’est donc produit un fléchissement, mais pas d’effondrement ni de véritable rupture du processus d’industrialisation : « C’est même durant cette phase que le secteur industriel et urbain paraît avoir acquis l’aptitude à une croissance autonome, dont l’éclosion se manifestera par des progrès bien plus visibles dans les toutes dernières années du XIXe siècle. »
Après une longue période de dépression, l’économie française parvient à émerger à partir des années 1890. Le retournement se manifeste en particulier dans l’évolution des prix : la longue période de baisse de la seconde moitié du XIXe siècle laisse place à une conjecture inflationniste qui, n’étant pas anticipée, provoque un arrêt de la croissance des salaires réels.
Au contraire, la hausse des profits prend des proportions exceptionnelles. La période 1890-1913 est une période d’expansion monétaire et de prospérité financière, qualifiée par l’auteur d’« apogée du capitalisme ». Contrastant avec la phase antérieure de ralentissement, la croissance économique s’accélère.
On assiste à une modification des bases de la croissance. Le moteur à explosion et l’électricité succèdent au chemin de fer. Les industries métallurgique, chimique et électrique sont les nouvelles industries motrices et celle de la construction aéronautique voit le jour.
De nouveaux produits font leur apparition, comme l’aluminium, le caoutchouc, l’automobile ou le cinéma. La part des dépenses publiques dans le produit national diminue, de même que les investissements de base, au profit des investissements industriels. La croissance des industries du secteur des moyens de production dépasse celle des biens de consommation.
La fin du XIXe siècle marque le retour du protectionnisme dans tous les grands pays d’Europe – Grande-Bretagne mise à part –, ce qui n’empêche pas un nouvel essor du commerce international. L’agriculture française bénéficie largement de ce retour au protectionnisme et cesse d’être un facteur de freinage pour la croissance industrielle. Les exportations de produits manufacturés doublent sur l’ensemble de la période 1890-1910. La demande extérieure joue de nouveau un rôle moteur.
Le durcissement de la concurrence économique internationale va néanmoins être à l’origine de rivalités entre les grandes puissances, notamment pour la conquête de débouchés coloniaux, ces tensions n’étant pas étrangères à l’éclatement du conflit mondial en 1914.
La France, qui était en tête des puissances à la fin du XVIIIe siècle, ne l’est plus à la veille de la guerre de 1914. « Elle est surclassée par la Grande-Bretagne dans le domaine financier, par les États-Unis en termes de niveau de vie, par l’Allemagne en termes de puissance industrielle. » Pourtant, la France n’a pas connu, sur l’ensemble du XIXe siècle, de croissance « anormalement faible ». La croissance française se distingue par l’intensité des fluctuations à moyen terme. Sur l’ensemble de la période étudiée dans cet ouvrage, du XVIIIe siècle à l’éclatement de la Première Guerre mondiale, deux principales phases de ralentissement économique se dessinent.
Premièrement, la période de fléchissement, qui débute un peu avant la Révolution et court jusqu’à la fin de l’Empire (1786-1815), est liée aux guerres, la reprise de l’industrialisation intervenant avec le retour de la paix.
La deuxième période de ralentissement correspond au dernier quart du XIXe siècle (1860-1890). Ce déclin relatif de l’économie française par rapport aux autres nations pourrait trouver son origine dans le fléchissement démographique : « Aucun autre pays n’a connu une baisse de la fécondité aussi précoce et aussi profonde ; aucun n’est aussi près au début du XXe siècle d’avoir une population stationnaire. »
La « vision traditionnelle » est majoritairement pessimiste sur l’état de l’économie française à la veille de la guerre de 1914. Le poids élevé de l’agriculture, le faible taux d’urbanisation (qui accuse un retard de l’ordre d’un siècle par rapport à la Grande-Bretagne) ou le faible taux de salariat sont autant d’arguments qui vont dans ce sens. En 1913, la France est un pays semi-industrialisé, semi-développé, qui a perdu le rang de première puissance économique qu’elle occupait un siècle plus tôt.
Jean-Charles Asselain remet en cause ce pessimisme des vues traditionnelles. Par exemple, concernant le faible taux de salariat (la proportion de salariés en 1911 n’est que de 46 % en France, contre près de 90 % en Grande-Bretagne), l’auteur y voit plutôt une spécificité du développement français, « témoignant de la part de la société française d’une très forte résistance au changement » qu’il qualifie de « rigidité sociale ».
Ouvrage recensé– Histoire économique de la France du XVIIIe siècle à nos jours, tome 1 : De l’Ancien Régime à la Première Guerre mondiale, Paris, Seuil, 1984.
Du même auteur– Histoire économique de la France du XVIIIe siècle à nos jours, tome 2 : Depuis 1918, Paris, Seuil, 2011.– Avec Bertrand Badie, Jean Bouvier et alii, La France en mouvement (1934-1938), Paris, Champ Vallon, coll. « Époques », 1986.– L’Argent de la justice. Le budget de la justice en France de la Restauration au seuil du XXIe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2009.
Autres pistes– Jacques Brasseul, Petite histoire des faits économiques, Paris, Armand Colin, 2016.– Ernest Labrousse et Fernand Braudel (dir.), Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 1970-1993.