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Les femmes vikings, des femmes puissantes

de Jóhanna Katrín Friðriksdóttir

récension rédigée parBarbara MerleJournaliste multimédia, Deug d’économie (Paris I Panthéon-Sorbonne), Maitrise de technique et langage des médias à Paris-Sorbonne.

Synopsis

Histoire

Le Viking fait partie de la mythologie nordique qui s’est déployée au-delà même du continent scandinave. La littérature foisonne de récits et de romans sur l’incarnation de l’homme viril par excellence. Mais qu’en est-il de la femme viking ? Cela fait seulement quelques années que les chercheurs, archéologues en tête, découvrent que les femmes des Vikings n’étaient pas simplement reléguées au rang de simples reproductrices, mais ont également été des femmes puissantes, politiciennes, voyageuses, commerçantes, voire des guerrières. La chercheuse islandaise Jóhanna Katrín Friðriksdóttir cherche ainsi à établir, à partir des découvertes archéologiques et des textes littéraires, en particulier les sagas islandaises (récits historiques ou fictifs du Moyen-Âge), le véritable rôle de la femme viking, en révélant notamment les figures emblématiques qui ont jalonné son histoire.

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1. Introduction

Pas uniquement pillards et pirates – une étiquette très réductrice –, mais également et surtout, explorateurs, commerçants et guerriers, les Vikings, ces marins sans peur, ayant parcouru l'Europe pendant des siècles entre le VIIIe et le XIe siècle, ont su créer leur propre mythologie. Mais quel était le véritable rôle des femmes vikings dans une société où les hommes forcent de tout temps le respect, par leur virilité, leur force et leur bravoure ?

C’est ce que cherche à savoir la chercheuse Jóhanna Katrín Friðriksdóttir. L’autrice va ainsi à l’encontre de bon nombre de préjugés sur la vie des femmes scandinaves à l’ère viking, au cours du haut Moyen-Âge. Elle dresse un portrait inédit de celles qui ont représenté une moitié de la population viking – jusque-là oubliée –, une civilisation conquérante où les hommes sont partis nombreux à l’assaut des mers, et des terres plus ou moins lointaines. Se basant à la fois sur des sources historiques, à l’exemple des « trésors » révélés par l’archéologie, et sur la littérature scandinave (la mythologie, la poésie…), en particulier les sagas islandaises, Jóhanna Katrín Friðriksdóttir montre des femmes « puissantes » et courageuses. Enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse, et même après leur mort, les femmes vikings, plongées dans une société virile et patriarcale, se révèlent comme des femmes fortes, bien loin de l’image dominant-dominée.

Cette descendante de Vikings met particulièrement en lumière les femmes qui se sont illustrées à l’ère viking (à l’époque de l’âge du fer tardif) telles que les Valkyries, divinités scandinaves féminines envoyées par Odin pour choisir les héros tombés au combat de la mythologie nordique, Gunnhildr, épouse du roi Eirikr, Guðrún ou Hervör, héroïnes de la littérature islandaise. L’historienne fait également référence à Freyja, l’une des grandes guerrières vikings, dont les ossements ont été mis au jour en 1978 à Birka (l'une des premières villes de Suède, active entre 750 et 950).

Les femmes vikings étaient donc des guerrières, des stratèges, des femmes de pouvoir, et avaient également le goût de l’ailleurs. « Les hommes n’étaient pas les seuls à explorer le vaste monde : les femmes voyageaient beaucoup -souvent, mais certainement pas toujours aux côtés des hommes. » (p. 29) Elles prirent ainsi part à l’expansion de territoires de certains chefs qui s’étaient enrichis, elles accompagnèrent les hommes dans leurs périples de colonisation et/ou d’exploration, elles participèrent aux commerces entre les Vikings et d’autres peuples…

2. Portrait « robot » de la femme viking

Au début de l’ère viking, la société était structurée autour d’un clan et de son chef, ou d’un petit roi régnant sur des communautés plutôt restreintes. L’ensemble de la population féminine menait alors une vie plutôt sédentaire et rurale, chargée de travaux à la ferme et assurant la reproduction.

