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L’Hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse

de Juan-David Nasio

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Cet ouvrage est un classique de la littérature psychanalytique. Juan-David Nasio y expose, dans une démarche à la fois claire, synthétique et rigoureuse, les conceptions cliniques et théoriques de ce que les psychanalystes appellent « la névrose hystérique ». Depuis Freud jusqu’à nos conceptions modernes, l’auteur présente l’évolution du « visage clinique » de l’hystérie et de son accompagnement psychothérapeutique. L’essai se conclut par une succession de réponses, à la fois rigoureuses et concises, aux questions les plus fréquemment posées par les non-spécialistes concernant la définition, les origines et la possibilité de « guérir » les troubles hystériques.

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1. Introduction : La découverte de l’hystérie et la naissance de la psychanalyse

La naissance de la psychanalyse peut être datée à partir de la publication par deux médecins, Sigmund Freud (1856-1939) et Josef Breuer (1842-1925), de leurs Études sur l’hystérie. Cet ouvrage publié en 1895 expose en effet une méthode de traitement d’un genre absolument nouveau, permettant de traiter certains troubles organiques (physiques) décrits comme inexplicables du point de vue de la médecine classique : par exemple des pertes de connaissance (syncopes), des paralysies ou des convulsions pouvant présenter un caractère passager, récurrent ou durable.

Si les médecins avaient pu constater la « réalité » de ces symptômes, leurs analyses n’avaient pu cependant mettre en évidence aucune lésion physiologique permettant d’expliquer leur formation. Les personnes présentant de tels troubles – à l’époque, exclusivement des femmes – étaient très nombreuses en cette fin du XIXe siècle. Elles faisaient l’objet d’un rejet de la part du corps médical, décontenancé et démuni devant cette étrange symptomatologie : on les qualifiait le plus souvent de menteuses ou de folles.

Durant plus de 15 ans, Breuer et Freud furent à l’écoute de ces patientes et élaborèrent une méthode spécifique permettant de traiter leurs symptômes. Ils découvrirent que ces symptômes constituaient une parole dont l’expression verbale était impossible, car censurée par l’esprit avant d’être conscientisée : ce qui était bloqué dans le processus de pensée trouvait pour ces patientes une façon de s’exprimer par le corps, sous une forme métaphorique (c’est-à-dire par évocation symbolique), de la même façon que travaille le rêve ou la poésie.

2. La théorie freudienne

Ainsi fut découverte la causalité de la névrose hystérique, dite par Freud « de conversion » : ce dont elles ne peuvent se souvenirs en images ou en mots se convertit pour ces personnes en « parole » du corps, sous la forme de symptômes. À l’origine de ces symptômes hystériques, la méthode « cathartique » (la thérapie par la parole, sous hypnose) a permis de mettre en évidence ce mécanisme caractéristique que l’on appelle le refoulement. Le refoulement consiste en une censure d’une idée ou d’une scène déplaisante, hautement anxiogène, dans le fond inconscient de la mémoire : par ce mécanisme de défense, l’individu tente de traiter l’événement comme s’il n’avait jamais existé, en établissant une barrière psychique s’opposant à la formation du souvenir conscient.

Cependant, la réactualisation de ce vécu ancien sous la forme métaphorique des symptômes atteste de l’inefficacité de cette opération. Le refoulement n’est pas un véritable oubli, mais seulement un « couvercle » posé sur le souvenir de ce vécu insupportable : il ne parvient ainsi qu’à diviser la psyché (« l’appareil psychique ») entre deux systèmes hermétiques, le conscient et l’inconscient.

Or, les contenus refoulés dans l’inconscient demeurent d’autant plus puissants et actifs qu’ils ne peuvent faire l’objet d’aucun « travail » intellectuel, c’est-à-dire d’aucune élaboration sur le plan conscient. Ils refont surface de façon déguisée et « sauvage », comme le met en évidence l’extraordinaire diversité des symptômes hystériques. Mais pour quelles raisons ces idées ou ces scènes déplaisantes tendent-elles à revenir ainsi, sous la forme de symptômes, dans l’expérience actuelle ? Cela revient à nous demander ce qui, dans le fond inconscient de notre esprit, contribue à les rendre « vivantes ».

