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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Théorie du Donut

de Kate Raworth

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

L'économie s'est pensée comme une science, elle est devenue illusion. Voire religion, avec un dieu nommé croissance. À l'heure où les inégalités ravagent le monde, et des menaces sans précédent pèsent sur la planète, changer de logiciel ne suffira pas à nous éviter l'abîme. Ces défis d'une ampleur inconnue obligent à refonder les principes mêmes de l'économie. À abandonner des « lois » mythiques au profit d'une discipline respectueuse des hommes et de leur environnement. Ces deux horizons délimitent les limites inférieure et extérieure d'un nouveau schéma pour penser une activité soutenable et formuler les interventions du XXIe siècle : le donut.

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1. Introduction

Adam Smith, le père de l'économie, considérait que la richesse d'une nation reposait d'abord sur son climat et sur son sol. Pour les classiques, la terre était un facteur de production au même titre que la main-d’œuvre et le capital. À la fin du XXe siècle, cependant, la terre a disparu du tableau. L'économie est enseignée sans que soit mentionnée la planète qui nous accueille, alors qu'elle forme un système fermé : aucune matière n'y arrive ou n'en sort.

Comme l'y incite Herman Daly à l'heure où nous dépassons la capacité régénérative de la Terre, il faut « redessiner l'économie comme sous-système ouvert d'un système fermé. » Ce changement de paradigme s'impose, d'autant que rien ne peut se déplacer, croître ou fonctionner, sans une énergie qui provient, directement ou indirectement, du soleil, ce que la macroéconomie a totalement négligé.

Cet oubli majeur est particulièrement illustré par le Monetary National Income Analogue Computer (MONIAC), agencement de tuyaux et d'aquariums modélisant les flux de revenu dans l'économie britannique. Cette machine, créée en 1949 par Bill Philips, incarnait le schéma de Paul Samuelson que tous les étudiants connaissent : les ménages fournissent main-d’œuvre et capital en échange de salaires et de profits, puis ils dépensent ce revenu en achetant des biens et services aux entreprises. Les banques, le gouvernement et le commerce international constituent trois « fuites » qui se compensent.

Le hic, c'est que Bill Philips négligeait un élément critique du modèle : l'énergie, qui actionnait sa pompe électrique comme elle fait fonctionner l'économie réelle. Depuis 2009, on sait, avec Robert U. Ayres et Benjamin Warr, que la croissance occidentale du XXe siècle s'explique parfaitement si on tient compte de l'énergie, ou plus précisément de la proportion d'énergie qui peut être exploitée, au lieu d'être transformée en chaleur.

2. Revenir aux fondamentaux

Adam Smith considérait également que l'humanité avait d'autres motivations que l'intérêt personnel.

Mais depuis un Jevons inspiré par les lois de Newton « qui avait su réduire le monde physique à des atomes », les économistes ont construit l'homo œconomicus, qui réduit l'homme à une calculatrice, un concurrent solitaire, un être insatiable doté d'une prévoyance sans faille, qui lui permet de comparer les biens et les prix, partout et tout le temps. C'est sur de telles bases que les partisans du laissez-faire ont développé leur doctrine, qui a guidé les politiques de Reagan et de Thatcher : le marché est efficace, le commerce gagnant-gagnant, l'État incompétent, la terre inépuisable car les ressources rares sont régulées par les prix, les communs (ressources partagées) sont une tragédie, etc.

Il faut sortir de ces schémas « périmés, partiels ou carrément faux » que nous avons en mémoire. Au point que le modèle de l'homme est devenu un modèle pour l'homme, avec des comportements normatifs éloignés de la volonté des pères fondateurs de la science économique.

Pour Smith, l'économie avait deux objectifs. Pour Gregory Mankiw, que les étudiants connaissent bien, elle n'en a plus : « L'économie est la manière dont la société gère ses ressources rares ». À quoi Milton Friedman a ajouté que, affranchie de toute valeur, l'économie était devenue une science positive. D'où des « lois » et un fonctionnement hors sol que la crise de 2008 a cruellement démentis. En définitive, le néolibéralisme « nous a conduits au bord de l'effondrement écologique, social et financier » (p. 97). Un habitant sur neuf ne mange toujours pas à sa faim. Et les inégalités s'accroissent.

