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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Univers, les dieux, les hommes

de Jean-Pierre Vernant

récension rédigée parMilan MeloccoAgrégé d’histoire. Doctorant à Sorbonne-Université.

Synopsis

Histoire

Jean-Pierre Vernant pensait d’abord donner pour titre à son ouvrage la formule fameuse « il était une fois ». Cette première intention annonce bien le ton de l’ouvrage : raconter très simplement certains mythes grecs, à la manière de contes de fées, comme il affirme les avoir transmis à son petit-fils. Selon les propres mots de l’auteur, l’ambition de l’ouvrage n’est pas scientifique, mais consiste à vouloir faire vivre « un peu de cet univers grec […] dont la survie en chacun de nous me semble, dans le monde d’aujourd’hui, plus que jamais nécessaire » (p. 8).

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1. Introduction : Jean-Pierre Vernant, chercheur et conteur

L’ouvrage de Jean-Pierre Vernant ne se laisse pas aisément définir. Éloigné de l’ouvrage scientifique, il l’est également de l’ouvrage de vulgarisation, qui viserait à donner au plus large public un accès aisé à une œuvre importante.

Selon les propres mots de l’auteur, il s’agit plutôt d’un récit avec lequel il a voulu raconter une série de mythes grecs parmi les plus fameux, la naissance des dieux, les causes de la guerre de Troie ou l’errance d’Ulysse.

Dans cette entreprise, l’auteur ne s’assigne nul devoir d’être exhaustif et de fait, on ne trouvera pas dans cet ouvrage l’ensemble des mythes grecs, et pas seulement les plus fameux. Jean-Pierre Vernant a donc fait des choix, qu’il a veillé à présenter pour ainsi dire chronologiquement, c’est-à-dire en respectant le fil des événements mythiques, depuis la création de l’univers jusqu’aux aventures des hommes et des héros. Le style se veut proche de l’oralité, pour restituer cette façon qui fut, pendant des siècles, le mode d’expression privilégié du mythe. Mais la simplicité du ton, la modestie du conteur, n’empêchent guère l’œuvre du chercheur de se dessiner en arrière-plan.

Jean-Pierre Vernant entreprend ainsi de livrer, pour chaque mythe, une interprétation qui en explicite les enjeux ; l’analyse est intégrée à la narration et contribue ainsi à offrir des mythes grecs une image plus complète, où le récit et sa signification apparaissent entremêlés. Aussi, L’Univers, les dieux, les hommes représentent moins une voie d’accès à l’œuvre de Jean-Pierre Vernant qu’une présentation originale de quelques-uns des résultats d’une longue carrière.

Cette carrière, Jean-Pierre Vernant l’aura précisément consacrée à l’étude des mythes grecs. Pour mieux la comprendre, il faut rappeler le contexte historiographique dans lequel elle s’est développée, notamment à partir du début de la décennie 1970. La façon dont les historiens, et parmi eux les hellénistes, entreprennent alors d’interroger les mythes emprunte beaucoup à l’anthropologie structurale et à son approche comparative des mythologies ; en France, les travaux de Claude Lévi-Strauss et de George Dumézil connaissent ainsi une grande fortune scientifique.

En comparant les mythes de différentes sociétés, ces savants cherchent à mettre en évidence les ressemblances et les dissemblances, à observer les régularités qui distinguent les mythes des autres types de récits et qui peuvent permettre de mieux en comprendre la signification. Jean-Pierre Vernant n’est pas le seul historien engagé dans cette voie ; parmi les autres savants qui se dédient alors pareillement à l’étude des mythes grecs, on peut évoquer Pierre Vidal-Naquet et Marcel Detienne, avec lesquels il collabore.

2. Qu’est-ce qu’un mythe ?

Jean-Pierre Vernant l’affirme d’emblée : un mythe est, avant tout, un récit. En cela, il faut donc le distinguer d’autres formes de récits qui, dès l’Antiquité, ont entretenu des rapports variés avec le mythe, récit historique ou fiction.

Le mythe a cela de propre qu’il semble accompagner l’homme depuis les origines. D’où une importante conséquence : « le mythe ne relève pas de l’invention individuelle ni de la fantaisie créatrice, mais de la transmission et de la mémoire » (p. 10). D’abord étroitement lié à la poésie orale, à l’épopée, le mythe est, sans forme fixe, raconté de génération en génération, et relève donc aussi de l’oralité. C’est pourtant sous une forme cristallisée par l’écrit qu’on les connaît aujourd’hui. Car très rapidement, d’autres genres littéraires s’emparent du mythe : la poésie, la tragédie, parfois la philosophie ou l’histoire.

Dispersés au sein de cette littérature, ils se trouvent le plus généralement dans un état fragmentaire, sauf dans certaines œuvres poétiques anciennes, comme les épopées attribuées à Homère, l’Iliade et l’Odyssée, ou la Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle avant notre ère). Ce n’est que tardivement, au début de notre ère, que des érudits entreprennent de rassembler les différentes traditions au sein d’un même corpus, comme la Bibliothèque du Pseudo-Apollodore.

