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Les Inventeurs de maladies

de Jörg Blech

récension rédigée parEstelle Deniaud BoüetDocteure en pharmacie (Université de Nantes).

Synopsis

Science et environnement

Cet ouvrage explore les relations souvent insoupçonnées qu’entretiennent les grands groupes pharmaceutiques, les réseaux de médecins et les associations de patients. Ces relations, basées le plus souvent sur des aspects financiers, s’inscrivent dans une médicalisation croissante et de plus en plus poussée de l’existence de chaque individu. L’objectif inavoué est de faire croire au plus grand nombre qu’un état de parfaite santé est en pratique impossible et qu’il existe une multitude de traitements, commercialisés ou en passe de l’être, capables de pallier à tous les symptômes ou à tous les petits dérèglements de l’organisme. Inventer des maladies permettrait ainsi à la puissante industrie pharmaceutique d’accroître son capital, en vendant de plus en plus de médicaments.

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1. Introduction

Cet ouvrage analyse l’évolution de la médecine au cours des dernières décennies, avec un constat accablant. Tous les acteurs du secteur de la santé, les laboratoires pharmaceutiques bien sûr, mais aussi les groupements de médecins, les laboratoires de recherche et les associations de patients, contribuent à médicaliser à outrance tous les phénomènes de l’existence, y compris ceux qui font partie de l’évolution naturelle de la vie. L’objectif étant de traiter toujours plus et par tous les moyens, avec des médicaments ou d’autres thérapies.

Ainsi chacun devient un être qui ne rentre plus dans les normes de santé nouvellement définies. Successivement, différents pans de la santé et plus simplement de la vie quotidienne sont soumis à l’action des inventeurs de maladies.

2. De la découverte à l’invention des maladies

Auparavant, la médecine tentait de trouver un traitement pour chaque maladie. Désormais, il faut inventer une maladie pour chaque nouvelle substance découverte. Cet ouvrage liste un certain nombre de maladies, qui ne sont qu’inventions selon l’auteur. Un des exemples les plus démonstratifs ces dernières années a été le syndrome de Sissi, une pure invention d’un laboratoire pharmaceutique, destinée à traiter plusieurs millions de personnes avec des médicaments psychotropes. Depuis, la supercherie a été clairement démontrée.

Il y a quelques années, des pharmacologues australiens ont décrit cinq modèles dans le phénomène d’invention des maladies. Le premier est la transformation d’un processus normal de l’existence en un problème de santé, par exemple la chute des cheveux. Le second consiste à rendre pathologique un problème social ou personnel, comme la timidité étiquetée désormais comme une phobie sociale. Le troisième est la description d’une maladie à partir d’un simple risque, à l’image de l’ostéoporose. Le quatrième représente la transformation de symptômes rares en maladies touchant une grande proportion de la population. L’exemple le plus démonstratif est l’avènement du Viagra® destiné à traiter la dysfonction érectile. Le dernier modèle consiste à faire passer des symptômes anodins pour des signes avant-coureurs de maladies graves, comme le syndrome du côlon irritable, dans lequel presque tout le monde peut se retrouver. Dans tous les modèles, l’objectif est de traiter un maximum de personnes.

Comment créer une nouvelle maladie ? Il existe désormais des conseils spécifiques pour aider les inventeurs de maladies à promouvoir et à gérer une maladie, selon un modèle purement commercial. « Le nombre de maladies supposées s’élève aujourd’hui à 30 000 variantes, auxquelles s’ajoutent chaque jour de nouveaux maux » (p. 81). Beaucoup de maladies sont aujourd’hui construites de toutes pièces par des experts autoproclamés. Si un laboratoire pharmaceutique découvre un médicament susceptible de la traiter, la nouvelle maladie devient rapidement une vaste épidémie, grâce à une communication bien orchestrée et à l’implication de tous les acteurs de la santé.

3. Des laboratoires pharmaceutiques … jusqu’aux patients

Il serait facile de penser que les laboratoires pharmaceutiques sont les seuls instigateurs de l’invention des maladies, attirés par les importants bénéfices liés aux ventes de médicaments. Certes, les laboratoires pharmaceutiques représentent un maillon essentiel du phénomène, mais ils ne sont pas les seuls à contribuer à la médicalisation extrême de l’existence.

