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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jean Favier
Cet ouvrage se penche sur l’ensemble territorial constitué en quelques années par Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, et son fils Henri II. Il fut le fruit de conquêtes, mais aussi d’une habile diplomatie, de mariages avantageux et d’une bonne part de chance. Au cours de trois siècles, la dynastie des Plantagenêts parvint à constituer un véritable empire, réunissant sous son giron l’Angleterre, l’Irlande, l’Aquitaine, la Normandie, et un temps l’Écosse. De hautes figures traversent cette histoire mouvementée : Aliénor d’Aquitaine, Richard Cœur de Lion, Thomas Becket ou Simon de Montfort. Elle fut également marquée par la guerre de Cent Ans, point d’orgue de la discorde entre Capétiens et Plantagenêts, durant laquelle ces derniers disparurent.
L’ouvrage s’intéresse à une dynastie qui a régné, trois siècles durant, sur une grande partie de l’Europe. Jean Favier en analyse la construction, l’apogée et le démantèlement. Pour cela, il entreprend de regarder l’empire dans toute son ampleur, dans le temps comme dans l’espace. Dans le temps, l’historien fait remonter cette histoire familiale à un homme qui a porté un surnom, probablement en raison de son goût pour la chasse dans les landes de genêts : Geoffroy Plantagenêt.
Il la poursuit jusqu’en 1399, année durant laquelle le dernier roi de la dynastie fut renversé, remplacé par un Lancastre en plein affrontement contre le royaume de France. Dans l’espace, ce territoire est d’abord l’Anjou, puis l’Aquitaine, la Normandie, l’Angleterre, voire la Bretagne et l’Irlande. Mais l’histoire de cet empire s’étend également aux terres qui cristallisèrent les ambitions de la dynastie : l’Écosse, le Languedoc et même la Provence, âprement convoitée par les puissances européennes.
Si cet empire prospère n’a cessé de se consolider, il conservait toutefois certaines faiblesses : la diversité des hommes, des territoires et des cultures compliquait la gestion et condamnait d’avance l’unité du gouvernement. Il était également menacé par un paradoxe : la dynastie, souveraine en Angleterre, demeurait vassale des rois de France, autrement dit dépendante d’elle, pour une grande partie de ses terres.
De cette situation politique particulière résultèrent plusieurs siècles de querelles entre les rois de France et les Plantagenêts : la guerre de Cent Ans en fut le plus violent aboutissement.
Après avoir évoqué le monde médiéval du XIe siècle, dans lequel il présente à la fois les forces politiques, le système féodal, le renouveau de la foi ainsi que l’essor de l’art et le développement des écoles, Jean Favier présente les fondateurs de la dynastie Plantagenêt, le comte Geoffroy et l’emperesse Mathilde. Elle était l’unique héritière du roi Henri Ier d’Angleterre et duc de Normandie et fut mariée au Plantagenêt le 17 juin 1128. À la mort de son père en 1135, son cousin, Étienne de Blois, lui aussi petit-fils de Guillaume le Conquérant, s’empara du trône. Mathilde s’opposa à cette usurpation et tourna son attention vers l’Angleterre en vain ; Geoffroy se concentra sur la Normandie qu’il conquit en 1144, consolidant jusqu’à sa mort en 1151 son contrôle sur le territoire par des réformes administratives. Avec ses possessions d’Anjou, du Maine et de Normandie, Geoffroy devint le plus puissant vassal du roi de France.
En 1152, le roi de France Louis VII répudia son épouse Aliénor, duchesse d’Aquitaine et comtesse du Poitou. Le fils de Geoffroy et Mathilde, Henri II, l’épousa et lui assurant ainsi le contrôle du sud-est du royaume capétien ; il finit par obtenir la couronne d’Angleterre en 1154 à la mort d’Étienne de Blois. À partir de ce vaste ensemble territorial, Henri II força le duc de Bretagne à abdiquer en faveur de sa fille en 1166, qu’il maria à son propre fils, lui laissant gouverner le duché.
De même, en 1171, il fit reconnaître sa domination sur l’Irlande. Mais si ce règne fut marqué par une expansion territoriale, il fut également marqué par des difficultés : dans sa volonté de contrôler l’Église, le roi fut opposé durant la décennie 1160 à l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, qui fut finalement assassiné en 1170. Ce dernier devint un martyr, donnant une occasion au roi de France Louis VII de demander au pape de venger le prélat.
