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Nouveau portrait de la France

de Jean Viard

récension rédigée parBarbara MerleJournaliste multimédia, Deug d’économie (Paris I Panthéon-Sorbonne), Maitrise de technique et langage des médias à Paris-Sorbonne.

Synopsis

Société

Cet ouvrage entreprend de décrypter une mutation profonde de la société française : la part du travail dans la vie quotidienne. Une longue mutation qui a débutée avec la création des congés payés, s’est accélérée dans la deuxième partie du XXe siècle, puis dès le début des années 2000, en particulier avec la mise en place de la réforme des 35 heures. Avant cela, le travail régissait toute vie des Français, il représentait l’essentiel de leur temps, il guidait leur logement, leurs liens sociaux, leurs activités et loisirs, leur mobilité, leur vie de couple, voire leurs opinions politiques. Jean Viard l’exprime en deux mots, « l’emploi obligeait ». Aujourd’hui, à côté du travail, qui ne représente plus que 12% du temps des Français, coexiste un autre temps devenu majeur, celui du non-travail. Pour l’auteur, cette hydre à deux têtes compose la société française, tout en la modifiant en profondeur.

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1. Introduction

Jean Viard part d’un phénomène assez récent, mais profond et structurant, qui révolutionne notre société. Le travail n’est plus ce qu’il était. Il ne fait pas ici référence à l’installation durable d’un chômage de masse dans notre pays. Mais à une réalité, certainement plus réjouissante pour les citoyens, celle de la part du travail dans la vie des Français. Grâce à l’allongement de l’espérance de vie, plus de 25 années en un siècle, actuellement trois heures de vie en plus par jour, le travail ne représente plus que 1/8ème de l’ensemble de notre vie. Entre le XIXème siècle et l’an 2000, le temps disponible hors sommeil et hors travail a été multiplié par quatre.

Et pour le sociologue, l’organisation de notre vie en est radicalement modifiée. « On ne fait pas plus souvent ce qu’on faisait avant moins souvent. La vie s’organise autrement. » (p. 27) Cette nouvelle donne impacte fortement la société française dans la mesure où nous vivons depuis peu dans ce que Jean Viard appelle « une société de la mobilité des individus dans l’ensemble de leurs champs d’activité et d’existence ». (p. 25).

Le travail et le temps libre, ou le temps de non-travail, structurent dès lors nos sociétés. Ils sont constitutifs de nos liens sociaux et amicaux, de nos mobilités, de l’organisation renouvelée des différents territoires français, de la production de la richesse, de la réinvention des codes et des normes….

2. Vers une « civilisation des loisirs » ?

S’il est un état de fait sur lequel le sociologue insiste, parce qu’il lui semble fondamental dans le paysage français du XXIe siècle, c’est que « quand nous avons fini de dormir, d’étudier et de travailler, il nous reste quatre fois plus de temps pour faire autre chose ». (p. 29) Rappelons les chiffres avancés par le sociologue sur les années 2000 : 5% de notre vie est consacrée à étudier, 12% à travailler, 15% à regarder la télévision, 30% à dormir. Il reste ainsi quasiment 40% de temps à l’individu pour effectuer autre chose. Alors que pendant des siècles, le travail « obligeait », c’est bien aujourd’hui l’art de vivre en général qui « oblige ». Ce n’est pas pour autant la fin du travail, mais bien la fin de son hégémonie sur la vie des individus et sur l’organisation sociale et spatiale qui en découle.

Ce qui caractérise cette expansion du temps pour les individus, c’est que le surplus de temps acquis appartient à leur sphère privée, ils se l’approprient comme espace de liberté individuelle. Ce temps libre est nôtre. Il est « utilisé » pour réaliser des activités personnelles et individuelles. Elles peuvent être multiples : de la lecture au bricolage, en passant par le sport, la musique et toutes les activités culturelles, ou encore l’investissement dans une association ou un parti politique. Et bien sûr, et avant tout, la télévision, qui est bel et bien le « sport » favori des Français. Nous passons, en effet en moyenne, 100 000 heures de notre vie à regarder cet écran, quasiment autant d’heures passées qu’à l’école et au travail réunis ! Que dire alors des multiples autres écrans disponibles dans les différents foyers ! Jean Viard n’y fait que peu référence dons son ouvrage.

Aux côtés de la télévision, l’autre moment structurant aux yeux du sociologue, ce sont bien sûr les vacances, même si 40% des Français ne partent pas en vacances. Depuis 50 ans, « ces deux activités de masse nouvelles ont aussi fortement contribué à la définition de nos codes sociaux, nos normes et nos valeurs ». (p. 39).

Nous sommes ainsi entrés dans une nouvelle ère, celle de la civilisation des loisirs, dans laquelle l’individu gère librement son temps hors-travail. Il y a cent ans, la société était divisée en deux classes sociales, les ouvriers et les rentiers, ces derniers, une minorité, étant les seuls à y avoir accès. Aujourd’hui, même s’il reste bien sûr des inégalités profondes, les congés payés sont un acquis social et les vacances se sont largement démocratisées.

