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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Sur les épaules de Darwin, les battements du temps

de Jean-Claude Ameisen

récension rédigée parAgnès Bourahla-FarineDiplômée de l'ESJ de Lille. Journaliste scientifique (Biologiste Infos/Passeport santé).

Synopsis

Science et environnement

Explorer l’univers et mieux connaître l’Homme, décrypter l’intelligence animale et révéler les beautés de l’évolution. Un défi que relève chaque semaine Jean-Claude Ameisen, dans son émission Sur les épaules de Darwin, le samedi, sur France Inter. De ses chroniques, au départ improvisées, puis écrites, est né cet ouvrage. Il y explore le temps et ses battements, entre passé et futur, quête de l’instant présent. Entre Histoire et poésie, ce livre est un voyage à travers le Temps, à la découverte du Je et du Tu, de l’Autre, de sa compréhension, de l’empathie. Du monde animal, de l’univers, et à travers eux, de l’Homme.

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1. Introduction

Sur les épaules de Darwin, rédigé en 2012, est un livre qui reprend une quinzaine de chroniques radiophoniques de Jean-Claude Ameisen.

Principalement axé sur les grandes questions qui traversent les sciences, de l’expansion de l’Univers au ressenti sur le temps qui s’écoule en nous, il est parsemé de références aux poètes et aux écrivains, des références qui peuvent s’étendre des auteurs vieux de plus de deux mille cinq cent ans à Proust ou Pascal Quignard, cité à de nombreuses reprises. Jean-Claude Ameisen questionne notre rapport au temps, notre volonté de saisir le présent, notre rapport à l’Univers, expliquant aussi les manières qui nous ont permis de l’explorer. Il fait surgir, derrière mille anecdotes ayant trait au chant de oiseaux et à leurs jeux de séductions, la compréhension d’un monde animal toujours plus proche du monde des humains, ses capacités de compréhension, d’apprentissage ou d’invention.

Il tente de questionner, en filigrane, la nature de l’être humain, pourtant presque insaisissable… À la manière de Darwin, dont l’œuvre monumentale a posé les bases de notre connaissance du vivant, de son évolution et de son adaptation au fil des millénaires…

2. Réflexion sur le passé et le futur, la quête du présent : le temps est une rivière qui coule en nous…

Qu’est-ce que l’instant présent, nous amène à nous interroger Jean-Claude Ameisen, puisqu’en effet, « non seulement notre conscience est toujours en retard par rapport à ce que nous vivons comme l’instant présent, mais elle est aussi, paradoxalement, souvent déjà projetée dans ce qui n’a pas encore lieu » (p. 20).

Vaste quête, que savoir se saisir du présent et de le vivre, fort des événements passés, avide de savourer notre futur ou soucieux de le connaître. L’auteur réfléchit ainsi à cette notion de « battements du temps », qui rythment nos journées et nos vies. Il parvient, finalement, à esquisser une réponse : il nous est possible de percevoir un savoir sur le monde et sur nous-mêmes car, bien que ce savoir soit insaisissable, il nous transforme. Et alors, ce qui est caché derrière nous-mêmes parvient, parfois, à affleurer à notre conscience. Et nous avons alors l’illusion que ce savoir, « nous venons de l’inventer » (p. 21).

Telle une rivière, le temps coule et s’écoule en nous. D’étranges étendues de temps, passées ou peut-être à venir, se rencontrent en nous-mêmes. Et là, il y a aussi une part d’inconscient qui se révèle, comme le suggère ce passage d’un texte de Siri Hustved : « Autour et en dessous de l’île de ce narrateur conscient de lui-même, s’étend un vaste océan d’inconscient – fait de ce que nous ne savons pas ou que nous avons oublié » (p. 21). Un peu comme lorsque l’on écoute une musique, « c’est à chaque instant, à la fois entendre, avoir entendu, et être prêt à entendre », nous dit le philosophe Victor Zuckerkandl (p. 23). Le temps peut lui aussi se réconcilier en nous : « il y a, en nous, écrit Jean-Claude Ameisen, un temps intérieur qui s’écoule sans fin » (p. 36).

Certaines études démontrent que notre horloge mentale va parfois nous faire paraître le temps plus long, lorsqu’un événement attire notre attention et que notre concentration est particulièrement mise en éveil. Cette horloge intérieure va au contraire nous faire paraître le temps plus court, dès lors que quelque chose est perçu de façon moins intense. Mais d’autres études ont également suggéré que plusieurs horloges cohabitent en nous et participent à notre construction intérieure.