C’est ainsi qu’Henri II dut s’engager à partir en croisade, à fonder deux monastères, à respecter les anciens partisans de son opposant, et fit amende honorable publiquement le 21 mai 1172. Thomas Becket devint ainsi le héros et le symbole d’une Église d’Angleterre indépendante du pouvoir royal, et fut canonisé en 1173.
La principale caractéristique de l’empire Plantagenêt était sa configuration géographique. Si elle pouvait constituer un avantage pour les relations commerciales, elle le fut moins en ce qui concernait l’administration d’un si vaste territoire : il fallait par exemple dans le meilleur des cas, pour relier Bordeaux à Londres, une dizaine de jours, et il n’était pas rare que les conditions climatiques imposent un voyage de trois semaines. De même, cela suggérait des peuples très différents, les Anglais occupant la première place dans le jeu politique, au détriment des Angevins et des Poitevins, voire des Normands.
Une autre faiblesse résidait dans les structures féodales de l’empire. Celui-ci était formé d’un agglomérat de principautés, avec des organisations politiques différentes. Henri II était ainsi roi d’Angleterre, duc de Normandie et d’Aquitaine, et comte d’Anjou. En outre, pour toutes les terres qui n’étaient pas outre-Manche, un hommage était dû au roi de France. À être selon les lieux seigneur, suzerain ou souverain, il était perdant. Le Capétien, lui, était dans tout son royaume à la fois souverain et suzerain, il n’était nulle part vassal. Jean Favier revient également sur une faiblesse que les historiens avaient jusque-là négligée : la quête de légitimité des Plantagenêts. Car les Capétiens revendiquaient un héritage de Charlemagne, alors que les Anglo-Saxons ne pouvaient se targuer d’aucune origine aussi prestigieuse.
Enfin, pris dans son ensemble, l’empire était riche et le développement économique rapide, mais les disparités locales étaient grandes, liées à la fois aux données naturelles du sol et du climat ainsi qu’aux traditions culturelles. L’Angleterre était de loin le territoire le plus favorisé, mais cette inégalité de production poussait aux échanges, via les ports : celui de Douvres était tourné vers la Normandie, celui de Southampton vers Bordeaux.
L’empire ne manquait ni de céréales, ni de poissons en raison de sa large façade maritime, ni de sel (à la fois condiment et moyen de conservation). La vigne était également présente dans une grande partie du territoire, à la fois en Aquitaine, mais également jusqu’en Bretagne, à la faveur d’une embellie climatique de l’Europe depuis l’an mil.
En 1189, Henri II mourait, brisé par la trahison de ses fils qui s’étaient révoltés contre lui en 1173-1174. La même année, son fils Richard Cœur de Lion préparait la troisième croisade, finançant cette expédition en prélevant dans le trésor royal et en taxant les barons qui ne se joindraient pas à la guerre sainte. Craignant que ses frères ne s’emparent de son trône durant son absence, il leur fit jurer de ne pas gagner le royaume d’Angleterre pendant trois ans ; il plaça des hommes de confiance qui devaient préserver l’héritage de son père, veillant à ce que personne n’ait autorité sur l’ensemble de l’empire. Le 8 juin 1191, il toucha terre devant Acre, qui capitula le 12 juillet face aux assauts combinés de Richard et de Philippe Auguste, roi de France.
Après avoir placé son neveu Henri de Champagne sur le trône de Jérusalem, et alors que Philippe Auguste était déjà reparti en Europe, Richard reçut des nouvelles inquiétantes : le Capétien cherchait à s’emparer de ses possessions dans l’ouest de la France, et son frère Jean sans Terre se révoltait. Le roi d’Angleterre quitta la Terre sainte le 9 octobre 1192. Mais il sous-estimait manifestement les inimitiés que lui avait values chez ses compagnons de croisade sa propension aux emportements. Dans les circonstances d’exception de la croisade, il avait accumulé les fautes, notamment lorsqu’il n’avait pas supporté qu’à Messine, dans une joute amicale, Guillaume de Barres l’eût emporté sur lui. C’est ainsi qu’il fut capturé sur le chemin du retour vers l’Angleterre le 20 décembre 1192 par le duc Léopold de Babenberg, qu’il avait insulté durant le siège d’Acre.