La nouvelle médecine présentée est redéfinie par les grands laboratoires pharmaceutiques et les associations de médecins organisées dans des réseaux internationaux. Les agences de relations publiques, qui ont un accès direct à l’information médicale et à l’éducation à la santé, sont mandatées par les laboratoires pharmaceutiques pour assurer la promotion de ces nouvelles maladies et de leurs traitements. Des personnalités de tous horizons sont rémunérées pour parler de certaines maladies et vanter les mérites des médicaments capables de les soulager. L’approche des médecins, hospitaliers ou libéraux, est capitale dans la manipulation de la sphère médicale, grâce à l’intervention des délégués médicaux. « Chaque année l’industrie pharmaceutique dépense entre 8 000 et 13 000 euros par médecin, dans des actions de marketing qui doivent inciter le médecin à prescrire les comprimés et les produits de l’entreprise » (p. 42).

Avec le plus souvent une frontière assez floue entre marketing et rétribution illégale. Les médias sont également un maillon important pour les laboratoires pharmaceutiques, la majorité des journalistes scientifiques n’exerçant que faiblement leur esprit critique. Enfin, la promotion des nouvelles maladies s’adresse directement aux potentiels patients, soit au travers de sites internet d’information, soit par l’intermédiaire d’associations de patients. L’objectif final est d’augmenter le nombre de personnes susceptibles d’être traitées, si bien que la perception du patient évolue : de malade, il devient simple consommateur.

Dans un tel système, l’industrie pharmaceutique est devenue tellement puissante, que certaines firmes ont un capital boursier qui dépasse la richesse de pays, comme la Suède ou Singapour.

4. L’essor du diagnostic et de la prévention, mais la faillite des systèmes de santé

Inventer une nouvelle maladie ou augmenter le nombre de patients traités par un médicament impliquent de convaincre les médecins et les patients de l’existence d’un problème de santé et de la nécessité ou possibilité de le traiter. Pour certains médicaments, les laboratoires pharmaceutiques utilisent l’élargissement des indications thérapeutiques du médicament en question. Pour d’autres, ils influencent les experts pour modifier les valeurs normales de certains paramètres physiologiques, afin que de plus en plus de personnes obtiennent un résultat anormal. C’est le cas par exemple du taux de cholestérol ou de la pression artérielle.

Parallèlement à ces méthodes utilisées par les inventeurs de maladies, l’essor du diagnostic et de la prévention au cours des dernières décennies participe fortement de l’accroissement du nombre de maladies.

En quelques dizaines d’années, un nombre important de nouveaux tests diagnostiques ont été mis au point, et certains médecins considèrent qu’une personne en bonne santé est une personne qui n’a pas subi suffisamment de tests pour détecter un problème de santé. Parallèlement, la prévention entraîne parfois une dérive vers une recherche systématique d’un diagnostic, de la part du médecin ou du patient. Pourtant, des personnes en bonne santé, ne souffrant d’aucun symptôme, reçoivent aujourd’hui des résultats anormaux à certaines analyses. Doit-on systématiquement les traiter, alors qu’elles sont en pleine forme ?

Une des conséquences majeures de la médicalisation à outrance et de l’invention des maladies est le déficit croissant des systèmes de santé publique dans un grand nombre de pays industrialisés. Les dépenses liées aux médicaments explosent dans plusieurs pays, allant jusqu’à dépasser les dépenses liées aux actes médicaux. Si les gouvernements des pays concernés tentent de réformer les systèmes de santé pour lutter contre les déficits, aucun ne s’est penché sur les inventions de maladies, qui pourraient être à l’origine de dépenses totalement inutiles.

5. La vie médicalisée de la naissance à la mort

Des vraies maladies existent de manière indiscutable et il est tout à fait normal d’essayer de les guérir. Mais faut-il aller jusqu’à médicaliser tous les aspects de la vie des hommes et des femmes ? Les inventeurs de maladies ne s’intéressent pas aux maladies graves, qui sont largement reconnues. Ils tentent plutôt de traduire chaque aspect négatif de notre physiologie en problème de santé. L’objectif est de faire croire au plus grand nombre que chacun est atteint d’une maladie et que, pour chaque maladie, l’industrie pharmaceutique a une réponse médicamenteuse. Les exemples de médicalisation des aspects physiologiques les plus élémentaires sont nombreux.

