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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le concept du continuum

de Jean Liedloff

récension rédigée parCatherine Piraud-RouetJournaliste et auteure spécialisée en puériculture et éducation.

Synopsis

Développement personnel

Au début des années 1970, Jean Liedloff fait la rencontre des Yékwanas et des Sanemas, deux tribus indiennes évoluant encore sur le mode de l’âge de pierre. Fascinée par le bonheur et la sérénité qui émanent de ces hommes et femmes dits « primitifs », elle passe deux ans et demi auprès d’eux. Une expérience qui ébranlera totalement ses convictions occidentales sur l’éducation, dictées par nos sociétés « civilisées ». Dans cet essai, publié en 1975, l'auteur dénonce les pratiques modernes visant à séparer très tôt le nourrisson de sa mère. Elle démontre, au contraire, la nécessité de conserver le contact physique mère-enfant jusqu'à ce que ce dernier s'en détache seul, de manière confiante.

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1. Introduction

Dans le cadre de son « continuum » (sa continuité) d’avec la gestation, ce n’est que s’il est gratifié d’un contact physique suffisant et assez durable avec sa mère au cours de ses premiers mois que le bébé ressentira la plénitude et se développera harmonieusement, tant physiquement que psychologiquement.

Jean Liedloff donne comme exemple de ce continuum pleinement respecté le mode d’éducation des peuplades traditionnelles indiennes, où le nourrisson, puis le petit enfant demeurent en contact permanent avec sa mère, jusqu’à l’obtention de sa pleine autonomie affective. Si ce besoin intense de proximité n’est pas respecté, comme c’est souvent le cas au sein de nos sociétés occidentales, l’enfant ressentira une frustration profonde qui lui fera rechercher toute sa vie ce sentiment de plénitude, au travers de comportements violents, addictifs ou de difficultés relationnelles.

Mais ce schéma pernicieux peut être évité : de nombreux enseignements de ce mode de fonctionnement ancestral peuvent être reproduits au sein de nos modes de vie modernes.

2. Le continuum

Le continuum est thèse principale de l’ouvrage de Jean Liedloff, qu’elle a pu voir appliquer de manière totalement empirique et instinctive chez les Yékwanas et les Samenas : un nourrisson qui a passé neuf mois au contact permanent avec sa mère ne peut être enlevé du jour au lendemain de sa présence.

Il faut donc le laisser partager la vie de la mère, en connexion permanente, tant physique que psychologique, avec elle. Jusqu’à ce qu’il acquiert la dose de sécurité et d’amour dont il a besoin pour affronter au mieux le monde extérieur. C’est ce que l’auteur appelle « le continuum ». Une pratique enfouie, selon elle, dans nos gênes d’Homo Sapiens. Mais occultée par des centaines d’années de « développement » et de raisonnement, qui nous ont éloignés de notre expertise innée à décrypter les signaux des bébés, pourtant parfaitement clairs. Par exemple, les cris « d’agonie » du nourrisson laissé seul dans une chambre à part, au fond d’un berceau silencieux et immobile.

Dans nos sociétés modernes, en donnant une place centrale à l’enfant, on l’a, paradoxalement, écarté de la vie quotidienne des adultes. Chez les Yékwanas, l’enfant n’occupe pas cette place centrale : il se fond, de manière intrinsèque et naturelle, dans la vie de la tribu. À commencer par celle de sa mère. Son existence ne connaît pas les ruptures, même les plus minimes : quand il a faim, il se nourrit au sein sans que sa mère ne cesse ses activités ; quand il a sommeil, il dort sur elle ; quand il a besoin de se soulager, il le fait et sa mère l’éloigne prestement… Les interactions avec celle-ci sont toujours à son initiative, sa mère lui répondant positivement, sans stopper ses activités en cours.

