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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Manifeste du Parti communiste

de Karl Marx & Friedrich Engels

récension rédigée parAxel KliouaAvocat, docteur en science politique/droit (Lyon 3).

Synopsis

Philosophie

Entre programme politique et exposé scientifique, le Manifeste du Parti communiste continue d'interpeller et de diviser : politiciens, politologues, scientifiques et tout citoyen du village mondial. Bref mais de considérable portée, ce texte demeure d’une brûlante actualité : depuis le XIXe siècle jusqu’à ce XXIe siècle indécis et encore marqué des horreurs du XXème siècle.

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1. Introduction

Après « Le Féroce XXème siècle », ainsi caractérisé par Robert Conquest dans ses réflexions sur les ravages occasionnés par les idéologies, comment aborder l’examen du Manifeste du Parti communiste à une époque où la pensée dominante l’a elle-même idéologiquement relégué au rang de relique à bannir et oublier ? Paradoxalement, rien n’est plus simple et plus évident : il suffit de se remémorer que ce texte, le plus célèbre, le plus abouti et le plus percutant des inséparables Marx et Engels, est avant tout le produit d’une démarche scientifique rigoureuse.

Certes, le contenu est aujourd’hui condamné par l’histoire. Et certes, les mots « Manifeste », « Parti », et « communiste », renvoient à l’idée d’une profession de foi, d’un engagement et d’un programme politiques, qui s’opposent à la méthodologie scientifique, laquelle, fondamentalement, prône et s’appuie sur une démarche qui se veut d’une impartialité absolue.

Pourtant, il est incontestable que la démarche mise en œuvre par Marx et Engels fut authentiquement savante. Et aussi bien en termes de méthode que de contenu, nul penseur du fait humain et social, ne saurait acheminer sa démarche analytique sans nécessairement y rencontrer ces deux compères qui théorisèrent la société et la révolution mondiales à travers l’histoire.

2. L’apport révolutionnaire d’une pure lecture terre-à-terre de l’histoire

Dès avant la rédaction du Manifeste, en 1845, Marx et Engels prirent acte que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, [or] ce qui importe, c’est de le transformer » (L'Idéologie allemande, p. 4). Deux ans plus tard, à la demande de la « Ligue des communistes » à laquelle ils étaient affiliés, l’occasion leur était donnée de synthétiser et d’exposer leurs vues. Jusqu’en 1847, cette organisation avait porté le nom de « Ligue des justes ». En ce sens – remarque Claude Mazauric –, le changement d’appellation témoignait déjà d’une « évolution idéologique sans équivoque ». C’est au cours du Congrès de Londres, tenu en novembre 1847, que cette association ouvrière internationale chargea Marx et Engels de préparer, aux fins de publication et de diffusion clandestines, un programme de parti complet, tout à la fois théorique et pratique.

Ils pouvaient donc enfin donner libre cours à l’exposé de toute leur puissance intellectuelle, illustré sous la forme d’une vaste synthèse : l’histoire humaine est celle d’une lutte perpétuelle entre deux classes sociales qui, soit se solde par une révolution, soit s’achève par la disparition des deux classes en lutte. Or, observent-ils, l’époque moderne présente la caractéristique d’avoir considérablement simplifié cet antagonisme de classes, se résumant à une opposition entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Bourgeoisie ? La classe des détenteurs, autrement dit la catégorie minoritaire de ceux qui ont tout ou presque : les « capitalistes modernes qui possèdent les moyens sociaux de production [– le capital et les machines notamment –] et [qui] utilisent du travail salarié ».

Prolétariat ? La classe des laissés-pour-compte et des exploités, autrement dit la catégorie majoritaire de ceux qui n’ont rien d’autre à faire valoir que leur force de travail : les « ouvriers salariés modernes qui ne possèdent pas de moyens de production et en sont donc réduits à vendre leur force de travail pour pouvoir subsister » (p. 26).

3. La mondialisation économique avant et avec la domination bourgeoise

Au-delà de son rôle révolutionnaire dans le renversement de la féodalité et de l’Ancien Régime, la bourgeoisie – observent Marx et Engels – n’a laissé subsister d’autre lien, entre l’homme et son semblable, que « le froid intérêt » et le « calcul égoïste », supprimant ainsi « la dignité de l’individu devenu simple valeur marchande ».

Plus généralement, depuis l’avènement de la grande industrie et du marché mondial, la bourgeoisie s’est « emparée de la souveraineté politique exclusive dans l’État représentatif moderne ». Or, la toxicité de la bourgeoisie tient au fait qu’elle « ne peut exister sans constamment révolutionner les instruments de production et donc les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux » (pp. 29-30).

