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L’Existentialisme est un humanisme

de Jean-Paul Sartre

récension rédigée parMarion AlphonseÉlève de l’ENS de Lyon. Diplômée en histoire de la philosophie et en Études internationales – Amérique Latine.

Synopsis

Philosophie

L’Existentialisme est un humanisme est un ouvrage très bref qui vise à résumer la pensée existentialiste présentée trois ans plus tôt dans L’Être et le néant. Tout en répondant aux critiques et aux objections qui lui ont été faites, Sartre explique dans cette conférence d’une cinquantaine de pages la substance de la pensée existentialiste. L’homme naît libre et est condamné à le rester. En d’autres termes, à sa naissance, l’homme n’a aucune raison d’être et c’est au cours de son existence que peu à peu, il se construit et détermine ses propres buts : il est donc à la fois entièrement libre et totalement responsable.

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1. Introduction

La pensée de Jean-Paul Sartre se développe dans deux contextes très particuliers : celui de la Seconde Guerre mondiale, puis celui de la Guerre Froide. Ces moments historiques extrêmes obligent les intellectuels à se positionner au sein des différents débats de société qui animent ces deux époques. Pourquoi le fascisme ? Voilà la question principale qui préoccupe les esprits dans ce contexte. Dans la seconde moitié du XXe siècle, il faudra cette fois-ci répondre à la question : libéralisme ou communisme ?

L’Existentialisme est un humanisme se situe au cœur de ces différents questionnements en abordant le sujet central de la place de l’Homme dans le monde. Quelle part de choix, et donc de liberté, revient à l’être humain ? Dans quelle mesure doit-il ensuite répondre de ses actes ? Enfin, quelle morale doit-il appliquer ?La philosophie de l’existentialisme apporte une réponse originale en laissant à l’Homme à la fois toute sa liberté mais aussi toute sa responsabilité. En effet, pour Sartre, il n’existe pas de chemin prédéfini pour chacun : la vie, en soi, n’a pas de sens. Faut-il pour autant désespérer ? Non, car chacun donne un but à sa propre vie.

2. Qu’est-ce que l’existentialisme ?

La première affirmation forte de l’existentialisme est celle du délaissement : nous naissons sans que notre existence n’ait aucun but. Notre existence est initialement vide, car nous sommes livrés à nous même, il faudra l’assumer dès lors que l’on veut penser sans Dieu. Nous naissons, donc, sans qu’aucun parcours soit pré-dessiné pour nous. C’est le sens de l’affirmation « l’existence précède l’essence ». En effet, mon essence, c’est ma définition fondamentale : je suis né pour réaliser mon essence au cours de ma vie. Ce que nous dévoile alors Sartre, c’est que nous existons d’abord, avant de définir ce que nous serons.

Comment, alors, définir qui nous sommes ? L’homme se fait en faisant, nous dit Sartre. Autrement dit, c’est en faisant des projets que nous nous construisons peu à peu. Chaque projet que nous réalisons est une pierre apportée à l’édifice qu’est notre existence, et c’est ainsi que se forme notre essence.

Si nous n’avons pas de destin préétabli, alors nous sommes totalement libres, c’est-à-dire que nous avons toujours le choix. S’il n’y a pas de Dieu pour nous guider, développe Sartre, tout ce que nous faisons nous revient entièrement. Même quand nous décidons de ne pas choisir, nous faisons un choix. De ce fait, nous sommes totalement responsables de nos actes, puisqu’ils sont toujours le fruit de notre décision. Cette liberté combinée à la responsabilité provoque ce que Sartre appelle « l’angoisse ». L’angoisse est le sentiment que nous ressentons face à cette liberté totale, puisque lorsque nous faisons un choix, nous seuls pourrons en assumer les conséquences, à la fois pour nous-mêmes et pour les autres. En effet, lorsque nous prenons une décision, nous pensons toujours prendre la bonne décision, tant pour nous que pour l’humanité tout entière car en choisissant nous nous demandons : « Que se passerait-il si tout le monde faisait comme moi ? » Cette immense responsabilité provoque l’angoisse. Nous sommes condamnés à être libres : condamnés, car nous ne demandons pas à être libres, et libres car nous avons toujours le choix.

L’existentialisme, enfin, est un humanisme. Que signifie cette phrase ? L’existentialisme est le propre de l’homme. C’est la définition de l’être humain que d’être totalement libre, c’est son caractère humain qui le rend libre. Par conséquent, seul l’homme est entièrement libre.

