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Changer d’avenir

de Les économistes atterrés

récension rédigée parNicolas DelforgeDocteur en épistémologie. Chercheur associé au sein du laboratoire AHP-PReST (CNRS, UMR7117).

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

L’ouvrage comporte quatre parties qui sont autant de points de tension à partir desquels les économistes atterrés se proposent de réfléchir : la transition écologique, le contrôle démocratique des données face au développement des GAFA, le devenir des droits des travailleurs devant l’« uberisation » du travail, la recrudescence des communs pour lutter contre l’accaparement du secteur public par le secteur privé. Les économistes atterrés proposent de « faire un pas de côté » pour sortir du crédo néolibéral et refonder une société plus écologique et plus sociale, plus républicaine et plus démocratique.

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1. Introduction

La crise de 2008, elle-même révélatrice d’une crise du capitalisme, a mis l’Europe et le monde dans l’impasse. La France n’y échappe pas : elle est au milieu de la tempête et peine notamment à résorber le chômage. Face à cette situation, l’objectif des économistes atterrés, dans ce livre, consiste à mener la critique des politiques néolibérales et à proposer des alternatives aux recettes éculées (la croissance à tout prix, l’austérité, la finance régulatrice) qui en découlent.

Quatre thématiques clés sont abordées dans l’ouvrage : la crise écologique ou l’émergence de l’anthropocène, la révolution technique liée à l’informatique et à la naissance des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), l’« uberisation » du travail et enfin la privatisation sans précédent du domaine public.

Écrit au moment de l’élection présidentielle de 2017, ce livre manifeste l’engagement de ses auteurs pour un changement de cap social, républicain et écologique, mais il n’apporte pas pour autant de solution clé en main. Il s’agit plutôt d’alimenter le débat politique autour de quelques propositions qui pourraient former une alternative crédible au scénario néolibéral.

2. La stagnation séculaire du capitalisme

Le point de départ des économistes atterrés s’inscrit dans la discussion de l’hypothèse d’une stagnation séculière du capitalisme. La croissance nationale, européenne et mondiale serait-elle en train de prendre fin, une bonne fois pour toute ? Ou devons-nous au contraire nous préparer à une accélération brutale due au développement technique ? Telle est l’une des questions qui divise le champ économique.

Ralentissement démographique, scolarisation de la population déjà bien avancée (au moins dans les pays occidentaux), désindustrialisation, augmentation de la dette, coût du réchauffement climatique, absence de « bond » productif lié aux technologies numériques et primat de l’épargne sur l’investissement constituent les principaux arguments avancés par une série d’économistes « pessimistes » pour justifier l’hypothèse d’une stagnation séculaire de la croissance.

À l’opposé, d’autres experts et des entreprises (dont les GAFA) annoncent une accélération prochaine du progrès technique et donc de la productivité et de la croissance. Le progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle, mais aussi les gisements de big data – entre autres – font imaginer à plus d’un analyste un bond technologique et un saut correspondant de croissance susceptible de mener les sociétés à un niveau encore jamais atteint de richesse.

L’avenir reste largement indéterminé, oscillant probablement entre ces deux tendances. Pour les économistes atterrés, il n’est en tout cas pas certain que l’automatisation croissante liée aux nouvelles technologies apporte davantage de croissance, dans la mesure où cette révolution technologique charrie avec elle 1) une destruction d’emplois qui sont peu compensés par la création de nouveaux postes, 2) qu’elle n’est pas spontanément acceptée socialement et 3) qu’elle se heurte à des limites en termes de ressources énergétiques et matérielles.

3. L’ère de l’anthropocène

Premier chantier : celui de l’écologie. Selon les auteurs, le terme d’anthropocène est à raison jugé inadéquat par beaucoup d’intellectuels de tradition éco-socialiste. Les changements géologiques et climatiques en cours sont-ils le fait de l’Homme ou d’une partie seulement de l’humanité ? Il conviendrait de ne pas masquer, sous cette notion trop vague, les inégalités sociales réelles qui à la fois causent et résultent de ces transformations. Les économistes atterrés s’accordent à considérer que le capitalisme et ses conséquences doivent être placés au cœur même de cette discussion ; il faut oser montrer du doigt des processus sociaux concrets et affirmer la fin de la croissance infinie.

