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Les Leçons du Japon

de Jean-Marie Bouissou

récension rédigée parMarc CrépinJournaliste indépendant. A occupé plusieurs postes à l'étranger et dirigé les rédactions de France Culture et de France Info.

Synopsis

Société

Le Japon est un paradoxe permanent. Lorsque Jean-Marie Bouissou évoque un pays incorrect, c’est souvent avec humour. Du Japon, il décrit tous les rouages en historien, en sociologue, en politologue, mais aussi en père de famille et en citoyen. Il nous fait découvrir un pays viscéralement conservateur, curieux, méfiant mais accueillant. De l’école au monde de l’industrie, de la condition des femmes aux rites religieux, de la vie des quartiers à celle des médias, de la politique à l’économie, il nous présente les leçons dignes d’être retenues dans ce Japon contemporain et énigmatique.

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1. Introduction

L’objectif que s’est donné Jean-Marie Bouissou est de nous faire comprendre le Japon d’aujourd’hui, mais à sa façon. Son propos, parfois déroutant, est toujours guidé par une volonté d’éclairer une culture aux antipodes de la pensée occidentale. S’il montre l’incorrection d’un Japon dont les codes de politesse sont connus, c’est d’abord par rapport au très occidental « politiquement correct ». Outre sa parfaite connaissance de l’histoire du pays, il rend compte de son expérience.

Marié à une Japonaise, père d’un petit garçon, son propos alterne entre récit de sa vie quotidienne et analyses d’une société qui peut tout à la fois se révéler dure ou souriante, violente ou bienveillante.

En s’attardant sur les plus infimes détails de la vie des Japonais, il nous donne à voir une société souvent traversée par le doute mais aussi mobilisée pour préserver ses traditions et son identité. Son évolution est lente, mais à force de débats et de réflexion, elle finit par changer secteur après secteur : le rapport au travail, la condition de la femme, le système d’éducation trop rigide, la pratique religieuse, la démocratie, le commerce, le sport et la légendaire dette publique du pays, qui n’en est pas vraiment une.Les chapitres sont si abondamment sous-titrés qu’ils autorisent une première lecture elliptique de l’ouvrage. De plus, l’auteur utilise un procédé imparable, celui d’un exposé comparatif systématique entre la France et le Japon. Ce qui ne manque pas d’être instructif.

Au-delà, des éléments d’introduction, comme l’histoire d’un mythe industriel, le Shinkansen, Jean-Marie Bouissou consacre une première partie à ce qui perturbe la société japonaise, puis une deuxième à ce qui fait la société japonaise : l’école, en particulier. Il s’intéresse dans une troisième grande partie au récit national et à la contribution de la télévision nationale, du sport et des rites sociaux. Enfin, avant de consacrer une dernière partie à l’avenir du pays, il s’arrête sur ce qui divise et unit les japonais, traite du mythe du plein-emploi, de la place du crime organisé et de la crainte obsessionnelle de l’immigration.

2. Nation et imposture

L’expression est typique en japonais : Kokutai signifie « le pays-corps ». Il s’agit en fait d’un mot utilisé jusqu’à saturation par le régime militariste qui gouvernait l’Empire du soleil levant, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. S’il a disparu du vocabulaire courant des japonais aujourd’hui, le concept qu’il désigne reste bien vivant.

L’auteur s’interroge sur l’éloge possible de l’imposture lorsqu’il est question récit national. Tous les peuples disposent d’un tel récit, authentique ou fabriqué, narration fondatrice, plus ou moins fantasmée de la nation, qui magnifie toujours le passé du pays. « Pour l’immense majorité de la population, et la quasi-totalité de la classe politique et médiatique, il va encore de soi que le Japon est un pays d’une race à part, qui fait nation à elle seule, dont la culture, la langue et la civilisation sont à nulle autre pareilles, et qui tire sa force de sa spécificité. »

Selon les traditionnalistes, et à la différence des pays occidentaux, l’origine de la nation serait naturelle et son histoire homogène. Écoles et médias entretiennent les légendes, comme celle qui voudrait que le Japon possède la « plus ancienne dynastie du monde » et que son premier représentant, Jimmu, soit le descendant de la déesse solaire Amaterasu. Il aurait régné 126 ans et vécu 174 ans. Évidemment, les Japonais connaissent l’absurdité de cette histoire mais il n’est pas question de la modifier et il importe d’y croire. Toute fouille archéologique des tombeaux impériaux destinée à faire éclater la vérité est interdite.

