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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de John Kenneth Galbraith
À la fin des années 1920, les États-Unis sont emportés par une folie spéculative qui plonge l’économie américaine dans le chaos, entraînant avec elle les économies mondiales dans ce qui deviendra la plus grande crise du XXe siècle. Dans La crise économique de 1929, anatomie d’une crise financière (The Great Crash), John Kenneth Galbraith dépeint le tableau de cette période d’euphorie collective qui mène à l’éclatement de la bulle financière et à l’effondrement du marché de Wall Street lors des journées « noires » des 24, 28 et 29 octobre 1929. Plus qu’une chronique, cet essai devenu un incontournable sur le sujet offre une analyse des causes et des conséquences du krach.
La décennie des années 1920 aux États-Unis fut une période de grande prospérité économique. Avec un taux de croissance annuel moyen de 4,2% entre 1919 et 1929, les États-Unis dépassèrent l’Angleterre au rang de première puissance industrielle mondiale.
L’époque était favorable pour faire des affaires, et les Américains, confiants dans l’avenir, manifestèrent « un désir excessif de s’enrichir rapidement avec le minimum d’effort » (Ch. II). Malgré l’explosion d’une bulle immobilière en Floride en 1926, première manifestation de ce climat spéculatif, « la foi des Américains en un enrichissement rapide et sans effort dans le domaine financier devenait de plus en plus évidente » (Id.).
Dans La crise économique de 1929, John K. Galbraith dépeint la succession des évènements qui ont conduit aux trois journées du krach (jeudi 24, lundi 28 et mardi 29 octobre) et des journées qui suivirent la catastrophe financière. Plus qu’une chronique, l’auteur tente d’identifier les causes profondes de ce désastre qui précéda la plus grave crise économique du XXème siècle.
Il souligne en particulier l’atmosphère d’« orgie spéculative » qui régnait alors, la croyance selon laquelle les gains importants étaient sûr et ne présentaient aucun risque. Galbraith dénonce également les dysfonctionnements du marché qui ont favorisé la mise en place d’instruments financiers destinés à servir cette folie spéculative, et pointe du doigt la passivité des décideurs politiques.
Les affaires sur marge permettent à un investisseur de bénéficier de l’augmentation de la valeur (ici de titres : actions, obligations…) sans avoir à avancer la totalité du prix. En ouvrant un compte sur marge et en contractant un emprunt auprès d’un courtier (prêt de courtier), un investisseur peut acheter plus de titres qu’il n’en a les moyens, et ainsi augmenter la rentabilité de ses fonds propres : c’est ce que l’on nomme l’effet de levier. Le courtier demande à l’investisseur que la part de ses fonds propres soit toujours supérieure à un certain seuil.
Dans le cas contraire, le courtier considère que son risque est trop grand et ordonne un appel de marge, c’est-à-dire qu’il demande à l’investisseur de verser plus d’argent sur son compte.
Pour comprendre l’effet de levier, prenons l’exemple d’un investisseur qui disposerait de $10 000 et qui souhaiterait acheter des actions à 10€ l’unité. Il peut acheter 1 000 actions sans emprunter. Si le cours monte à $12, il peut vendre ses actions pour un montant de $12 000. Son gain est alors de $2000, et le rendement de son investissement de 20%. L’investisseur peut également emprunter. Si là encore il investit $10 000, et qu’on lui accorde un prêt de $10 000, il a les moyens d’acheter 2 000 actions. Si le cours monte à $12, il peut vendre ses actions pour $24 000. Après avoir remboursé le prêt, son gain est de $4 000, donc le rendement de ses $10 000 est de 40%. Pour un même investissement, le taux de rentabilité a augmenté grâce à l’emprunt : c’est l’effet de levier. Cependant, le risque augmente aussi. L’effet de levier fonctionne dans les deux sens, et dans l’hypothèse d’une baisse des cours les pertes sont aussi plus importantes. L’effet de levier est donc une « épée à double tranchant ».
Les affaires sur marge représentaient à la fin des années 1920 un placement qui paraissait sûr et qui rapportait en moyenne 5% (et jusqu’à 12% en 1928). Par conséquent, « les gens venaient en foule acheter des valeurs sur marge » (Id.).
Le volume des prêts des courtiers, qui est un bon indice du volume de la spéculation, monta en flèche : d’un milliard de dollars au début des années 1920, il passa à quatre milliards et demi de dollars à la fin de l’année 1928. Attirées par le taux de 12%, les places financières mondiales vinrent elles aussi alimenter Wall Street en liquidités.