Par conséquent, les économistes atterrés refusent donc de s’en tenir à une économie de l’environnement qui appliquerait la logique néolibérale au « capital naturel ». Il s’agit pour eux d’un jeu extrêmement dangereux, puisqu’il mène à accuser les pays en développement des torts dont les pays occidentaux se lavent dès lors les mains. La Banque mondiale et d’autres institutions internationales ou européennes empruntent malheureusement cette voie de la « croissance verte ». Ce qui se met alors en place, c’est la financiarisation des biens naturels. Ceux-ci deviennent échangeables ou compensables sur des marchés d’obligations où peuvent se revendre des « services écosystémiques ».

Certains tenants d’une économie dite « écologique » tentent quant à eux d’amplifier l’idée d’une limite intrinsèque du « capital naturel ». Pour cette école, plus critique, il s’agit de repenser la croissance à partir de l’idée de finitude et de s’engager dans la voie d’une décroissance « raisonnable » des économies hyper-développées. Les économistes atterrés demeurent toutefois sceptiques. Selon eux, « [l]’alternative n’est pas entre croissance globale et décroissance globale. L’enjeu est d’enclencher immédiatement une transition vers un post-capitalisme et post-productivisme qui puisse concilier les objectifs sociaux et écologiques et qui referme la page des politiques néolibérales d’austérité et de libéralisation des marchés » (p.56).

4. La puissance des GAFA

Deuxième chantier : le développement des technologies de l’information et le pouvoir des GAFA. Les GAFA [ou GAFAM si on y inclut Microsoft] sont des multinationales qui fondent leur richesse et leur pouvoir monopolistique sur ces technologies de l’information. Elles sont à l’affût de la moindre innovation, qu’elles s’approprient par l’intermédiaire d’achats massifs de brevets. Un objectif : être premier dans la course au développement technique. De par leur poids et l’infiltration de ces techniques dans le quotidien, ces firmes sont en position d’exercer une influence considérable sur les vies des citoyens et de sociétés tout entières.

Un premier pas consiste donc à relativiser les services rendus par ces entreprises à partir du coût personnel et social que leur fourniture implique, à savoir le sacrifice de pans entiers de notre vie privée et la mise en péril des processus démocratiques. Les États qui jouent le jeu de ces firmes s’exposent en effet à une grave perte de souveraineté. Pourquoi ? Car ces mastodontes pèsent parfois plus lourd financièrement qu’un pays entier (en termes de PIB) et sont en mesure d’exercer un lobbying pouvant détruire les institutions publiques. Ce sont en particulier les secteurs du soin et de la santé, de la culture et de l’éducation qui sont touchés par l’appétit des GAFA, à savoir des services appartenant traditionnellement au domaine public, en France au moins.

« La stratégie des firmes, s’appuyant largement sur les politiques menées au niveau national et dites de « réformes structurelles », visent, d’une façon ou d’une autre, à remettre en cause les compromis sociaux en réduisant le poids social de l’État, le droit du travail, la régulation, les dépenses publiques et la fiscalité » (p.66).

Pour les auteurs, il est temps d’oser remettre en question ces firmes et de leur imposer des règles strictes, par exemple en passant par des agences indépendantes constituées de toutes les parties prenantes (citoyens, administrations, sous-traitants, etc.).

5. Les transformations du travail

Troisième chantier : le travail et l’industrie. Les « champions nationaux » du système industriel français des années 1960-1970 se sont libérés de la tutelle étatique, ont grossi et sont devenus de puissants acteurs internationaux qui ne bénéficient plus directement à l’économie nationale. D’ailleurs, ce mouvement accompagne et même participe à la désindustrialisation du pays, puisque ces sociétés n’emploient plus directement en France. Bref, le modèle fordiste des grands projets a progressivement disparu au profit d’une recherche de rentabilité conduite sous l’étendard de la concurrence, de la finance et de la mondialisation.

En outre, c’est la façon même de concevoir le travail et sa gestion qui s’est transformée. On parle aujourd’hui de néo-management pour caractériser l’investissement de l’espace mental du salarié par des dispositifs d’évaluation, de contrôle et d’assujettissement. Désormais, l’individu doit prendre conscience de ses compétences et s’organiser à la manière d’une entreprise. Il doit « capitaliser » et « se développer ». Les risques liés au travail deviennent de plus en plus des risques « psycho-sociaux ». Le burn-out fait ici figure d’exemple-type.