3. Notre maison est bien plus qu’un logement

Avec l’allongement de la vie et du temps libre, notre conception du logement a également beaucoup évolué. Bien plus qu’un lieu où l’on mange et l’on dort uniquement, il est devenu un lieu « cocon » où l’individu aime à passer du temps. Autrefois, le logement se situait au plus près des champs ou de l’usine, dans le même village que ses parents et grands-parents, là-même où l’on se mariait mourait. Aujourd’hui, il est devenu davantage un lieu de vie choisi et désiré sur des critères de qualité de vie. Certes, selon Jean Viard, les plus fragiles d’entre nous n’ont toujours pas le choix, mais ils sont cependant devenus minoritaires.

La grande majorité de la population vit ainsi soit au cœur des villes, avec pour beaucoup une résidence secondaire à la campagne ou à la mer, soit, pour la plupart, aux abords des villes dans des maisons avec jardin, animaux et, si possible, piscine. La France compterait au total 27 millions de logements dont plus de 15 millions de maisons individuelles (89% avec jardin), un million de piscines privées, et 3 millions de résidences secondaires. « Cette majorité qui a fait de son logement un micro-équipement agro-ludo-familialo-culturel a même pris le pouvoir sur la géographie des bons et des mauvais lieux pour réaliser ce “ça-me-suffit’’ où elle le désire en France. » (p. 11)

Ce n’est donc plus la proximité du travail qui conduit au choix du logement, mais bien le cadre de vie auquel chacun aspire. La maison fait partie de l’intime, un lieu de vie que l’on prend aussi plaisir à personnaliser, où l’on passe du temps « entre soi », tout en restant en connexion permanente avec le monde extérieur. Elle est aussi un lieu social où l’on aime recevoir famille et amis, propice pour recréer un univers de vacances, un moment unique de lien social. Pour preuve, l’apparition assez récente du concept de chambre d’amis et le rôle essentiel du barbecue, « haut lieu social de notre société de relations ».

4. Le XIXème siècle, l’avènement de la « ville-nuage »

Dans son analyse de l’évolution des modes de vie des Français, Jean Viard met aussi en avant une notion fondamentale, la mobilité. Comparativement au XIXe siècle, le Français des années 2000 est extrêmement plus mobile, chaque jour, et tout au long de sa vie, grâce au développement des liens virtuels et des moyens de communication physiques : la généralisation de la voiture individuelle – la France compte 42 millions de véhicules motorisés –, le développement du TGV, (Paris-Marseille en 3 heures), sans compter la démocratisation de l’avion… Chaque jour, un Français parcourt physiquement 45 kms en moyenne, contre seulement 5 kms en 1950.

Et le sociologue souligne que cette mobilité physique n’est qu’une infime part de ce que nous parcourons virtuellement, grâce au téléphone, à l’internet, la radio ou encore la télévision. « Cette mobilité virtuelle de masse qui atteint même les plus sédentaires réorganise profondément les liens sociaux et leurs contenus. » (p. 79) C’est ainsi que mobilité physique et virtuelle ont poussé les frontières de ce qu’était la définition de la ville et du vivre ensemble. C’est dans ce contexte de grande mobilité qu’intervient la ville-nuage, une ville dont les contours sont de plus en plus flous – qui a gagné 30% de surface supplémentaire en 20 ans – avec un rayon moyen entre 10 et 50 kilomètres. Il n'existe plus, comme autrefois, de discontinuité ou de franche séparation entre la ville et la campagne entre l’urbain et le rural. L’urbain est maintenant omniprésent dans une campagne interconnectée. L’individuel est privilégié au collectif.

Mais, pour assouvir notre besoin intrinsèque de « faire humanité », les nouveaux lieux et modes de rencontres remportent un énorme succès : les festivals en tout genre, les vide-greniers, la journée des voisins, les voyages organisés, les associations, les sites de rencontres, mais aussi le partage d’une finale de football à la TV avec quelques amis ou tout spectacle télévisé en commun. La ville moderne n’est ainsi plus constituée par un nombre d’habitants donné qui y réside, mais bien par l’éventail des possibilités de faire des rencontres.

5. La campagne va-t-elle disparaître devant le développement de cette urbanité ?

Pour le sociologue, notre pays a vécu dans une opposition séculaire du territoire entre l’espace rural et l’urbain. Cette opposition est une erreur liée à notre histoire politique et à la centralisation des pouvoirs. Elle n’est plus d’actualité.

