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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Gauche en France depuis 1900

de Jean Touchard

récension rédigée parAlexandre KousnetzoffAncien élève de l'IEP de Paris.

Synopsis

Histoire

En France, tout le monde est « de gauche » ou se prétend tel. Très peu nombreux en effet sont ceux qui se réclament de la droite et l’assument. Dans les années 1930, ce tropisme politique portait le beau nom de « sinistrisme ». Mais encore faut-il savoir ce qu’est la gauche, et si l’on peut utiliser ce vocable au singulier. N’y aurait-il pas en effet des gauches, plutôt qu’une gauche ? C’est ce qu’avance Jean Touchard dans cet ouvrage où il présente la famille nombreuse de la gauche depuis les années 1880, en dépit du titre. Une famille dont les enfants sont extrêmement querelleurs.

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1. Introduction

Ce livre a une histoire : celui d’un cours professé à l’IEP de Paris (Sciences Po) pendant l’année universitaire 1967-1968. Une année riche en événements pour la gauche française…

Au début des années 1960, en effet, Jean Touchard avait créé à Sciences Po un sujet d’étude tout à fait novateur pour l’époque : un enseignement annuel consacré au mouvement des idées politiques au cours duquel, année après année, il passait en revue les principaux courants et faisait le point sur leur évolution. À l’époque, ce type de pratique de la discipline n’existait nulle part ailleurs en France.

Aussi Jean Touchard peut-il être considéré comme l’historien par excellence de la gauche française de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, de la même manière que René Rémond est son pendant pour les droites françaises entre 1815 et 1981.

2. Les références de la gauche

La gauche française dispose d’un certain nombre de références obligées, qui sont autant de marqueurs pour son identité sur le long terme. Parmi ces thèmes, il est essentiel pour Jean Touchard de retenir les deux suivantes :

Tout d’abord, l’héritage du XVIIIe siècle français. Il s’agit bien entendu de l’héritage de la philosophie des Lumières, Voltaire étant d’ailleurs plus invoqué et revendiqué par la gauche française que Rousseau. Ainsi la ville de Paris a-t-elle consacré un boulevard et un quai au premier , alors qu’aucune artère ne porte le nom du second. On pourrait en dire autant des lycées, puisque si la capitale de la France compte un lycée Voltaire, elle ne possède pas de lycée Rousseau.

Ensuite, la tradition révolutionnaire. Autant celle de la Révolution de 1789 que les suivantes : 1830, 1848 ou encore la révolution manquée de 1871, la Commune de Paris. Chacune de ces révolutions comportant d’ailleurs leurs spécificités et leur « mode d’emploi » distinct. La Commune, c’est bien entendu toute la veine socialisante, antibourgeoise, anticléricale et anticapitaliste d’une certaine gauche française. C’est le peuple de l’est de Paris contre les « gros » des quartiers ouest. La révolution de 1848, elle, illustre en revanche plutôt une fraternité inédite entre les classes et, justement, une absence notable d’anticléricalisme : le clergé se plaçait souvent à la tête des révolutionnaires et bénissait les arbres de la Liberté.

C’est de cet ensemble à la fois très disparate et cependant profondément cohérent que se réclame la gauche française dans son unanimité. Si l’on ne communie pas à l’ensemble de ces valeurs, en effet, on peut difficilement se dire de gauche en France.

3. La gauche française dans les années 1880 et 1890

La gauche française des années 1880 et 1890 s’organise pour Jean Touchard autour de ce qu’il est convenu de dénommer la « tradition républicaine ».

Cette dernière s’est fixée de manière à peu près définitive par l’intermédiaire de l’école laïque, gratuite et obligatoire et des manuels scolaires qu’on y utilisait. Elle comporte pour ainsi dire quatre strates distinctes.

La première, c’est la haine du bonapartisme et du Second Empire, le mépris pour Napoléon III, surnommé « Badinguet » et responsable du désastre de Sedan et de la défaite cuisante du pays pendant la guerre de 1870 contre la Prusse, puis contre l’Allemagne unie. Un antibonapartisme qui fait la jonction avec l’opposition contemporaine au régime, avec Victor Hugo par exemple exilé à Guernesey.

La deuxième strate, c’est la crise du 16 mai 1877, lorsque le président Mac Mahon a voulu imposer sa volonté à l’opposition. En quelque sorte, tous les républicains contre tous les adversaires de la République. Le maréchal de Mac Mahon, en effet, duc de Magenta, était le représentant patenté du « parti de l’ordre », de la « République des ducs » (le duc de Broglie, le duc Decazes et le duc d’Audiffret-Pasquier, en plus de Mac Mahon lui-même) menant la politique ultracléricale de « l’ordre moral ». La forme républicaine de gouvernement n’était pas alors bien assurée et beaucoup redoutaient la restauration sur le trône de Charles X du petit-fils de ce dernier, le comte de Chambord, le roi Henri V des légitimistes. Ou à défaut du comte de Paris, le petit-fils de Louis-Philippe Ier et prétendant orléaniste au trône de France.

La troisième strate c’est l’antiboulangisme, l’aventure politique du général Boulanger dans les années 1880 ayant été perçue et vécue comme une menace pour les institutions républicaines.

