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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Comment l’Empire romain s’est effondré

de Kyle Harper

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

On ne peut plus raconter l’histoire de la chute de Rome sans tenir compte des changements climatiques et des bacilles mortels qui leur firent suite. Mais les Romains furent également les complices d’une écologie des maladies qui causa leur perte : les bains publics étaient des bouillons de culture, les égouts stagnaient sous les villes, et les routes qui reliaient tout l’Empire propageaient les épidémies. Face à ces catastrophes, les habitants de l’Empire ont cru à la fin du monde et les religions eschatologiques ont alors triomphé des religions païennes.

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1. Introduction

La chute de Rome a toujours suscité questionnements et débats tant est grande la fascination qu’exerce l’effondrement d’une telle puissance. Depuis les travaux fondateurs de l’historien britannique Edward Gibbon au XVIIIe siècle, les explications s’accumulent, se complètent ou se contredisent à ce sujet. Kyle Harper ne fait pas qu’apporter une interprétation supplémentaire, il relit l’ensemble de ces théories à la lumière de l’histoire environnementale (du climat et des microbes) grâce à de nouvelles sources et aux avancées de la recherche scientifique.

Comment la cité de Rome est-elle passée d’un million d’habitants à 20000, soit à peine de quoi remplir un angle du Colisée ? Que s’est-il passé quand 350000 habitants de Constantinople sur 500 000 sont morts de la peste bubonique ?

L’historien s’intéresse ainsi à la démographie de l’Empire, ainsi qu’à l’économie dont l’essor ne fut possible que grâce à un « optimum climatique » au cours de la période -250/150, propice au développement agricole et humain. Le refroidissement qui s’ensuivit (un « petit âge glaciaire » débuta au Ve siècle), ainsi qu’une série d’épidémies (la peste bubonique tua la moitié de la population au milieu du IVe siècle) concoururent à la chute de l’Empire d’Occident et fragilisèrent l’Empire d’Orient qui lui survécut.

2. Des germes dans l’Empire

L’Empire romain a été précocement urbanisé. Les villes étaient des merveilles d’ingénierie civile et il ne fait aucun doute que les latrines, les égouts et les systèmes d’adduction d’eau participaient à leur assainissement. Mais ces barrages étaient constamment confrontés à un océan de germes : les rats grouillaient, les mouches pullulaient, on se lavait peu ou pas les mains et la nourriture ne pouvait être protégée des contaminations. Les villes étaient donc des lieux d’insalubrité maximale.

La cité de Rome produisait chaque jour 45 tonnes d’excréments humains ; Kyle Harper précise que les maladies banales se répandant par contamination féco-orale, provoquant des diarrhées fatales, étaient sans doute les premières causes de mortalité dans l’Empire.

Hors des villes, la transformation des paysages exposait également les Romains à des menaces : les défrichages, les assèchements de marais ou de lacs, tout comme le déplacement de rivières pour construire des routes, confrontaient les citoyens à de nouveaux parasites et provoquaient de profonds changements écologiques. Ainsi le paludisme se répandit par piqûre de moustique autour de Rome.

De même, des germes comme ceux de la tuberculose ou de la lèpre se diffusèrent au reste de l’Empire par les nombreuses routes construites pour faciliter les échanges, à un moment où des régions très éloignées du monde se connectaient à la faveur de la recherche de soie, d’épices, d’ivoire ou d’esclaves en Orient. Enfin, les animaux exotiques destinés à être massacrés au cours des spectacles étaient autant de vecteurs de transmission de maladies importées, inconnues dans l’Empire.

À partir du IIe siècle apparurent les premières pandémies de l’histoire : en 165, un événement connu sous le nom de peste antonine, en réalité probablement la variole, éclata. En 249, un agent pathogène inconnu balaya les territoires sous domination romaine. Et, en 541, la première grande pandémie de Yersinia pestis, l’agent responsable de la peste bubonique, fit son arrivée. La peste antonine, probablement la moindre des trois pandémies, fit environ sept millions de morts.