Cette tradition particulière à la mythologie grecque ne doit cependant pas, pour Jean-Pierre Vernant, dissuader le chercheur de les comparer avec les récits traditionnels d’autres régions, Afrique et Amérique précolombienne, Proche-Orient, Inde et Chine antiques. Car malgré les traditions narratives propres à chacune, tous les mythes partagent une série de points communs qui justifient qu’on les étudie de façon comparée – à l’image des travaux menés par l’anthropologue Claude Lévi-Strauss en rassemblant et confrontant des récits mythiques recueillis à travers toute l’Amérique. Car c’est en procédant ainsi que, selon les tenants de la méthode comparatiste, certains éléments trouvent leur clé de lecture.

3. Le mythe pour justifier l’ordre du monde

Les mythes que Jean-Pierre Vernant choisit de présenter en premier forment, selon la désignation de l’ouvrage du poète Hésiode, une théogonie, c’est-à-dire qu’ils traitent de la naissance des dieux. Le récit de ces premiers temps culmine avec la mise en ordre de l’univers que constitue l’institution du monde des dieux, puis de celui des hommes et du règlement des rapports entre les deux.

La première étape, c’est donc la victoire, à l’issue d’un combat difficile, des dieux menés par Zeus face à leurs prédécesseurs, les Titans, rassemblés autour de Cronos. Vaincus, ceux-ci sont enfermés dans le monde souterrain et c’est avec la figure de Zeus un nouveau type de souveraineté qui s’impose. Car ce que le mythe fait apparaître sans l’exprimer, c’est que le nouveau maître de l’univers se montre en tous points comme le contraire de l’ancien. Cronos avait acquis sa supériorité par son audace et, pour maintenir son pouvoir, il n’avait pas hésité à faire enfermer ceux qu’il percevait comme une menace.

À l’inverse, Zeus fonde sa domination sur une certaine forme de justice : ce sont les autres dieux qui l’ont désigné à leur tête et il veille, une fois son pouvoir établi, à récompenser ses alliés et à distribuer à chacun les honneurs mérités – ainsi, les Titans restés neutres sont confirmés dans leurs attributions ancestrales. Mais Zeus, tout comme son père Cronos qu’il a défait, peut craindre lui-même d’être un jour détrôné par l’un de ses enfants. Or, plutôt que d’empêcher leur naissance, Zeus envisage un autre procédé : il engloutit sa femme, Mètis, qui incarne la ruse, la capacité de voir à l’avance ce qui va se passer. Le problème de la souveraineté est ainsi réglé, car Zeus concentre désormais toute la ruse, toute la prudence du monde, et son pouvoir ne sera donc plus remis en cause par une lutte de succession.

Après une dernière crise (le combat de Zeus contre le monstre Typhon, et celui de tous les dieux contre les Géants), le règne immuable de Zeus est définitivement établi, et garantit l’ordre cosmique que désormais plus rien ne viendra menacer.

4. Penser la place de l’homme dans l’univers

À l’heure où l’univers est ordonné, se joue également la répartition des places entre les dieux et les hommes, qui jusqu’alors vivaient ensemble. C’est Prométhée (celui qui comprend d’avance), titan rallié aux dieux, qui en est chargé.

Pour cela, il fait deux parts d’un bœuf qu’il abat : l’une est rendue appétissante par une couche de graisse, mais ne dissimule en fait que les os de la bête ; l’autre est repoussante, constituée par la panse du bœuf, mais dans laquelle Prométhée a en fait placé la chair de l’animal. Zeus, à qui l’on offre de choisir d’abord, désigne la première part ; découvrant la supercherie, il entre dans une rage folle.

Pour autant, comme le souligne Jean-Pierre Vernant, les hommes ne gagnent pas véritablement à cette répartition : car s’ils reçoivent certes la partie comestible de l’animal, c’est qu’ils ont besoin de manger pour entretenir leur énergie, tandis que les dieux ignorent ce besoin. « Par cette répartition de la nourriture, les humains sont donc marqués du sceau de la mortalité, alors que les dieux le sont du sceau de la pérennité » (p. 73). Zeus, furieux, entend pourtant se venger des hommes : il décide de les priver du feu qu’il leur offrait auparavant en frappant les arbres de sa foudre.

Mais, là encore par un subterfuge, Prométhée parvient à le dérober et à le rendre aux hommes. Le châtiment de Zeus prend alors la forme de Pandora, la première femme, qu’il offre aux hommes ; le mythe la présente comme insatiable, prompte à consommer tout ce que les efforts de l’homme peuvent produire. Mais désormais, l’humanité est double, et ce ventre vorace est aussi seul capable d’engendrer et d’offrir aux hommes une descendance : à présent, le mariage est aussi ce qui distinguera l’humanité.