Cette « période dans les bras », selon les termes de Jean Liedloff, nourrit parfaitement le besoin de présence, de chaleur et de réassurance, du petit enfant. Par ailleurs, il apprend naturellement, par ressenti et par mimétisme. Lorsqu'il sera assez confiant en ses capacités, il quittera de lui-même sa mère pour explorer son environnement. Néanmoins à chaque instant, il sait qu'il pourra revenir vers elle s'il en ressent le besoin.

3. Le continuum satisfait pleinement tous les besoins des bébés

Pour répondre aux attentes de leur continuum, les bébés humains ont besoin d’expériences sensorielles multiples : tactiles (contact de chaleur et de chair vivante, différentes textures…) ; auditives (voix des parents, sons du quotidien, mélodies…) ; visuelles (couleurs, objets du quotidien, mouvements divers…) ; olfactives (sentir les odeurs des parents, d’autres gens, les fragrances du quotidien, de la maison, du dehors…) ; gustatives ; mouvements (balancement, bercement…).

Autant de bienfaits procurés tout naturellement, et sans intervention spécifique de l’adulte, au sein du continuum vécu chez les Yékwanas et les Samenas. Pendant ses premiers mois et jusqu’à ce qu’il sache se déplacer seul, le bébé y est continuellement porté (principalement par sa mère) et participe, de manière passive, mais très présente, à toutes les tâches de la vie quotidienne. À la clé, l’acquisition d’une foule d’expériences sensorielles, qui le placent aux premières loges pour s’initier aux tourbillons du monde, dans une atmosphère de sécurité absolue : il est balloté quand sa mère grimpe aux arbres, danse ou pagaie ; il ressent la chaleur quand elle allume le feu ; il est mouillé quand elle traverse la rivière ; il dort contre elle la nuit…

Des expériences sensorielles aux antipodes de celle du landau, boîte sans vie qui n’offre rien d’autre à la vue qu’une toile blanche, ou de la chambre isolée, au mur et au plafond immobiles et immuables. Et au regard desquelles les éventuels mobiles ou hochets que l’on donne au bébé ne constituent que de médiocres stimulations.

Un enfant ainsi porté et transporté en permanence ressent un sentiment de plénitude ou d’essentielle bonté. Il éprouve le sens profond de son identité, à la fois animale, sur le plan des sensations, et humaines, du fait de l’intense sécurité affective reçue. Des bénéfices qui modèlent son caractère de manière très positive. Dans la tribu, Jean Liedloff dépeint de jeunes enfants confiants en eux-mêmes et très calmes, car ne ressentant jamais le besoin d’attirer l'attention sur eux-mêmes pour se sentir aimés ou exister.

4. Des enfants libres, calmes et autonomes

Au fil des mois, l’enfant va se détacher de lui-même de sa mère pour explorer. Gorgé de sécurité affective, le « bébé continuum » est extrêmement indépendant et confiant et ne se « colle » plus à sa mère que très rarement. Les enfants Yékwana font preuve d’une débrouillardise à faire pâlir d’envie leurs camarades occidentaux. Dès leur plus jeune âge, ils participent à toutes les tâches de la vie quotidienne du village ; entretenir le feu, tirer à l’arc, construire des pagaies… Ils sont capables de distinguer des milliers d’espèces dans la nature ou d’estimer force des courants de la rivière. Les petites filles commencent, d’elles-mêmes, à râper le manioc dès l’âge de deux ans, mues par la force d’imitation. Des essais toujours accueillis avec bienveillance, patience et respect, par les adultes.

