Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jean-Michel Valantin
Les effets du dérèglement climatique conduisent les États à de nouveaux affrontements, mais aussi à de nouvelles alliances pour combattre une insécurité désormais planétaire. Dans cette nouvelle configuration, où l'écologie redistribue les cartes géopolitiques, des liaisons souvent dangereuses se développent entre les appareils militaires, les économies et les phénomènes environnementaux. Les grandes puissances ne sont pas les seules concernées. La nécessité de s'adapter et la compétition pour les ressources mettent tous les États en tension, bouleversant ainsi les équilibres mondiaux.
Ce qui se passe en Syrie, en Égypte ou en Irak montre comment des facteurs à l'origine des « printemps arabes » (crise climatique et manque d'eau entraînant une hausse majeure des prix du pain) peuvent participer d'une dynamique de guerre et d'effondrement. Le cas de l'Irak permet notamment de mesurer combien les liens entre situations conflictuelles et paramètres environnementaux peuvent se combiner.
Les États-Unis ont d'abord attaqué Bagdad pour sécuriser leur approvisionnement en pétrole, et contourner les limites physiques de la croissance. En fin connaisseur de la stratégie américaine, l'auteur rappelle que cette guerre intervient en 2003, alors que le pays, qui engloutit 20 % du pétrole mondial, dépend à 50 % des importations. Il s'agit de remédier à cette vulnérabilité, mais aussi de peser sur les cours. Car Ford et General Motors, géants endettés et peu rentables, ont parié sur les SUV (Sport utility vehicules), ce qui suppose un carburant bon marché à la pompe. L'intervention en Irak vise donc à éviter une crise dans l'automobile et, plus généralement, à sauvegarder l'american way of life.
Comme on le sait, le scénario ne se déroule pas comme prévu. C'est seulement en favorisant la fracturation hydraulique (huile et gaz de schiste) que les Américains vont retrouver une capacité de production et ainsi une marge de manœuvre. On en arrive ainsi à ce paradoxe : les États-Unis amplifient leur propre vulnérabilité, favorisant un changement climatique qui les touche avec intensité depuis plusieurs années : incendies, sécheresses, ouragans, inondations. Ces phénomènes violents impactent l'économie par une hausse des prix (agriculture) ou une chute des recettes (moins de touristes, par exemple). Leurs coûts directs sont considérables : la seule tempête Sandy a provoqué pour 50 milliards de dollars de dégâts.
L'auteur évoque aussi l'immense marée noire survenue dans le golfe du Mexique. Et, avec un simple coléoptère, le dendroctone du pin, issu des échanges entre Asie et Amérique, il tisse un lien entre la mondialisation et la mise sous tension de territoires entiers, en raison d'un environnement perturbé. S'infiltrant sous l'écorce des conifères, l'insecte s'est en effet répandu sur le continent américain à la faveur du réchauffement. Il a déjà tué 30 milliards d'arbres, ce qui favorise d'autant les incendies. Il y a donc convergence entre crise climatique et crise de la biodiversité. Et l'administration américaine apparaît dans le déni, même si l'armée se prépare activement au changement climatique.
En Irak, la guerre et ses conséquences, comme la déstructuration des services publics, se greffent sur une situation tragique. Pour des raisons militaires, Saddam Hussein avait fait drainer les zones humides du sud irakien. Les barrages turcs sur le Tigre et l'Euphrate ont donc amplifié le stress hydrique du pays.
Celui-ci a accentué la désertification et les problèmes sanitaires dans des villes où s'entassent des communautés désagrégées. Logiquement, écrit Jean-Michel Valantin, les Irakiens ont basculé « dans un système de conditions socioenvironnementales si altérées que la cohésion de leur société ne peut y résister » (p. 258). Face à des menaces qui pèsent sur leur existence biologique, sociale, économique et politique, ils sont désormais confrontés à un risque d'effondrement total.
L'auteur reprend à son compte le concept d'Anthropocène pour lequel « l'humanité est devenue la principale force géophysique et biologique sur terre » (p. 9). C'est en juillet 1945, par le dépôt d'une couche d'éléments radioactifs à la surface de la terre que l'Anthropocène aurait remplacé l'Holocène. L'auteur voit d'ailleurs dans l'uranium utilisé en Irak, une version locale de la couche assimilée à l'Anthropocène : les 1200 tonnes de munitions utilisées par les Américains libèrent des particules radioactives qui se répandent dans l'environnement.