Pour élaborer une économie dont la boussole pointe les réalités du XXIe siècle, l'économiste doit s'interroger sur les dynamiques sociales et remplacer l'homo œconomicus par l'homo socialis, l'homo reciprocans, l'homo heuristicus, etc. Il doit également tenir compte des flux d'énergie et de matériaux. C'est-à-dire donner des limites sociales et écologiques à l'activité humaine : quels sont les seuils à respecter ? Mais d'abord, qu'est-ce qui permet aux êtres humains de s'épanouir ?

Notre personnalité économique n'est pas celle décrite dans les manuels, bien au contraire. Au delà des cultures, Homo sapiens est l'espèce la plus coopérative de la planète. Nous sommes des êtres sociaux, soucieux de réciprocité, nous donnons notre sang, nos enfants partagent leur goûter, nous n'avons pas de préférences immuables et, plutôt que de calculer, nous nous livrons à des approximations. Par ailleurs, nous sommes interdépendants et « loin d'avoir la maîtrise sur la nature, nous sommes profondément inscrits dans le réseau de la vie » (p. 140). La recette du Donut est basée sur de tels ingrédients. Le beignet de Kate Raworth définit un espace où les besoins de chacun pourraient être satisfaits en préservant le monde vivant dont nous dépendons. Un espace à la fois écologiquement sûr et socialement juste.

3. La boussole du XXIe siècle

Le Donut retient les 12 domaines définis par les Nations unies au titre des objectifs du développement durable :

• Nourriture (car 11 % de la population souffre de malnutrition).• Santé (pour 46 % de la population, le taux de mortalité des moins de cinq ans dépasse 25 naissances sur 1 000).• Éducation (17 % des enfants de 12 à 15 ans ne sont pas scolarisés.).• Revenu et travail (29 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, soit 3,10 $/jour).• Eau et assainissement (9 % de la population n'a pas réellement accès à l'eau potable).• Énergie (38 % de la population n'a pas un accès suffisant à une cuisine propre).• Réseaux (24 % n'ont personne à qui demander de l'aide, si besoin).• Logement (24 % de la population urbaine vit dans un bidonville)• Égalité des sexes (écart des salaires entre hommes et femmes : 23%)• Équité sociale (écart entre riches et pauvres, etc.)• Représentation politique (car la gouvernance joue un rôle capital)• Paix et justice (corruption, taux d'homicide...)

Le plafond écologique inclut neuf garde-fous proposés par des scientifiques. Certains sont déjà dépassés, comme l'illustre le Donut.

• Le changement climatique (la concentration en gaz carbonique, ou CO2, atteint 400 ppm, pour un maximum de 350 ppm).• L'acidification des océans (un quart du CO2 émis par l'homme se retrouve dans les océans).• La pollution chimique (aucune variable globale n'est encore définie).• La charge d'azote et de phosphore (150 Mt/an d'azote pour une limite admissible de 62 Mt).• Les prélèvements d'eau douce (on en consomme 2600 m³/an pour une limite estimée à 4000 m³). • La conversion des terres en terrains agricoles, espaces urbains, etc. (perturbation des cycles du carbone et de l'eau).• La perte de biodiversité (le taux d'extinction atteint désormais 100 à 1000 par million d'espèces chaque année).• La pollution de l'air (qui attend encore ses indicateurs, à l'échelle de la planète).• L'épuisement de la couche d'ozone (concentration proche du minimum souhaitable).

4. Le bien-être, pas la croissance

Le Donut se pose en alternative au PIB, instrument de mesure devenu objet de culte, en l'absence d'objectif(s) associé(s) à l'économie. La croissance, c'est-à-dire l'augmentation du PIB, est ainsi devenue un but en tant que tel, même si aucun économiste n'a osé dessiné sa courbe à long terme. Et pour cause. Au rythme de 3 %, les 80 billions de dollars du PIB mondial seront multipliés par trois en 2050, par dix en 2100, etc. La courbe tend donc vers l'infini. Comment la planète pourrait-elle suivre ?

