Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jim Collins
L’ouvrage de Jim Collins ne se limite pas à la restitution d’une étude menée par un groupe de recherche et constituée de données chiffrées, de courbes et de tableaux. L’auteur va plus loin et propose une véritable interprétation des résultats pour en tirer des concepts et des conseils. Le livre s’adresse aux créateurs d’entreprise pour qu’ils mettent d’emblée leurs sociétés sur l’orbite de l’excellence, aux dirigeants déjà en poste pour qu’ils infléchissent leur manière de manager. Il propose des réflexions à tous ceux qui ont pour but de performer : l’exemple de l’épouse de Jim Collins, championne de triathlon, n’est pas sans rapport avec les préconisations qu’on lira dans l’ouvrage.
Dans un premier ouvrage, Jim Collins avait évoqué la création d’entreprise et la manière dont il fallait s’y prendre pour fonder une firme aux performances durables en partant de zéro. L’ouvrage, Bâties pour durer, fruit de longues recherches menées dans les années 1990, avait fait date. De la performance à l’excellence se pose une tout autre question : pourquoi dans un même secteur certaines entreprises obtiennent des résultats exceptionnels par rapport à d’autres, souvent bonnes et réputées, mais qui plafonnent avec des résultats satisfaisants, sans plus.
Jim Collins a lancé sur ce sujet une nouvelle équipe de vingt-deux chercheurs travaillant en équipes de trois ou quatre. L’étude est partie de panels d’entreprises de référence auxquels on a pu comparer les résultats et le fonctionnement d’un petit nombre de firmes identifiées comme exceptionnelles. Ainsi, l’ouvrage peut-il s’appuyer sur des batteries de chiffres et de graphiques pour faire ressortir des concepts essentiels dans la gouvernance et le pilotage des projets.
Un adage populaire dit volontiers que « le mieux est l’ennemi du bien », c’est-à-dire qu’il faut savoir se contenter à un moment d’un résultat satisfaisant et qu’en cherchant la perfection, on risque bien de tout gâcher. Le livre de Jim Collins part au fond du postulat contraire : « le bien est l’ennemi de l’excellence » et c’est le titre du premier chapitre qui pose les bases de son analyse.
Au fond, une société qui fait de bons résultats, qui se situe dans la bonne moyenne de son secteur, a finalement peu de chances de devenir excellente. En effet, ses dirigeants et ses employés ne vont pas voir pourquoi il faudrait se dépasser, se transformer. Cependant l’étude initiée par Jim Collins et qui débouche sur cet ouvrage s’est justement attachée aux entreprises qui ont franchi ce cap, celles qui sont passées de « bonnes, sans plus » à « ultraperformantes » et qui ont maintenu un tel niveau pendant une quinzaine d’années au moins. De cette recherche ont alors émergé des concepts qui peuvent s’appliquer à toutes les organisations.
L’ouvrage de Jim Collins a maintenant presque vingt ans. Ce qui fait peut-être sa pérennité, c’est qu’il n’a pas concentré son analyse sur la radiographie technique d’entreprises traditionnelles ou de firmes de la nouvelle économie. Il ne s’est pas intéressé particulièrement à tel ou tel secteur.
Lorsqu’on observe à quel rythme accéléré certains domaines d’activité connaissent des soubresauts voire des refontes complètes, ce livre aurait été rapidement obsolète. Il suffit de penser au secteur bancaire ou aux nouvelles technologies. Les sociétés étudiées dans le livre sont toutes américaines, mais elles ne sont qu’un support pour comprendre des mécanismes universels. La question que pose le livre est celle de l’excellence. Il ne suffit pas d’exercer son activité dans un domaine porteur.
Dans certains secteurs en grande difficulté, on peut néanmoins repérer des entreprises excellentes. L’exemple dans les années 1980 du groupe Wells Fargo dans le secteur financier en pleine dérégulation est éclairant : ses performances sont restées à un très haut niveau malgré les changements rapides et le groupe a enchaîné les acquisitions durant cette période.
Le livre ne se présente donc pas comme un livre d’économie ou de management, mais plutôt comme une recherche s’appliquant à tous les domaines de l’activité humaine pour définir quelques principes qui permettent de se transcender et d’obtenir des résultats supérieurs aux autres.