L’aspect le plus frappant de l’ère financière des années 1920 fut la demande croissante d’actions de la part du public.
Pour faire face à cette demande, Wall Street rivalisa d’ingéniosité : l’invention la « mieux conçue pour éliminer l’inquiétude à propos d’une pénurie possible » (Ch. IV) des actions ordinaires fut de créer des sociétés d’investissements. Il s’agit d’une société qui détient des participations dans d’autres sociétés. Toutes sortes d’affaires peuvent la faire naître : des banques, des firmes de courtage, ou même d’autres sociétés d’investissements. Cela permet d’émettre de nouvelles actions, de telle sorte que les gens possèdent « les titres de vieilles sociétés par l’entremise de nouvelles » (Id.).
Pour constituer leur capital, les sociétés d’investissements émettaient des obligations, des actions privilégiées et des actions ordinaires. Le cours des obligations et des actions privilégiées évoluait peu car la rémunération de ces titres est fixée à l’avance.
Au contraire, le cours des actions ordinaires évoluait fortement, car en détenir est à la fois plus rémunérateur et plus risqué. Les sociétés d’investissements utilisaient ce capital pour acheter des actions ordinaires d’autres sociétés. La hausse de la valeur du portefeuille n’était supportée que par les actions ordinaires émises, car les cours des obligations et actions privilégiées étaient restés stables. La société d’investissements bénéficiait ainsi de la « magie du levier » (Id.).
En outre, si elle investissait dans une autre société ayant un levier semblable, l’effet de levier croissait avec une progression géométrique et les gains étaient démultipliés.
La découverte de l’effet de levier « frappa Wall Street avec une force comparable à celle de l’invention de la roue » (Id.). Les gains en capital réalisés par le levier rendaient facile le lancement d’autres sociétés d’investissements. Leur nombre monta en flèche. En 1929 il s’en créait au rythme d’environ une par jour. Certaines sociétés d’investissements en créaient d’autres quelques jours seulement après leur propre constitution, chacune investissant dans les titres des autres. Cet « inceste financier » permettait de bénéficier d’un effet de levier très important.
L’augmentation des cours commença pour de bon en 1927. L’année suivante le marché montait par de grands bonds extraordinaires. Le volume des échanges, c’est-à-dire la quantité totale d’achats ou de ventes, atteignit un maximum alors jamais connu de 4 millions le 12 mars 1928, puis 5 millions le 12 juin, et près de 6,5 millions le 16 novembre.
Le télétype (panneau où défilent les cotations boursières) ne pouvait suivre un tel volume d’échanges et prenait fréquemment plusieurs heures de retard, ajoutant à la frénésie et à la confusion.
C’était non seulement le volume des échanges qui explosait en 1928, mais aussi le volume de la spéculation. L’été de cette année-là, les prêts des courtiers augmentèrent au rythme de 400 millions de dollars par mois. À la fin de l’été, le total dépassait les 7 millions. Qui plus est, les échanges réalisés à la Bourse ne représentaient plus une indication suffisante de l’ensemble des échanges. En effet, de nombreuses émissions de titres s’effectuaient en coulisse, en dehors du contrôle de la Bourse.
Une vague d’inquiétude envahit le marché au début de l’année 1929. Le conseil de la Réserve fédérale publia en février une lettre qui mettait timidement en garde contre la spéculation.
En mars, son mutisme fit planer sur Wall Street la menace de mesures qui auraient pour but d’enrayer la hausse des prix. Le 26 mars 1929, la Bourse fut prise de panique et les cours chutèrent. Ce jour aurait pu marquer l’éclatement de la bulle, si Charles E. Mitchell, président de l’une des plus grosses banques de Wall Street, n’avait décidé de prendre les choses en main : la National City Bank prêterait l’argent nécessaire pour empêcher la liquidation.
Les paroles de Mitchell, qui s’opposaient fermement à la déclaration de la Réserve fédérale, eurent un effet magique sur Wall Street, et le marché se reprit. Désormais « à l’abri de toute menace de réactions ou de sanctions gouvernementales, le marché s’embarqua sur la grande bleue déchainée » (Ch. III).
En 1929, rien ou presque ne fut fait pour enrayer la hausse vertigineuse des cours. Les responsables étaient confrontés au choix suivant : ou bien attendre que la bulle éclate, ou bien prendre des mesures qui risqueraient de faire effondrer le marché. Dans la première hypothèse, il y aurait certainement quelqu’un à blâmer, mais dans la seconde, ceux qui auraient causé l’effondrement seraient immédiatement identifiables. Les responsables étaient donc partisans de l’inaction.