Mais la civilisation viking a connu un fort développement économique multipliant par-là même les échanges et les voyages avec l’intérieur et l’extérieur du territoire scandinave. Grâce à l’importation de multiples matériaux et produits, les femmes (comme les hommes d’ailleurs) se sont aussi tournées vers l’artisanat pour leur propre consommation ou le commerce, se spécialisant particulièrement dans la fabrication de tissus. Elles ont ainsi pu étendre leurs activités en dehors de la ferme – certaines devenant responsables d’une petite entreprise d’étoffes –, ce qui leur assurait liberté et indépendance financière. Les progrès dans la construction des bateaux (le terme très usité de drakkar est erroné) ont parallèlement permis aux Vikings, hommes et femmes, une expansion géographique vaste et rapide.

Grâce au développement du commerce et des moyens de transport, les femmes vikings ont élargi leur champ d’action et se sont ouvertes au monde, participant, entre autres, aux marchés et rassemblements, toujours plus éloignés de leur lieu de vie. Et dans cette société des plus viriles, loin d’être cantonnées aux seules tâches domestiques, nombre d’entre elles ont su faire bouger les lignes sociétales. « Elles s’impliquaient d’ailleurs dans la politique, certaines par l’intermédiaire de leur mari ou de parents masculins ; d’autres revendiquaient le droit de vivre une existence propre et de prendre des décisions elles-mêmes. Quelques femmes sont devenues des représentantes du pouvoir, des codirigeantes voire des cheffes à part entière, grâce à leur autorité ou à leur charisme. » (p. 31) À l’ère viking, la place de la femme variait par ailleurs énormément en fonction de la maturité ; ses droits étaient différents selon qu’elle était jeune ou plus âgée, féconde ou non, célibataire, mariée ou veuve.

Si les adolescentes n’avaient pas leur mot à dire sur leur destin, les lois vikings garantissaient aux femmes mariées et aux veuves, tant la sécurité que la liberté. La femme pouvait, par exemple, demander le divorce tout autant que son mari. Il leur suffisait de se déclarer divorcé en présence de cinq témoins… La domination de l’homme était également plus ou moins marquée selon le statut social, économique, ou encore l’origine ethnique de la femme viking.

3. La mythologie des valkyries

S’il est des héroïnes vikings emblématiques, ce sont bien les valkyries (ou walkyries), un terme issu du scandinave ancien, valkyria, de valr, qui désigne les guerriers morts à la bataille, et de kuru, passé du verbe kjósa, signifiant choisir.

Dans la mythologie nordique, les valkyries étaient des divinités au service d’Odin, le maître des dieux. Revêtues d’une armure, dotées d’ailes qui leur permettent de voler, elles dirigeaient les batailles, distribuaient la mort parmi les guerriers, et emmenaient l’âme des héros dans le grand palais d’Odin, le Valhalla, afin qu’ils deviennent des guerriers d’exception morts au combat, les Einherjar. Les valkyries se seraient particulièrement illustrées, d’après les annales irlandaises et l’une des plus célèbres sagas islandaises, Njáll le Brûlé, dans la bataille de Clontarf, près de Dublin, lors d’un Vendredi saint d’avril 1014. Une bataille où le haut-roi d’Irlande, Brian Boru, a tenté de résister à l’invasion de troupes composées d’opposants irlandais et d’alliés nordiques. « L’auteur de la saga parle du combat en termes poétiques comme d’une“pluie de sang’’, métaphore simple mais efficace pour évoquer un carnage généralisé. Toutefois, contrairement aux sources irlandaises, il attribue cette effusion de sang à l’action de certaines femmes. » (p. 10)

Des valkyries armées qui tissent les entrailles des morts en chanson. Ces exécutantes du dieu Odin apparaissent comme des personnages majeurs dans différents textes de la mythologie nordique : la première d’entre elles, Freyja, mais également Göndul, Gunnr, Hildr, Skögul… Des représentations de femmes puissantes et sûres d’elles-mêmes, à l’égal des hommes, des figures complexes, tant admirables que courageuses, mais faisant preuve aussi d’agressivité et de froideur. La déesse Freyja était ainsi considérée comme une femme de pouvoir, une guerrière, pleine d’assurance et de discernement, pouvant décider seule de la vie et de la mort. Cette personnification, via l’image des valkyries, répondrait à un besoin de rationaliser, via l’interaction consciente d’un être surnaturel, le caractère aléatoire de ceux qui tombent au combat et ceux qui en échappent.