Enfin, la quatrième et dernière strate, c’est l’affaire Dreyfus, qui constitue l’acte de naissance officiel de la gauche française moderne.

C’est à partir de ce socle à la fois doctrinal et sentimental que la gauche française entre dans les années 1900. Cet ensemble qui forme la « tradition républicaine » peut d’ailleurs être considéré comme la troisième référence principale de la gauche française, après les deux énumérées précédemment.

4. La gauche des années 1900-1914

La gauche française de l’avant Première Guerre mondiale s’organise pour Jean Touchard autour de quatre thèmes. Ce sont ces thèmes qui lui insuffleront la vie nécessaire pour traverser la période et, surtout, pour passer l’épreuve de la Grande Guerre puis renaître après.

Le premier de ces thèmes est une certaine idée de la République. Il s’agit en l’espèce d’une fidélité qui trouve sa source dans les grands principes de la Révolution de 1789. Grands principes et défense républicaine, telles peuvent être les deux fondements de cet idéal. C’est la lutte rituelle, et toujours recommencée, contre la « réaction » et le péril clérical, le « sabre et le goupillon », pour reprendre l’expression forgée par Clemenceau au moment de l’affaire Dreyfus, dans un article de janvier 1898, stigmatisant l’alliance de l’Église et de l’armée dans la défense d’un nationalisme intransigeant. L’école républicaine enfin, qui a vingt ans en 1900, constitue le dernier élément de cette certaine idée de la République.

Le deuxième de ces thèmes est une certaine idée de la démocratie. Il faut distinguer ici, d’emblée, entre démocratie politique et démocratie sociale. La démocratie politique, c’est le régime représentatif et le parlementarisme. Pour la gauche des années 1900-1914, il s’agit de l’horizon indépassable des institutions : tout opposant à ce système est considéré comme un dangereux asocial. Le régime parlementaire représentatif fait donc l’objet d’une sorte d’article de foi. La démocratie sociale en revanche n’est réclamée par presque personne au sein de la gauche. Seuls les syndicalistes révolutionnaires, qui sont d’ailleurs le seul courant de la gauche à s’opposer à la démocratie parlementaire, la réclament. Mais ils sont ultra-minoritaires, et font figure de moutons noirs pour la gauche « établie » de l’époque : républicains modérés, dits également « opportunistes », républicains radicaux dits aussi « radicaux » tout court et socialistes. Même ces derniers sont extrêmement réticents devant la démocratie sociale, en dépit d’un certain discours. Pour eux, c’est clair, la démocratie politique prime sur la démocratie sociale et, si l’une doit céder du terrain devant l’autre, il est manifeste que c’est la démocratie sociale qui doit s’effacer devant la démocratie politique.

Le troisième de ces thèmes est l’anticléricalisme. Il fait figure d’élément fédérateur de toutes les gauches en France, au moins jusqu’en 1906 et à l’entrée en vigueur de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Il s’agit, en quelque sorte, du plus petit commun dénominateur des différentes composantes de la gauche française de l’époque.

Le quatrième et dernier de ces thèmes est celui d’une certaine idée de la paix. C’est tout le problème d’un pacifisme de gauche qui cherche à combiner l’antimilitarisme avec un nationalisme qui, pour être « de gauche », n’en est pas moins très virulent et agressif. Car la gauche française des années 1900-1914 n’est pas moins patriote, patriotique que la droite. Il ne faut pas oublier en effet que l’Alsace et la Lorraine font toujours partie du Reich de Guillaume II et que la Revanche est alors la vraie religion de la majorité des Français, de droite comme de gauche.

En conclusion, pour Jean Touchard, ce qui caractérise la gauche des années 1900-1914, c’est la diversité. Entre les radicaux en effet, les différentes chapelles socialistes et l’univers syndicaliste, c’est une impression de foisonnement qui domine. À côté, les quelques thèmes unificateurs (la République, l’anticléricalisme, la justice, la paix, l’antimilitarisme, la démocratie) font vraiment pâle figure.

5. La gauche des années 1930

La gauche des années 1930 s’organise autour de trois grands partis : le parti radical, qui à la fin du XIXe siècle représentait l’extrême gauche française et qui dans les années 1930 fait figure de droite de la gauche, la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), nom que portait alors le Parti socialiste, et le PCF, Parti communiste français, le plus récent des partis de gauche français.

Pendant la décennie qui va de 1930 à 1939, la SFIO et le parti radical font jeu égal en termes de voix jusqu’en 1936. Cette année-là en effet, à l’occasion des élections législatives qui verront la victoire du Front populaire, qui regroupe toutes les forces politiques de la gauche de l’époque représentées au Parlement, la SFIO dépasse légèrement, pour la première fois, la famille radicale. Puisqu’aux candidats du parti radical doivent être ajoutés les candidats « radicalisants », appartenant de fait au radicalisme politique, même s’ils ne sont pas encartés au parti radical.