D’après Galbraith, le conseil de la Réserve fédérale (qu’il qualifie d’une « incompétence atterrante ») était impuissant uniquement parce qu’il en avait décidé ainsi. La Réserve aurait pu demander au Parlement d’enrayer les ventes sur marge en imposant aux courtiers d’exiger des investisseurs une part plus importante de leurs fonds propres sur les comptes sur marge.
Elle aurait également pu fermement dénoncer la spéculation, mais les conséquences d’une telle mesure étaient imprévisibles, et la Réserve fédérale risquait d’être tenue responsable de l’effondrement du marché.
Par conséquent, « en ce début de 1929, le silence semblait vraiment d’or » (Ch. III). Finalement, le conseil décida de publier une lettre et un communiqué en février, mais cet « appel à la conscience » fut un échec.
La grande majorité des économistes et responsables politiques affichaient leur conviction selon laquelle le marché était sain. C’est ce que déclara le président Coolidge quelques jours avant de quitter ses fonctions en 1929. Les banquiers eux aussi voulaient croire à la permanence de la hausse.
En octobre 1929, soit quelques jours avant l’effondrement du marché, l’économiste Irving Fisher prononça cette formule devenue célèbre : « Le prix des actions a atteint ce qui paraît être un haut plateau permanent ».
Néanmoins certaines voix présageaient le pire, notamment celle de l’économiste Roger Babson qui suggéra en septembre 1929 que ce qui était arrivé en Floride arriverait à Wall Street : « les usines fermeront… les hommes seront mis à la porte…le cercle vicieux se mettra à tourner et le résultat sera une sérieuse crise financière ! » .
Le Jeudi Noir (jeudi 24 octobre 1929) est la « première journée que l’histoire […] identifie avec la panique de 1929 » (Ch. Vi) . Ce matin-là, ceux qui voulurent vendre ne trouvèrent d’acheteurs qu’après une chute vertigineuse des cours. Il s’échangea presque 13 millions de titres, ce qui provoqua un retard de plusieurs heures sur le télétype, l’incertitude poussant de plus en plus de personnes à vendre. Les actions s’échangeaient pour presque rien.
À midi, les présidents des plus grandes banques se réunirent et décidèrent de grouper leurs ressources pour soutenir le marché. Les effets de l’annonce de cette « aide organisée » furent immédiats : la peur disparut et les prix remontèrent nettement. « Le vrai désastre commença le lundi » (Ch. VI).
Après quelques jours d’un répit relatif, le Lundi Noir (lundi 28 octobre) fut une journée terrible. Les pertes furent bien plus sévères que lors du jeudi précédent. Une fois encore, le retard du télétype provoqué par un extraordinaire volume des échanges plongea la Bourse dans l’incertitude et la confusion.
Plus de 3 millions d’actions changèrent de mains pendant la dernière heure de la journée. Les responsables des plus grandes banques se réunirent, mais cette fois le soutien organisé ne pouvait lutter contre le désir irrésistible de vendre, comme l’écrit Galbraith : « Le marché s’était réaffirmé comme une force impersonnelle qu’il était au-delà du pouvoir de quiconque de dominer » (Ch. VII).
Le lendemain, le volume des échanges fut plus important que celui du Jeudi Noir. La chute des prix fut semblable à celle du Lundi Noir (l’indice du Times dégringola de 43 points). Le levier fonctionnait désormais en sens inverse, et fit disparaître avec une célérité remarquable toute valeur aux actions ordinaires. Certaines actions devinrent même invendables.
Durant la journée, la rumeur se répandit selon laquelle les banques ne soutenaient plus le marché et vendaient leurs actions. Ce que l’on a nommé le Mardi Noir « fut le jour le plus dévastateur dans l’histoire de la Bourse de New York – et peut-être aussi dans l’histoire des Bourses » (Ch. VII).
Galbraith met l’accent sur les facteurs psychologiques à l’origine de la spéculation : un sentiment général de confiance et d’optimisme était essentiel à un tel boom. De plus, il fallait que les économies soient abondantes pour financer la spéculation, qui ne pouvait donc avoir lieu qu’après une période de prospérité substantielle, ce qui fut le cas dans les années 1920.