Les analyses conduites par Freud ont non seulement permis de comprendre ce mécanisme, mais aussi de mettre en évidence les contenus caractéristiques de ces pensées refoulées. La méthode inventée par Freud consistait à plonger ses patientes dans un état inédit, proche du rêve, dans lequel la barrière de la censure ne s’opposait pas à l’expression des contenus inconscients (refoulés). Ce procédé permit la découverte du fantasme hystérique : à un moment de la cure, chacune de ces patientes relatait en effet un événement traumatique qui consistait en une scène de séduction sexuelle par le père, vécue durant l’enfance. Freud repère que la plupart de ces patientes décrivent une « séduction » et non une « agression » : c’est-à-dire qui se rapporte à leur interprétation subjective de la scène.

Par l’analyse, il comprend que ce souvenir refoulé constitue en réalité un fantasme : à la pensée de leur père, ou en sa présence, ces femmes ont éprouvé à un moment de leur enfance une forte excitation sexuelle qui a suscité en elles le désir de cette séduction. Ce désir troublant et anxiogène – puisque socialement interdit – constitue l’objet du refoulement.

C’est lui qui continue d’insister dans l’obscurité de l’inconscient pour parvenir la satisfaction, sous des formes déguisées à la conscience : les symptômes satisfont le désir refoulé de façon métaphorique. Le relâchement de la censure consciente, provoqué par la cure, a donc permis de dévoiler le « ressort » fantasmatique déterminant la formation des symptômes hystériques : le « faux » souvenir de la scène de séduction par le père est la réalisation imaginaire d’un désir inconscient et obsédant.

3. Description clinique de la névrose hystérique

L’hystérie d’aujourd’hui présente des formes cliniques beaucoup moins spectaculaires que celle de la fin du XIXe siècle (cf.l'interprétation de ce phénomène par Michel Foucault dans Maladie mentale et psychologie). Son interprétation théorique reste néanmoins marquée du « sceau indélébile » de la clinique freudienne, qui demeure tout à fait actuelle. Si l’on appréhende l’hystérie d’un point de vue descriptif, en tant qu’elle constitue une « entité clinique » identifiable par ses symptômes caractéristiques, on repère que celle-ci se déclenche à la faveur d’événements ou de périodes critiques (fréquemment à l’adolescence).

Ses symptômes somatiques sont variés : ils peuvent affecter la motricité (par exemple « des contractures musculaires, difficultés de la marche, paralysies des membres, paralysies faciales » (p. 16)), la sensibilité (douleurs locales, migraines), la sensorialité (surdité, cécité, aphonie, etc.) ou se manifester sous la forme de troubles « allant des insomnies et des évanouissements bénins aux altérations de la conscience, de la mémoire de l’intelligence (absences, amnésies, etc.), jusqu’à des états de pseudo coma » (Id.).

Chez l’hystérique, ces troubles – le plus souvent passagers – ne résultent d’aucune cause organique, mais sont déterminés par des motifs fantasmatiques : c’est-à-dire qu’il y a un investissement imaginaire de l’anatomie du corps qui a une incidence réelle sur ses fonctions. Le fantasme de l’hystérique fait « loi » dans le fonctionnement de son corps. Par ailleurs, on constate que le rapport de l’hystérique à la sexualité est très paradoxal : ce qui a trait à la génitalité est souvent fortement inhibé (frigidité ou impuissance, dégoût sexuel), tandis que le reste du corps est au contraire très érotisé et continuellement excité.

4. L’hystérie comme mode de relation à l’autre

L’hystérie est également appréhendée aujourd’hui d’un point de vue relationnel. Ce terme distingue alors non pas une entité clinique spécifique, mais une manière particulière de se positionner dans la relation à l’autre, qui certes caractérise l’hystérique, mais intervient aussi de manière diffuse dans le rapport au monde (et aux autres) de chacun.