3. L’existentialisme face au déterminisme

Le déterminisme est cette idée selon laquelle le monde suivrait un chemin dessiné à l’avance ou encore que la vie d’un Homme se produit en fonction d’un enchaînement de causes et d’effets. En d’autres termes, le déterminisme est l’inverse de la liberté et du hasard. Croire que l’Homme est déterminé, c’est penser qu’il n’a pas le choix, que quelqu’un ou quelque chose d’autre décide pour lui : Dieu, ou encore le cours de l’Histoire. L’existentialisme est un procès envers ces deux types de déterminismes. Dans L’Existentialisme est un humanisme, Sartre cherche en effet à répondre précisément à trois types de déterminisme : le chrétien, l’athée et le marxiste.

Tout d’abord, Sartre répond au déterminisme chrétien. Pour les chrétiens, il existe un Dieu créateur, un « artisan du monde ». Un artisan, explique Sartre, fabrique un coupe-papier en lui donnant un but précis : il servira à couper le papier. Si Dieu est un artisan supérieur, d’une autre ampleur, alors il crée les Hommes de la même manière que l’artisan crée le coupe-papier, en leur donnant un but. La vie d’un Homme est donc déterminée à l’avance par un Dieu créateur. C’est ce que Sartre appelle le déterminisme chrétien, et en affirmant que l’Homme est totalement libre, il se positionne contre cette argumentation.

Jean-Paul Sartre présente ensuite le déterminisme athée. Les penseurs du XVIIIe siècle, les penseurs de la Révolution française, ont éliminé le Dieu chrétien de leur système de pensée. Diderot et Voltaire sont athées et pourtant, explique Sartre, leur pensée reste déterministe. Pourquoi ? Pour ces penseurs, c’est la nature qui détermine l’Homme. L’être humain est un être naturel et il suit ainsi logiquement le cours de la nature, il est soumis à ce qu’on appelle le déterminisme naturel. D’autre part, l’homme est un être raisonnable, c’est-à-dire qu’il est doté de raison, et c’est ce qui fait sa particularité. La Raison est donc l’essence de l’Homme : tous les êtres humains sont doués de Raison, et c’est là leur essence, qui précède l’existence. Avant même qu’il naisse, on sait qu’un être humain sera raisonnable en ce sens. Pour Sartre, cette philosophie ne va pas au bout des conséquences de l’athéisme. En effet, s’il n’y a pas de Dieu, alors il ne doit pas y avoir de chemin préétabli, et l’Homme ne peut donc pas être destiné à être un être raisonnable avant tout. S’il n’y a pas de grand artisan, alors l’homme est totalement libre de donner son propre sens à sa vie.

Enfin, Sartre s’oppose au déterminisme marxiste. D’après Marx, l’Histoire a un sens bien établi : l’Homme avance vers plus de liberté, vers plus d’égalité, vers un monde plus juste et progresse sans cesse. L’Humanité s’améliore donc sans cesse et doit s’approcher d’un idéal. Comment expliquer, dans ce cas-là, le fascisme, la Seconde Guerre mondiale ? Ces événements vont dans le sens inverse de l’Histoire. Ce sont d’immenses bonds en arrière en plein progrès de l’Humanité. « XXe siècle, l’Homme fut au plus bas » écrivait René Char. Pour Sartre, c’est le fait que l’Homme soit libre et responsable de ses actes qui explique la possibilité du fascisme. Si l’Homme est libre et l’Histoire non déterminée, dépourvue de sens particulier, alors l’Humanité peut tout à fait décider de laisser le fascisme. Elle en sera responsable.

4. Réponse aux objections et aux critiques d’une philosophie « pessimiste »

La conférence L’Existentialisme est un humanisme a deux fonctions. D’une part, c’est un court texte qui résume la pensée existentialiste présentée dans L’Être et le néant trois ans plus tôt. D’autre part, le texte répond aux objections faites à l’existentialisme depuis la présentation de ce courant de pensée. La conférence peut donc également être lue depuis cet angle-ci, celui de la défense d’une pensée face aux contre-arguments qu’on lui a objectés.

Sartre répond avant tout à ceux qui dénoncent une philosophie quiétiste. Qu’est-ce que le quiétisme ? C’est le fait de se taire et de ne pas agir, de ne pas s’engager face au monde. Beaucoup ont dénoncé le caractère pessimiste de l’existentialisme. En effet, en affirmant que l’Histoire n’a pas de sens prédéterminé, Sartre suggère que l’Humanité peut tout à fait tomber dans le fascisme. Puisqu’on ne peut espérer que l’Humanité aille sans cesse vers le progrès, diront certains, alors cela signifie que je dois me taire, et ne rien faire. Sartre répond à cet argument en expliquant qu’au contraire, puisque l’Histoire n’a pas de sens, alors je dois m’engager pour essayer de lui donner mon propre sens. Il est au contraire optimiste de penser que je peux suivre ma morale et m’engager par mes actes, même si je ne peux espérer que l’Humanité s’améliore de façon certaine. Voilà la réponse de Sartre à l’objection du quiétisme pessimiste.