Il ne faut pas non plus évoquer la venue, il y a plus de deux mille ans, d’immigrés, sans doute chinois, pour coloniser l’Archipel et lui apporter l’art de travailler le métal. Mais, souligne l’auteur, il y a ce qu’on sait et ce dont on parle. Le récit national est désormais véhiculé par la télévision. Depuis 1963, la NHK diffuse une série historique hebdomadaire, « Taiga drama ». On y parle des moments importants de l’histoire du pays, de sa naissance et de sa construction en réaction aux menaces extérieures, surtout occidentales.

3. À quoi servent les religions ?

Il en va des mythes religieux comme il en va du mythe des origines du pays. Ils ont sur la société un pouvoir structurant. Y croire présente plus d’avantages que d’inconvénients. L’expansion des religions monothéistes en France et dans le reste de l’Europe a engendré des tensions et de la violence. L’histoire a épargné le monothéisme au Japon qui, précise Jean-Marie Bouissou, n’a pas rencontré l’islam et a extirpé le christianisme très rapidement. Ainsi, dans un système religieux qui mélange des traditions shinto de l’ancien Japon, le confucianisme chinois et le bouddhisme, les croyances se marient assez bien sur un mode animiste.

Le shintoïsme et le confucianisme servent respectivement à s’inspirer de la nature avec ses divinités et protègent l’équilibre harmonieux de la communauté. Le confucianisme, qui ignore la notion de dieu, cherche la perfection dans l’organisation sociale et le bouddhisme propose « les rites pour une bonne mort ».

Les japonais ont ajouté à ces courants religieux Sept Dieux du bonheur. Les fêtes religieuses ont dès lors une fonction sociale : processions, visites aux différents temples, éducation aux valeurs, tout cela joue et augmente la cohésion de la société tout en contribuant au renforcement de l’identité culturelle du peuple. Elles représentent aussi un juteux marché commercial où tout est tarifé. De quoi faire vivre 650 000 prêtres et officiants zélés.

Plus, récemment, de nouvelles religions sont apparues et rassembleraient une trentaine de millions de fidèles. On les appellerait sectes en France. Au Japon, à l’exception de la secte Aum dont le chef et douze de ses lieutenants ont été pendus en 2018 à la suite des attentats au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, les mouvements religieux sont très ouverts sur la société. Loin de se retrancher du corps social, ils participent au respect des règles de la société nippone. En aucun cas ils ne préconisent la conduite à tenir pour définir le bien et le mal. C’est la société qui en décide et en ce sens, selon l’auteur, elle fait fonction de dieu.

4. Des médias puissants mais entravés

Tout ce qui relève des médias au Japon prend des proportions démesurées. La chaîne de télévision publique, la NHK, dispose d’un budget de six milliards d’euros et s’assure une part d’audience de 20 à 25% des Japonais.

Ses concurrentes privées appartiennent à des groupes de presse gigantesques qui éditent les plus grands quotidiens du monde démocratique : le Yomiuri, très conservateur, publie deux fois par jour neuf millions d’exemplaires ; l’Asahi, libéral, six millions et demi ; le Mainichi, centriste, trois millions… On est loin du premier tirage français, Ouest-France, à 650 000 exemplaires. Si les groupes privés se financent par la publicité, les cinq chaînes de la NHK vivent de la redevance, d’un montant de 110 euros annuels. Il ne viendrait d’ailleurs à l’idée de personne de ne pas s’en acquitter. Tous ces groupes disposent donc d’une base financière solide.

Les massu kuomi (de mass communication) ont cependant un trait commun : ils ne recherchent jamais le scandale ou les informations qui diviseraient le corps social. Ils s’exposeraient aussitôt à une réaction de rejet de la part de leur public. L’Asahi a ainsi perdu un million de lecteurs brutalement pour avoir contribué à la chute du premier ministre Shinzô Abe en 2007. Le titre est détesté par le parti conservateur au pouvoir, le PLD, pour sa position sur les crimes de guerre de l’armée nippone en 1945.