Le choc de l'Anthropocène vient remettre en cause l'une des premières responsabilité des États : protéger leur population face à des phénomènes extrêmes. À l'image de la sécheresse qui a menacé de mort 20 millions d'Africains en 2016-2017, laissant le Nigeria et le Soudan incapables de relever les défis que le manque d'eau a posés à l'agriculture et à la population. Dans ces pays, le stress hydrique et la famine se combinent désormais à des « formes de violence prédatrice », portés par des groupes comme Boko Haram. « La crise climatique amplifie le risque de déchaînement de la violence des uns pour s'emparer des maigres moyens de subsistance des autres » (p. 211).
De telles situations sont particulièrement visibles en Somalie, où la piraterie se révèle finalement une forme d'adaptation à des pressions environnementales (sécheresse, disparition du poisson...), industrielles (déchets toxiques sur les côtes) et politiques (corruption, violence militaire...) qui hypothèquent la survie même des populations.
Les Émirats arabes unis ou la Jordanie mettent en œuvre des politiques volontaristes pour s'adapter aux changements climatiques. Les Pays-Bas ont lancé un « plan Delta » pour rehausser leurs digues. Selon les organismes internationaux, il faut toutefois s'attendre à des migrations de 250 millions à 1,5 milliard de personnes au cours du siècle.
En Asie du sud, où 500 millions de personnes vivent sur la bande côtière, le Bangladesh est emblématique des pays confrontés à la montée des eaux. Les 11 000 km² de mangrove, qui protégeaient l'immense plaine où vivent 170 millions de personnes, ont été détruits par l'exploitation du bois ou les barrages destinés à l'irrigation, alors que la période 1947-2016 a enregistré autant de cyclones que les 4,5 siècles précédents. L'irruption de la mer, de plus en plus fréquente et importante, entraîne maintenant des milliers de morts : elle provoque des inondations massives et stérilise les sols. Elle suscite également la diffusion d'éléments toxiques provenant des installations industrielles touchées par les cyclones.
L'insécurité alimentaire, sanitaire et économique qui en découle amplifie l'exode rural et accroît la vulnérabilité du pays. L'Inde a d'ailleurs construit sur la frontière avec son voisin un mur de barbelés de 4 m de haut et de 4 000 km de long. Cet obstacle militarisé a pour vocation officielle de faire barrage au terrorisme, mais il anticipe clairement un flux migratoire, 75 millions de Bangladais étant menacés par la montée des eaux.
L'Inde est également confrontée à de graves menaces environnementales. Le pays a connu des vagues de chaleur sans précédent (plus de 50°C) entre 2014 et 2016 ; 21 000 incendies ont été recensés. Les réserves d'eau sont désormais sous la garde de l'armée, et ces épisodes qui se répètent entraînent des réactions en chaîne. En provoquant la fermeture des centrales électriques, le faible débit du Gange prive ainsi les citadins des moyens de se protéger d'une chaleur excessive.
Les relations entre l'Inde et le Pakistan sont par ailleurs tendues. D'autant que le barrage indien de Chenab (2016) prive le Pakistan de ressources fondamentales. Dans ce pays, où les pénuries d'eau ont déjà conduit à des mouvements paysans soutenus par des groupes extrémistes, les vulnérabilités climatiques sont un facteur d'aggravation des tensions sociales, comme des formes de violence politique ou mafieuse. Delhi et Karachi étant détenteurs de l'arme nucléaire, toute tension sur une ressource vitale devient ainsi synonyme de menace majeure à l'échelle régionale.
L'Asie connaît un autre phénomène dévastateur : la fonte des glaciers himalayens, qui alimentent le Brahmapoutre (Inde, Bangladesh), le Mékong (Laos, Thaïlande, Vietnam), l'Irrawady (Birmanie) ou le Yangzi Jiang (Chine). Des fleuves vitaux pour des pays qui représentent 3,5 milliards de personnes.