Ainsi, nous construisons notre sentiment d’identité : notre sentiment profond d’être nous, qui prend forme au fil de multiples temporalités. Nous parvenons à saisir cette rivière du temps en nous, et ainsi notre identité se fait plus réelle. Bien que passé et futur se confrontent, l’écoulement de notre temps intérieur parvient à nous construire, par delà de ce battement perpétuel et cette oscillation continue entre le passé et le futur.

3. Traces et témoins du passé : des manuscrits redécouverts à la lumière qui nous éclaire sur l’univers

Les mondes disparus, le passé, laissent parfois des traces, qui ne seront souvent saisies que bien des années après. Ce fut le cas bien des siècles après l’irruption volcanique du mont Vésuve : les habitants de Pompéi et d’Herculanum ont ressurgi à la lumière près de 1 700 ans après avoir été ensevelis par les cendres et les laves de l’irruption. De même, des renaissances successives se font jour, dès lors que des manuscrits et livres égarés sont retrouvés. Autant de traces du passé que des auteurs, particulièrement au XIVe siècle, eurent à cœur de faire redécouvrir : comédies de Plaute, textes de Cicéron remis à disposition des lecteurs. Et même, ce Natura rera étonnant de Lucrèce, redécouvert en 1417.

De telles chaînes du passé s’avèrent discrètes, elles forment « des relais rares et indiscutables dans le monde, au cours du temps, dit Pascal Quignard, et qui portent sur un si petit nombre d’hommes, presque silencieux, de lettré à lettré, ou entièrement silencieux, de lettre à lettre » (p. 79). Et à l’époque où il écrit son texte, dix-neuf siècles avant l’abandon de la notion de vitalisme – « l’idée que le caractère si particulier du vivant ne peut être dû qu’au fait qu’il est constitué d’une matière vitale, différente de la matière qui constitue l’univers matériel non vivant » (p. 82) –, Lucrèce affirme que les êtres vivants sont constitués d’une matière semblable, et de même nature, que celle dont est faite l’univers. Il écrit ainsi : « Les mêmes éléments qui forment le ciel, la mer, les terres, les fleuves, le soleil, forment aussi les épis, les arbres, les êtres vivants. » (p. 82). Monter sur les épaules des anciens pour en venir à ce retour à la source…Très étonnant, encore : la possibilité de redonner la vie à des plantes, voire des forêts, en faisant sortir de leur dormance des graines tirées d’un long sommeil, parfois long de plus de trente mille ans... Et il existe également des traces d’un passé plus lointain encore, des renaissances tout aussi surprenantes : celles laissées par la lumière. Il raconte ainsi l’histoire méconnue d’une femme tombée dans l’oubli, Henrietta Swan Leavitt, qui souhaitait devenir astronome et, alors qu’elle travaillait à l’observatoire de l’université d’Harward, découvrit la façon de mesurer la distance qui nous sépare des étoiles.

À cette époque, vers les années 1890, les femmes étaient interdites d’accès aux télescopes, elles n’avaient le droit que d’observer les plaques photographiques, et d’en tirer l’indication de la position et la luminosité des étoiles, pour établir leurs coordonnées dans le ciel. Les étoiles variables, ou pulsatiles, ont été nommées des céphéides car la première d’entre elles a été découverte dans la constellation de Céphée. Henrietta Leavitt a pu étudier un nombre extraordinaire d’étoiles variables, et établir leur distance entre elles, puis celle qui les sépare de la Terre. Elle mit en effet en évidence la relation entre la luminosité de ces étoiles variables et la longueur de leur période : les différences de luminosité moyenne reflètent une différence réelle d’émission de lumière d’étoiles variables présentes, notamment, dans le Nuage de Magellan.

Or, « l’intensité qui nous parvient est inversement proportionnelle au carré de la distance que la lumière a parcouru » (p. 132), a affirmé Leavitt. Ses découvertes permirent par la suite, aux chercheurs en astronomie, de s’apercevoir que nombre d’autres galaxies existent en dehors de la Voie lactée, et même que l’univers est en expansion… Ces lointaines cousines que sont les étoiles, constituées des mêmes éléments primordiaux de matière que nous, s’éloignent sans cesse de la Terre !