Sur l’ensemble des quelques 35 000 communes qui composent notre pays, seules quelques centaines d’entre elles concernent l’espace urbain stricto sensu. 70% des agriculteurs vivent à moins d'une heure de route d'un centre-ville, l'immense majorité des ruraux regardent le journal télévisé, sont connectés, font leurs courses dans une grande surface, bénéficient des mêmes services publics sont mobiles, rendent visite à leurs enfants installés en ville... Les chiffres étayent ce nouveau regard porté sur la ruralité : sur les dix dernières années, la croissance de la population urbaine a été seulement de 5 %, alors que celle des campagnes grimpe à 9,5 %. « On pourrait appeler extra-urbains les habitants qui ont fait le choix de quitter l’urbain central comme lieu résidentiel…

Ainsi, dans le mouvement de mise en mobilité généralisée, les extra-urbains se multiplient et s’installent dans la France des villages, des campagnes, des bourgs et des petites villes. » (p. 89) C’est donc bien une campagne réinventée, bien loin de l’image d’Épinal de la paysannerie d’antan, qui est la grande gagnante de ces dernières décennies. Certes, l'habitat peut être dense ou diffus, mais il n'y a plus d'opposition entre ville et campagne, sauf en de rares territoires de la France profonde sur lesquels il faudrait apporter une attention bien spécifique.

Aux yeux du sociologue, nous vivons dans un monde « vert » partout présent. La nature est magnifiée, elle un gage de qualité de vie. Il n’est donc plus possible de penser en termes urbain vs rural, Paris vs province. La France est en cela un cas assez particulier. Sans doute est-ce le fait d'être le seul pays au monde entièrement touristique qui accueille plus de touristes qu'il n'a d'habitants. Jean Viard se pose la question. S'agit-il là d'un accident éphémère ou d'un phénomène durable résultant de l'extrême valorisation de la ruralité, du village ou de la petite ville ? Quel sens faut-il y accorder ? Il est encore difficile d’y répondre.

6. Conclusion

Nous sommes en train de vivre, depuis seulement la fin du XXe siècle, à la fois une incroyable expansion du temps et une explosion de la mobilité.

Ce paradigme tout récent a des conséquences sur l’organisation individuel, territorial, social et politique de notre société. Et même si les inégalités restent importantes dans notre pays, la grande majorité des individus profite de ces évolutions : ils vivent plus longtemps tout en bénéficiant de la diversité des moyens de communication, tant physiques que virtuels. Le visage de la France des années 2000 est donc en profonde mutation.

Cette société longtemps fondée sur la ville et la campagne, sur le monde paysan et le monde des villes, sur l’ouvrier et le rentier, a disparu. Nous assistons à une démocratisation de l’accès aux outils de communication, aux vacances, aux loisirs, et la généralisation de la ville-nuage, plus étendue et plus verte.

Reste aux politiques à s’approprier ce Nouveau Portrait de la France pour organiser « cette cité politique des extra-urbains et des anciens ruraux, la ville des navetteurs, celle des touristes et celle des citoyens ». (p. 167)

7. Zone critique

Jean Viard ouvre son essai par un extrait d’un ouvrage de l’un de nos plus grands historiens, Fernand Braudel avec L’identité de la France en 1986 : « La France se nomme diversité, et je l’avoue avec délectation, c’est son plus beau visage, celui que j’aime et qui par sa seule beauté me libère de tout raisonnement qui pourrait être triste. » À partir d’un éclairage analytique chiffré sur l’évolution de notre pays, et bien sûr de ses quarante années de recherche, Jean Viard dresse un portrait à la fois historique, sociologique, politique et sociétal sur ce qu’est le nouveau portrait de la France. Il dresse un tableau, bien loin des nombreux clichés négatifs, voire déclinistes, et livre quelques clefs de réflexion aux hommes politiques pour aider le pays à se développer au regard de ces mutations profondes, tout en laissant le moins de laissés-pour-compte possibles sur les bords du chemin de cette nouvelle France. Le sociologue peut être considéré comme un optimiste invétéré.

Dans cet ouvrage, dont la première parution date de 2011, il ne fait que trop peu référence aux nouvelles fractures auxquelles notre pays est confronté : sociales, économiques, numériques, médicales, de mobilité… Les Français des campagnes de plus en plus isolées, ou ces nouveaux « extra-urbains », comme il les nomme, se sentent exclus de l’évolution de notre société. Pour eux, il y a bien la France d’en haut, les plus aisés, les urbains, les Parisiens, et la France d’en bas, les « oubliés ». Le mouvement des Gilets jaunes, lancé après la finalisation de son ouvrage, en est une preuve criante.

Depuis, il est intervenu à plusieurs reprises sur son analyse du mouvement. « Nous sommes dans une situation instable et explosive dans un monde qui change à une vitesse folle... Le rond-point, symbole de la mobilité, est devenu avec eux à la fois un lieu d’ancrage et une sorte de nouvelle agora, » a-t-il déclaré à Paris-Match début janvier.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Nouveau portrait de la France. La société des modes de vie de Jean Viard, La Tour d’Aigues, l'Aube, 2011.

Du même auteur

– Court traité sur les vacances, les voyages et l’hospitalité des lieus, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2000– Éloge de la mobilité. Essai sur le capital temps libre et la valeur travail, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2006– Fragments d’identité française, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2009– Le triomphe d’une utopie, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2015– Le moment est venu de penser à l’avenir, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2016– Une société si vivante, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2018.

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