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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Cataclysmes

de Laurent Testot

récension rédigée parPierre BoucaudAgrégé d’histoire et docteur en histoire médiévale (Paris IV).

Synopsis

Histoire

C’est un fait : l’homme n’est qu’un singe parmi d’autres. Laurent Testot le souligne avant de décrire l’évolution de « Singe », terme au moyen duquel il désigne l’homme. Bien des aléas ont conditionné la différenciation de l’espèce humaine au sein du règne animal et, finalement, la sélection d’un vainqueur parmi de nombreux concurrents : Homo sapiens. Mais celui-ci est l’hôte « hyperprédateur » d’une planète aux ressources limitées. Le bilan alarmiste de cette histoire environnementale de l’humanité, scientifiquement étayé, conduit à s’interroger sur les choix qui permettront de garantir à l’humanité un avenir vivable.

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1. Introduction

En août 2019, de nombreux et violents incendies ont ravagé la forêt amazonienne, provoquant une vive émotion bien au-delà du cercle des militants écologistes. L’environnement a subi des dégradations préoccupantes et les communautés autochtones craignent pour leur avenir que menace une agriculture spéculative motivée par le seul profit. L’événement illustre le lien profond entre l’homme et les milieux naturels. Il est en outre significatif des tensions qui marquent les rapports entre groupes humains au cours de l’histoire.

L’actualité rappelle assurément que l’on ne peut écrire l’histoire de l’homme sans tenir compte de son milieu. Fragile face à la nature, il lui impose son empreinte, dite « écologique », jusqu’à la transformer pour ses besoins, au risque d’un épuisement des ressources et d’un impact redoutable sur le climat.

L’histoire globale, qui se veut aussi scientifique que possible, convoque les spécialistes de nombreuses disciplines. Elle tente ainsi d’écrire le récit d’une épopée où la sélection joue un rôle primordial et dont l’issue peut être cataclysmique.

C’est donc la grande histoire d’Homo, ou Singe, que ce livre retrace.

2. Au temps des premières humanités

Homo est un « survivant » (p. 31). Génétiquement séparés des gorilles depuis 9 millions d’années, soit trois millions d’années avant de l’être de leurs cousins chimpanzés, les hominidés s’adaptent à l’aridification de l’Afrique, où ils vivent d’abord, sous l’effet de la jonction des deux plaques américaines, nord et sud, qui se soudent, altérant ainsi les courants océaniques et le climat. Le déplacement dans la savane favorise alors la bipédie, qui modifie le squelette et permet le développement cérébral. Tant qu’à marcher, autant aller loin ! Voici que Singe s’aventure hors de l’Afrique il y a au moins 2 millions d’années.

Mais les conditions de vie, ici ou là, diffèrent au point que la descendance de Singe se ramifie. Plusieurs familles d’hominidés coexistent durant des centaines de milliers d’années. L’arbre généalogique de l’homme moderne est donc très complexe et sans cesse remis en question. Nous savons par exemple depuis quelques années seulement qu’Homo sapiens et l’homme de Néandertal se sont unis sexuellement il y a quelque 180 000 ans au Proche-Orient : « Nous n’avons ni repoussé ni exterminé les autres espèces. Nous les avons phagocytées génétiquement » (p. 69).

Une chose est cependant certaine : l’usage de l’outil, qui n’est pas propre à Singe, ne cesse de se parfaire, puis la maîtrise du feu a des conséquences sur l’alimentation des hominidés, très carnée. Singe devient chasseur. Or la chasse est une compétence qui nécessite adresse et organisation. Il acquiert donc la faculté de collaboration et, tôt ou tard, le langage. Il y réussit tellement bien que depuis 100 000 ans, la disparition de la mégafaune, aux Amériques, en Asie et en Australie, va de pair avec son expansion dans ces régions. Citons l’exemple des mammouths, impitoyablement chassés par des hommes qui, en Russie actuelle, construisaient leurs huttes semi-enterrées avec les défenses de ces animaux. Même les traversées maritimes ne font pas peur à Singe.