Depuis 1977, la température moyenne sur les hauts plateaux tibétains a augmenté de 2,4°C, soit beaucoup plus que la moyenne mondiale. La pollution de l'Inde et de la Chine n'y est pas étrangère. Des milliers de centrales à charbon et des millions de véhicules provoquent un phénomène de « glace noire » : les glaciers se couvrent de particules sombres, qui favorisent une plus grande absorption de la chaleur solaire par la glace. Ce réchauffement ne concourt pas seulement à accentuer la vulnérabilité des pays asiatiques, il affecte toute la planète.
Avec l'Arctique et l'Antarctique, les glaciers himalayens sont en effet la troisième composante de la cryosphère (zones gelées de la planète, qui régulent le climat mondial). En 2014, le Groupe international d'experts sur le climat (GIEC) estimait, qu'en raison du dégel, le niveau des mers s'élèverait d'un mètre d'ici 2100. Aujourd'hui, des recherches et des observations (pluies sur l'Antarctique, par exemple) mettent en évidence des élévations plus fortes que prévu : de 2 à 5 mètres. Avec d'immenses conséquences géopolitiques en perspective.
Paradoxalement, ce réchauffement est aussi une opportunité économique. Les vagues de chaleur qui atteignent l'Arctique entraînent la fonte de la banquise estivale (7,8 M km² en 1978, 4,16 M km² en 2016). Celle-ci se renouvelle moins bien, ce qui autorise le passage des navires et permet l'implantation de plates-formes de forage, c'est-à-dire l'exploitation de gisements, jusque là impossible.
Les Russes ont bien compris que le réchauffement de l'Arctique conduit à une nouvelle répartition internationale de la puissance. Ils ont élaboré une stratégie de développement industriel et commercial qui s'appuie sur la voie maritime (4800 km) s'étendant de la frontière avec la Norvège au détroit de Béring.
Ce « passage du nord-Est », permet aux cargos entre l'Asie et l'Europe de gagner trois semaines sur leur itinéraire traditionnel via l'océan Indien. Une nouvelle génération de brise-glace nucléaires assure un passage durant l'hiver, et la marine russe est mise à contribution pour créer des infrastructures sur les côtes ou les îles situées bien au-delà du cercle polaire. Il s'agit de stations météo, de villes, mais aussi de bases militaires. Pour alimenter en électricité toutes ces zones reculées, des réacteurs nucléaires flottants commencent à être déployés.
L'aménagement de l'Arctique s'inscrit dans une course aux ressources qui permet aux Russes de pallier la diminution de leurs réserves en hydrocarbures et de passer des partenariats stratégiques. L'Arctique pourrait en effet abriter l'équivalent de 84 milliards de barils de pétrole (deux ans de consommation mondiale) et assez de gaz pour alimenter le monde pendant 17 ans. 70 % de ces réserves ser trouveraient ans la zone économique russe. Le réchauffement les rend progressivement exploitables.
Malgré des conditions extrêmes et des icebergs qui font craindre le pire, l'Arctique russe a déjà livré 230 000 barils de pétrole entre avril et juin 2016, soit l'équivalent de la production libyenne durant la même période. Avec ses usines, ses ports et ses voies ferrées en construction, la région est devenue un immense chantier dont les opportunités attirent nombre d'investisseurs étrangers. Un groupe chinois a investi 12 milliards de dollars. Le coréen Daewoo construit 16 des méthaniers brise-glace qui livreront le gaz en Asie. Le français Total intervient dans le projet Yamal (usine de gaz liquéfié), etc.
Dans le même temps, l'Arctique russe se militarise. Hier frontière oubliée, inaccessible à toute flotte militaire, la région accueille désormais des batteries de missiles S-300 et S-400, qui forment une enveloppe difficilement pénétrable. Sous l'eau, des sous-marins patrouillent.
Le changement géophysique aboutit ainsi à un changement géopolitique. Comme le résume l'auteur, ce déploiement permet à la Russie « de renouveler son statut de grande puissance énergétique et militaire, tout en fédérant les stratégies énergétiques asiatiques autour de la mise en œuvre des grands projets industriels sibériens. » (p. 127).