En 1972, Donella Meadows avertissait déjà que « la croissance est l'un des objectifs les plus stupides qu'une culture ait jamais inventés .» Reste que le monde financier, les gouvernements et les entreprises sont adeptes d'un revenu monétaire croissant. Car ce dernier génère des financements sans augmenter les impôts et il ne remet pas en cause la redistribution des revenus. La croissance accentue même les inégalités : entre 1998 et 2008, plus de 50 % de la hausse du revenu global ont été accaparés par les 5 % les plus riches de la planète.

Les économistes du XXIe siècle doivent s'éloigner des conceptions de leurs aînés, qui débouchent sur la « théorie du ruissellement » et justifient les mesures d'austérité. Alors que chez Samuelson les ménages forment un groupe homogène, Thomas Piketty a démontré que le rendement du capital augmente plus vite que l'ensemble de l'économie, ce qui concentre davantage la richesse et remet en cause les valeurs méritocratiques qui fondent les démocraties.

À la croissance, l'auteur préfère l'objectif du Nobel Amartya Sen : « favoriser la richesse de la vie humaine, plutôt que la richesse de l'économie ». Bref, il ne s'agit plus de s'attacher au seul revenu, mais de prendre en compte « les nombreuses sources distinctes de richesse – naturelle, sociale, humaine, physique et financière – dont dépend notre bien-être » (p. 127). Cela permet de reformuler une question essentielle : comment sevrer les pays riches, pour limiter leurs dégâts, tout en permettant aux pays les plus pauvres de se développer ?

5. Redistribuer

Entrer dans le Donut suppose de surmonter l'addiction financière, politique et sociale au PIB. Cela ne condamne pas la croissance si elle permet de construire une économie qui permet de nous épanouir. Mais il faut découpler le PIB et l'usage des ressources, ce que la « croissance verte » n'assure pas. Il faut donc s'orienter vers une économie stationnaire, comme l'avaient envisagé David Ricardo et surtout Adam Smith. Sans perdre de vue que les communs, par exemple, peuvent créer une richesse non monétaire.

Cette économie doit être redistributive. Comprenez que sa « dynamique tend à disperser et faire circuler la valeur à mesure qu'elle est créée, au lieu de la concentrer dans des mains toujours moins nombreuses » (p. 211). Elle doit se déployer dans cinq domaines différents : l'entreprise (où les coopératives montrent la voie), la technologie (en imposant les ressources non renouvelables et non plus la main-d’œuvre, ce qui permet de partager le travail), le savoir (selon le modèle de l'open source, avec des lieux publics d'expérimentation), le contrôle de la terre (dont le stock est limité) et la création monétaire, partant de l'idée que la monnaie est d'abord une relation sociale fondée sur la confiance.

Au-delà des monnaies, papier ou numériques, liées aux échanges locaux, l'auteure remet au goût du jour (l'endettement, les bulles spéculatives…) la proposition de confier aux banques centrales le pouvoir de créer de l'argent, avec délégation aux banques commerciales, ce qui freine la spéculation, et autorise des prêts à taux faible ou nul pour des projets vertueux, axés sur le long terme.

6. Un nouveau moteur économique

Autre idée à mettre au musée : la croissance serait bénéfique à l'environnement, car l'industrie laisse place à des services et la technologie résout les problèmes. On sait ce qu'il en est : notre empreinte est telle, que nous entrons dans l'Anthropocène, première ère géologique façonnée par l'homme. Notre schéma industriel étant toxique, il faut recycler avec l'impact zéro en ligne de mire. Et donc dépasser les taxes mises en place pour lutter contre les « externalités négatives ».

Cette approche que l'auteure définit comme « design généreux » en opposition au « design dégénératif », est une révolution industrielle, qui conduit à calquer l'activité économique sur le fonctionnement d'un écosystème. Pourquoi généreux ? Parce qu'une entreprise ou une ville généreuse (comme Oberlin, dans l'Ohio) contribue à nous ramener en deçà du plafond écologique du Donut.

Mais « pourquoi devrai-je fournir de l'air pur au reste de la ville » ? demande un promoteur à qui l'on proposait de construire des murs séquestrant le dioxyde de carbone. On mesure le chemin à parcourir : il faut redéfinir l'entreprise et la finance. Si des indicateurs sont déjà en place, ce « processus de redesign émergera […] des expériences innovantes de ceux qui essayent de le concrétiser » (p. 308).

