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La Nouvelle Société du coût marginal zéro

de Jeremy Rifkin

récension rédigée parAlexandre KousnetzoffAncien élève de l'IEP de Paris.

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Le capitalisme est mort, et les règles du jeu de l’économie mondiale sont en train de changer de manière radicale. Désormais, la valeur d’usage prime sur la propriété et la durabilité supplante le consumérisme, de la même manière que la coopération remplace la concurrence. Jeremy Rifkin ébauche avec talent dans cet essai les grands traits de cette nouvelle société plus intelligente et plus durable.

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1. Introduction

Ce livre est le résultat d’un quart de siècle de réflexion de l’auteur sur les deux phénomènes rivaux que sont les communaux et des enclosures. Le régime capitaliste est né des enclosures, cette tentative (réussie) de privatiser au profit des grands propriétaires terriens les communaux, c’est-à-dire les terres communes qui étaient gérées collectivement par les sociétés paysannes. Pour Jeremy Rifkin, la lutte perpétuelle entre partisans des communaux et partisans des enclosures peut être une grille de lecture pertinente pour analyser toute l’histoire humaine, et en particulier l’histoire économique.

Cependant, en dépit de son succès initial à partir, notamment, des enclosures, le capitalisme est son propre fossoyeur : par l’intermédiaire du progrès technique continuel, qui réduit les coûts en permanence, il se condamne à disparaître à brève échéance.

C’est là le paradoxe de la société du coût marginal zéro, qui donne son titre à l’ouvrage. De quoi s’agit-il ? Dans l’économie, l’état d’efficacité optimale est atteint lorsque les coûts marginaux approchent de zéro. C’est-à-dire quand la production et la distribution de chaque unité additionnelle, ainsi que le recyclage des déchets, exigent le moins de dépense d’énergie en temps, en travail, en capital, en matières premières et en production d’électricité. Ce qui a pour effet d’optimiser la disponibilité des ressources, alpha et oméga du régime économique capitaliste.

Or, cette société, nous y sommes déjà. Les nouveaux modes de production hyper-automatisés couplés à la fin du travail de masse et aux nouvelles technologies et modes d’organisation issues d’Internet permettent de produire une partie de plus en plus importante de biens et de services presque gratuitement, c’est-à-dire au coût marginal zéro, ou proche de zéro.

C’en sera bel et bien fini du régime économique capitaliste, qui sera remplacé par une structure collaborative, où les droits de propriété classiques n’auront quasiment plus aucun sens : la nouvelle société du coût marginal zéro.

2. Communaux et enclosures

La lutte contre les communaux par le mouvement des enclosures a commencé en Angleterre, et a connu deux grands temps forts. Le premier au début du XVIe siècle, qui correspond au plein épanouissement de l’économie de marché et à une forme de pré-capitalisme. Et le second entre 1760 et 1840 environ, c’est-à-dire exactement à l’époque de la première révolution industrielle et de l’apparition de la forme classique du capitalisme.

Pourtant, les communaux ne sont pas anachroniques. Ainsi, en Suisse, aujourd’hui encore, environ 80 % des alpages sont exploités sous forme de communaux par les agriculteurs de montagne. Et Jeremy Rifkin souligne qu’il a rarement vu un mode de production aussi durable, et une société paysanne aussi prospère.

De la même manière, les manifestants anti-mondialisation à Seattle en 1999, qui protestaient contre un sommet tenu dans cette ville par l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sont les champions de la lutte pour les communaux contemporains. Ils s’opposent en effet à la privatisation au profit d’une minuscule élite, représentée de manière privilégiée par les grandes firmes capitalistes, des ressources de la planète et du travail des hommes. Tous ces héros de notre temps militent pour la « réouverture des communaux mondiaux », pour reprendre l’expression de l’auteur.

Car les communaux, bien plus qu’une institution d’origine médiévale, si intéressante et si pertinente soit-elle, sont « plus fondamentaux que l’État et le marché. C’est l’immense domaine qui constitue notre héritage commun à tous, celui que nous utilisons en général sans payer ni péage ni prix. L’atmosphère et les océans, les langues et les cultures, les connaissances et la sagesse accumulées par l’humanité, les systèmes informes de soutien local, la paix et la tranquillité à laquelle nous aspirons, les éléments génétiques de base de la vie – tout cela, ce sont des aspects des communaux. » Cette définition des communaux, particulièrement appréciée de Jeremy Rifkin, est due à l’un des principaux visionnaires des nouveaux communaux en réseau rendus possibles par Internet, Jonathan Rowe.