Les valkyries seraient également l’incarnation de l’un des piliers de l’idéologie guerrière dans les pays scandinaves : les guerriers les plus courageux et les plus valeureux, morts sur le champ de bataille, trouveront une vie glorieuse au royaume des dieux. Issues de la littérature nordique ancienne, les walkyries font aujourd’hui pleinement partie de la mythologie de cultures non scandinaves plus récentes.

Plusieurs œuvres majeures de la culture classique ont pour thème ces guerrières volantes, notamment dans la peinture, la sculpture et bien sûr l'opéra. Le terme est aussi entré dans le langage courant pour désigner une femme impressionnante par sa stature et sa volonté combative.

4. Femmes au pouvoir

Parmi les femmes vikings puissantes auxquelles les sagas scandinaves font référence, il en est une qui est femme d’un roi, Gunnhildr, épouse d’Eiríkr. Une reine avide de pouvoir qui aurait même été, selon les sources médiévales, reine en Norvège au cours du Xe siècle, puis à la tête des royaumes vikings d’York (en Grande-Bretagne d’aujourd’hui) et des Orcades (îles britanniques).

D’après les textes, cette reine aurait tenu les rênes du royaume de mains de fer, élaborant les stratégies pour se maintenir au pouvoir avec son époux. « ... dans la saga d’Egill, fils de Grímr le Chauve, Gunnhildr se révèle un personnage complexe, une politicienne plus impitoyable encore que son mari, audacieuse et prête à prendre des risques, inflexible envers ses ennemis mais loyale envers les autres- qualités indispensables dans l’univers politique sanglant de l’ère viking. » (pp. 190-191)

Cette femme viking était également très libérée. Elle aurait eu une liaison avec un jeune Islandais, puis plus tard, âgée et veuve, mais toujours dans la séduction, avec plusieurs autres jeunes hommes de la moitié de son âge. Gunnhildr est considérée comme l’une des reines les plus emblématiques de son époque, une figure politique respectée aussi bien en Norvège qu’en Angleterre. À l’instar d’une autre reine de poids, Àlfífa, épouse du roi danois Knutt le Grand, régnant en Norvège dans les années 1130, Gunnhildr est la preuve que les femmes pouvaient accéder au pouvoir et au trône durant la civilisation viking. Si elles faisaient certainement face à des hostilités violentes uniquement en raison de leur gent, ces reines montrent qu’il y avait une place pour les femmes au cœur même du pouvoir viking.

De nombreuses sépultures ont été mises au jour prouvant que des femmes de haut rang s’étaient élevées au sommet de la « pyramide » sociétale dans les principaux centres de pouvoirs du « royaume » viking, comme c’est le cas dans la région norvégienne de Trøndelag ou du lac Mälaren en Suède. Ainsi, selon Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, si la tradition orale a projeté le nom de ces femmes de pouvoir aux oubliettes, et que les sagas ont minimisé leur véritable rôle dans l’exercice du pouvoir, il est fort probable que ces Vikings au féminin aient bel et bien contribué activement à la vie politique mouvementée d’alors. Un pouvoir par ailleurs sans cesse contesté, par tous les moyens, y compris par une violence sans foi ni loi, et pour lequel ces régnantes n’ont pas hésité à se battre, à l’égal des hommes.

5. De grandes voyageuses

Le peuple viking est un peuple de conquérants. Les Scandinaves, à l’ère viking d’il y a 1000 ans, étaient nombreux à parcourir l’Europe et le monde dans le but de faire du commerce, de coloniser de nouvelles terres, ou encore de se livrer au pillage. Les découvertes archéologiques prouvent que certains d’entre eux sont même allés jusqu’à Jérusalem ou à Constantinople. Les femmes n’étaient pas en reste de ces longs périples.

Chez les Vikings, la tradition voulait, en effet, que les hommes colonisateurs soient accompagnés de leurs femmes et enfants au cours de leurs expéditions. Au creux de sépultures retrouvées dans différentes régions de la Scandinavie, les ossements et ornements de femmes et de jeunes filles vikings, non natives du lieu, ont également été mises au jour. « À Birka, ni la fillette ni la femme inhumées dans la célèbre tombe aux armes n’avaient grandi sur cette petite île située à l’extrémité du lac Mälaren, dans le centre de la Suède. De même les deux femmes enterrées près de la forteresse de Trelleborg… tout comme la vieille femme handicapée trouvée à Coppergate (NDRL site viking à York)… » (p. 137) Ces femmes, voyageant à pied, à cheval – elles étaient de bonnes cavalières – ou encore à ski ou en bateau, ont ainsi parcouru elles aussi de longues distances dans le but de commercer ou de coloniser de nouvelles terres, aux côtés des hommes, même si elles n’ont été que rarement mentionnées dans les textes. Les femmes vikings ont ainsi bien été des pionnières au même titre que les hommes.