Dans les entreprises, où l'on a « besoin d'un objectif plus inspirant que la simple maximisation de la valeur pour les actionnaires », quelques sociétés ont déjà inscrit dans leurs statuts un objectif axé sur le vivant, comme la défense des droits humains. Dans la finance, la démarche de John Fullerton mérite d'être citée. L'ex-directeur de la banque JP Morgan a quitté Wall Street pour concevoir une « finance régénérative », avec huit principes clés au service de la vie. Les dividendes des actionnaires ne dépendent plus des profits de l'entreprise, par exemple : ils correspondent à une part de son revenu. Une firme rentable, qui ne croît pas, peut ainsi attirer les investissements stables.

Cet exemple pointe le rôle de la monnaie et celui de l'État qui en a le monopole. Une monnaie à surestarie pourrait ainsi favoriser l'investissement régénératif, plutôt que l'accumulation infinie. Ce type de monnaie correspond à un principe simple : plus on la garde, plus elle tend à perdre de la valeur. Ce principe déroge à nos schémas coutumiers.

Mais le concept a été développé localement en Allemagne et en Autriche (sous forme de timbres, à coller périodiquement sur les billets). Il permet à des banques de prêter à des entreprises, pour des investissements dont le rendement est proche de zéro (un projet de reforestation, par exemple), car le financement l'emporterait sur le coût de conservation de l'argent. Les taux d'intérêts négatifs que nous connaissons sont-ils si éloignés d'une telle formule ?L'économie publique a donc un rôle moteur dans la nécessaire transformation de l'activité. L'État est appelé à contrôler le marché, fournir des biens publics, soutenir les ménages et les communs.

7. Conclusion

Kate Raworth ne livre pas de recettes toutes faites. Face un risque d'effondrement de nos sociétés, elle redessine le monde avec un crayon, rappelant que l'humanité est à un moment clé de son histoire. Nous pouvons être – ou pas – la génération pivot qui remet l'humanité dans le droit chemin, en donnant un rôle central à la réflexion économique. Il nous appartient de revenir aux fondamentaux pour « satisfaire les droits humains de chaque individu dans la limite des moyens de notre planète ».

Le Donut montre la voie, et ses sept clés pour une nouvelle économie, inspirée des théories de la complexité, invitent chacun à résoudre les défis, locaux et mondiaux, pour combiner équilibre et prospérité. Changeons les mentalités. « La prochaine génération de penseurs et d'acteurs sera bien mieux placée pour procéder à des expériences et découvrir ce qui fonctionne ».

8. Zone critique

D'une certaine manière, ce livre prolonge une réflexion émise par Jacques Mistral : pourquoi l'économie néolibérale pèse-t-elle si lourd, alors que la majorité des économistes ne partagent pas ses points de vue sur l'efficience des marchés ? La lecture critique de l'histoire économique à laquelle se livre l'auteure est ici particulièrement éloquente.

Curieusement cependant, Kate Raworth, qui prône le réseau et le collectif, s'appuie sur Rostow, dont l'ouvrage avait pour titre complet : Les étapes de la croissance : un manifeste anti-communiste, avec des thèses contestées, en particulier parce que Rostow assimilait croissance et développement.

Mais cet ouvrage doit être perçu comme un chantier, davantage que comme un traité académique. Il pose un cadre, un point de convergence pour de nombreux travaux sur le développement durable ou la transition écologique. Ce n'est sans doute pas un hasard si les cercles du beignet schématisent aussi la « culture régénératrice » du mouvement Extinction Rébellion.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Kate Raworth, La Théorie du Donut, l'économie de demain en sept principes, Paris, Plon, 2018.

Autres pistes– Éloi Laurent, Sortir de la croissance, mode d'emploi, Paris, Les Liens Qui Libèrent, 2019.– Steve Keen, L'Imposture économique, Ivry-sur-Seine, L'Atelier, 2014.– Amartya Sen, Un nouveau modèle économique, Paris, Odile Jacob, 2000.– Michael Sandel, Ce que l'argent ne saurait acheter, Les limites morales du marché, Paris, Seuil, 2014.

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