4. La mémoire, cet extraordinaire maillage cérébral qui fait vivre en nous notre passé…

L’exploration de la mémoire est une autre des extraordinaires formes de voyage dans le temps, un outil pour explorer un autre type de passé, plus intime, plus personnel, unique : cette mémoire nous construit chaque jour, à partir de nos diverses expériences, et nous permet d’accéder à ce qui persiste, en nous, de ce qui a disparu. « Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu, et à ce beau hasard que devient alors le souvenir », résume parfaitement Maurice Blanchot (p. 169). Ce qui fait que nous sommes nous-mêmes, c’est aussi l’empreinte, inscrite en nous, de ce qui a disparu.

Cette inscription dans la mémoire passe aussi par le rôle essentiel de notre sommeil. Au cours de nos nuits, des ondes nous traversent, rapides ou plus lentes, et permettent aux souvenirs de s’inscrire, d’abord dans notre hippocampe, avant de migrer vers d’autres régions du cerveau, et notamment vers le cortex cérébral. Une question, des plus énigmatiques, persiste : comment l’esprit a-t-il émergé, dans le corps de quelques-uns de nos lointains ancêtres ?

Pour Darwin, « la question de savoir de quelle manière les capacités mentales se sont développées à l’origine dans les organismes les plus simples est une interrogation aussi vaine que de se demander comment la vie elle-même est apparue à l’origine, écrit-il dans La Généalogie de l’homme. Ce sont là des problèmes pour un futur lointain, si tant est qu’ils soient jamais résolus par l’homme. » (p. 172). Ce pouvoir nouveau qui est apparu à l’homme va lui permettre de replonger dans le passé, de le faire resurgir.

Pourtant, ce passé nous change. Jean-Claude Ameisen explique ainsi qu’au cours des expériences que nous avons vécues, ce que nous y avons appris nous a profondément transformés. Et seul ce qui nous a transformé laisse une trace en nous, inscrit ou écrit sous la forme d’un souvenir. « Je est un autre », écrivait Rimbaud : cela suggère que les expériences vécues nous ont rendu différent, que « c’est parce que nous avons vécu que nous sommes devenus autre », glisse Jean-Claude Ameisen.

5. La mémoire : entre inscription et oubli

C’est le neurobiologiste Éric Kandel, prix Nobel de physiologie et de médecine en 2000, qui découvrit les mécanismes qui se jouent dans l’infiniment petit, à l’échelle moléculaire et cellulaire, et qui sont à l’origine des deux formes de mémoire qui cohabitent en nous. Ainsi, la mémoire à court terme est rendue possible grâce à un simple renforcement, transitoire, des connexions, ou synapses, entre certaines cellules nerveuses. La mémoire à long terme, quant à elle, « dépend de la création de nouveaux réseaux, de nouveaux circuits » (p. 181) et, ainsi, de modifications durables à diverses échelles, modulant l’utilisation des gènes, fabriquant de nouvelles protéines, enzymes et neuromédiateurs, avec à l’appui l’établissement de nouvelles connexions, par le biais des cellules voisines.

Parfois, pour mémoriser, certains utilisent une technique de déambulation dans des lieux, au sein d’une architecture imaginaire : et ainsi, dans l’espace, s’inscrit une séquence de pensées verbales. C’est ainsi que procédait un mnémoniste à la mémoire prodigieuse, dans les années 1920 : il était capable de convertir une succession de mots en images mentales des lieux. Toutefois, le plus souvent, ce que nous emportons en nous, davantage que des longs discours ou des suites de noms et de chiffres, « ce sont les émotions que nous avons ressenties au moment où nous avons découvert ces lieux » (p. 224), tels des souvenirs d’enfance, des fragments de notre vécu qui survivent et se réagencent. Or, une telle plasticité peut avoir une conséquence négative : celle d’engendrer une moindre fidélité de la mémoire.

Un chapitre de l’ouvrage décrit la perte de la mémoire, lié à la maladie d’Alzheimer ou des pathologies proches. De beaux passages nous invitent à réfléchir, car comme l’écrit Jean-Claude Ameisen, « comme un écho à ce que vous disent vos tableaux : la mémoire qui s’efface n’est pas le blanc de l’oubli » (p. 309). Et c’est en permettant à celui ou celle qui semble sombrer dans l’oubli de s’ouvrir aux autres, en maintenant le lien, que l’on la soigne, que l’on prend soin d’elle (le care anglais), qu’on lui attache de l’importance…

6. La puissance cérébrale des oiseaux

L’étude des oiseaux, de leurs chants pendant la saison des amours, est un voyage étonnant, à la découverte de l’inventivité et de l’imagination animale. De même, ils sont dotés d’une mémoire prodigieuse qui leur permet, par exemple, de se souvenir de toutes les caches pour aliments qu’un oiseau ne migrant pas a placés en prévision de l’hiver. Les geais peuvent même, lorsqu’ils voient qu’ils sont observés par un de leur congénère, imaginer que celui-ci va les voler, et alors changer leur cachette une fois partis les voleurs potentiels. Que d’intelligence, démontrée au fil de ces découvertes plus étonnantes les unes que les autres, chez les oiseaux, dont les ancêtres communs avec les Hommes sont pourtant tellement lointains !