Ces trois valeurs priment aussi sur le plan de la discipline. Convaincues de la nature intrinsèquement sociable de l’enfant, ces tribus n’éprouvent nul besoin de « forcer » les choses, d’inculquer des règles au prix de punitions ou de récompenses. Elles ne cherchent jamais à imposer leur volonté sur qui que ce soit, leurs enfants compris. Quand les parents signalent un acte indésirable, par exemple si l’enfant a souillé le sol, ils le lui font simplement remarquer, sans critique ni jugement. Ne se sentant pas désavoué ni « désaimé », c’est sans sourciller que ce dernier corrige son comportement. Pas de compétition, de disputes ni de bagarres non plus entre les enfants, pourtant seuls et sans surveillance la plupart du temps. Décryptage de Jean Liedloff : ils ne recherchent pas d’attention excessive comme c’est le cas chez les enfants occidentaux, car ils ont été rassurés dès la naissance.

Encore plus étonnant : les bébés « continuum » semblent avoir acquis une véritable capacité d’autoprotection et une appréciation réaliste des dangers et de leurs capacités. Les Yékwanas laissent en effet les enfants, dès le plus jeune âge, prendre entièrement en charge leur sécurité et leur font confiance pour le faire. Jean Liedloff donne l’exemple d’un puits de 5 mètres de profondeur laissé dans le village, sans aucune protection, et près duquel les enfants jouent sans aucun incident. Un comportement, là encore, à des années-lumière des pratiques occidentales, obnubilées par la sécurité (ne pas s’éloigner, ne pas toucher, faire attention…). Ce qui empêche, au final, les enfants de faire leurs expériences. Et qui les met, paradoxalement, davantage en danger.

5. Quand le continuum fait défaut : des conséquences lourdes et durables

Mise à l’isolement du bébé dans son berceau ou sa poussette, en dépit même de sa détresse visible ; confinement dans une vie réglée et aseptisée ; emballage dans des couches de vêtements… Mais aussi sensation de jugement, d’être mal-aimé… Les exemples sont légion, dans notre culture actuelle, de pratiques allant dans un sens radicalement opposé au continuum.

Or, selon Jean Liedloff, l'enfant occidental, sevré trop tôt de ces interactions continues avec sa mère, ressentira toute sa vie, de manière obscure, un profond sentiment de perte, une impression d’être décentré, sans identité, de manquer de quelque chose. Et il recherchera en permanence à combler l'amour et la présence qu'il n'a pas reçus tout petit. Un sevrage qui peut être, pour l’avenir, la source de nombreux aléas : besoin permanent de compétition pour acquérir l'attention d'autrui, dépression, ou encore tendance à la dépendance (à la drogue, à l'alcool, aux risques...).

À court terme, la séparation précoce mère-bébé lors de l’accouchement, du fait des protocoles hospitaliers notamment, peut mettre à mal l’établissement du lien d’attachement. Lequel découle d’une séquence d’événements hormonaux qui doit se parachever par la mise en contact physique immédiate du bébé et de la mère. D’où, à terme, une relation mère-enfant potentiellement fragilisée. À moyen terme, selon Jean Liedloff, l’enfant qui n’a pas eu son quota de contact physique et dont on n’a pas répondu aux pleurs passera sa vie à chercher à attirer le centre de l’attention.

Par ailleurs, un enfant étroitement surveillé, laissé sans aucune marge d’initiative, sous couvert de le « protéger », n’apprendra pas à être responsable, puisque son entourage lui montre qu’il ne l’en croit pas capable. De plus, l’absence de réponses à des besoins fondamentaux et le sentiment d’un manque de considération peuvent provoquer la haine de soi et des autres. Enfin, le fait de ne pas avoir reçu, de manière illimitée et gratuite, pendant la prime enfance, tout ce dont l’on avait besoin, peut aussi développer un manque d’investissement face au travail. Pour Jean Liedloff, nous sommes tous victimes de lacunes survenues pendant notre enfance, de génération en génération.