De ce point de vue l’hystérie n’apparaît pas, ainsi qu’on la définit ordinairement, comme une maladie psychique. Elle désigne un rapport particulier à autrui caractérisé par la projection continuelle d’un fantasme inconscient. Ce rapport est cause de souffrance et peut en cela être qualifié de pathologique : ce dont souffre l’hystérique est de ne pouvoir se situer dans sa relation aux autres que dans la position d’une « victime malheureuse », éternellement insatisfaite. L’hystérique met en effet en scène un scénario fantasmatique d’après lequel toute relation ne peut être que décevante.

Ce qui le caractérise est de recréer fantasmatiquement les conditions de cette déception en faisant jouer à son entourage différents rôles : tantôt celui d’un personnage puissant et tyrannique, tantôt celui d’un faible, d’un impuissant qui n’aurait rien à offrir. Entre « puissance humiliante » et « impuissance touchante », l’hystérique se plaint donc de ne jamais rencontrer aucun autre avec lequel il lui serait possible de « jouir » d’être en relation.

5. Le fantasme de l’hystérique

Mais pourquoi l’hystérique recrée-t-il ainsi continuellement les conditions de sa déception ? Pourquoi fantasme-t-il l’insatisfaction plutôt que le plaisir ? Pour Nasio, « la réponse est claire : l’hystérique est fondamentalement un être de peur qui, pour atténuer son angoisse, n’a trouvé d’autre recours que d’entretenir sans cesse, dans ses fantasmes et dans sa vie, l’état pénible d’insatisfaction. « Tant que je resterai insatisfait », dirait-il, « je resterai à l’abri du danger qui me guette » (p. 19). À l’origine de la symptomatologie hystérique, il y a en effet cette angoisse tout à fait caractéristique qui a pour objet la jouissance, c’est-à-dire ce qui constituerait la pleine et absolue satisfaction du désir. C’est l’idée que dans la rencontre avec l’autre, et plus particulièrement dans l’union sexuelle avec lui, pourrait être éprouvée une jouissance telle qu’elle conduirait à la mort (anéantissement physique) ou à la folie (anéantissement psychique). L’hystérique redoute entre toutes autres choses « le danger suprême d’être un jour ravi par l’extase et de jouir jusqu’à la mort ultime » (p. 20).

Une telle jouissance est bien évidemment impossible. Toutefois, dans cette réalité « intime » que recrée fantasmagoriquement l’hystérique, elle apparaît comme un risque dont il lui faut prioritairement se protéger. Toute sa vie psychique s’organise autour de ce principe d’évitement.

6. L'hystérique et la sexualité

Il n’est évidemment pas anodin que la sexualité de l’hystérique se caractérise le plus fréquemment par un évitement de ce qui se rapporte à la génitalité. Le « nœud » du complexe hystérique (et donc de la formation des symptômes) consiste en effet en une impossibilité d’accepter la différenciation sexuée.

Que certains individus aient un pénis et d’autres non est une question que l’hystérique, depuis l’enfance, n’a jamais pu dépasser, tant elle constitue pour lui une source d’angoisse et de fascination. De façon symbolique, l’équation « avoir ou ne pas avoir le pénis » se traduit en effet pour lui dans la formule « être le plus puissant ou l’impuissant », « être le plus fort ou le faible », ainsi que les enfants peuvent fantasmer le monde des adultes. Avoir tout le pouvoir, ou n’en avoir absolument aucun, sont les deux rôles que l’hystérique fait jouer alternativement à lui-même et aux autres.

Le rapport de l’hystérique à la sexualité est infantile : sur le plan physiologique, ce qui est recherché est l’excitation spécifique des organes, non pas le « rapport » sexuel (l’acte du coït) qui présente en lui-même un caractère anxiogène. Le refus de jouir qui caractérise l’hystérique est cause d’une désorganisation et d’un débordement de sa sexualité : l’image qu’il se fait du monde extérieur, des autres et de lui-même est continuellement érotisée.