Uber se situe au carrefour de ce management « rapproché » et de l’usage des nouvelles technologies de communication. Le système des « entreprises plateformes » telles que Uber déconstruit complètement la relation salariale pour imposer aux travailleurs des formes pernicieuses et précaires d’auto-entrepreneuriat. Sous couvert d’« économie collaborative », ces entreprises pervertissent la convivialité du service mutuel en le tournant à leur profit ; pour caractériser cela, les auteurs parlent d’une véritable « économie de prédation » (p. 83) qui placent les travailleurs dans une « zone grise » en augmentation constante, entre salariat et entrepreneuriat.

Trois risques sont en particulier pointés du doigt : 1) l’autoentrepreneur supporte tous les coûts et les risques alors qu’il se trouve dans une véritable relation de subordination à l’égard de l’entreprise plateforme ; 2) le client lui-même ne bénéfice plus des mêmes réglementations en cas de problème avec le service rendu ; 3) le citoyen et la puissance publique ne profitent pas de ce système puisque ces entreprises ont régulièrement recours à l’optimisation fiscale pour éviter de payer les impôts et les cotisations sociales.

6. La privatisation galopante

Quatrième chantier : les biens publics et les services publics. Ceux-ci font aujourd’hui l’objet d’une conquête de la part du secteur privé. Il s’agit d’une série « d’expérimentations » de grande ampleur, orchestrées par les idéologues néolibéraux et les gouvernements, main dans la main avec les entreprises.

Ce qui était jusqu’alors considéré comme échappant au commerce (la connaissance, l’éducation, la santé ou encore la gestion de l’eau par exemple) se transforme en marchandise. Ce mouvement dénote au passage un glissement sémantique de la notion de chose publique (res publica) qui, de bien appartenant au peuple, devient un bien appartenant à l’État – un bien dont il peut disposer à sa guise.

Face à ce phénomène de phagocytage du public, les auteurs suggèrent – après d’autres – d’en passer par des innovations juridiques renouant avec l’ancien statut juridique des « biens communs ». Les auteurs prennent l’exemple d’un projet de loi italien, né de l’opposition au gouvernement Berlusconi qui souhaitait privatiser l’approvisionnement et la gestion de l’eau potable. Ses promoteurs ont créé « une catégorie juridique de biens d’appartenance collective placés en dehors du marché, du profit et de la concurrence » (p.113). Si le projet de loi n’a pas abouti, il n’en reste pas moins que ces idées circulent aujourd’hui dans le droit italien, notamment par l’intermédiaire de la jurisprudence ou des législations municipales.

7. Pistes pour refonder le travail

Pour répondre aux questions soulevées en amont, et particulièrement celles liées au travail et au chômage, les économistes atterrés passent en revue une première série de propositions habituellement réunies sous le label de « revenu universel » ou « revenu de base ». L’idée consiste à verser un revenu à chaque citoyen, quelle que soit son activité. Cette proposition a acquis de nombreux promoteurs, à gauche comme à droite.

Toutefois, après analyse, les auteurs rejettent cette piste qui pourrait in fine, selon eux, accroître la fracture entre les exclus du travail et les autres. Plutôt que de miser sur la fin du travail (ce qui est l’une des hypothèses partagées par un grand nombre des défenseurs du revenu universel), il faudrait chercher à retrouver le plein emploi à partir d’une réduction intelligente du temps de travail.

Cette réduction du temps de travail devrait être articulée à de nouvelles façons de produire et d’entreprendre. Pas question de retrouver le plein emploi au prix d’un manque d’épanouissement personnel et de pollutions en chaîne. La voie principale esquissée par les auteurs est celle de l’économie sociale et solidaire et du « nouveau coopérativisme ». Les coopératives d’activité et d’emploi, par exemple, permettent à des entrepreneurs de recevoir un salaire, une protection et un lieu de partage des expériences.

Il est enfin question de refonder des « droits communs du travail », c’est-à-dire d’étendre la portée et l’étendue de la protection sociale des travailleurs.

Contre l’idéologie néolibérale de la « flexisécurité » qui adapte les individus aux exigences du marché, il s’agit de se demander comment réglementer les marchés pour assurer la dignité du travailleur. L’originalité principale de la proposition des auteurs, qui s’inspirent des travaux du juriste Alain Supiot, consiste à attacher ces droits non au travailleur en général mais en fonction des activités exercées.

8. Pistes pour assurer la transition écologique

Les économistes atterrés développent ensuite trois propositions complémentaires pour allier écologie et reprise de l’emploi. Celles-ci concernent l’investissement public, la relance de la politique industrielle et le financement de la transition écologique.