La seconde objection majeure à laquelle il s’attache à répondre concerne le subjectivisme. Le subjectivisme, dit Sartre, a deux sens : il désigne d’une part un choix individuel par le sujet et pour le sujet. D’autre part, il signifie l’impossibilité pour le sujet de dépasser les limites de sa subjectivité. L’objection du subjectivisme faite à l’encontre de l’existentialisme est la suivante : c’est une pensée« individualiste » puisque le sujet ne prend de décisions que par lui-même et pour lui-même. Jean-Paul Sartre répond que cette objection est basée sur le premier sens du subjectivisme alors que l’existentialisme l’utilise dans son second sens : il ne s’agit pas de faire des choix individualistes, mais plutôt de prendre en compte le fait que nos choix ne peuvent être faits que par nous-mêmes. Cependant, lorsque je choisis, je choisis pour tous les Hommes d’une certaine manière : en me posant la question « Que se passerait-il si tout le monde faisait comme moi ? », je pense pour l’Humanité tout entière, même si mon choix ne peut pas dépasser les limites de mon individualité, même si je ne choisis que pour moi.*

5. Conclusion

L’Existentialisme est un humanisme est le manuel de la philosophie sartrienne. L’ouvrage résume et simplifie la pensée présentée dans L’Être et le néant. L’existentialisme, c’est une philosophie qui soutient que l’Homme est totalement libre. Il est par conséquent également totalement responsable de ses actes. La vie d’un être humain est vide lorsqu’il naît et c’est à lui de la remplir en s’engageant.

L’impact de ce texte dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale fut d’une grande ampleur, puisque l’existentialisme rend les êtres humains responsables du fascisme. En affirmant que l’Homme est libre, il démontre qu’il est seul responsable de ses actes et qu’il doit en assumer les conséquences. Aujourd’hui, la réception de l’existentialisme reste la même : il est à la fois rassurant pour le lecteur de découvrir qu’il est totalement libre. D’un autre côté, les conséquences philosophiques sont dures à porter : nous sommes les seuls responsables de nous-mêmes et de l’Histoire de l’Humanité.

6. Zone critique

Le principal adversaire théorique de Jean-Paul Sartre se nomme Pierre Bourdieu. Sociologue de la seconde moitié du XXe siècle, Bourdieu écrit son œuvre fondatrice, Les Héritiers, en 1964. L’idée clé de cet ouvrage est celle de la reproduction sociale : dans une certaine mesure, nous sommes disposés à la naissance par notre milieu social et par les capitaux socioculturels de notre famille. Nous sommes tous des héritiers de nos familles et le resterons, ce qui implique un ensemble de dispositions à notre portée, plus ou moins large. Nous naissons toujours dans un milieu qui conditionnera notre trajectoire.

Le concept de « la distinction », qui donnera son titre à un autre ouvrage majeur de Bourdieu paru en 1979, renvoie à la volonté de se démarquer par rapport à son milieu social de naissance. Ceux qui auront réussi à monter les échelons pourront donc en partie se distinguer par rapport à leur milieu d’origine, mais jamais complètement, puisque dans les classes sociales plus élevées, on reconnaîtra leurs origines modestes par certaines pratiques ou certains réflexes comportementaux que l’on n’efface que difficilement. D’un autre côté, l’individu ne sera plus totalement reconnu dans son milieu social d’origine, car ses pratiques copieront celles de la classe sociale plus élevée. Pour Bourdieu donc, l’individu est et sera toujours déterminé par sa classe sociale d’origine et ne peut s’en affranchir totalement.

En d’autres termes, l’individu ne naît pas libre de ses mouvements, il portera toujours la marque des comportements sociaux de son milieu d’origine. L’individu ne fait pas un choix libre, il reproduit des schémas sociaux. On voit donc bien comment la théorie bourdieusienne peut entrer en débat avec celle de Sartre, pour qui l’individu est totalement libre et indéterminé.

7. Pour aller plus loin

Du même auteur- L'être Et Le Néant: Essai D'ontologie Phénoménologique, Paris, éditions Gallimard, 1943.- La Nausée, Paris, Gallimard, 1938.

Ouvrages sur Sartre- Annie Cohen-Solal, Sartre 1905-1980, Paris, Gallimard, 1999.- Colette, Jacques. L’existentialisme. Presses Universitaires de France, 2007.- Heidegger, Martin, et Roger Munier. Lettre sur l'humanisme. Paris, Aubier, 1989.

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