Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Joël Cornette
Le 1er septembre 1715, Louis XIV meurt à Versailles. Et si ce roi n’aura jamais, l’auteur le rappelle, prononcé le célèbre « L’État c’est moi », il aurait affirmé, alors mourant : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours ». Pour Joël Cornette, construction et pérennité de l’État figurent en effet parmi les principaux legs du règne de Louis XIV. Mais comprendre la nature de cet héritage politique suppose de revenir en amont. Ainsi, c’est la mort du « Grand roi » qui constitue peut-être le meilleur point de départ pour étudier son règne.
Dans l’esprit de la collection (Les journée qui ont fait la France), l’étude de Joël Cornette dépeint d’emblée l’événement, avant de revenir, par chapitres thématiques, sur la période et les évolutions dont il est le résultat et la trace.
À ce titre, l’ouvrage, en particulier les premiers chapitres, adopte un ton extrêmement narratif, voire littéraire. Il reste que ce choix d’écriture, qui veut faciliter la lecture et l’ouvrir au plus large public, n’exclut pas la mention des sources sollicitées par l’historien – qu’une bibliographie des sources imprimées rassemble systématiquement en fin de volume. Les deux premiers chapitres de l’ouvrage offrent donc une reconstitution minutieuse des journées qui, du milieu du mois d’août jusqu’au 1er septembre 1715, constituent le terme du règne de Louis XIV.
C’est en effet à partir du 10 août que le roi se trouve malade ; après quatorze jours ayant vu son état s’aggraver, les médecins royaux découvrent le 24 août que ce qu’ils identifiaient jusqu’alors comme une sciatique est en fait la gangrène, et qu’elle a déjà gagné toute la jambe gauche du roi. Se sachant perdu, Louis XIV orchestre alors son agonie à la manière d’un « spectacle », fait d’adieux et de prières, cérémonie qui se poursuivra jusqu’aux funérailles officielles à Saint-Denis, le 23 octobre. La succession des événements est rapportée par Joël Cornette dans un style presque romanesque, ce qu’accentuent encore les citations (tirées des journaux et mémoires des contemporains témoins des événements) qu’il dispose à la manière de dialogues.
D’autre part, l’approche de l’ouvrage, volontiers politique, tient également pour partie à la collection à laquelle le livre appartient. En effet, Les journées qui ont fait la France, qui prennent la suite d’une précédente collection publiée par Gallimard, Trente journées qui ont la France, se placent dans le prolongement d’un retour du politique en histoire depuis les années 1980, après une période dominée par l’histoire économique et sociale qu’avait promue l’École des Annales.
C’est donc dans la continuité de ce mouvement historiographique qu’il faut placer La mort de Louis XIV, qui, pour revenir sur l’ensemble du règne de Louis XIV, privilégie l’étude d’un modèle de gouvernement, la monarchie absolue.
Pour Joël Cornette, comprendre le règne de Louis XIV, c’est d’abord en distinguer les étapes. L’ouvrage s’attache donc à fournir une mise en ordre chronologique d’un règne remarquablement long et, partant, en offre une lecture claire. Joël Cornette propose d’identifier trois périodes, distinguées de part et d’autre des deux années 1661 et 1691.
Avec 1661, Joël Cornette reprend une césure traditionnelle de l’histoire de l’État louis-quatorzien : roi depuis 1643, ce n’est qu’à la mort de Mazarin, principal ministre du royaume, que débute le règne personnel de Louis XIV. Selon l’expression consacrée que reconduit Joël Cornette, c’est une « révolution ».