On parle ainsi d’« hystérisation » : l’hystérisation est un état de grande excitation, d’agitation psychique et motrice dans lequel il est manifeste que l’individu éprouve un plaisir intense. Cette agitation a si on peut dire une fonction masturbatoire : elle augmente le niveau d’excitation, ouvrant ainsi la possibilité d’une jouissance « orgasmique » (cf extrait du début).

7. Conclusion

Toute névrose a son origine, du point de vue de la psychanalyse, dans la fixation à des stades précoces de la sexualité infantile. L’éveil des pulsions sexuelles, les premières excitations venues du corps présentent en effet un caractère traumatique, car l’esprit du petit enfant, encore trop immature, est à ce moment incapable de conférer du sens à ce qui se manifeste en lui de façon « sauvage ».

Sa compréhension de l’environnement dans lequel il évolue est elle aussi réduite (il n’a que peu d’expérience de la vie), bien souvent réductrice et continuellement « surinterprétée » par son activité fantasmatique. L’enfant analyse et « problématise » ainsi ce qu’il vit de façon « étrange ».

Chaque stade du développement psychosexuel modifie non seulement le rapport de l’enfant à son corps, mais impacte également ses constructions identitaires et les relations qu’il entretient avec son environnement. Tout cela ne va pas sans angoisse. C’est en fonction de la capacité de l’enfant à surmonter ces épreuves anxiogènes que son développement sexuel pourra évoluer jusqu’au stade de la sexualité génitale. L’hystérique s’est pour ainsi dire arrêté au seuil de la génitalité. Toute son organisation psychique tourne en effet autour de cette énigme demeurée sans réponse : celle de la différenciation sexuelle et de la construction d’une identité « genrée ». « Suis-je un homme ou une femme ? », c’est à cette question que l’hystérique refuse de se confronter.

Toute réponse à cette question implique en effet de renoncer à cet idéal de toute-puissance et d’autosuffisance qui caractérise la sexualité infantile : le désir d’une femme a besoin de celui d’un homme pour être comblé, et réciproquement. L’angoisse de l’incomplétude, dite « angoisse de castration », est cette épreuve à laquelle le psychanalyste cherchera à ramener le patient hystérique afin qu’il puisse la « démystifier ».

8. Zone critique

Dans cet ouvrage, Juan-David Nasio démontre de nouveau sa capacité à traduire dans un langage simple, mais non réducteur, des conceptions théoriques parmi les plus complexes de la psychanalyse. Il confronte ici les points de vue historiques (freudiens) et modernes dans l’analyse de la névrose hystérique, indiquant comment ces théories successives peuvent (et doivent) être synthétisées au-delà de leurs divergences.

Ce travail offre ainsi une vue d’ensemble sur des questions fondamentales : qu’est-ce que l’hystérie ? Quelle est la cause de ces troubles ? Mais aussi : l’hystérie est-elle « quelque chose » dont on guérit ? La réflexion de Nasio est fine, et intéressera le lecteur désirant approfondir sa compréhension des concepts fondamentaux de la psychanalyse.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, Paris, Payot & Rivages, coll. Petite Bibliothèque Payot, 2001.

Du même auteur– Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001.– Les Yeux de Laure. Nous sommes tous fous dans un recoin de notre vie, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2009.– Oui, la psychanalyse guérit !, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2016.

Autres pistes– Sigmund Freud, Joseph Breuer, Études sur l'hystérie [1895], Paris, PUF, 2002.– Sigmund Freud, Dora, Fragment d'une analyse d'hystérie [1905], Paris, PUF, 2006.– Gisèle Harrus-Révidi, Qu'est-ce que l'hystérie ?, Paris, Payot & Rivages, collection « Petite Bibliothèque Payot », 2010

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