Plus spécifiquement et plus largement, Marx et Engels perçoivent l’amplitude croissante des mutations de l’économie-monde, qu’ils sont certainement parmi les premiers à déceler comme étant à l’œuvre depuis 1492, avec « l’intégration définitive des Amériques dans l’orbite de l’Europe » (Tilly, p. 49). Dès 1847-1848, Marx et Engels relèvent donc déjà que ce facteur a été décisif dans la disparition progressive de la société féodale, bientôt supplantée par l’ère mondiale de la société bourgeoise.

Plus inquiétant, ce facteur est excroissant : la découverte de l’Amérique et la navigation autour de l’Afrique offrent à la bourgeoisie un nouveau champ d’action, cette fois-ci à une échelle mondiale.

Le marché mondial est donc créé, et une double dynamique apparaît à l’œuvre en impliquant, peu à peu, tous et tout : d’une part, ce marché développe le commerce, la navigation et les voies de communication ; d’autre part, ce développement provoque une gigantesque extension de l’industrie. Or, ce faisant, tant au niveau national qu’au niveau international, la bourgeoisie ne véhicule qu’« exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale » (pp. 28-29.

4. La bourgeoisie et l’auto-destruction

L’une des idées fondamentales du Manifeste consiste à mettre en exergue que l’histoire politique et intellectuelle de toute époque historique (sa « superstructure idéologique ») résulte directement de la production économique et de la structure sociale propre à cette époque historique.Autrement dit, résulte de l’état de son « infrastructure économique ».

C’est dans cet état d’esprit que, trois auparavant, en 1845, Marx et Engels discernait déjà, dans L’idéologie allemande, qu’en tout temps et qu’en tout lieu, « les idées et les croyances d’une société sont celles de sa classe dominante ».

Dans le Manifeste, ce constat sans appel s’applique au concept et à la réalité – à géométrie variable – du droit « bourgeois ». Cet élément est déterminant au sein de cette « superstructure idéologique » instituée au service exclusif de la domination bourgeoise : « Votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d’existence de votre classe » (p. 47).

De là, Marx et Engels en viennent à décrier le système capitaliste bourgeois pour son insatiable propension à détruire tous les liens ancestraux élémentaires, parmi lesquels, notamment, la famille : ici et désormais, l’enfant n’est qu’une marchandise, et la femme n’a d’autre utilité que celle d’une unité de production qui permet la reproduction.

Plus globalement, Marx et Engels démontrent que la bourgeoisie porte en elle les germes de sa propre décomposition, puisque non seulement sa marche forcenée entraîne dans son sillage la planète entière, et, en outre, que, ce faisant, les nations sont inéluctablement vouées à disparaître.

Or, quoi de plus éloquent, dans son rapport d’appartenance à sa nation (théorique), que la condition (réelle) du prolétaire : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas » (pp. 48.49). En ce sens, Marx et Engels l’avaient annoncé dès L’idéologie allemande : l’ouvrier appartient à une « classe qui n’est plus considérée comme une classe dans la société, qui n’est plus reconnue comme telle et qui est déjà l’expression de la dissolution de toutes les classes, de toutes les nationalités » (L'Idéologie allemande, p. 75) .

5. Du national à l’international : guerre mondiale ou révolution mondiale

Pionniers incontestables, Marx et Engels déchiffrent que « les deux phénomènes bourgeois et national » ont fait, ensemble, leur apparition dans l’histoire contemporaine ; la formation des nations « dites modernes » s’étant révélée organiquement rattachée à la société bourgeoise et à son Etat-nation .

Or, très rapidement, il apparut que ce lien organique ne pouvait aller sans entraîner de très sérieuses contradictions, dont une, majeure et décisive : celle qui vit la bourgeoisie nécessiter, de pair, une autonomie et une spécificité nationales, en même temps que la poursuite d’objectifs de conquêtes extérieures, en premier lieu économiques. Marx et Engels l’analysent très clairement : « la bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuel » (p. 38). Poussée par le « besoin de débouchés de plus en plus larges pour ses produits » (pp. 30-31), elle « envahit le globe entier », et finit par « ressembler au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées » (p. 33).

Or, aussi longtemps que perdure et que s’exacerbe cette contradiction, c’est la guerre mondiale qui point à l’horizon. De fait, cette « guerre », dans sa dimension et son ampleur (tendanciellement puis effectivement) mondiales, résulte « des contradictions économiques du capitalisme » (Hallet Carr, p. 567).

Observateurs avisés des enjeux et des conflits géopolitiques de leur époque et des âges précédents, Marx et Engels dressent le constat suivant autour de 1850 : généralement, chaque période historique voit cinq grandes puissances s’opposer impitoyablement pour l’hégémonie. Or, détectent-ils, cette compétition interétatique, qui s’écoule et s’accentue vers la guerre mondiale, a pour conséquence de faire apparaître une « Sixième puissance », la révolution. Ils avertissent ainsi qu’ « il ne faut pas oublier qu’il existe en Europe [et dans le monde] une Sixième puissance qui, à des moments précis, fait valoir sa suprématie sur les cinq autres, dites grandes puissances, et les fait toutes trembler. Cette puissance, c’est la révolution » (Molnar, p. 113).

