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L’Archipel français

de Jérôme Fourquet

récension rédigée parBarbara MerleJournaliste multimédia, Deug d’économie (Paris I Panthéon-Sorbonne), Maitrise de technique et langage des médias à Paris-Sorbonne.

Synopsis

Société

Jérôme Fourquet met en exergue et analyse une évolution majeure de la société française, qui s’est déroulée en quelques décennies : la fragmentation sociale. À partir de la fin des années 1960, la France a muté au cours d’un processus d’« archipelisation » vers une société parcellisée, composée de multiples îlots socioculturels. Ce phénomène s’est accompagné d’un double mouvement de fond, la disparition de ce qui faisait le fondement de la nation, ce que l’auteur nomme le ciment catho-républicain. En effet, la religion catholique et les partis politiques traditionnels, en premier lieu le PC, ont perdu leur pouvoir structurant. S’est noué un véritable bouleversement anthropologique avec des répercussions majeures sur l’organisation de notre système politique. Pour preuve, l’élection 2017 qui a totalement rebattu les cartes du jeu politique français.

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1. Introduction

Déclin de la pratique religieuse, bouleversements sociétaux, montée en puissance de l’individualisation, mouvement de séparatisme social, retour en force d’identitarismes régionaux, processus d’intégration de générations issues de l’immigration… ces mouvements de fond ont contribué à créer une nouvelle nation française, bien loin de celle des générations d’après-guerre. Ce processus, qui se déploie depuis les années 1960, donne un nouveau visage à la société des années 2000. La France est devenue un archipel, composé de multiples îlots qui n’entrent plus en contact les uns avec les autres.

Ces mutations sociétales profondes ont eu des répercussions politiques majeures, avec des dates emblématiques de lignes de fracture : l’apparition du FN en 1983, le vote binaire pour ou contre le Traité constitutionnel européen en 2005, la « France de Charlie » et « l’autre » France en 2015. Le point d’orgue de ce tsunami politique fut les élections présidentielles de 2017, qui ont balayé toutes nos références en la matière, avec la quasi-disparition des partis politiques traditionnels gauche/droite et un nouvel équilibre des forces en présence, ouvertes/fermées. Le paysage électoral et idéologique est ainsi totalement redessiné.

2. La religion catholique n’est plus un socle

Nous assistons en France à un déclin sans précédent de la pratique religieuse catholique, qui a pourtant été le fondement multiséculaire de la société. Son effondrement est le fait religieux marquant de ces 50 dernières années, une rupture fondamentale même. La société française en est totalement modifiée. « La France, qui fut la “fille aînée de l’Église”, est majoritairement devenue un pays déchristianisé – ou redevenue une terre “achrétienne” » (p. 21). En 1961, 35 % des Français disaient aller très souvent ou tous les dimanches à la messe ; les « messalisants » ne sont plus que 6 % en 2012 et les catholiques pratiquants déclarés ne représentent plus que 12 % de l’ensemble de la population.

En 1950, le pays comptait 177 000 prêtres, religieux et religieuses ; le nombre chute à 51 500 en 2015. Autre signe fort du poids de la religion dans une société, les prénoms donnés aux nouveau-nés : une petite fille sur cinq était ainsi prénommée Marie en 1900, 8 % en 1945 et… 0,3 % en 2016.

Le déclin de la religion se traduit plus généralement dans l’évolution des mœurs des Français. Si le mariage était encore la norme en 1960, il ne cesse de diminuer statistiquement. Son record historique est de plus de 400 000 mariages en 1972 ; le nombre se réduit à 241 000 en 2014, jusqu’à 228 000 en 2017. Parallèlement, les cas de divorces ne cessent de se multiplier, à la faveur, autre autres, de la loi sur le consentement mutuel de 1975 et de la simplification des procédures de divorce en 2004. Aujourd’hui, un mariage sur trois se termine par un divorce.

À compter également parmi les phénomènes accompagnant la « déchristianisation » du pays : l’adoption de la loi Veil sur l’IVG en 1974, l’évolution des naissances hors mariage, l’acceptation de plus en plus massive de l’homosexualité avec, en corollaire, le vote de la loi sur le PACS en 1999, le mariage pour tous en 2013 ainsi que l’ouverture des discussions sur la PMA (Procréation médicalement assistée) et la GPA (Gestation pour autrui)… « Sur fond de dislocation terminale de la matrice catholique, cette modification constitue l’un des symptômes majeurs du basculement anthropologique auquel nous sommes en train d’assister, processus très profond qui se décline de multiples manières » (p. 56). Ainsi, notre rapport au corps est totalement modifié, avec trois exemples emblématiques : la libération des pratiques sexuelles, ’la préférence pour l’incinération et l’engouement pour le tatouage.