Et pourtant, quelle inventivité aussi, une imagination qui va chez certains oiseaux jusqu’à utiliser les mêmes effets de perspectives architecturales que celles inventées par l’Homme lors du Quattrocento italien : une disposition d’objets qui crée une illusion d’optique, dans le but de donner, par la beauté de leurs jardins, l’envie aux oiselles de devenir leur partenaire… Parmi les oiseaux, il existe d’ingénieux fabricants d’outils, dont certains appartiennent à la famille des corvidés : les corneilles de Nouvelle-Calédonie se montrent par exemple capables de d’effeuiller des tiges avant d’en courber l’extrémité, afin qu’elles prennent la forme d’un crochet. Celui-ci leur permettra de récupérer des larves d’insectes dans les trous des troncs d’arbre.

Mais aussi, quelle imagination, quelle plasticité cérébrale, pour être capable de retenir parfaitement le chant de leurs aînés, avant d’y ajouter leur propre singularité par de légères variations, qui créeront un chant nouveau. Un chant neuf, qu’ils sauront retenir, et même parfois oublier pour pouvoir en inventer de nouveaux… Toujours, dans le but d’attirer les oiselles ! Même leur queue peut conférer à certains de ces animaux orchestres un instrument de séduction, car en se précipitant vers le bas, en plongeant à vitesse très élevée, les plumes les plus longues de cette queue produiront un son, participant ainsi de leur pouvoir de séduction. Les oiseaux ressentent-ils de la même façon que nous ce que nous appelons la beauté, l’esthétique ?

Et Jean-Claude Ameisen nous révèle : « Les oiselles ressentent-elles une profonde émotion devant ce que nous appelons la beauté ? C’est ce que pensait Darwin. Et c’est ce que suggèrent des recherches récentes » (p. 365).

7. Conclusion

Comme ce voyage à travers les sciences est un appel à connaître le monde, et à travers lui, l’Autre, les buts de la musique se ramènent à rechercher, à attirer l’autre. Et, ce voyage autant scientifique que poétique, l’art ne va pas sans la science ; de même, un lieu n’est pas un lieu, mais la recherche d’un autre ou une autre…

Et, comme la musique n’est, pour Pascal Quignard, « qu’une imitation des concerts de la nature » (p. 323), notre monde humain s’inspire profondément de la nature, dont il est partie intégrante. Au sein du monde animal, du monde pré-humain, a surgi, à un moment de l’évolution, l’esprit… Le mystère de notre âme sonne, à travers ces lignes, comme une invitation à l’échange et au partage, celui des connaissances comme celui des idées…

8. Zone critique

Cet ouvrage, pétri de détails qui rendent toujours plus vivantes les anecdotes, dévoile quelques faces méconnues de l’Histoire de l’univers ou de l’évolution des animaux et des plantes, que le lecteur prend un réel plaisir à découvrir. Ce livre se déguste, estampillé de multiples touches de littérature, riche des auteurs auxquels Jean-Claude Ameisen se réfère.

Cet opus résonne, aussi, comme un formidable plaidoyer pour la préservation du vivant, à l’heure où, justement, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : ainsi, selon un rapport dévoilé en mai 2019, un million d’espèces seraient menacées d’extinction en raison de l’activité humaine.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps, Paris, Les liens qui libèrent/France Inter, 2012.

Du même auteur

– Sur les épaules de Darwin. Je t’offrirai des spectacles admirables, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.– Sur les épaules de Darwin. Retrouver l’aube, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.

Autres pistes

– Charles Darwin : de l’origine d’une théorie / CNRS Le Journal, numéro 227, décembre 2008.– Comprendre l’évolution 150 ans après Darwin. Ouvrage collectif, Essai (broché), 2005.– On the Origine of Species by Means of Natural Selection, or The Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, Londres, 1859. Consultable en ligne.

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