Les pays d'Asie ont en effet besoin des hydrocarbures, sur lesquels reposent leurs économies industrialisées. L'Arctique est donc une zone très attractive pour les Indiens, les Japonais, ou les Chinois, observateurs permanents au Conseil de l'Arctique depuis 2013. Sur le terrain, un nombre croissant de navires chinois fait escale à Reykjavík, ce qui donne à l'Islande une importance soudaine. Dans cette zone, historiquement sous le contrôle de l'Otan, Pékin s'intéresse aussi au Groenland. Des compagnies minières y exploitent des gisements de métaux non ferreux, et des terres rares. Comme en Islande.
Cette présence dans l'Arctique, cette recomposition des rapports internationaux, correspond à la stratégie chinoise, qui s'articule autour des « nouvelles routes de la soie » : un ensemble d'investissements et de partenariats portant sur les infrastructures (ports, aéroports, autoroutes, usines…), en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et même en Europe, puisqu'une voie ferrée relie désormais Pékin à Londres. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, souligne Jean-Michel Valantin, la Chine ne cherche pas à imposer son mode de vie, ses produits ou son hégémonie. Elle vise à satisfaire un approvisionnement à la hauteur des immenses besoins du pays en permettant à des partenaires de se développer pour les satisfaire. Il s'agit d'assurer l'autonomie du pays et sa sécurité, ce qui revient souvent au même dans l'esprit des dirigeants chinois.
Par son ampleur et par l'importance des ressources en jeu (la Chine importe plus de 7 millions de barils de pétrole par jour), cette intervention modifie en profondeur les rapports internationaux. D'autant qu'elle se double, ici aussi, d'un volet militaire. En mer de Chine, potentiellement riche en ressources, Pékin construit des îles artificielles et déploie des missiles russes S-300. Pour sécuriser les routes lointaines, la Chine a construit une base à Djibouti ; elle effectue maintenant des manœuvres conjointes avec l'Iran. Bref, les routes de la soie deviennent le support militaire du développement chinois. C'est un immense pari stratégique, peut-être le plus important dans l'histoire du pays. Le seul corridor entre la Chine et le Pakistan correspond à un investissement de 46 milliards de dollars.
Les conflits autour du pétrole ou les guerres civiles nées de la sécheresse sont autant de signaux « de la nouvelle réalité politique et stratégique que le choc de l'Anthropocène impose à l'humanité » (p. 303). Une réalité « dans laquelle la violence climatique, le stress hydrique et la violence des rapports sociaux se croisent pour faire émerger et proliférer de nouveaux potentiels de conflits territoriaux et sociaux » (p. 85).
Une réalité marquée par une « hybridation militaire » que l'auteur définit en relation avec le concept initial de Bruno Latour. Il s'agit d'un processus où les facteurs environnementaux viennent nourrir des dynamiques guerrières. Il est à l’œuvre quand des islamistes font sauter les gazoducs égyptiens, par exemple, mettant à l'arrêt les centrales électriques qui alimentent les climatiseurs. Quand il fait 40°c à l'extérieur, les villes deviennent ainsi de véritables pièges.
Cet ouvrage est d'autant plus inquiétant qu'il ne fait pas appel à des propos catastrophistes, mais à des faits et à des logiques. Ce qui permet de situer les enjeux du dérèglement climatique en cours : la coopération ou le chaos, tant à l'intérieur des frontières, que dans les relations internationales.
On regrette d'autant plus l'absence de cartes. Une présentation graphique, de l'Arctique et des routes de la soie en particulier, aurait apporté davantage de clarté et d'éléments d'analyse que l'emploi répété des termes « géostratégie » et « géopolitique ».
Ouvrage recensé– Géopolitique d'une planète déréglée, Paris, Seuil, 2017.
Du même auteur– Hollywood, le Pentagone et le Monde : Les trois acteurs de la stratégie mondiale, Paris, Édition Autrement, 2010.– Guerre et nature. L'Amérique se prépare à la guerre du climat, Paris, Éditions Prisma, 2013.
Autres pistes– Un podcast sur France Culture (44mn) : https://www.franceculture.fr/personne-valantin-jean-michel.html– Des contributions sur Cairn : https://www.cairn.info/publications-de-Jean-Michel-Valantin--23012.htm– Dossier spécial de Courrier International, n° 1444 : « La ruée vers les pôles » (2018).