3. L’« archipelisation » de la société

Il est un autre marqueur qui modifie fondamentalement la société française : « Il s’agit d’un mouvement de séparatisme social, qui engage une partie de la frange supérieure de la société […]. Les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population se raréfient » (p. 91). Les différentes strates sociales du pays s’avèrent de plus en plus hétérogènes, avec des intérêts divers, parfois même contradictoires.

Si la coexistence entre riches et pauvres a toujours existé, le fossé entre les plus et les moins favorisés s’est creusé économiquement, mais aussi socialement et culturellement. ’’’La « France d’en haut » et la « France d’en bas » constituent deux univers qui s’entrechoquent sans se voir, ni se comprendre, ni partager aucune aspiration commune.

Des classes « d’entre-soi » vivent en vase clos, se méprisent, phénomène particulièrement frappant au sein de l’élite française, qui a créé une bulle économique et sociale avec sa culture, ses codes, ses lieux de vie et d’éducation, etc. Le brassage des classes sociales est en voie de disparition’’ : les plus riches vivent au cœur des villes, les autres, dans les périphéries ; le tri de plus en plus sélectif des établissements scolaires produit une sorte de « ghettoïsation » des enfants (les écoles privées pour les plus aisés et les Zones d’éducation prioritaires pour les moins favorisés) ; les colonies de vacances traditionnelles déclinent depuis les années 1980 ; et, en 1996, la suppression du service militaire pour tous par ’Jacques Chirac « sonne le glas du brassage social via les chambrées » (p. 102).

Apparaît ainsi une fracture nette entre les catégories populaires et une élite de plus en plus riche, internationalisée, qui vit en France mais aussi ailleurs puisqu’elle s’exile fiscalement, totalement déconnectée du reste de la population française et de ses préoccupations « terre à terre ». Les catégories économiquement et socialement fragiles, plus refermées sur leurs propres préoccupations, cherchent cependant à s’affranchir du référentiel traditionnel et homogène de la société’, du choix des prénoms au vote massif pour le Front national (Rassemblement national depuis juin 2018) en passant par un retour en force des sentiments régionalistes et, plus récemment, à l’engouement pour le mouvement des Gilets jaunes.

4. Les prénoms, « baromètres » en temps réel de la société française

S’il est un acte cardinal en matière d’identité culturelle et sociale, c’est bien la prénomination. Jérôme Fourquet cite l’historien québécois John Dickinson : « Le prénom est un marqueur culturel. Il est partie intégrante d’un complexe sociologique, qui renvoie à ses sensibilités régionales (ou nationales), à des logiques familiales, à des modèles de conduite, à des genres de vie. Par voie de conséquence, les transformations de la prénomination se présentent à nous comme un élément notable et un indicateur précis des changements vécus par une société » (p. 17). Autant dire que le choix du prénom en dit très long sur les référents culturels auxquels les parents sont attachés et souhaitent s’identifier.

Depuis 1966, à la suite d’une instruction ministérielle élargissant la possibilité de la gamme des prénoms, la société française est marquée par une évolution quantitative et une diversification des prénoms. Dans les catégories sociales populaires, très imprégnée de séries TV US et de culture anglo-saxonne, « l’american way of life » est devenu un modèle rêvé et les prénoms anglo-saxons ont le vent en poupe : Kevin, Dylan, Brandon, Cindy… De 2 % à la fin des années 1960, ils ont pu représenter jusqu’à plus de 12 % en 1993. La loi de 1993 sur la liberté des prénoms ayant ouvert le champ des possibles, ces prénoms à consonance anglo-saxonne ont diminué en proportion, mais restent encore fortement plébiscités dans les couches sociales les plus populaires.

L’autre phénomène marquant dans l’évolution des prénoms en France, c’est l’apparition et le développement au fil des vagues d’immigration des prénoms polonais, italiens, asiatiques, africains, turques, voire kurdes… Le cas le plus prégnant est celui des familles arabo-musulmanes qui privilégient massivement, pour leurs enfants nés en France, des prénoms issus de leurs cultures et religions. Alors que, entre 1900 et 1951, la proportion de nouveau-nés de métropole portant un prénom arabo-musulman était proche de zéro, le taux est passé à 18,8 % parmi la classe d’âge née en 2016. Des résultats qui montrent le poids démographique de ces enfants issus d’une immigration récente et une volonté d’identification forte avec leur culture d’origine. La prénomination comme « acte militant » s’est par ailleurs développée dans certaines régions françaises (Bretagne, Loire-Atlantique, Corse) où l’on a assisté à un regain de l’identité régionale.

5. Un paysage idéologique et électoral totalement remanié

Parallèlement à ces mutations sociétales considérables, la France connaît une transfiguration politique déterminante. Dernier big bang politique en date, l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, encore inconnu quelques mois seulement avant son accession au pouvoir, un libéral sans complexe s’affranchissant des partis traditionnels de droite et de gauche, face, au second tour, à Marine Le Pen et à un FN toujours plus haut dans les sondages. Cette élection en dit long sur les nouveaux clivages de l’électorat français des années 2010 et sur une nouvelle logique, gagnants-ouverts/perdants-fermés. Vers le candidat LaREM se portent les électeurs les plus aisés et les plus diplômés, une majorité de CSP+ vivant dans des grandes villes, des quartiers et des régions favorisés.