6. Des pistes pour dans nos sociétés modernes

Si éloigné qu’il puisse paraître, ce mode de fonctionnement millénaire est tout à fait adaptable à la vie moderne. En utilisant notre bon sens et notre instinct, en faisant appel aux ressources de notre nature humaine, il nous est possible de nous rapprocher le plus possible du continuum. Jean Liedloff nous invite, par exemple, à porter les nourrissons pendant les six à huit premiers mois pendant toutes les activités du quotidien : faire les courses, cuisiner, marcher, nettoyer, discuter…

Plus facile à dire qu’à faire ? Il suffit de penser à quelques astuces simples. « Mettez vos commissions dans la poussette et portez votre bébé », suggère-t-elle (p. 5). Plus tard, elle conseille de continuer d’accomplir toutes ces tâches du quotidien avec les enfants. C’est en effet de manière spontanée, par l’imitation, que ces derniers exercent leurs aptitudes, bien plus que dans le cadre d’apprentissages formels. Elle incite à répondre aux pleurs des bébés ; à allaiter ; à dormir avec son enfant. Mais aussi à fournir à ce dernier un cadre de vie peuplé d’objets nombreux et variés, pour exercer son potentiel d’exploration.

Afin de développer leur autonomie, Jean Liedloff préconise de laisser les bambins mener leurs propres expériences de la vie, à la périphérie des adultes, sans supposer qu’ils vont se blesser, chuter ou faire mal aux autres. Et d’être disponible quand l’enfant nous appelle, mais sans chercher à le protéger quand il estime ne pas avoir besoin de nous. Elle suggère de favoriser les contacts entre enfants de tous âges (et pas seulement ceux d’une même classe d’âge, comme à l’école) pour favoriser l’imitation et la socialisation.

7. Conclusion

Les propos de Jean Liedloff vont radicalement à l'encontre des habitudes occidentales modernes. L'enfant, qui par ailleurs est placé sur un piédestal au sein de la société, doit y être rendu indépendant le plus tôt possible. Le tout, en l’entourant de dispositifs sécuritaires et hygiénistes censés le protéger des dangers du monde extérieur. Les Yékwanas et les Sanemas font radicalement le contraire…

Et ce sont eux qui ont tout compris. Les impératifs de nos modes de vie occidentaux (le travail salarié, la consommation, la recherche d’espace de liberté personnelle…) rendent difficilement transposables à 100 % les leçons des Yékwanas à notre vie « civilisée ». Mais un peu d’initiative, de volonté et d’imagination peuvent suffire à importer de nombreux bienfaits du mode de maternage et d’éducation de ces tribus primitives, mieux raccordées que nous, Occidentaux, à nos instincts millénaires.

8. Zone critique

Ouvrage révolutionnaire basé sur l’intuition et l’observation ethnologique d’une femme, Le concept du continuum est un bestseller depuis sa première publication, il y a 45 ans. Mais s’il tient toujours une place à part dans le paysage de la littérature parentale, c’est désormais davantage comme pionnier que comme « ovni ». Les théories qu’il développe concernant le caractère vital de la proximité physique mère-enfant dans les premiers mois de la vie, tant sur la construction de l’assurance affective que sur la qualité du développement psychomoteur, sont aujourd’hui pleinement confirmées par les neurosciences.

C’est pourquoi cet essai fait partie des ouvrages de référence des adeptes du maternage proximal, ainsi que de ceux des approches éducatives centrées sur l'enfant, comme les pédagogies Montessori, Freinet ou Steiner. Jean Liedloff a aussi inspiré les tenants des apprentissages autonomes (John Holt) et des mouvements « unschooling ».

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Le concept du continuum : la recherche du bonheur perdu, Ambre Editions, 2006.

Autres pistes– Isabelle Filliozat, Au cœur des émotions de l’enfant, Marabout, 2019.– Catherine Gueguen. « Pour une enfance heureuse : repenser l'éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau », Pocket, 2015.– Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, Porter bébé : avantages et bienfaits, Jouvence, 2006.– Michel Odent, Le bébé est un mammifère, L’Instant Présent, 2014.– Claire d’Harcourt, Béatrice Fontanel, Bébés du monde, La Martinière, 2009.

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