Car si les communaux sont multiples, les enclosures ne le sont pas moins. Aussi l’auteur a-t-il pu identifier, outre les premières enclosures, celles, originelles, des terres agricoles, de nouvelles formes de cette tentative toujours renouvelée d’appropriation privée du bien commun. À commencer par l’enclosure des communaux océaniques à l’époque des grandes découvertes au XVIe siècle. Sans oublier l’enclosure des communaux du savoir à la fin du XVIIIe siècle, avec l’apparition du droit d’auteur, du copyright et de la propriété intellectuelle. Ou encore l’enclosure des communaux du spectre électro-magnétique au début du XXe siècle, avec la vente de licences sur les fréquences radio à des entreprises à but lucratif. Enfin, la plus importante de toutes les enclosures, et la plus récente : celle des communaux génétiques, à la fin du XXe siècle, avec la brevetabilité des gènes.

C’est contre toutes ces enclosures, anciennes et nouvelles, que les militants des communaux collaboratifs entendent lutter pied à pied. Un combat qui, pour Jeremy Rifkin, est déjà bien engagé, et laisse présager la victoire des adversaires du régime économique capitaliste.

3. Les communaux collaboratifs

Le travail en entreprise, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou déterminée, en échange d’un salaire, est aujourd’hui la norme. C’est celle de l’économie capitaliste, où l’on échange sur le marché sa force de travail, son talent, son temps et ses compétences en échange d’une rémunération qui est censée vous permettre de faire face au coût d’achat de tous les biens et services nécessaires à la vie quotidienne.

Dans l’économie du coût marginal zéro selon Jeremy Rifkin, il n’en sera plus de même. En effet, les travailleurs salariés feront place aux « prosommateurs », ces agents économiques qui sont à la fois producteurs et consommateurs, d’où le néologisme qu’a forgé l’auteur pour les qualifier. Ces prosommateurs produiront à des coûts quasiment nuls la majorité des objets nécessaires à la vie matérielle par l’impression 3D (en trois dimensions) tel que cela se fait déjà.

Ces prosommateurs se rencontreront sur les communaux collaboratifs, qui prendront la place du marché. Ainsi, il n’y aura plus ni vendeur ni acheteur, mais uniquement des acteurs des communaux collaboratifs, ce nouvel espace de rencontre qui n’est pas uniquement économique pour Jeremy Rifkin (il s’en faut de beaucoup), mais qui est néanmoins appelé à prendre le relais du capitalisme comme force organisatrice de l’ensemble de l’économie. Car sur les communaux collaboratifs les marchés disparaissent pour laisser la place aux réseaux. Ce point capital est celui qui permet, de manière extrêmement concrète, le passage de l’économie capitaliste à la nouvelle économie du coût marginal zéro. Car c’est avec la disparition des marchés au profit des réseaux que l’on change véritablement de société, en même temps que l’on change d’économie.

Outre le fait que les communaux collaboratifs substituent les prosommateurs aux vendeurs et aux acheteurs et les réseaux aux marchés, d’autres traits les caractérisent. Ainsi le partage en source ouverte supplante-t-il les droits de propriété, un peu à l’image du logiciel Linux, qui a été l’un des pionniers du modèle des communaux collaboratifs.

Enfin, ultime caractéristique, sur les communaux collaboratifs la propriété est beaucoup moins importante que l’accès, qui est la condition même de la participation à cette nouvelle forme d’économie.

4. Les infrastructures intelligentes

Pour Jeremy Rifkin, toutes les grandes révolutions économiques de l’histoire sont avant tout des révolutions des infrastructures. Et ce qui confère leur puissance transformatrice aux grandes révolutions des infrastructures, c’est la convergence de nouveaux médias de communication avec de nouveaux régimes énergétiques.