Selon Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, les femmes-colons devaient avoir un caractère bien trempé pour affronter les très longs et dangereux voyages que représentait cette expatriation colonisatrice, dotées d’une force physique et de caractère des plus exceptionnels, tant pour faire face aux multiples dangers, que pour assurer au peuple colonisateur une progéniture suffisante dans son déploiement sur sa nouvelle zone d’installation. Les femmes-colons, au même titre que leurs hommes, ont également dû participer aux combats qui jalonnaient ces expéditions de conquêtes de nouvelles terres, nécessitant de chasser les populations autochtones. Elles auraient été par ailleurs de très bonnes politiciennes et stratèges pour élaborer différentes issues aux combats.

6. Conclusion

Un millénaire après la disparition de la civilisation viking, celle-ci reste un vivier exceptionnel d’interprétations scientifiques et littéraires. Les Vikings continuent de fasciner aussi bien les chercheurs que le grand public. Au fil des découvertes, on en sait un peu plus sur l’emblématique peuple viking. Mais cela ne fait que quelques années que la communauté scientifique se penche sur le sort de la femme viking, au fil des découvertes de sépultures de femmes. La chercheuse islandaise Jóhanna Katrín Friðriksdóttir va à la recherche de ses ancêtres au féminin qui ont été oubliées jusqu’à aujourd’hui dans la longue narration viking.

À l’instar de leurs hommes, elles sont puissantes, courageuses, volontaires, aventurières et dotées d’une force physique qui leur « donne des ailes », telles les valkyries. Au fur et à mesure du déploiement du peuple viking à travers le monde, les femmes vikings ont ainsi eu des destinées des plus étonnantes : commerçantes, politiciennes, stratèges, voyageuses, colonisatrices, guerrières. Dans la civilisation viking, et son imaginaire des plus virils, la femme a ainsi eu un véritable rôle à jouer, et pas des moindres.

7. Zone critique

Contrairement à ce que les chercheurs avaient découvert sur le peuple viking, l’un des plus grands guerriers vikings était une femme. C’est ce qu’a publié en 2017 l’American Journal of Physical Anthropology, une étude qui a rebattu les cartes sur l’organisation du peuple viking et la place de la femme viking dans ces sociétés hyper-virilisées. Si de multiples livres ont été consacrés à la civilisation viking et à la mythologie nordique, cet ouvrage de la chercheuse islandaise, centré sur la femme viking, est unique.

Car Jóhanna Katrín Friðriksdóttir effectue des recherches à la fois sur les Vikings, les sagas du vieux norrois-islandais, la mythologie et la poésie, les manuscrits médiévaux, l'Islande de la fin du Moyen-Âge, mais également sur le genre et les questions d'identité plus largement. Cet ouvrage est ainsi un récit original à plusieurs niveaux d’interprétation, à la fois historique et imaginaire, grâce aux sagas islandaises. « Le mot (NDLR saga) a pris en français un sens différent alors que saga est dérivé du verbe ‘’segja’’ qui signifie dire. Ce qui est dit.

Ainsi, les Islandais appellent saga tout texte historique ou fictif : des adaptations des romans de chevaliers aux sagas royales en passant par des textes hagiographiques, au sens de la vita latine : c’est donc un corpus varié aux écritures différentes », comme le précise François Emion, maître de conférences en études nordiques à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de la Scandinavie médiévale. Grâce à cet ouvrage, la femme viking commence ainsi à faire parler d’elle. La chercheuse islandaise a également collaboré au documentaire réalisé par l’artiste Ash Trayer, Viking Women : The Crying Bones, sur les femmes vikings combattantes. Arte diffuse en ce moment un docu-fiction britannique, Les guerrières vikings, inspiré de ces découvertes récentes, et en particulier sur la guerrière de Birka.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, Les femmes vikings, des femmes puissantes, Paris, Autrement, 2020.

Autres pistes– Pierre Bauduin, Histoire des vikings, Des invasions à la diaspora, Paris, Taillandier, 2019– Neil Gaiman, La mythologie Viking, Vauvert, Au diable vauvert, 2017

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