Le premier public de ce livre reste bien entendu les dirigeants d’entreprise. Qu’il s’agisse de créateurs d’entreprise ou de managers, la personnalité qui est à la tête de la société joue bien entendu un rôle considérable. L’ouvrage brosse le portrait-robot du « leader de niveau 5 ». Il s’agit d’une personnalité bien particulière qui se situe au plus haut niveau dans la hiérarchie de valeur des dirigeants. Au niveau 1, on trouve l’homme compétent qui a acquis de bonnes méthodes de travail. Le chef d’équipe de niveau 2 sait mobiliser son groupe. Le chef compétent atteint le niveau 3 quand il poursuit des objectifs prédéterminés. Au niveau 4, l’ambition du dirigeant efficace obtient des résultats en croissance.
Mais c’est le grand patron de niveau 5 qui est indispensable pour qu’une entreprise soit excellente. Ce profil est bien particulier : il doit paradoxalement être humble en ce qui concerne ses résultats personnels et mettre au contraire toute son ambition et sa ténacité au seul profit de la société qu’il dirige. Humilité et volonté, conjuguées ensemble sur ces deux plans, c’est ce qu’on peut voir à l’œuvre à la tête des entreprises ultraperformantes. Quand il doit quitter l’entreprise et préparer la suite, il se cherche un successeur à la hauteur des défis sans craindre qu’il lui fasse de l’ombre. L’exigence de résultats durables peut conduire à un type de management inflexible.
Le vrai leader attribuera plutôt ses succès à la chance ou aux facteurs extérieurs tout en acceptant d’endosser la responsabilité des échecs. Un ego surdimensionné, au contraire, s’exprime aux dépens de l’entreprise, la maintient dans la médiocrité ou la fait mourir. Quand un conseil d’administration engage un nouveau dirigeant déjà médiatisé et célèbre, il fait pratiquement toujours un très mauvais calcul. Il aura recruté un meneur d’hommes de niveau 4, mais pas un leader de niveau 5.
Si le chef est important, il n’est évidemment pas le seul facteur humain à prendre en compte. Le recrutement des plus proches collaborateurs est un élément essentiel. En effet, paradoxalement, la priorité n’est pas de définir une trajectoire ou des objectifs, mais de savoir s’entourer d’une équipe de valeur. L’auteur utilise la métaphore d’un bus pour désigner l’entreprise. Avant de savoir où se rend le bus, il faut faire monter dedans les personnes utiles et faire descendre ou reléguer au fond du bus les collaborateurs inutiles, s’il y en a.
Avant d’envisager des projets, une vision, une stratégie ou des investissements, il faut savoir créer une équipe excellente de gens déterminés, prêts à discuter âprement, mais capables, une fois les décisions prises, de s’y rallier et de les appliquer avec discipline. La cohérence de l’équipe est un point essentiel. Il faut éviter un modèle où le chef est le seul à avoir une vision, où il s’entoure d’une foule d’exécutants qui l’assistent : le jour où le chef disparaît, toute la structure s’effondre.
Dans l’étude menée, il est apparu quelques résultats étonnants. Par exemple, on a constaté qu’un bon niveau de rémunération servait à attirer et conserver des collaborateurs de grande qualité, mais n’était pas un levier efficace pour motiver des équipes médiocres. L’évaluation des qualités d’un collaborateur ne devait pas non plus se faire sur la base de compétences pointues, d’expérience professionnelle, mais plutôt faire la part belle à la richesse de la personnalité et à ses capacités polyvalentes qui lui permettront ensuite de s’adapter aux objectifs qui seront définis.
Ce fonctionnement managérial évite souvent des licenciements, car il sera facile de redéployer sur une autre activité un collaborateur de ce type en lui donnant au besoin une formation supplémentaire, alors qu’un professionnel, spécialisé sur un poste ou un secteur, sera plus difficile à garder dans les effectifs si sa fonction disparaît dans l’organigramme.
Encore un conseil inattendu : il faut éviter de mettre les meilleurs éléments en face des problèmes les plus difficiles que rencontre l’entreprise. Il faut au contraire créer pour eux le meilleur environnement de travail pour qu’ils donnent toute leur mesure.