Le 9 mars, le jour même de la mort du cardinal, Louis XIV prend une série de mesures qui lui assurent entièrement le pouvoir : plus de Premier ministre, réduction du Conseil des Affaires (le plus important de tous les conseils gouvernementaux) duquel est désormais exclu le chancelier (qui occupait jusqu’alors l’une des principales charges de la monarchie), contrôle par le souverain des secrétaires d’États. Selon les témoignages des contemporains, c’est avec surprise que l’on voit le jeune roi s’imposer, écartant du pouvoir sa mère la reine et les plus grands seigneurs de France. Cette prise de pouvoir confie les affaires du royaume au roi lui-même, ainsi qu’à trois ministres formant un Conseil des Affaires restreint : Fouquet, pour les Finances ; Le Tellier, pour la Guerre ; Lionne, pour les Affaires étrangères. La « révolution » du 9 mars 1661 se double, quelques mois plus tard, de ce qu’il faut appeler selon l’auteur un « coup d’État » : l’arrestation de Fouquet, prétendument responsable de l’état catastrophique des finances et soupçonné d’avoir fortifié Belle-Isle pour en faire une place de sûreté au service de ses seuls intérêts.
Le roi devient alors le seul régisseur des finances, cependant qu’est créé un conseil des finances – rapidement dominé par Colbert.
Pour Joël Cornette, 1691 constitue le moment d’une « nouvelle révolution » (p. 143), la « véritable prise de pouvoir de Louis XIV » (p. 144). Car, alors que le 16 juillet 1691, Louvois meurt, Louis XIV n’a plus à compter avec les deux grandes familles ministérielles qui, depuis la réforme de 1661, avaient dominé le Conseil des Affaires, les Le Tellier (Louvois ne laissait qu’un fils) et les Colbert (dont il ne restait que Colbert de Croissy et son fils Jean-Baptiste, marquis de Torcy, respectivement frère et neveu de Jean-Baptiste Colbert, mort en 1683). Ce fut alors l’occasion d’une réorganisation gouvernementale qui répartit les anciennes attributions de Louvois, et qui offrit à Louis XIV d’assumer la direction effective du gouvernement – alors même qu’il gérait personnellement, depuis Versailles, l’ensemble de la stratégie militaire, correspondant avec ses différents généraux.
« Si l’on voulait ramasser en quelques phrases la mutation du règne de Louis XIV, deux images représenteraient deux fonctionnements du pouvoir : celle d’un roi-État assurément absolu […] ; celle d’un État-roi, une administration de plus en plus installée » (p. 154). Pour Joël Cornette, l’aspect le plus caractéristique du règne de Louis XIV, son originalité dès lors qu’on le replace dans l’histoire de la royauté française d’Ancien Régime, aura été la construction simultanée d’un pouvoir royal de plus en plus absolu et d’un appareil administratif dépersonnalisé, puissant et pérenne. Jusqu’à sa mort, Louis XIV aura su tenir fermement ces deux types de pouvoir, jusqu’à les incarner entièrement. C’est donc sur chacun d’eux qu’il faut revenir, successivement.
C’est dans l’épisode de la Fronde (1648-1652), rébellion nobiliaire, parlementaire et populaire à l’égard de l’autorité royale, que l’absolutisme louis-quatorzien trouve peut-être ses origines – le souverain évoquera, avec amertume, ce soulèvement jusque sur son lit de mort. Selon Joël Cornette, cet événement aura fait comprendre au très jeune roi que la contestation, quoique multiforme, ne mettait nullement en cause l’institution royale ; en creux, elle lui aurait plutôt laissé voir l’autorité et la puissance que concentrait sa propre personne. Grandi de ce qu’il considéra toujours comme une leçon de l’histoire, Louis XIV n’aura de cesse, dès lors, d’être le seul maître de l’État – fidèle en cela à une injonction de Mazarin, reçue en 1659 : « Gouvernez de vous-même ». Qu’un tel pouvoir royal existât impliquait que les contre-pouvoirs fussent neutralisés. Ainsi, après un premier abaissement de ses attributions en 1655, une décision royale imposera en 1673 au Parlement l’enregistrement sans condition des édits royaux. Face aux clientèles privées que se partageaient les grands du royaume, Louis XIV s’imposera comme le seul personnage du royaume par lequel passe le processus de patronage concentré à la cour.