L’auteur fait bien la part des choses entre médias à qui on rappelle sans cesse le devoir de neutralité dans le traitement des informations et les autres. Ce sont d’abord les chaînes de télévision et les médias qui tentent de mener une mission d’information sans trop de concessions. On peut cependant leur reprocher la grande connivence des journalistes avec les institutions qu’ils sont chargés de couvrir. Impossible de travailler sans être accrédité auprès des ministres et des personnalités qui leur dictent une information « prémâchée ».

Les trois grands quotidiens qui entrent parfois en conflit avec le pouvoir « adhèrent aux fondamentaux confucéens », selon l’auteur. Ils pratiquent l’autocensure sur les sujets qui fâchent, comme l’immigration. Ils demeurent très prudents et veillent à ne pas troubler les grands équilibres de la société, d’autant que le premier ministre Abe a fait passer, en 2013, une loi très répressive sur « les secrets d’État spéciaux », qui autorise l’administration à classifier toutes sortes d’informations sensibles.

5. Un « pays pas si parfait »

Si le Japon est loin d’être le pays où l’on se suicide le plus, les statistiques évoquent un réel désarroi derrière « une façade sociale trop lisse pour être vraie ». Jusqu’aux années 1990, on s’y suicidait moins qu’en France, mais les crises économiques semblent ensuite avoir été à l’origine de nombreuses morts volontaires.

Autre statistique tragique : les disparitions solitaires, souvent de personnes âgées ou d’hommes en fin de vie professionnelle. Il y a aussi le suicide social par disparition volontaire. C’est ce qu’on appelle l’évaporation. On en dénombre 80 000 par an, souvent pour éviter la déconsidération sociale.

Quant à la violence pure, engendrée par la pression sociale, l’auteur souligne qu’entre « samouraïs et sports de combat, elle reste très présente dans l’image du Japon », bien qu’on y dénombre quatre fois moins d’homicides qu’en France : 0,3 pour 100 000 habitants. Mais l’État pratique une autre forme de violence. Le Japon possède une police toujours polie, respectueuse et, pour un tiers environ des effectifs, cantonnée dans les Kôbans, ces commissariats de quartiers, rassurants et utiles, dont les occupants en uniforme impeccable sont toujours prêts à rendre service.

Mais la police pratique aussi une violence liée à l’action de la justice : les gardes à vue. Elles durent 23 jours, dans un local minuscule, sans beaucoup de contacts entre le suspect et son avocat. Les interrogatoires, douze heures par jour, sont exclusivement à charge, finissent par des aveux et entraînent une condamnation dans 98% des cas. L’affaire Carlos Goshn a fait découvrir aux Français ces pratiques très dures.

Enfin, le harcèlement et la discrimination sont monnaie courante. Les Japonaises en paient le prix, qu’il s’agisse des mains baladeuses d’un voisin de métro ou des collègues au travail, la femme n’étant pas l’égale de l’homme japonais. En entreprise, tomber enceinte peut être mal vu, l’employeur pouvant aller jusqu’à exiger la démission de la future maman. Mais, cette propension à harceler ceux qui sont différents commence à l’école. Le harcèlement scolaire, « l’ijime », est la plaie des écoles et des lycées : toute originalité, tout handicap, toute singularité, ou même de mauvaises notes, font de l’enfant une victime impitoyablement harcelée par ses camarades, sans que l’institution n’y trouve trop à redire. Mais, comme pour les discriminations féminines, de nouvelles lois devraient l’empêcher.

6. Une économie dégradée

L’auteur consacre cependant de nombreuses pages à rectifier quelques clichésn éclairant le lecteur dans trois domaines : l’économie, la population et le crime. Le pays est-il fini ? L’état de l’économie, et en particulier de la dette et du chômage, est préoccupant mais pas désespéré.

Dans les années 1980, le Japon est devenu la deuxième puissance économique mondiale. Le modèle japonais tenait en quelques mots : ardeur au travail, discipline, créativité, en échange de la sécurité de l’emploi et d’un bon niveau de vie, même si on y mourait aussi par excès de travail (le « karôshi »). La mondialisation a tout changé. Si le chômage a disparu, 40% des emplois restent précaires, le salaire moyen a diminué de 13% en 20 ans et la croissance est en berne. De quoi engendrer davantage d’inégalités et de pauvreté mais avec très peu de protection sociale. En bénéficier au Japon peut être ressenti comme avilissant.