Ils sont, pour l’auteur, les tenants de l’ouverture au monde, des européistes convaincus, des battants qui n’ont pas peur de l’avenir et qui croient fermement aux notions d’ascenseur social et de « premier de cordée ». Avec Marine Le Pen, ce sont les plus fragiles qui s’expriment, les moins favorisés, les moins diplômés, les plus touchés par le chômage, ceux-là mêmes qui ont peur de l’avenir et de l’inconnu, refusent toute forme d’immigration et ne croient pas à l’amélioration de leur sort (près de 60 % pensent que leurs parents vivaient mieux qu’eux). Ils se positionnent contre l’Europe, le libéralisme, les échanges internationaux, mais pour le patriotisme, le régionalisme et la préférence nationale.

Ce fait marquant de la politique française, véritable choc politique, s’inscrit dans la continuité d’autres tournants socio-politiques. L’auteur met en avant l’année 1983 durant laquelle la population immigrée, jusqu’alors invisible, est sortie de son silence (grèves des ouvriers spécialisés immigrés dans l’automobile, émeutes des banlieues à Vénissieux et la Courneuve, marche des beurs). 1983 est aussi l’année où le Front national s’ancre profondément dans certains territoires et commence à prendre son envol. L’année 2005 incarne la victoire du « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen et l’embrasement des banlieues après le décès de deux jeunes à Clichy.

Enfin, en 2015, après les attentats de Paris, deux visions de la « France » se sont opposées, les Français qui se disaient « Charlie » et les autres, économiquement, culturellement, socialement, politiquement assez distinctes, qui n’ont pas adhéré à cet élan citoyen.

6. Conclusion

L’Archipel français fait le constat d’un basculement anthropologique encore en cours, démontrant, chiffres à l’appui, les mouvements de fond que la France a connus depuis les années 1960 : évolution des mœurs et mutations sociétales, bouleversements socio-économiques et politiques, vagues d’immigration, déclin définitif de l’influence catholique et du façonnement de la société par la matrice judéo-chrétienne. Cette photographie de la société permet aussi de mieux comprendre les séismes politiques de ces 30 dernières années. L’arrivée d’un jeune président, s’affichant très clairement « ni de droite ni de gauche », peut ainsi s’expliquer par la fragilisation, voire la disparition des socles ancestraux et des repères. Les partis traditionnels se sont effondrés, un nouveau paysage politique se dessine.

À l’instar de la société, la classe politique, jusque-là divisée de façon binaire, devient, elle aussi, un archipel, où les extrêmes deviennent des pôles majeurs.

7. Zone critique

L’ouvrage de Jérôme Fourquet a fait grand bruit lors de sa publication. Et c’est en particulier son chapitre sur les prénoms qui a été massivement relayé par la presse d’extrême droite et repris par le polémiste Éric Zemmour. Dans une tribune, « Ces prénoms qui prédisent l’avenir de la France », celui-ci met en avant l’analyse étayée de statistiques de Jérôme Fourquet pour confirmer, chiffres à l’appui, la théorie du « grand remplacement ». Jérôme Fourquet a ainsi bousculé la « bien-pensance » et relancé des polémiques, en abordant ces sujets extrêmement sensibles que sont l’immigration africaine et maghrébine, l’intégration et les questions identitaires.

À la lumière de ce basculement sans précédent, la question que pose plus globalement l’auteur à la société dans son ensemble, aux politiques comme aux citoyens, c’est : « Pourquoi vivons-nous encore ensemble ? » Ce sera bien, avec la problématique écologique, le grand défi du XXIe siècle. Si une nouvelle vision de la société n’est pas mise en œuvre rapidement par l’exécutif, le basculement anthropologique en cours ne peut qu’accentuer l’archipelisation de la société et les fractures socio-économiques.

Avec son pendant, un paysage politique mutant, qui peut amener à une extrémisation de plus en plus massive de la population, jusqu’à l’arrivée au pouvoir, de plus en plus envisageable, de l’extrême droite en France.Pour ce travail de fond, Jérôme Fourquet a reçu le Prix 2019 du livre politique de l’Assemblée nationale.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée, Paris, Seuil, 2019.

Du même auteur

– Le Nouveau Clivage, Paris, Éditions du Cerf, 2018.– À la droite de Dieu. Le réveil identitaire des catholiques, Paris, Éditions du Cerf, 2018.– La Nouvelle Question corse. Nationalisme, clanisme, immigration, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2017.– Accueil ou submersion. Regards européens sur la crise des migrants, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2016.

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