Selon lui, l’explication selon laquelle la spéculation de 1928 et 1929 s’expliquerait par un crédit facile poussant les gens à emprunter pour acheter des actions sur marge ne tient pas. Il y eut auparavant des périodes durant lesquelles le crédit était encore plus facile, où les taux d’intérêts étaient bien plus bas, sans que cela ne cause de spéculation semblable.
Il est difficile d’identifier ce qui a causé directement la perte de confiance des investisseurs et l’effondrement du marché. « Il est dans la nature de la hausse spéculative que presque n’importe quoi puisse la faire retomber » (Ch. VI). Certains attribuèrent cette perte de confiance dans la prise de conscience que l’économie américaine était en déjà crise depuis plusieurs mois.
Cependant, selon Galbraith « le déclin de l’activité économique était très léger » (Ch. VI) jusqu’en septembre ou octobre 1929, et il n’y avait donc pas de raison de craindre à ce moment-là un tel désastre.
Galbraith énonce cinq facteurs qui semblent avoir provoqué la bulle : l’extrême inégalité des revenus faisait dépendre l’économie d’un haut niveau d’investissements et de dépenses de luxes, soumis à des fluctuations plus grandes que pour les dépenses de consommation courante ; la structure des firmes, constituées en holdings et sociétés d’investissements et jouant sur l’effet de levier, faisait peser sur elles un risque trop grand ; l’interdépendance des banques provoquerait inévitablement une chute du système si l’une d’entre elles faisait faillite ; la brusque chute des exportations des États-Unis due à l’épuisement des réserves d’or de leurs partenaires commerciaux ; enfin, l’insuffisance des connaissances économiques des responsables qui ne prirent aucune mesure pour arrêter la crise.
Le krach de 1929 plongea pendant dix ans les États-Unis dans la plus grande crise économique du XXe siècle, la Grande Dépression.
Le coup porté par la catastrophe boursière affecta en premier lieu les classes les plus aisées, et comme en 1929 ces derniers « disposaient de la part du lion dans le domaine des revenus et des investissements » (Ch. X), toute l’économie fut affectée. « Aucune muraille de Chine ne sépare le fiduciaire du réel » (Ch. I), et la crise financière devint une crise économique. En 1933, le taux de chômage atteignit 25%, soit treize millions de personnes sans emploi. Le volume de la production ne retrouva son niveau de 1929 qu’en 1937. En réaction à la crise, les Américains décidèrent de retirer leurs capitaux de l’étranger. La crise se propagea dès lors rapidement à la quasi-totalité des économies développées, et s’aggrava du fait des mesures protectionnistes qui firent chuter les échanges internationaux.
Il a fallu attendre jusqu’en 2007 pour connaître une crise financière d’une ampleur comparable, la crise des subprimes, qui déboucha elle aussi sur une crise économique de dimension internationale.
L’interprétation des causes de la crise et les leçons qu’il faut en tirer sont très diverses et font l’objet d’âpres débats. L’explication monétariste, défendue en particulier par Milton Friedman, tient la politique de la Réserve fédérale pour principale responsable de la crise. Trop laxiste dans les années 1920, puis trop restrictive à partir du krach, elle aurait dû soutenir les banques en leur offrant des liquidités pour éviter les innombrables faillites.
Galbraith remet en cause une telle explication selon laquelle la crise trouverait son origine dans la décision de la Réserve fédérale de pratiquer une politique monétaire souple à partir de 1927. Selon lui elle aurait surtout l’avantage de reporter la responsabilité du peuple américain et de son système économique sur la seule Réserve fédérale. Il met donc plutôt l’accent sur la dimension psychologique de la folie spéculative, et pointe les imperfections du marché et la structure des affaires qui auraient offert un contexte favorable à tous les abus.
Ouvrage recensé– La crise économique de 1929, anatomie d’une crise financière, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2018 [1955].
Du même auteur– L’Ère de l’opulence [1958], Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 1961.– Économie hétérodoxe, Paris, Seuil, coll. « Opus », 2007. – Le Nouvel État industriel, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », 1968 [1967].
Autres pistes– Bernard Gazier, La crise de 1929, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 2016.– Gérard Marie Henry, La crise de 1929, Paris, Armand Colin, 2019.– Maurice Niveau, Yves Crozet, Histoire des faits économiques contemporains, Paris, PUF, 1966.– Milton Friedman, Contre Galbraith, Paris, Economica, 1977.– Christian Chavagneux, Une brève histoire des crises financières, Paris, La Découverte, 2011.