Ainsi, la première révolution industrielle, celle des XVIIIe-XIXe siècles, avait comme médias de communication privilégiés la presse écrite bon marché et le télégraphe, et comme régime énergétique le charbon et la vapeur. La deuxième révolution industrielle, celle du XXe siècle, avait ou a encore comme médias de communication privilégiés le téléphone, la radio et la télévision et comme régime énergétique le pétrole et l’électricité.

Quant à la troisième révolution industrielle, celle que nous sommes en train de vivre, elle a Internet comme média de communication privilégié et les énergies renouvelables comme régime énergétique fondamental : énergies solaire, éolienne, hydroélectrique, géothermique, ou encore issue de la biomasse.

Or il est essentiel de garder à l’esprit le fait qu’Internet est un moyen de communication distribué (où le nombre des intervenants est extrêmement élevé), pair à pair (sans hiérarchisation a priori), latéral (c’est-à-dire non centralisé) et collaboratif : comme la société vers laquelle nous nous dirigeons avec l’essoufflement du capitalisme, selon l’auteur. On peut d’ailleurs en dire de même des énergies renouvelables, qui possèdent exactement les mêmes caractéristiques qu’Internet.

5. L’Internet des objets

Voilà pourquoi, ensemble, les communications par Internet et les énergies renouvelables constituent la matrice, à la fois idéale et irremplaçable, d’une infrastructure de base dont la logique opératoire est entre toutes adaptée à une gestion communaliste, c’est-à-dire issue de l’esprit des communaux, institution médiévale et féodale à l’origine, mais réactivée à l’extrême fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle par tous les militants opposés à la mondialisation-globalisation.

Cette infrastructure intelligente de base est constituée de trois Internet emboîtés : l’Internet des communications, l’Internet de l’énergie et l’Internet de la logistique. Ces trois-là ont vocation à être reliés en un seul et unique système interactif, que Jeremy Rifkin baptise du terme « d’Internet des objets ».

Aujourd’hui, seul l’Internet des communications (Internet « tout court » peut-on dire) est généralisé. Grâce à lui, nous pouvons déjà communiquer sur des réseaux mondiaux rassemblant plusieurs milliards de personnes, en échangeant de manière presque gratuite des fichiers (texte, audio, vidéo). Toutes les connaissances du monde sont accessibles à partir d’un téléphone portable, et n’importe quel individu isolé peut lancer une idée, un produit, une information à un milliard de personnes simultanément. Tout cela, pour une grande partie de l’humanité, celle qui est connectée, c’est déjà la réalité.

Mais l’Internet de l’énergie avance à pas de géant. Les compteurs numériques intelligents qui donnent une information en temps réel sur la consommation d’électricité sont déjà la règle aux États-Unis, comme dans d’autres pays dans le monde. Tous les dispositifs et appareils (thermostats, chaînes de montage, équipements de stockage, machines à laver, téléviseurs ou ordinateurs) sont susceptibles de recevoir des capteurs connectés au compteur intelligent et à la plate-forme Internet des objets.

En 2007, 10 millions de capteurs reliaient toutes sortes d’équipements humains à l’Internet des objets. En 2013, on estimait ce chiffre à 3,5 milliards au minimum. Et, en 2030, on considère que 100 000 milliards de capteurs seront installés partout dans le monde, faisant de l’Internet des objets une réalité. Une progression qui, on le voit, est exponentielle. Quant à l’Internet de la logistique (stockage, transport et livraison des marchandises), il est le seul qui reste véritablement à construire.

Une fois connectés entre eux, ces trois Internet fourniront un flux d’information, « Big Data », auquel toute l’humanité pourra avoir accès. Cette information sera précieuse pour atteindre la productivité extrême caractéristique d’une société qui tend vers le coût marginal zéro. Ce flux d’information, enfin, pourra être aisément partagé de façon collaborative sur des « communaux » mondiaux ouverts, sur le modèle de Wikipédia par exemple.

En conclusion, cet Internet des objets constitue l’enjeu d’une lutte sans merci entre États, grandes entreprises capitalistes et acteurs de l’économie sociale encore balbutiante, chacun voulant s’arroger le contrôle de ce système, car c’est ce dernier qui définit entièrement l’ère dans laquelle nous commençons déjà à vivre, et qui s’imposera demain à tous.