Ainsi donc, l’humanité est dorénavant tenue à l’écart des dieux, et les rapports sont bien fixés. Certes, les contacts et les interactions vont se poursuivre, mais en suivant certaines règles qu’on ne peut enfreindre sans s’exposer aux dangers qu’encourent ceux qui remettent en cause l’ordre des choses. Dans l’Odyssée lorsque les marins d’Ulysse atteignent Triclaria, l’île où paissent les troupeaux du Soleil, ils entreprennent de chasser et d’abattre les bêtes pour apaiser leur faim. Comme le signale Jean-Pierre Vernant, ils commettent alors la faute d’avoir confondu le sacré et le profane, la chasse et le sacrifice ; en somme, d’avoir brouillé les limites qui fixent le domaine des hommes et celui des dieux. La réponse ne tarde pas : le Soleil, indigné, porte sa plainte devant Zeus, lequel, souverain garant de l’ordre du monde, déclenche une tempête qui fait périr tous les fautifs.?

5. Le mythe, un objet historique

Jean-Pierre Vernant ne se veut pas antiquaire, et son attitude face aux mythes grecs n’est pas celle du collectionneur. En explorant leur signification, il entend plutôt montrer qu’ils permettent de révéler les formes de pensée de la société qui les produit. L’arrière-plan du mythe dévoile ainsi la réponse apportée aux problèmes fondamentaux se posant à toute société humaine. Cette démarche repose sur la conviction que les mythes, qui appartiennent au domaine de la pensée, représentent au même titre que tous les autres éléments d’une société une réalité historique dont l’historien doit s’emparer.

Dès lors, chacun des mythes dont Jean-Pierre Vernant fait le récit est pour lui l’occasion d’en évoquer la signification, généralement implicite, car celle-ci représente la manière propre à la pensée grecque d’avoir envisagé telle ou telle question fondamentale — au rang desquelles on peut évoquer, pêle-mêle : la définition de l’humanité, les rapports entre hommes et femmes, la procréation et l’hérédité, la figure de l’autochtone (membre d’un groupe qui continue d’habiter son lieu d’origine) et de l’étranger, le rapport au passé et le rôle de la mémoire, la mort.

Entre autres, Jean-Pierre Vernant offre un aperçu de cette méthode à propos de l’Odyssée. Sur le chemin du retour, Ulysse et son équipage sont pris dans une tempête qui les accable sept jours durant pour les perdre dans un espace en tout point différent de celui dans lequel ils naviguaient auparavant. Ils rencontrent alors une série d’êtres inhumains : les uns s’apparentent à des divinités qui, comme Circée et Calypso, se nourrissent de nectar et d’ambroisie ; certains, le Cyclope ou les Lestrygons, se nourrissent de chair humaine ; d’autres enfin, à l’image des Lotophages, d’une plante inconnue de l’homme provoquant l’oubli (le Lotos). Toutes ces figures échappent à l’humanité, et c’est donc de celle-ci que, en creux, le mythe offre une définition. Car comme l’écrit Jean-Pierre Vernant, « pour les Grecs, le propre de l’homme, ce qui le définit en tant que tel, c’est le fait de manger le pain et de boire le vin, d’avoir un certain type de nourriture et de reconnaître les lois de l’hospitalité, d’accueillir l’étranger, au lieu de le dévorer » (p. 118).

Mais l’homme, c’est également celui qui, parce qu’il porte inévitablement le souvenir de son passé, a conscience d’être ce qu’il est ; or, en absorbant le Lotos, les hommes oublient qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont, et cessent donc de vivre comme des hommes. Face aux monstres, l’Odyssée permet de comprendre l’idée que les Grecs se faisaient de l’homme.

6. Conclusion

Quiconque voudrait se rappeler au moins quelques-uns des mythes grecs trouvera dans l’ouvrage de Jean-Pierre Vernant l’outil idéal, et sous la forme la plus accessible ; il y gagnera aussi de les comprendre et de ne plus y voir seulement des histoires amusantes ou édifiantes.

Car l’ouvrage ne se contente pas de livrer l’aspect narratif du mythe ; il en restitue également le sens, souvent implicite. Et en explorant ainsi la signification de tel ou tel épisode d’un mythe ou en rapprochant les récits entre eux, l’ouvrage dévoile un peu de l’arrière-plan intellectuel des Grecs et offre de la sorte un éclairage de leur civilisation. En somme, L’Univers, les dieux, les hommes livre aussi les résultats d’une méthode.

7. Zone critique

L’œuvre de Jean-Pierre Vernant a profité, et profite encore, d’une grande reconnaissance scientifique. Fortement marquée par l’anthropologie structurale, elle illustre le développement de l’étude historique des mythologies comme moyen de compréhension des sociétés du passé.

Mais Jean-Pierre Vernant ne se contenta pas d’appliquer aux mythes grecs une méthode recueillie ailleurs – notamment chez Claude Lévi-Strauss. Par sa proximité avec les sources et son attention aux termes et aux catégories des Grecs de l’Antiquité, son œuvre a ainsi su transposer en termes historiques l’approche que l’anthropologie structurale, cherchant les propriétés invariables des sociétés, avait formulée de façon foncièrement anhistorique.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les dieux, les hommes. Récits grecs des origines, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1999.

Du même auteur– Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, Éditions Maspero, 1965.– Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, Éditions Maspero, 1974.

Autres pistes– Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet : Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 2 vol., Paris, Éditions Maspero et La Découverte, 1972-1986.– Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne, Les Ruses de l’intelligence. La métis des Grecs, Paris, Flammarion, 1974.

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