C’est ainsi qu’il atteint l’Australie, il y a au moins 70 000 ans, et qu’il se met à décorer les parois des cavernes en Europe, mais aussi en Australie, il y a 40 000 ans. Il enterre ses morts depuis déjà longtemps et commence à pratiquer l’incinération. La coopération, l’élargissement des horizons, les contacts : est-ce dans ces racines que puisent les premiers langages symboliques, peut-être les premières croyances ? Mais rien n’est gagné : Homo reste tributaire du milieu, sur lequel il opère des prélèvements encore mesurés.

3. Le « pacte du blé » et l’essor de la civilisation

Les cycles du climat obligent Singe à s’adapter, en s’habillant chaudement, par exemple. Il devient donc artisan. Lors d’un réchauffement, après une période appelée le Dryas récent (10800-9500 av. J.-C.), survient la révolution néolithique : au Proche-Orient, l’homme a l’idée de sélectionner un blé porteur d’une mutation empêchant le grain de se détacher de l’épi, ce que l’auteur nomme le « pacte du blé » (p. 79).

Le riz (Asie) et le maïs (Mésoamérique) sont quant à eux cultivés plus tard. Le Sahara, humide jusque vers -3000, est propice à la culture du sorgho et du riz. La nourriture est dès lors moins carnée et l’homme découvre les caries dentaires, dues à l’amidon des féculents. Par prudence, il constitue des stocks à défendre. Murailles et tours de pierre marquent désormais son paysage. L’organisation sociale villageoise, puis urbaine (dès 7000 av. J.-C.), est de plus en plus inégalitaire et hiérarchisée.

Les enjeux de pouvoir gagnent en importance. La guerre est davantage présente, d’autant que de 5 millions, l’humanité passe à quelques 200 ou 250 millions d’individus au Ier siècle. D’ailleurs, le développement de la métallurgie, celle du bronze (3000 av. J.-C.) et plus encore celle du fer (1250 av. J.-C.), favorise l’activité belliqueuse au moyen d’armes de plus en plus meurtrières. La domestication du cheval et son usage à des fins militaires bouleversent également les pratiques guerrières. Ils expliquent peut-être la domination de l’Égypte par des Asiatiques, les Hyksôs (1750-1580 av. J.-C.), qui les maîtrisaient.

Mais à côté de cela, l’agriculture et les progrès de la poterie, apparue il y a 20 000 ans en Chine, plus tard au Proche-Orient et en Europe, sont à l’origine d’un essor des échanges. Les premières grandes civilisations couvrent les territoires de monuments. Le commerce maritime se développe en Méditerranée. Comment gérer les stocks ? Bientôt s’impose la nécessité de noter les quantités, ce que pourraient traduire certaines proto-écritures dès 7000 av. J.-C., bien qu’il faille créditer l’Égypte et Sumer de l’invention de l’écriture (v. 3300 av. J.-C.).

Celle-ci est d’ailleurs également associée au culte et au droit : le Code de Hammurabi est ainsi le premier code de loi au monde (v. 1750 av. J.-C., en Babylonie). Comment donc expliquer que cinq des six premières grandes civilisations, dont celles citées précédemment, s’effondrent ou s’affaissent en même temps, au XIIe s. av. J.-C. ? On ne peut exclure la simultanéité de plusieurs causes : séismes, famines, refroidissement soudain, guerres civiles et invasions. Les sociétés, désormais structurées autour du chef, des prêtres et des producteurs, constatent leur fragilité. Elles sont en quête de sens.

4. Comprendre, inventer, dominer

Ce n’est donc pas un hasard si l’humanité connaît une révolution morale à travers les religions et les sagesses (Ier millénaire av J.-C.) : bouddhisme, taoïsme et confucianisme en Asie, grandes religions polythéistes ailleurs, monothéisme juif (VIe s. av. J.-C.) et philosophie grecque. Cet « âge axial » (p. 133), expression de Karl Jaspers (1883-1969), livre les grands textes religieux et philosophiques où, aujourd’hui encore, une partie de l’humanité puise des principes de vie. Le divin, l’homme et la nature offrent dès lors autant d’objets à la réflexion et à la méditation. Un principe se diffuse : ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fît.