Il fut libéré en 1194 contre le paiement d’une rançon par sa mère Aliénor d’Aquitaine. Les manœuvres menées conjointement par Philippe Auguste et Jean sans Terre en surenchérissant sur le prix demandé par l’empereur pour que Richard restât en prison ne suffirent pas. Cœur de Lion retrouva l’Angleterre que son frère était près de conquérir, ainsi que la Normandie, attaquée par Philippe Auguste. Il devait reprendre la main dans l’empire, son absence lui ayant coûté très cher. Ne ménageant pas ses efforts, il parvint à redresser la situation, mais fut touché à Châlus par un tir d’arbalète le 23 mars 1199 : la gangrène le gagna et il décéda six jours plus tard.
À la mort de Richard, son frère Jean qui lui succéda n’était plus « sans terre ». En 1202, Philippe auguste prononça la commise, autrement dit la saisie des fiefs continentaux du roi d’Angleterre. Le temps n’était plus aux combats de frontières, il s’agissait en réalité de tous les territoires que le roi de France considérait comme tenus de lui en fief, soit tout l’empire continental. Rapidement, la société chevaleresque se détourna de Jean et les ambitions du Capétien se tournèrent vers la Normandie, qualifiée par Jean Favier de « clé de la cohérence stratégique de l’empire ». En 1204, elle fut conquise et l’année suivante ce furent le Poitou, la Touraine, l’Anjou et le Maine qui tombèrent dans le domaine royal de Philippe Auguste.
La fin du règne de Jean sans Terre fut très agitée : les barons se révoltèrent contre le pouvoir, et Louis VIII, qui avait succédé à son père Philippe Auguste, offrit une aide aux rebelles, car il espérait monter sur le trône d’Angleterre. Jean décéda en octobre 1216 et la guerre dura encore une année. En 1217, les troupes du nouveau souverain Henri III furent victorieuses, et Louis VIII renonça à ses ambitions. Le jeune roi détenait alors l’Angleterre, l’Irlande dont il était le seigneur, ainsi que la partie sud-ouest de l’Aquitaine, désormais appelée Guyenne. La diminution des espaces qui formaient les vestiges de l’empire Plantagenêt présentait au moins un avantage : c’était un royaume plus aisément gouvernable que ne l’était l’empire d’Henri II.
La Guyenne mise à part, les nouvelles distances permettaient un meilleur cheminement des ordres, et les officiers locaux étaient moins éloignés des organes centraux de la royauté. Le Plantagenêt se voulait désormais anglais, et Henri III le manifesta dès son couronnement en faisant savoir que son saint patron était Édouard le Confesseur, roi d’Angleterre du XIe siècle, canonisé en 1161.
En 1294, le roi de France Philippe IV le Bel prononça la commise de la Gascogne, prétextant des fautes du vassal, et l’armée française occupa le duché. La guerre dura jusqu’en 1297. Édouard Ier d’Angleterre retrouva finalement la Guyenne, mais celle-ci était tenue par le roi de France en fief, auquel il devait hommage.
Deux mariages scellèrent la paix : le roi d’Angleterre épousa Marguerite de France, sœur de Philippe le Bel, et le futur Édouard II était fiancé à Isabelle, fille du Capétien. Cette dernière union eut lieu en 1308 et personne ne pouvait alors imaginer l’impact qu’elle aurait sur les futures revendications anglaises.
En France, la succession à la Couronne excluait les filles, à la différence de tous les autres royaumes de la chrétienté. Or, à la mort du premier fils de Philippe le Bel en 1316, Louis X, celui-ci laissait une fille, Jeanne, et son épouse était alors enceinte de Jean Ier qui ne vécut que cinq jours. Philippe V, frère de Louis X monta alors sur le trône et à sa mort, il laissa quatre filles ; le troisième fils de Philippe le Bel qui lui succéda, Charles IV, mourut également sans héritier masculin. Philippe, comte de Valois et cousin germain des trois derniers souverains, devint roi. Les hommages qui étaient dus des vassaux furent difficiles à obtenir, car Édouard II d’Angleterre, fils de roi, n’entendait pas mettre un genou à terre devant un fils de comte.