Plus tard, à la veille de la guerre de 1914, Lénine en aura une parfaite confirmation : dans la foulée de Marx et Engels, il perçut que les conflits entre grandes puissances constituaient la question cruciale, surtout du point de vue de la faisabilité de la révolution, laquelle, émergée d’un bouillonnement international sans précédent.

6. Conclusion

La rédaction du Manifeste est achevée en janvier 1848. Après 1789 et 1830, le 24 février 1848, la « troisième révolution française » se produit et contraint Louis-Philippe d’abdiquer : la monarchie de Juillet laisse place à la Seconde République. Nouveau « hasard » des calendriers, une première traduction française du Manifeste est éditée à Paris à la veille de l’insurrection ouvrière de juin 1848. Certes, elle échouera et sera durement réprimée.

Pour autant, « la Sixième puissance » se frayait bel et bien un chemin jusqu’au premier plan de la scène mondiale : l’Association Internationale des Travailleurs – dite 1ère Internationale – était fondée par Marx et Engels en 1864 ; la Commune de Paris tonitruait en 1871 ; la première révolution russe explosait en 1905 ; la révolution mondiale supplantait la guerre mondiale à compter d’Octobre 1917 et s’ancrait au XXème siècle jusqu’en 1991… La force démonstrative du Manifeste n’est plus à établir ; et comme l’écrivait encore assez récemment Slavoj Zizek, « le Spectre rôde toujours »…

Sans doute dès sa conception, Marx et Engels savaient que leur travail – théorique et pratique – ne faisait que commencer. La théorie de la révolution serait nécessairement à affiner encore et encore. Et la marche pratique du processus révolutionnaire, tout balbutiant qu’il était, réserverait forcément plusieurs surprises qui imposeraient nuances, révisions, corrections, ajustements.

À partir de l’insurrection ouvrière parisienne de juin 1848, et plus encore avec l’expérience de la Commune de Paris en 1871, ce constat devint encore plus saisissant. D’où, dans la préface à l’édition allemande de 1872, ces quelques précisions fondamentales que les auteurs ont jugé bon d’apporter : « Ainsi que le Manifeste l’explique lui-même, l’application des principes dépendra partout et toujours de circonstances historiques données, et c’est pourquoi on n’insiste pas particulièrement sur les mesures révolutionnaires [proprement dites] » (p. 72).

7. Zone critique

Si, comme le rappelle Claude Mazauric, le Manifeste demeure « un appel clairvoyant au refus de se soumettre », il est certain que le lire aujourd’hui – soit 170 ans après sa rédaction – peut interroger, voire, parfois, laisser quelque peu sceptique sur deux points capitaux de la théorie révolutionnaire communiste : d’une part, à propos de la question de la conscience de classe révolutionnaire internationale des prolétaires, laquelle ne fut pas et n’est toujours pas aussi évidente et automatique que Marx et Engels auraient peut-être pu le croire.

D’autre part, à la façon dont le lecteur est invité à devoir conceptualiser la complexité du monde, en la réduisant à la seule opposition manichéenne « bourgeoisie / prolétariat ». Or, quand bien même il est patent que l’opposition entre « ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas » se révèle bel et bien être une constante historique et transnationale à l’œuvre jusqu’à nos jours, dès le XIXème siècle et certainement plus encore aujourd’hui, le nébuleux enchevêtrement du monde constitue, lui aussi, une constante qui n’a pas fini de durer...

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Manifeste du Parti communiste, Paris, Librio, 1998 [1848].

Ouvrages de Karl Marx et Friedrich Engels

– L’idéologie allemande, Paris, Editions sociales, 1976 [1845].– La Sainte famille, Paris, Editions sociales, 1969 [1845].

Ouvrages sur Karl Marx et Friedrich Engels

– Miklos Molnar, Marx, Engels et la politique internationale, Paris, Gallimard, 1975– Sigmund Neumann, « Engels et Marx : concepts militaires des socialistes révolutionnaires », in Edward Mead Earle (dir.), Les maîtres de la stratégie, Tome I, Paris, Editions Berger-Levrault / Flammarion, 1980, pp.179-198.– Martin Malia, L’Occident et l’énigme russe. Du cavalier du bronze au mausolée de Lénine, Paris, Seuil, 2003.– Charles Tilly, Les révolutions européennes 1492-1992, Paris, Seuil, 1993. – Edward Hallet Carr, La révolution bolchevique 1917-1923. La Russie soviétique et le monde, Paris, Editions de Minuit, 1974.– Slavoj Zizek, Le Spectre rôde toujours (Actualité du Manifeste du Parti communiste), Paris, Nautilus, 2002

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