Dernier point, il ne faut recruter qu’à mesure qu’on peut absorber les collaborateurs dans l’entreprise et en cas de doute, il faut attendre.
Il ne faut pas croire que les entreprises qui atteignent des niveaux de performance excellents rencontrent moins de difficultés que les autres. Elles sont en général confrontées aux mêmes réalités d’un marché complexe ou fluctuant, elles connaissent des moments décisifs où il faut prendre des décisions.
Mais elles ont su amener un tel environnement d’écoute que le leader et ses collaborateurs peuvent regarder en face la réalité et accepter de la prendre en compte. Diriger une équipe, ce n’est pas la « motiver » pour qu’elle suive sans comprendre, c’est au contraire ouvrir des espaces de débat en évitant le plus possible les reproches ou les mises en cause. La vérité du marché et de ses difficultés doit pouvoir être entendue. Après la phase de débat, si elle est menée dans la lucidité, les bonnes décisions vont finir par s’imposer naturellement et tout le monde s’y ralliera.
Par ailleurs, Jim Collins insiste sur un point essentiel de la vie d’une entreprise : malgré les problèmes et les obstacles, il faut garder foi dans une issue heureuse.
Un tel état d’esprit implique une véritable culture de la discipline. Il ne s’agit pas d’imposer à ses collaborateurs des règles, mais de choisir des collaborateurs capables d’autodiscipline. La bureaucratie étouffante n’a pas sa place ni la surveillance permanente de chacun. Il ne s’agit pas de promouvoir une hiérarchie tyrannique.
Au contraire, chacun doit avoir bien intégré ce qui fait la cohérence des méthodes et des objectifs de la firme et agir pour conforter cette cohésion globale. Dans la culture de la discipline, il faut arriver à ce que chaque collaborateur adhère au projet sans le dévoyer, mais dispose également de marges de manœuvres et de vraies responsabilités. Des personnes disciplinées menant des réflexions disciplinées pour engager des actions disciplinées : voilà la bonne équation pour l’entreprise. Dans ce contexte, un des conseils les plus inattendus de l’auteur consiste à arrêter de dresser des listes des choses à faire, mais plutôt d’établir la liste de celles à ne pas faire.
Quelles que soient les péripéties, les occasions en or ou les fluctuations du destin, la société qui veut atteindre l’excellence doit d’abord rassembler ses forces, prendre son élan et ne pas s’aventurer sans connaître exactement son potentiel. L’auteur prend l’exemple d’un volant très lourd que l’on voudrait faire tourner.
L’inertie est telle qu’il faut commencer à pousser dans le même sens avec méthode, en rassemblant ses forces, et, petit à petit, la poussée va finir par le mettre en mouvement. Les premiers tours seront longs et fatigants, puis emportés par l’élan et son propre poids, il finira par tourner tout seul et de plus en plus vite. Il est alors impossible de savoir ce qui précisément lui a permis de prendre de la vitesse : ce sont tous les efforts conjugués. À un certain seuil, une percée se fait. Il ne faut pas privilégier le côté spectaculaire de la réussite immédiate, mais plutôt tabler sur une percée durable qui adviendra de toute façon si tout est prêt pour cela.
Les innovations technologiques, par exemple, sont parfois un miroir aux alouettes. Il faut se garder des effets de mode et des engouements inutiles. Utiliser une innovation technologique doit permettre d’accélérer les résultats, mais elle ne peut pas être un déclencheur d’action.
Mais une entreprise excellente saura aussi, si nécessaire, exploiter des innovations qui servent ses plans. La technologie, à bien y regarder, n’est jamais la seule cause du succès ou du déclin d’une société, elle n’est que le révélateur des forces ou des faiblesses de l’organisation.
Jim Collins apprécie les métaphores et les courtes fables, et il emprunte à Isaiah Berlin celle du hérisson et du renard. Dans le combat entre le rusé renard et le hérisson, quelles que soient les tactiques utilisées par le renard, c’est toujours le hérisson qui l’emporte, lui qui n’a qu’une arme – se mettre en boule en dressant ses piquants. Il ne sait faire que ça, mais il le fait parfaitement bien. Et il résume toute sa tactique à cela. Alors que le renard s’éparpille en essayant de prendre en compte différents paramètres et toute la complexité du monde, le hérisson, lui, ignore tout ce qui ne rentre pas dans sa stratégie.