La menace de la dette publique himalayenne appartient aussi aux poncifs familiers sur le Japon. Elle représenterait environ 250% du PIB. On prédit donc qu’en 2024, le Japon devrait se retrouver sans richesse. Mais en réalité, si l’on déduit de cette dette les avoirs de l’État et des entreprises publiques, elle n’atteint plus que 130 à 140% du PIB, ratio dont il faut encore déduire 60% de titres détenus par la Banque du Japon. Il ne s’agit donc plus que d’une dette équivalant à 80% de la production nationale. Sans compter, insiste l’auteur, que l’État dispose d’une bonne marge de manœuvre. Le taux de prélèvement fiscal atteint 36% du PIB, soit 10 points de moins que la France, et la T.V.A. n’atteint pas10%.

7. Un pays qui peut évoluer ?

Plus préoccupante est la question de la population. Elle vieillit inexorablement. De 128 millions en 2010, elle passera à environ 100 millions en 2060, dont 38% auront plus de 65 ans. La natalité décroît simultanément, et cela augure du pire : « La baisse de la population active entraîne mathématiquement celle de la croissance potentielle. »

La réponse qu’apportent la plupart des pays à cette fatalité démographique est l’immigration, seule façon de pallier les difficultés de recrutement dans les entreprises. Le pays, longtemps hostile par nationalisme à la venue d’étrangers, a évolué. L’arrivée de « stagiaires » et d’une immigration sur -mesure est encore insuffisante, mais prometteuse.

Quant à l’histoire de la mafia japonaise, les yakuzas, elle a été très popularisée mais correspond ici encore à une réalité. Dominés par trois grandes familles, les yakuzas se disaient héritiers des samouraïs, vivaient de crimes et de délits, et ils étaient parfaitement intégrés à la société civile. Ils jouaient même les juges de paix avec l’accord tacite des autorités. De 80 000 en 2010, ils sont au nombre de 35 000 actuellement, et ils ont réorienté leurs activités vers l’économie et la finance en extorquant par la contrainte des prêts auprès des banques.

Pendant la bulle financière des années 1980, ils auraient joué en bourse des sommes considérables, l’équivalent de 4,5% du PIB, soit 245 milliards de dollars. Aujourd’hui, les autorités mènent avec un certain succès une politique de démantèlement du crime organisé.

8. Conclusion

Avec cet ouvrage sur le Japon, Jean-Marie Bouissou signe un travail très fouillé et très détaillé sur les grands courants qui traversent la société japonaise. Il fait partager au lecteur français ses découvertes et les compare à ce qui fait défaut aux Français. À cet égard, ce qu’il dit du Shinkansen, le premier train à grande vitesse du monde, a valeur de référence : l’accueil, la ponctualité et la perfection du service qu’on y trouve suscitent l’envie. Il en tirera quelques bonnes réflexions sur la conception nippone du flux et de l’espace.

Enfin, l’auteur veut croire à la capacité d’adaptation du Japon dans l’avenir. Pour y contribuer, il suffit d’une bonne gestion de la dette publique, assortie d’investissements avisés, car le pays reste le premier créditeur mondial et dispose de 9 000 milliards de dollars à l’étranger. Et il faudra surtout qu’il réussisse sa décroissance, rendue inévitable par le vieillissement démographique.

9. Zone critique

L’excellente connaissance que Jean-Marie Bouissou possède du Japon ne lui permet pas pour autant de nous dévoiler certaines vérités. Comment les élites, les décideurs, les dirigeants politiques gouvernent-ils vraiment ? Il aurait été instructif de comprendre comment les énormes groupes industriels et financiers dominent l’économie. L’une des leçons du Japon est bien que tout se passe dans l’entre-soi. Alors, qui décide de quoi et comment, dans tous les domaines du pouvoir ?

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé,– Jean Marie Bouissou, Les leçons du Japon, un pays très incorrect. Paris, Fayard, 2019.

Du même auteur,– Géopolitique du Japon, Paris, PUF, 2014.– Manga. Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Arles, Philippe Picquier, 2018.

Autres pistes– Roland Barthes, L’Empire des signes, Paris, Seuil, 2007 [1970].– Muriel Jolivet, Japon, la crise des modèles, Arles, Philippe Picquier, 2010.– Claude Meyer, Chine ou Japon, quel leader pour l’Asie ? Paris, Presses de Sciences-Po, 2010.– Pierre Sevaistre, Le Japon face au monde extérieur. Une histoire revisitée, Paris, Les Indes savantes, 2017.

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