Versailles joue à ce titre un rôle fondamental dans la réappropriation par le roi du système de la faveur. Dès 1661, l’élimination de Fouquet traduit déjà cette volonté de briser les fidélités privées, d’agréger la noblesse pour l’intégrer entièrement à la clientèle royale, seule à avoir droit d’exister. C’est ce système, unique et vertical, entièrement dominé par la figure du Roi-Soleil, que Versailles et son cérémonial de cour organisaient et donnaient à voir. Saint-Simon voulut y voir une « mécanique », dont, ajoute Joël Cornette, Louis XIV fut le Grand Horloger. Certes, s’impose alors la figure du « roi-État » ; pour autant, dès lors que l’on s’attache à observer l’exercice réel du pouvoir, il faut constater que la monarchie absolue telle que Louis XIV la conçut ne fut pas l’exercice d’un pouvoir arbitraire.
Car derrière les réformes que le souverain impose au gouvernement, apparaît progressivement un nouveau type d’État, un « État-roi » selon l’expression de Joël Cornette, dont le legs n’est aujourd’hui encore pas véritablement effacé. Louis XIV entendait être le premier gestionnaire du royaume, et les témoignages sont nombreux à souligner le temps important que le roi consacre aux affaires de l’État, désireux d’être informé de tout. À ce titre, il fut également un souverain consultant : bien que son fonctionnement demeure mal connu, le Conseil d’en Haut accueillait le débat, et, lorsqu’il fallait décider, le roi semble avoir adopté la règle de suivre la majorité des avis. L’après-midi, il avait pris l’habitude de travailler en tête à tête avec les secrétaires d’État et les responsables des administrations – notamment à partir de 1691.
Il faut également signaler que ce passage vers ce que l’historiographie traditionnelle a qualifié de siècle des « administrateurs », marque également une étape dans la transformation de l’État. Joël Cornette signale ce qu’une telle interprétation a de schématique, et souligne que le pouvoir de ces administrateurs avait peu à envier à celui qu’avait détenu de 1661 à 1691, Colbert et Louvois.
Néanmoins, il remarque également l’« ébauche d’une fonction publique » (p. 153), dans la mesure où l’administration centrale, dotée de moyens nouveaux et d’une efficacité croissante, s’affranchit progressivement des réseaux de fidélités, s’autonomise par rapport à ceux qui la dirigent. Cette tendance tient en partie à la mise en place d’organes administratifs spécialisés qui, pour disposer d’une place moins élevée dans la hiérarchie des pouvoirs, se voient reconnaître une expertise nouvelle. Ainsi, à la mort de Louvois, Louis XIV réorganise les anciennes attributions du ministre, de façon à constituer un niveau intermédiaire composé de techniciens et d’administrateurs spécialisés. Du reste, tous les ministères tendent à perdre leur organisation clientélaire, voire familiale, pour adopter une administration plus technique, et aussi plus nombreuse.
Ainsi, à la fin du règne, ce sont jusqu’à 300 personnes qui, réparties entre les départements ministériels à Versailles, assurent la gestion des affaires courantes et la bonne marche de l’État. Ces réformes dotent de fait l’appareil administratif de moyens dont il n’avait pas encore disposé auparavant : il suffit, pour le voir, de comparer les 1 100 lettres d’administration émises de 1630 à 1635 aux 25 302 lettres expédiées entre 1708 et 1715. Aussi, c’est bien ceci, la constitution et l’affermissement de l’appareil d’État, que Louis XIV évoquera lors des derniers jours de 1715 en affirmant : « Je m’en vais mais l’État demeurera toujours ».
Si les deux dates de 1661 puis 1691 sont décisives quant à l’exercice du pouvoir, Joël Cornette signale également, dans le règne de Louis XIV, l’importance d’une autre césure, en 1685. À partir de 1661, le roi profite d’une « conjonction plutôt favorable et heureuse » (p. 144), dominée par le ministériat de Colbert, tandis les années encadrant 1685 ouvrent une seconde phase du règne, marquée par l’installation définitive à Versailles, la révocation de l’Édit de Nantes (1685) qui interdit l’exercice du culte protestant en France, et des conflits militaires difficiles – guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697), guerre de succession d’Espagne (1701-1714).