En tant que seul petit-fils vivant de Philippe le Bel, le fils d’Isabelle, Édouard III fit rapidement savoir qu’il avait des droits sur la couronne en soulignant le fait qu’il remplissait la principale condition puisqu’on cherchait un homme. Jean Favier souligne à ce propos les incohérences du discours anglais : si la couronne pouvait se transmettre par les filles, Édouard en aurait été de toute façon exclu, car elle serait revenue à Jeanne. Aussi, l’historien explique que le roi d’Angleterre se savait sans véritable droit ; sans doute, en revendiquant sans illusion la couronne de France en 1337, le Plantagenêt prenait-il simplement l’occasion de se manifester et de préparer d’autres revendications, plus réalistes parce que plus modestes. Mais la guerre de Cent Ans avait pourtant débuté.
Édouard III mourut en 1377, laissant la place à Richard II. En 1393, des négociations débutèrent entre la France et l’Angleterre, et la longue histoire de l’affrontement entre le Plantagenêt et le Capétien semblait prendre fin. En réalité, c’était la seule histoire des Plantagenêts qui s’achevait. Les barons anglais reprochaient à Richard la paix et complotaient avec le duc Henry de Derby. Celui-ci gagna l’Angleterre, souleva le pays contre Richard qui fut déchu en 1399. Derby se fit alors proclamer roi sous le nom de Henri IV. La dynastie Plantagenêt n’était plus, les Lancastre avaient pris le pouvoir et la guerre avec la France allait se poursuivre durant plusieurs décennies.
Bien plus que celle d’une période et d’une dynastie, cette étude menée par Jean Favier est surtout celle d’un territoire aux réalités disparates, celui des Plantagenêts. Alors qu’il l’utilise tout au long de l’ouvrage, l’historien critique le terme « empire », expliquant qu’il renvoie à une souveraineté que les Plantagenêts n’avaient pas sur l’ensemble de leurs terres, s’agissant d’un agglomérat de principautés. Il justifie toutefois son emploi par commodité, ne parvenant pas à trouver de terme plus approprié.
Trois siècles sont étudiés dans ce livre, relevant la formation, les agrandissements, le démantèlement, les forces et les faiblesses de cet espace dirigé par des personnages qui ont marqué l’histoire de leur nom, à l’instar d’Aliénor d’Aquitaine, Richard Cœur de Lion ou Jean sans Terre. Un temps long qui envisage les Plantagenêts dans toute leur histoire, marqué par les affrontements avec la France des Capétiens et achevé durant la guerre de Cent Ans.
Les mille pages de l’ouvrage de Jean Favier sont très documentées ; ces travaux sont rapidement devenus une référence pour l’histoire de l’Angleterre, en dépit de leur caractère très érudit et de leur difficulté d’accès. Assurément, ils s’adressent aux spécialistes du sujet.
Si certains règnes sont privilégiés par l’historien, notamment ceux de Henri II et de ses fils, nous pourrions regretter que le récit de la fin de l’empire soit moins développé que celui de son apogée, notamment à partir de 1230. Il faut toutefois reconnaître que tous les aspects de l’empire y sont traités, notamment le commerce, les arts, la religion ou les structures dirigeantes. De même, les rapports très conflictuels avec la France sont expliqués avec beaucoup de précision. Le livre est complété par une abondante bibliographie, et par des arbres généalogiques qui permettent de ne pas (trop) se perdre dans le très grand nombre de personnages cités, et dont les liens familiaux sont multiples.
Ouvrage recensé
– Les Plantagenêts. Origines et destin d’un empire, XIe-XIVe siècle, Paris, Fayard, 2004.
Du même auteur
– La Guerre de Cent Ans, Paris, Fayard, 1980.
Autres pistes
– Martin Aurell, L’Empire des Plantagenêt, Paris, Perrin, 2003.– Bernard Cottret, Histoire de l’Angleterre : de Guillaume le Conquérant à nos jours, Paris, Tallandier, 2007.– David Crouch, The Normans : The History of a Dynasty, Londres, Hambledon, 2002.– Jean Flori, Aliénor d’Aquitaine : la reine insoumise, Paris, Payot, 2004.– Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Paris, Fayard, 1988.