À titre de comparaison, la bataille la plus sanglante de l’histoire de l’Empire, soit la déroute des Romains à Andrinople en 378 contre l’armée des Goths, fit tout au plus 20000 morts. L’historien en conclut que « les germes ont été bien plus mortels que les Germains ».

3. La peste antonine

Dans la biographie de l’empereur Antonin le Pieux (qui régna de 138 à 161), on rapporte qu’une pestilence avait éclaté en Arabie sous son règne. Sans pouvoir le confirmer de manière certaine, Kyle Harper indique qu’il y a de fortes probabilités pour que cela ait marqué le début de la peste antonine.

Une fois dans l’Empire romain, un germe doté d’un tel potentiel et ne se heurtant à aucun obstacle capable de limiter sa violence se propagea sans entrave. Dans l’année 166, la maladie avait gagné la capitale, qui fit l’effet d’une bombe en diffusant le virus dans toute la méditerranée occidentale ; l’armée fut également ravagée par cette peste en 172, dans ce que l’historien qualifie de « seconde vague ». La Gaule et la Germanie furent touchées, tout comme Athènes, l’Égypte et l’Asie mineure.

La peste antonine a stupéfié les témoins de l’époque, certainement habitués aux épidémies mais pas à des phénomènes d’une telle ampleur. La première réaction fut religieuse : il y eut de nombreuses tentatives pour calmer la colère d’Apollon, dont on disait que le temple à Séleucie avait dégagé une odeur pestilentielle au moment de l’apparition des premiers cas sur le territoire romain. L’oracle prescrivait également des libations et des sacrifices pour réduire l’intensité des souffrances, tout comme l’érection aux portes des villes de statues d’Apollon armé de flèches pour détruire les maladies.

La peste antonine se manifesta, selon les écrits du temps, par une fièvre, une irruption de pustules noires, une ulcération de la trachée et des selles noires ou sanglantes.

C’est à partir de ces descriptions que l’historien rapproche cette maladie de la variole. Il précise que l’expansion de la contagion était structurée par des caractéristiques de l’Empire : l’urbanisation et l’interconnexion. La pandémie s’est déplacée du sud au nord, en suivant les mouvements humains. Le taux de mortalité variait de 30 à 40%, touchant les plus jeunes et les plus âgés et le nombre de victime s’établit, selon les estimations précédentes, entre 1,5 et 25 millions de personnes. Kyle Harper reconnaît ici la difficulté d’établir des chiffres fiables quand on étudie une maladie qui eut lieu dans l’Antiquité ; il estime pour sa part que 7 à 8 des 75 millions d’habitants de l’Empire ont péri, soit près de 10% de sa population.

Cette pandémie provoqua également une crise monétaire et fiscale, de l’inflation, et marqua un infléchissement majeur dans le développement de Rome.

4. Climat et invasions

L’Empire romain de la fin du IVe siècle était l’État le plus puissant du monde et l’un des plus forts qui ait jamais existé. Le système impérial s’était profondément centralisé, contrairement à son organisation initiale, au Ier siècle : s’il y avait moins d’un millier de fonctionnaires au début de l’Empire, on en dénombrait désormais près de 35000. Les empereurs cherchaient en permanence des solutions pour maintenir la stabilité de l’État, à l’instar de Constantin qui se convertit au christianisme au début du IVe siècle, donnant désormais le ton dans la célébration des rites, finançant des lieux de culte et dépouillant les anciens temples.

Le IVe siècle fut aussi le moment où des pressions extérieures vinrent éprouver la solidité du régime. En Occident, les hiérarchies sophistiquées d’une société riche et bien articulée implosèrent, et leur succéda un ordre plus simple et plus primitif. La démonstration de Kyle Harper repose surtout sur le rôle que l’environnement a pu jouer dans cette transformation.

À cette époque, le climat était plus chaud et les jours de l’optimum climatique romain avaient définitivement disparu. Les germes, associés aux tumultes de la guerre, ne cessaient de faire des ravages démographiques. Mais surtout, les transformations climatiques eurent pour effet une brutale aridité des steppes eurasiennes (s’étendant des plaines de la Hongrie jusqu’à la frontière est de la Mongolie), provoquant de grandes vagues de migration depuis le cœur de l’Asie. Désormais, de nouveaux peuples faisaient intrusion dans les affaires de l’Empire.