Au XVIe siècle, les Bishnoï, rattachés à l'hindouisme (Inde), un courant religieux, étendent le respect à la nature et aux animaux. Ils préfèrent se faire massacrer plutôt que l’on abatte leurs arbres. L'hindouisme crée même les premiers hôpitaux pour animaux, quand ailleurs, l’animal fait les frais des sacrifices rituels. Mais les religions, concurrentes, n’en restent pas moins actives. Associées au pouvoir séculier, elles contribuent parfois à justifier la guerre (Jihad chez les musulmans, conversions forcées des Amérindiens au christianisme…).

Par ailleurs, en domestiquant l’énergie, Singe développe aussi l’économie, au point que dès le XVIe siècle, la première mondialisation des échanges tend à uniformiser le monde. Grâce au charbon, au protectionnisme – qui favorise de grandes compagnies commerciales en taxant la concurrence – et à la mécanisation de la production, la science, les armes et l’esprit de conquête font de certains pays occidentaux des puissances qui dominent le monde. Cela se concrétise notamment par l’esclavagisme, qui s’exerce aux dépens de l’Afrique noire (XVIIe-XIXe s.), après qu’un « choc microbien » (p. 218) a d’abord anéanti les populations amérindiennes en les mettant en contact avec des germes importés d’Europe. Certes, les progrès scientifiques ont permis de soigner des maladies auparavant incurables et même d’améliorer les rendements agricoles.

Mais l’expérience montre que l’industrie de l’armement sait s’emparer avec profit de toute invention. L’exemple de Fritz Haber (1868-1934) en témoigne. Ce chimiste allemand parvient à synthétiser l’azote de l’air sous la forme des nitrates, au moyen desquels on fabriqua des fertilisants qui contribuèrent à limiter les risques de famines. Cependant, toujours grâce aux nitrates, le même Fritz Haber est à l’origine des premiers gaz de combat utilisés durant la Première Guerre mondiale. L’ambivalence de ce scientifique n’est-elle pas à l’image de l’humanité elle-même ?

5. La planète de Singe au XXIe siècle

En particulier grâce aux progrès de la médecine, la population mondiale a atteint les 6 milliards d’individus vers l’an 2000. Par ailleurs « la planète est devenue totalement anthropisée » (p. 368) et artificialisée. Les besoins, en terme de consommation, sont tels que la réponse dominante reste le modèle de la croissance économique, pourtant nuisible à l’environnement : « La nature n’aurait de valeur politique et économique qu’en tant qu’externalité » (p. 334), autrement dit qu’en tant qu’elle est exploitable.

Surtout depuis les années 1990, les concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère ont atteint des taux que la Terre n’a pas subis depuis des millions d’années, lors d’une phase d’intense réchauffement. Pourtant, la prise de conscience, face aux dangers encourrus, n’est pas récente. Au XVIIIe siècle, déjà, le Chinois Hong Liangji (1746-1809) soulignait les inconvénients d’un essor démographique qu’il jugeait incompatible avec les disponibilités alimentaires.

Plus récemment, dès 1974, l’alerte a été donnée au sujet des gaz d’industrie contribuant à la destruction de la couche d’ozone de l’atmosphère. Il a fallu vingt-cinq ans pour que les émissions de chlorofluorocarbones (CFC), qui en sont responsables, diminuent. Cependant, la pollution est bien responsable du nuage brun orangé qui couvre une partie de l’Asie (Asian Brown Cloud), grave au point que le phénomène a été nommé « airpocalypse » (p. 437). 97% des climatologues établissent un lien direct entre activité humaine et pollution de la planète. Le constat étant posé, peut-on attendre des solutions d’un développement désormais marqué par l’économie numérique ?