Il faut rappeler que l’État administratif naissant avait pour condition d’existence et pour socle la légitimité monarchique ; Joël Cornette rappelle à ce propos que l’État est de fait une « entité invisible » (p. 155) qui ne pouvait se donner à voir que personnifiée et représentée, et ce par la personne du roi. D’où la nécessité, pour assurer l’empire de l’État, d’élever au plus haut le prestige du roi. Cette fabrique de la gloire aura eu deux principaux ressorts. La guerre d’abord, à l’origine de la légitimité royale : s’identifiant presque totalement à sa fonction militaire, Louis XIV n’aura de cesse de se présenter comme un roi de guerre victorieux. C’est d’autre part l’immense effort artistique et culturel que constitua la mise en images, en allégories et en emblèmes des succès (notamment militaires) et du prestige du roi ; véritable entreprise d’État engageant différentes institutions au service de la gloire royale, elle permit la diffusion d’images glorifiant le roi et la monarchie partout dans l’espace public (tous les supports sont utilisés : médailles, statues, peintures), et ce jusque dans l’univers domestique des plus humbles sujets du royaume – c’est le rôle, notamment, des almanachs qui reproduisaient des images célébrant le roi et la dynastie des Bourbons.
Pourtant, à l’usure, un tel modèle de gouvernement montra ses limites, et les contemporains, comme depuis les historiens, s’attachèrent à en souligner les déséquilibres. À partir de 1672, l’ampleur et la durée des conflits s’accentuent ; conçue pour soutenir un tel effort militaire, la lourde fiscalité progressivement imposée par le roi enraye le dispositif que Colbert avait mis en place pour développer l’économie du royaume. La fin du règne voit en outre la conjonction des conflits militaires et de conditions météorologiques ruinant les récoltes. Les conséquences démographiques sont dramatiques : de 1693 à 1694, il y a, à l’échelle du royaume, 2 836 800 victimes pour une population de vingt millions d’individus. Comme le souligne Joël Cornette, ces déboires mettent en cause l’État louis-quatorzien ; ils sont également à l’origine d’un malaise et d’un désenchantement à l’égard la figure royale qui s’exprimeront à la mort du Grand Roi.
La rupture entre le roi et ses sujets apparaît pleinement en 1715 lorsque la mort du souverain donne lieu à une floraison de textes critiques, chansons, pamphlets et libelles qui conspuent « Louis le Petit », « roi des impôts » et « suceur de sang ». C’est également son héritage politique qui est alors remis en cause : le Régent (Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV) consolide sa position en restituant au Parlement ses anciennes prérogatives, et en rejetant une partie des clauses du testament du défunt roi.
Car l’État louis-quatorzien ne sut résister à l’usure de guerres trop longues et trop coûteuses qui désolidarisèrent la société de ses entreprises. Comme le résume Joël Cornette, il aura pourtant « ouvert un nouveau chapitre de l’histoire de la monarchie, qui s’achève avec sa mort » (p. 314). C’est en explorant l’entière signification de cet événement, ses enjeux et ses conséquences que La mort de Louis XIV offre du règne le plus long de l’Histoire de France un récit clair.
Parce qu’il s’adresse au plus large public, et parce que le format de la collection impose à l’auteur de faire des choix, Joël Cornette livre un récit relativement conventionnel du règne de Louis XIV.
Certes, on l’a vu, le ton est toujours pondéré et l’auteur ne manque pas, lorsque cela est nécessaire, de souligner ce que telle interprétation a de simplificateur, ce que tel découpage chronologique a de schématique.
On doit néanmoins signaler que les approches historiques aujourd’hui privilégiées soulignent plus volontiers les limites de l’absolutisme, les concessions faites aux intérêts privés et les failles du contrôle de l’État, et délaissent quelque peu l’image d’un « État-Léviathan » tout-puissant, piloté personnellement et exclusivement par le roi.
Ouvrages de Joël Cornette
– Le Roi de Guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 1993.– Louis XIV, Paris, Éditions du Chène, 2007.
Ouvrages sur le règne de Louis XIV :
– Hervé Drévillon, Les rois absolus (1629-1715), Paris, Belin, coll. « Histoire de France », 2011.– Olivier Chaline, Le règne de Louis XIV, Paris, Flammarion, 2005.