L’arrivée des Huns sur les bordures occidentales des steppes bouleversa l’ordre goth qui s’était imposé depuis plus d’un siècle sur les bords de la mer Noire. Soudain, les Goths franchirent les frontières romaines et la pression exercée submergea, sans qu’on l’eût prévue, les structures de l’Empire. Kyle Harper rappelle ici que le déferlement des Huns n’a pas, seul, provoqué la chute de l’Empire d’Occident : les conquêtes faites par ce peuple, qu’il qualifie de réfugiés climatiques en armes et à cheval, furent en réalité minimes et les effets de leur montée sur scène doivent être relativisés et envisagés à la lumière des faiblesses structurelles de l’Empire romain.

Pourtant, il ne faut pas non plus considérer ces invasions comme un détail dans ce qui a entraîné la chute de Rome, car seule une moitié de l’Empire (celui d’Orient) devait survivre à cette épreuve.

5. Des germes salvateurs ?

Alors que l’Empire romain titubait face aux avancées des peuples barbares, le roi le plus célèbre des Huns, Attila, renforça les capacités de sa machine de guerre. Durant une décennie environ, il constitua une menace existentielle pour les deux Empires romains, celui d’Orient et celui d’Occident (séparés depuis 395). Au cours de l’année 440, il pilla les Balkans et accumula les richesses. En 447, un puissant tremblement de terre abattait les murailles de Constantinople (57 tours s’effondrèrent), laissant la capitale de l’Empire d’Orient sans défense.

À la tête d’une armée composée de Huns et de Germains, il franchit le Rhin en 451 et la horde se répandit avec fracas en Italie en 452. Les cavaliers pillèrent la vallée du Pô, Milan tomba sans résister et Attila occupa le palais impérial qui s’y trouvait. Les Romains réalisèrent alors que rien ne parviendrait plus à arrêter l’avance des Huns en Italie centrale et, incapable d’opposer la moindre résistance militaire digne de ce nom, ils finirent par envoyer une ambassade négocier avec Attila sous la direction du pape Léon lui-même.

Toutefois, si l’on sait que les Huns finirent par retraverser les Alpes pour gagner les plaines hongroises, ce fut probablement moins en raison de l’intervention de ces négociateurs que des maladies qui menaçaient les envahisseurs. Car le cœur de l’Empire était un foyer de germes, et Kyle Harper octroie volontiers au paludisme le statut de sauveur.

Faisant pâturer leurs chevaux dans les plaines marécageuses où les moustiques pullulaient et transmettaient le protozoaire mortel, les Huns étaient des proies toutes désignées pour l’infection. Ainsi, ils regagnèrent le centre de l’Europe, laissant dans le nuage de poussière de leur retraite un monde romain méconnaissable comparé à celui qu’ils avaient trouvé à leur arrivée. Coupée de l’administration centrale, les anciennes structures s’étiolèrent rapidement à l’ouest. L’armée, qui ne recevait plus sa solde, cessa d’exister en tant qu’institution d’État et, en 476, ce fut la fonction d’empereur d’Occident elle-même qui disparut.

Mais le recul des Huns avait permis de préserver la partie orientale de l’Empire, qui devait continuer d’exister jusqu’en 1453 autour d’un pouvoir centralisé dans la capitale, entre les mains d’une bureaucratie, d’une cour et de la figure de l’empereur, élu de Dieu.

6. La peste de Justinien et ses conséquences

La peste justinienne qui débuta en 541, provoquée par le bacille Yersinia pestis, sévit durablement dans tout le bassin méditerranéen. Elle affecta la démographie européenne pour deux siècles et revint sporadiquement frapper le continent jusqu’au XIXe siècle, notamment au Moyen Âge. Le virus était un parasite des puces, elles-mêmes parasites des rongeurs, en premier lieu les rats.