L’ostéoporose selon l’auteur en est un exemple. Le développement de cette maladie a permis, en se basant sur la peur des fractures et de leurs conséquences, de traiter des millions de femmes avec des hormones. Pourtant, la perte de masse osseuse et de masse musculaire est naturelle avec l’âge, elle fait partie du vieillissement. Il en est de même de la ménopause ou plus récemment de l’andropause, la ménopause de l’homme, les laboratoires pharmaceutiques n’hésitant pas dans certains cas à promettre des médicaments antiâges ! Mais le vieillissement n’est pas la seule cible des inventeurs de maladies. Les enfants dès leur plus jeune âge sont scrutés pour détecter le moindre défaut qui pourrait justifier de les traiter. L’auteur cite en exemple le traitement chirurgical de certaines déformations du pied, comme le pes adductus, qui disparait de lui-même en quelques années, ou encore les prescriptions exponentielles de Ritaline® pour combattre un problème de santé encore mal défini médicalement, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). « Les parents anxieux se demandent ce que représente réellement l’administration continue de psychotropes à des écoliers : une bénédiction ou un scandale ? » (p. 129).

Chez les femmes, toutes les phases de la vie sont aujourd’hui considérées comme des problèmes médicaux et traités comme tels, la puberté, la fertilité, la grossesse, la naissance, la ménopause et même la vie sexuelle ! Et le même phénomène est en cours chez les hommes.

6. Une médecine en quête d’indépendance

Comment faire la part des choses entre des problèmes de santé réels qu’il faut prendre en charge et des aspects de l’existence surmédicalisés dans le but de vendre de plus en plus de médicaments ? Un tel tri s’avère délicat pour toute personne non initiée, mais aussi – et c’est le plus inquiétant – pour les experts et les spécialistes.

La recherche sur les médicaments et les maladies est en effet loin d’être indépendante. Même si les laboratoires pharmaceutiques n’allouent à la recherche qu’une part moindre de leurs recettes par rapport au marketing, l’industrie pharmaceutique est l’un des principaux financeurs de la recherche clinique, mais aussi des congrès scientifiques. Même si les chercheurs se défendent d’être influençables, plusieurs études ont montré que leur objectivité était directement menacée. Sans compter que les résultats des études ne sont pas toujours retranscrits dans leur intégralité. « Les laboratoires pharmaceutiques censurent, embellissent et modifient les résultats des études cliniques qu’ils confient à des chercheurs indépendants » (p. 51).

De même, un grand nombre de formations continues proposées aux médecins sont directement ou indirectement financées par les laboratoires pharmaceutiques. L’industrie pharmaceutique justifie cette influence par la complexité des progrès médicaux. « Les prétendus progrès de la médecine ont atteint une telle démesure que seule une infime part des médecins parvient encore à se repérer dans la jungle des diagnostics et traitements possibles » (p. 45). Les laboratoires pharmaceutiques interviennent également dans l’élaboration des directives et recommandations qui déterminent la prise en charge des maladies. Si ces directives approuvent l’utilisation d’un médicament, le débouché est immédiat pour le laboratoire pharmaceutique. Se pose évidemment ici l’existence de conflits d’intérêts chez les médecins et experts qui participent à l’élaboration des recommandations.

7. Qui est encore en bonne santé aujourd’hui ?

Dans cet ouvrage, Jörg Blech décrit les manœuvres plus ou moins avouées des acteurs de santé pour persuader tous les individus qu’ils sont malades et qu’ils ont besoin d’être soignés. Dans ce contexte, qui peut encore se prétendre en bonne santé et échapper à cette médicalisation de l’existence ?

Par leurs agissements, les inventeurs de maladies minent progressivement la confiance de la population, qui finit par perdre son bien le plus précieux, sa santé. Il ne s’agit plus ici d’une minorité de personnes hypochondriaques, persuadées à chaque instant d’être malades, mais de convaincre chacun qu’il présente un ou plusieurs défauts considérés comme des problèmes de santé. En témoigne par exemple la multiplication actuelle des facteurs de risque de différentes maladies graves. Certains de ces facteurs finissent par être présentés comme de véritables maladies, alors qu’ils ne représentent qu’une probabilité statistique de développer un jour une maladie. « Les vendeurs de maladies se lancent aujourd’hui dans une véritable chasse aux patients » (p. 65).