Pour Jim Collins, au fond, les entreprises qui atteignent le niveau d’excellence sont celles qui savent comment se concentrer sur quelques objectifs simples et qui s’appliquent à les atteindre. Il est donc essentiel de bien connaître trois champs d’action possibles : 1. Ce qui passionne le plus 2. Là où on peut être le meilleur 3. Ce qui fait tourner le moteur économique.
Une entreprise devra soigneusement déterminer les points communs à ces trois champs d’action et se cantonner à exploiter cette activité. L’auteur prend notamment l’exemple de Walgreens, une chaîne de magasins de proximité. Leur concept simple était d’avoir les meilleurs magasins et le service de proximité était leur priorité. Ils s’en sont tenus à cela et ont foncé. Ils ont été les premiers à proposer à leurs clients d’acheter leurs produits pharmaceutiques sans descendre de voiture. Dès qu’un emplacement de qualité supérieure se libérait à proximité d’une de leurs boutiques rentables, ils en ont fait l’acquisition et ont déménagé, même si cela générait des frais considérables. Ils ont multiplié les implantations pour que le consommateur soit toujours à proximité d’un point de vente. Et ils ont choisi comme indice de rentabilité le bénéfice par passage client plutôt que le bénéfice par magasin qui les aurait amenés à fermer certaines boutiques pourtant rentables d’un autre point de vue.
Cette concentration des efforts sur quelques objectifs pourrait sembler simpliste. Au contraire, elle garantit d’atteindre le niveau d’excellence recherché. Pour une entreprise, il peut être vraiment très bénéfique de se doter d’un « Conseil », quel que soit le nom qu’on lui donne, qui n’apparaît pas dans l’organigramme hiérarchique, mais qui se réunit fréquemment pour échanger sur les réflexions stratégiques.
Le livre de Jim Collins se situe dans la même sphère de réflexion que son précédent ouvrage Bâties pour durer. Lui-même reconnaît que les deux livres pourraient se lire en commençant par le deuxième, pour faire passer sa société à un vrai niveau d’excellence, puis, grâce aux conseils du premier livre, le dirigeant aurait quelques clefs pour pérenniser ces résultats.
L’essentiel du message peut se résumer en quelques préconisations assez claires : bien se connaître pour trouver les fondamentaux en termes de valeurs, de savoir-faire et de potentiel y compris humain ; ne pas sortir du cœur d’activité qu’on a ainsi déterminé ; regarder en face la réalité des difficultés sans jamais douter de sa réussite finale ; construire sur la durée en poussant constamment dans le même sens jusqu’à ce que la société ait pris sa vitesse de croisière.
Publié aux États Unis en 2001, Good to great a mobilisé une importante équipe de chercheurs pendant cinq ans. Ils ont analysé plus de 6 000 articles et généré plus de 2 000 pages de transcriptions. Le livre a été traduit dans une trentaine de langues et il s’est vendu à près de 4 millions d’exemplaires. Si un grand nombre de spécialistes a loué l’énorme travail fournit par Collins et son équipe, certains ont trouvé Good to great trop simple, voire un peu simpliste, ne prenant jamais en compte le contexte propre à chaque entreprise.
Enfin, certains sont beaucoup plus sévères, comme l’économiste Steven D. Levitt qui faisait remarquer en 2008 que certaines des entreprises prises en exemple par Collins avaient connu de sérieux déboires depuis la sortie du livre, comme Fannie Mae au bord de la faillite avant sa mise sous tutelle par le gouvernement fédéral américain lors de la crise des subprimes ou encore Wells Fargo qui a été condamnée pour des activités financières illicites.
Ouvrage recensé– Jim Collins, De la performance à l’excellence. Devenir une entreprise leader, Pearson France, 2013.
Autres pistes– Jim Collins et Jerry I. Porras, Bâties pour durer, First, 1996.– Jim Collins et Morten T. Hansen, Le Choix de l'excellence, Pearson France, 2012.– W. Chan Kim et Renée Mauborgne, Stratégie océan bleu, Pearson France, 2015.