Les auteurs affirment d’abord l’utilité du secteur public et l’intérêt d’investir en lui. Cela serait d’autant plus vrai aujourd’hui, avec la crise sociale et écologique. Il faudrait selon eux cumuler à la politique d’investissement public, une politique d’emploi public. Contrairement aux ritournelles du discours ambiant, il conviendrait donc bien d’augmenter le nombre de fonctionnaires : « [N]ombre de services publics, bien loin d’être en sureffectif, manquent […] de personnel : justice, enseignement supérieur, fonction publique hospitalière, etc. » (p.202).

Concernant la politique industrielle, celle-ci devrait être tournée vers les défis écologiques. Verticalité de l’État, certes, mais sans les grands programmes ayant mené au nucléaire et aux monocultures. Plus de course au champion national, mais plutôt un soutien affirmé aux microentreprises et aux collectivités territoriales. Pas d’aveuglement progressiste, mais le développement de modèles d’économies circulaires et fonctionnels (offrir un bien avec un service plutôt que le bien lui-même). Les entreprises, les collectivités locales et la société civile devraient d’ailleurs participer activement à la création et au maintien de ces nouveaux programmes industriels.

Enfin, il faut tirer la leçon de l’échec de la finance verte, développer une fiscalité verte et arrêter de subventionner les producteurs d’énergies fossiles. Le marché ne peut plus gérer les questions écologiques, ni court-circuiter les innovations sociales. Pas question non plus de laisser les banques centrales faire la loi en matière de politique monétaire.

9. Conclusion

La croissance n’est pas infinie : les « ressources » – celles de la planète, celles des humains – sont limitées. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille arrêter de travailler et/ou laisser l’avenir de la production à la robotisation ; il vaut mieux repenser l’avenir à partir d’une compréhension nouvelle du travail et de l’activité productive. Cela pourrait passer par l’instauration de nouvelles formes juridiques assurant les droits du travailleur et garantissant le caractère commun de certains biens et services.

Selon les auteurs, ces propositions permettraient aussi d’approfondir la démocratie. Un nouveau lien doit, selon eux, être créé entre l’État et ses citoyens, sans quoi les défis sociaux et écologiques ne pourront être relevés. Cela signifie aussi ouvrir le débat au public (plutôt que de le restreindre aux experts en économie) et par là, renforcer progressivement le consensus autour d’un nouveau projet de société.

10. Zone critique

L’ouvrage est bien organisé et se lit assez facilement. Les auteurs ont aussi pris soin de lier les thématiques entre elles afin de faire apparaître – encore en creux – un modèle alternatif d’économie et de société. Par ailleurs, ils indiquent clairement ce qu’ils rejettent : l’économie néolibérale qui détruit aussi bien la planète que les rapports humains. Des dispositifs et arguments sont discutés de manière parfois technique mais toujours compréhensible. Des exemples viennent aussi étayer chaque argument.

Il ne s’agit toutefois pas d’un traité technique et exhaustif ; le propos, beaucoup trop vaste, ne pouvait être traité en 230 pages de façon totalement satisfaisante. Il faut plutôt utiliser les chapitres comme des incitations à penser plus avant chaque question. C’est néanmoins ce côté généraliste qui a provoqué les principaux reproches : survol du sujet, risque de dispersion, cohérence bancale ou encore manque d’exemplification.

11. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Les économistes atterrés, Changer d’avenir. Réinventer le travail et le modèle économique, Paris, Les liens qui libèrent, 2017.

Des mêmes auteurs– Manifeste d'économistes atterrés : Crise et dettes en Europe : 10 fausses évidences, 22 mesures en débat pour sortir de l'impasse, Paris, Les Liens qui libèrent, 2011.– Changez l'Europe !, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013– Nouveau manifeste des économistes atterrés : 15 chantiers pour une autre économie, Paris, Les Liens qui libèrent, 2015.– Macron, un mauvais tournant, Paris, Les Liens qui libèrent, 2018.

Autres pistes – André Orléan, L'Empire de la valeur, Paris, Éditions du Seuil, 2011.– Alain Supiot, Le travail n'est pas une marchandise : Contenu et sens du travail au xxie siècle, Paris, Collège de France, 2019. – Joseph E. Stiglitz, Peuple, pouvoir et profits. Le capitalisme à l’heure de l’exaspération sociale, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019.

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