L’Empire romain d’orient constituait pour eux une aubaine : des villes et des réserves de grains partout, et de nombreuses voies de communications, à la fois sur terre et sur mer. En outre, la promiscuité de l’époque favorisait la transmission des virus et le climat du VIe siècle, plus froid, avait pu favoriser l’explosion des populations de rongeurs.

Déjà affaiblie par les problèmes climatiques et son lot de virus habituels, la population de l’Empire fut décimée. Le taux de mortalité atteignit 80% par endroits et près de 50% de la population disparut. La maladie dépeupla Constantinople et Alexandrie. Faute de bras, les récoltes ne se faisaient plus et la famine s’installa. Les cours du blé et le système monétaire furent durablement affectés, comme ils l’avaient déjà été du temps de la peste antonine. Malgré les efforts de Justinien pour préserver son Empire et renouer avec la splendeur de l’époque d’Auguste (premier empereur, en 27 avant J.C.), l’élan était brisé.

La peste revint régulièrement dans les décennies suivantes dans toute la Méditerranée, chaque fois violemment, profitant des flux commerciaux. Et la décroissance de la population était un fléau, Kyle Harper expliquant par exemple qu’une bonne crue du Nil pouvait désormais provoquer de graves inondations dans le delta, faute de bras en amont pour gérer l’irrigation. Dans les années qui suivirent, et jusqu’au début du VIIIe siècle, l’Empire romain d’Orient, épuisé, en manque d’argent, de soldats et en guerre contre les Perses, perdit de nombreux territoires, notamment dans les Balkans et en Italie.

Au même moment, les Arabes profitèrent de la guerre qui épuisait Perses et Byzantins pour s’attaquer aux deux et en quelques années les Romains perdirent l’Égypte et leurs territoires au Proche-Orient, ne sauvant leur capitale que de justesse, après un siège particulièrement difficile (717-718). L’Empire était considérablement réduit, et n’avait plus désormais de romain que le nom.

7. Conclusion

Cet ouvrage de Kyle Harper met en valeur le poids des éléments naturels sur les sociétés humaines, et en l’occurrence ici sur le déclin de l’Empire romain. Il donne une vision nouvelle de l’histoire, octroyant à la nature le premier rôle et offrant à son étude une réflexion résolument contemporaine, où le changement climatique est perçu comme une force supérieure qui s’imposerait à une humanité impuissante, et face à laquelle toutes les classes sociales seraient égales.

Analysant les principales crises subies à partir du IIe siècle par l’Empire romain, puis à partir de 395 par les Empires d’Orient et d’Occident, il montre le rôle joué par les maladies et le climat, modifiant radicalement notre connaissance du fascinant effondrement de ces entités.

8. Zone critique

Au-delà des conclusions offertes par cette étude et qui permettent d’envisager la chute de Rome différemment, les principaux apports de cet ouvrage sont assurément méthodologiques et historiographiques. Il établit un pont entre des sciences aussi éloignées que l’histoire et la biologie. À travers ces lignes, on voit poindre l’histoire environnementale, à laquelle peut être associée celle des agents pathogènes, à la faveur des avancées de l’anthropologie et de la recherche microbienne.

Si l’on peut regretter que Kyle Harper ne s’intéresse que très peu à la chute de l’Empire romain d’Orient en 1453, l’ouvrage demeure passionnant, en dépit d’une traduction parfois peu claire. Il renouvelle notre vision de Rome, propose une histoire dans laquelle les aléas naturels retrouvent toute leur place et, surtout, il fait étrangement écho à notre actualité.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Kyle Harper, Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, Paris, La Découverte, 2019.

Autres pistes– Christophe Badel, La Noblesse de l’Empire romain. Les masques et la vertu, Seyssel, Champ Vallon, 2005.– André Chastagnol, La Fin du monde antique, Paris, Nouvelles éditions latines, 1996.– Jean-Claude Cheynet, Byzance. L’Empire romain d’Orient, Paris, Armand Colin, 2001.– Bertrand Lançon, Le Monde romain tardif, Paris, Armand Colin, 1992.– Yann Le Bohec, Naissance, vie et mort de l’Empire romain . De la fin du Ier siècle avant notre ère jusqu’au Ve siècle de notre ère, Paris, Picard, 2012.

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