Prenons par exemple le taux de cholestérol, reconnu comme un facteur de risque cardiovasculaire. Chacun est incité très tôt à contrôler son taux de cholestérol. Certains experts préconisent même de surveiller ce taux régulièrement dès l’âge de 5 ans. Le cholestérol, ainsi pointé du doigt, est devenu l’ennemi à bannir de son alimentation. Pourtant, il est indispensable au bon fonctionnement de l’organisme, en témoigne sa forte concentration dans le lait maternel. Mais la phobie du cholestérol a permis des ventes considérables de statines, une classe médicamenteuse particulièrement intéressante pour les laboratoires pharmaceutiques, car elles sont prescrites sur plusieurs décennies.

L’invention des maladies débouche sur une obsession de la santé, qui assimile toutes les différences à des problèmes médicaux. L’illustration la plus typique est d’étiqueter de manière quasi systématique les comportements différents comme des troubles psychologiques. « Des médicaments contre la timidité, le manque de mémoire ou le stress sont testés dans des études cliniques ou vont bientôt l’être » (p. 239). Des médicaments pourraient même être destinés à développer l’intelligence de personnes en parfaite santé mentale !

8. Conclusion

Tous les phénomènes de notre vie peuvent-ils être médicalisés au point qu’aucun d’entre nous ne puisse être considéré comme un individu en bonne santé ? C’est la situation extrême à laquelle il faut s’attendre dans quelques années, si les tendances exposées par Jörg Blech se confirment et se développent. Un médicament pour chaque moment de la vie et chaque aspect de l’existence, y compris pour améliorer l’être humain que nous sommes.

La limite entre médicalisation à outrance, invention de maladies et eugénisme devient ténue et nous pousse à réfléchir à nos liens avec notre santé et à l’influence qu’exerce sur nous différents acteurs, comme les laboratoires pharmaceutiques, les médecins, les associations de patients, les médias ou encore les autorités de santé publique. Finalement, ne sommes-nous pas les mieux placés pour savoir si oui ou non nous avons un problème avec notre santé ?

9. Zone critique

L’auteur défend dans cet ouvrage la thèse d’une invention fréquente des maladies, soutenue et coordonnée par l’industrie pharmaceutique. Évidemment, les laboratoires pharmaceutiques se défendent de telles pratiques, de même que les médecins et les associations de patients, qui clament leur indépendance et leur objectivité, même quand ils sont financés par l’industrie pharmaceutique. Contrairement à la vision de l’auteur, d’autres experts expliquent la survenue ou l’essor de nouveaux problèmes de santé par d’autres facteurs. Pour les TDAH par exemple, les perturbateurs endocriniens et la pollution sont pointés du doigt pour expliquer leur augmentation de fréquence.

Au-delà de l’influence sans conteste de l’industrie pharmaceutique sur le secteur de la santé, il faudrait, pour trancher la question, s’assurer que la recherche clinique est menée de manière totalement indépendante des intérêts de l’industrie pharmaceutique. Or aujourd’hui, les laboratoires pharmaceutiques représentent une source de financement importante et nécessaire pour les chercheurs. De plus, ils exercent un lobby puissant sur les autorités de santé publique, qui accordent des fonds pour la recherche.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Les Inventeurs de maladies, manœuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique, Arles, Éditions Actes Sud, 2005.

Du même auteur– Ces traitements dont il faut se méfier, Arles, Actes Sud, 2007.

Autres pistes– Jules Romains, Knock ou Le triomphe de la médecine : Comédie en trois actes, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1972.– R. Moynihan, « Selling sickness: the pharmaceutical industry and disease mongering », British Medical Journal, 324, 2002, p. 886-891.– Frantz Dallemand et Michel Bokobza, Délégués pharmaceutiques, médicaux et hospitaliers - Nouveaux enjeux, nouvelles pratiques, Paris, Éditions Maxima, 2018.– Christophe De Jaeger, Bien vieillir sans médicaments, Paris, Éditions Cherche Midi, 2018.

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