La sixième révolution, numérique, s’accompagne actuellement d’une septième révolution, dite « évolutive » (p. 21), et qui est susceptible de transformer la nature de Singe au moyen des nanotechnologies. Or ces révolutions, il faut le constater, ne soulagent pas la nature et ne limitent pas les inégalités sociales. En outre, il convient de s’interroger sur la pérennité et les risques d’une économie fondée sur la virtualité et l’horizontalité de la communication : « Encore faut-il que le réseau Internet, artefact fragile dépendant d’une infrastructure technique et énergétique périssable, perdure dans le futur » (p. 410). Cette économie ne favorise-t-elle pas d’autre part un sentiment d’une « perte de contrôle » (p. 411) de l’individu ?

Enfin, la tentation de l’humain augmenté grâce aux nanotechnologies menace l’humanité d’être dénaturée par le transhumanisme. Il semble d’ailleurs que se manifestent déjà les conséquences non d’une adaptation nécessaire, mais d’une « exaptation » (p. 399) : les comportements sont modifiés par les nouvelles technologies sans que l’homme puisse y échapper.

6. Conclusion

Singe a su s’adapter à des conditions naturelles variables qui ont conditionné son évolution, bien avant qu’il ne devienne un « hyperprédateur » (p. 48) plus ou moins maître de son environnement. Il semble toutefois être parvenu à un carrefour de son histoire. Quel est l’avenir de l’humanité sur une planète dégradée ? Cela dépend, selon Laurent Testot, de l’aptitude de l’homme à développer son empathie et à modifier ses modes de vie et de production.

Comment faire ? L’auteur offre quelques pistes. Parmi celles-ci, il faudrait renoncer au néolibéralisme en bridant le pouvoir des firmes et des marchés financiers, renforcer la démocratie, reconnaître des droits fondamentaux à tout le vivant et diminuer les prélèvements imposés à la nature. Cela se ferait évidemment « à rebours de l’idéologie dominante, qui prône la guerre de tous contre tous, et de l’humanité contre sa planète » (p. 447).

Des initiatives contre la pollution, pour ne citer que l’un des nombreux problèmes à traiter, existent déjà, notamment dans les pays les plus pollueurs, comme la Chine. Elles laissent place à l’espoir, mais le temps presse et les intérêts nationaux, tout comme l’avidité, constituent des freins sérieux aux ajustements nécessaires.

7. Zone critique

On peut craindre que l’histoire globale ne surplombe de très haut les exigences du travail de l’historien aux prises avec les sources et cela, au détriment du détail. Dans le cas de Cataclysmes, ce sentiment est injustifié. L’auteur s’appuie en effet sur une documentation spécialisée, abondante, sérieuse et actualisée, offrant ainsi le meilleur de l’histoire globale. Il parvient à fournir une vision complète de trois millions d’années – rien que cela ! – d’histoire humaine en intégrant avec compétence la question environnementale. À vrai dire, l’ouvrage est une fresque très réussie.

On ne peut sortir de sa lecture sans éprouver ce plaisir intellectuel qui résulte d’une meilleure compréhension des grands processus historiques. La critique peut quand même émettre quelques regrets, mais à peu de frais. Par exemple, le lecteur apprécierait peut-être de plus amples développements sur la matière religieuse et sapientiale considérable des anciennes civilisations, égyptienne notamment, sans préjudice pour la « conjonction de pensées » de l’« âge axial » (VIIIe-IIIe siècle av. J.-C.) repérée par le philosophe Karl Jaspers. C’est bien sûr insignifiant au regard des apports de cette vaste synthèse.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, Paris, Payot, 2017.

Ouvrages rédigés, coordonnés ou dirigés par l'auteur– Histoire globale. Un nouveau regard sur le monde, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2008.– La guerre, des origines à nos jours, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2014.–“Homo canis”. Une histoire des chiens et de l’humanité, Paris, Payot, 2018.– La grande histoire de l’islam, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2018.– La grande histoire du christianisme, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2019.

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