Cette avance de la SFIO est cependant très faible, puisque l’ensemble de la « famille socialiste », avec 2 millions de voix aux élections en 1936, dépasse de très peu l’ensemble de la « famille radicale », qui réunit sur le nom de ses candidats 1,96 millions de voix lors de la même consultation électorale.

La grande nouveauté des élections de 1936 cependant est la percée du PCF, qui passe de 783 000 voix aux élections de 1932 à 1 473 000 voix à celles de 1936. Ce gain en voix spectaculaire assure aux communistes 72 députés à la Chambre, contre 116 radicaux et 146 SFIO. Ainsi, en 1936, pour la première fois également, la SFIO a plus de députés que les radicaux. En 1932 en effet, les radicaux avaient emporté 160 sièges et la SFIO 131, contre 10 seulement pour le PCF.

L’année 1936 est donc bien l’année charnière dans l’évolution de la gauche des années 1930 pour Jean Touchard : affirmation de la SFIO comme premier parti de la gauche française, et percée spectaculaire du PCF. Enfin, les années 1930 seront également des années de crise, avec la crise du parlementarisme, du radicalisme et du socialisme, et la montée des ligues d’extrême-droite qui recrutent leurs adhérents et leurs militants au sein d’une droite de plus en plus conquérante et décomplexée.

Il faudra attendre l’épreuve des années de guerre, d’occupation et de résistance et, surtout, la Libération, pour que la gauche française retrouve un authentique souffle de jeunesse et de vitalité.

6. La victoire de la gauche en 1981

La victoire du PS (Parti socialiste) de François Mitterrand en 1981 constitue une double surprise.

En effet, partout, en Europe et dans le monde, à la même époque, la social-démocratie reflue. En Suède les socialistes perdent en 1976 un pouvoir qu’ils détenaient depuis 40 ans, et en 1979 le Parti travailliste britannique subit une cuisante défaite face aux conservateurs de Margaret Thatcher. Aux États-Unis enfin le triomphe de Ronald Reagan et de sa « révolution conservatrice » en 1980 semble marquer pour la droite le début d’un nouvel âge d’or.

Le deuxième motif de surprise est la désunion de la gauche française à l’époque. En effet, depuis septembre 1977, la rupture de l’union de la gauche entre PS et PCF était un fait acquis, et un fait qui ne pouvait qu’entraver la victoire électorale de la gauche à l’élection présidentielle comme aux élections législatives.

Aussi la victoire du PS en 1981, aux élections présidentielles d’abord, aux élections législatives ensuite, a-t-elle constitué l’aboutissement d’un long processus qui s’est accompli en trois étapes principales : la signature du programme commun de gouvernement en 1972 entre le PS et le PCF (« l’union de la gauche »), la rupture socialo-communiste de 1977 et enfin la victoire du PS sur le PCF aux élections législatives de 1978.

Ainsi, il aura fallu dans un premier temps l’alliance avec le PCF afin d’ancrer durablement et de manière crédible le PS à gauche. Il aura fallu dans un second temps la rupture pour que le PS puisse affirmer sa prépondérance sur la gauche française à partir de ses bases propres, et non pas d’un corpus de thèmes, d’idées et de programme emprunté au ou inspiré par le PCF. C’est seulement à cette condition que le PS pouvait attirer à lui une nouvelle couche d’électeurs centristes qui lui faisaient préalablement défaut et qui assureront sa victoire électorale en 1981.

7. Conclusion

La gauche française depuis 1900 est marquée par la désunion, par la division. C’est la principale caractéristique qu’en retient Jean Touchard. Aussi, lorsque la gauche, de manière tout à fait inattendue, parvient – très temporairement d’ailleurs – à s’unir, est-il particulièrement symptomatique que l’on parle des gauches, et non pas de la gauche. Ainsi du Bloc des gauches en 1899, ou du Cartel des gauches en 1924 ou encore, en 1932, de la Délégation des gauches. En 1936 par ailleurs on ne parlera pas de Front de gauche, mais de Rassemblement populaire, puis de Front populaire.

Enfin en 1956, le Front républicain (et non pas Front de gauche là encore) qui rassemblait les différentes composantes de la gauche de l’époque à l’exception des communistes ne portera pas lui non plus le nom d’une gauche unique : comme si cette unicité problématique, au demeurant entièrement contraire à toute l’histoire de la gauche française, était en quelque sorte à jamais inaccessible pour cette dernière.

8. Zone critique

Le principal reproche adressé à l’ouvrage est qu’il s’agit de la retranscription à peine retravaillée d’un cours professé en amphithéâtre, quasiment un polycopié de faculté. Car, le format adéquat pour un cours adressé à des étudiants n’est pas forcément adapté à un public plus large, puisque tel est le lectorat visé par ce livre de Jean Touchard.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– La Gauche en France depuis 1900, Paris, Le Seuil, 1982.

Du même auteur

– Histoire des idées politiques, Paris, PUF, 1959.– La Gloire de Béranger, Paris, Armand Colin, 1968.– Louis Rousseau, 1787-1856. Aux origines du catholicisme social, Paris, Armand Colin, 1968.– La Gauche en France depuis 1900, Paris, Le Seuil, première édition 1977.– Le Gaullisme, Paris, Le Seuil, 1978.

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