6. Vers un avenir radieux ?

Jeremy Rifkin constate que la machine à vapeur a libéré l’homme des structures féodales de l’économie et lui a permis d’entrer de plain-pied dans l’ère capitaliste. La mutation qui se fait jour actuellement n’est pas moins importante pour l’auteur. En effet, pour ce dernier, l’Internet des objets libère l’homme de l’économie de marché et lui permet de servir des intérêts communs non matériels (au premier chef desquels se trouve la « guérison » de la Terre, gravement endommagée par l’économie capitaliste) sur les communaux collaboratifs.

Dans cette nouvelle économie, qui sera une économie de l’abondance, et non plus de la pénurie, la plupart des besoins matériels fondamentaux seront assurés de manière presque gratuite. Et ce grâce à la révolution du coût marginal zéro : les biens et services qui permettent la vie quotidienne seront d’un coût de revient quasi nul, et donc accessible à tous et en quantités quasiment illimitées.

L’auteur va même jusqu’à écrire : « Il est probable que, dans un demi-siècle, nos petits-enfants regarderont l’époque du plein emploi sur le marché avec le même sentiment d’incrédulité totale que nous inspirent l’esclavage et le servage d’autrefois. L’idée même que la valeur d’un être humain se mesurait presque exclusivement à sa production de biens et services et à sa fortune matérielle leur paraîtra primitive et même barbare : elle sera perçue comme une effroyable perte de richesse humaine par nos descendants qui, dans un monde ultra-automatisé, vivront le plus clair de leur vie sur les communaux collaboratifs. »

En d’autres termes, pour Jeremy Rifkin, la messe est dite : l’Internet des objets et l’économie du coût marginal zéro libèrent définitivement l’homme de l’injonction biblique : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».

7. Conclusion

La mort de l’ère capitaliste, avec son gaspillage, ses inégalités, son court-termisme et son impact désastreux sur l’environnement, constitue plutôt une bonne nouvelle. L’espoir, c’est l’avènement réel et concret des communaux collaboratifs comme mode majeur d’organisation de la société, et d’abord de la société du travail.

Car ces derniers, pour Jeremy Rifkin, représentent le meilleur vecteur pour ce qu’il nomme « guérir la planète », c’est-à-dire tourner le dos à la croissance actuelle pour lui substituer un mode de production et de vie plus durables, ainsi que pour promouvoir une abondance économique plus équitablement répartie.

Et il va de soi, pour l’auteur, que la perspective d’une infrastructure économique permettant de réduire les coûts marginaux à zéro ou presque retire tout son sens à l’entreprise privée capitaliste traditionnelle, fondée exclusivement sur la recherche du profit, et qui ne peut survivre qu’en dégageant continuellement des profits. Pour Jeremy Rifkin, la fin des profits par le coût marginal zéro sonne donc bel et bien le glas du capitalisme né il y a environ deux siècles.

8. Zone critique

Les critiques adressées envers cet ouvrage peuvent se résumer d’un mot : science-fiction, pour ne pas dire utopie. Pour beaucoup de commentateurs, Jeremy Rifkin prend dans ce livre ses désirs pour des réalités. Qu’en est-il réellement ? Nul n’est prophète en son pays, mais peut-être aussi en son temps. Les incontestables qualités de visionnaire de l’auteur, appuyées sur des faits qui ne relèvent en rien de l’utopie, dérangent sans doute trop le confort moral intellectuel de certains fonctionnaires de la pensée…

Par ailleurs, même si son concept de troisième révolution industrielle est discuté par certains, notamment par Philippe Bihouix, il n’en reste pas moins que l’apparition de l’Internet des communications, tout comme celui de l’Internet de l’énergie en plein développement, ont au sens propre révolutionné l’économie.

Enfin l’absence de chiffres reprochée par certains commentateurs à Jeremy Rifkin n’a pas grand sens : il s’agit d’un ouvrage de prospective à relativement court terme, et non pas d’un manuel qui rend compte de l’état actuel de l’économie mondiale.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La Nouvelle Société du coût marginal zéro, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.

Du même auteur– L’Économie hydrogène : après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique, Paris, La Découverte, 2002.– Le Rêve européen ou Comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire, Paris, Fayard, 2005.– La Fin du travail, Paris, La Découverte, 2006.– La Troisième Révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui libèrent, 2012.

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