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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Comment pensent les animaux

de Loïc Bollache

récension rédigée parLydia FioreIngénieure et rédactrice scientifique

Synopsis

Science et environnement

Saviez-vous que les dauphins étaient capables d’aider les hommes à détecter des mines sous-marines ou à localiser des épaves ? Qu’un éléphant était capable de reconnaître un de ses congénères douze ans après en avoir été séparé, si on lui fait écouter un enregistrement de sa voix ? Que l'odorat exceptionnel des abeilles a poussé de nombreux chercheurs à les utiliser pour détecter des explosifs ou des stupéfiants dans les espaces publics ? Les scientifiques ont mené ces dernières années des expériences passionnantes, qui ont conduit à mettre en évidence l’existence non pas d’une, mais de plusieurs intelligences animales : la capacité à résoudre des problèmes complexes, la mémorisation, et même l’empathie chez certaines espèces. L’auteur nous présente, grâce à de savoureuses anecdotes de recherche, l’état d’avancées de l’éthologie, science en pleine ébullition et remet en perspective la position de l’Homme et de l’Animal dans la Nature.

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1. Introduction

L’existence d’une intelligence animale interroge les humains depuis des millénaires. Pline l’Ancien avait déjà observé en 77 av. J.-C., que les dauphins étaient capables de collaborer avec l’homme pour empêcher des bancs de mulets de quitter leur étang pour rejoindre la mer. Au XVIIe siècle, deux théories se sont affrontées : Descartes affirmait que les animaux étaient dépourvus d’âme, celle-ci étant associée à la raison et à la pensée ; La Fontaine, au contraire, se plaisait à mettre en exergue dans ses fables les capacités de raisonnement dont étaient affublés les animaux.

C’est en 1871 que Darwin révolutionne les débats en affirmant « qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre l’homme et les mammifères les plus élevés, au point de vue des facultés intellectuelles ». Il met en évidence le fait que l’intelligence est un élément du phénotype humain, au même titre que les caractéristiques physiques.

Les travaux ont continué à rassembler anthropologues et chercheurs afin de tenter de fournir une définition de l’intelligence, au-delà de la triviale notion de Q.I., laissant entrevoir la nécessité d’explorer d’autres pistes, comme la mémoire, le raisonnement, le langage, la capacité de résoudre des problèmes, la culture, l’innovation et la créativité.

2. La mémoire : la base de l’intelligence

Les scientifiques ont mis en évidence différents types de mémoire chez les animaux.

• La mémoire spatialeCe qui peut nous sembler être une faculté banale, comme choisir le meilleur itinéraire qui relie deux points ou retrouver les endroits où la nourriture est abondante, demande en réalité de multiples compétences. Celles-ci ont été mises en évidence chez le rat, qui démontre sa faculté à mémoriser son environnement, grâce à un apprentissage essai-erreur.D’autres espèces, comme certains gastéropodes, utilisent, à la façon du Petit Poucet, la technique de marquage chimique déposé sur leur route pour revenir sur leurs pas.Des chercheurs ont mis en lumière l’incroyable mémoire des saumons qui savent remonter la rivière où ils sont nés, après 7 ans passés en mer, grâce au champ magnétique et à l’odeur des acides aminés présents dans l'eau.

• La mémoire sémantique (la base de notre connaissance) par opposition à la mémoire épisodique (qui fait référence à notre perception d'un événement passé)C’est en 1972 que le psychologue et neuroscientifique Endel Tulving fut le premier à en faire la distinction. Auparavant, les chercheurs pensaient que la mémoire épisodique était uniquement présente chez l'homme, mais l'accumulation de nombreuses observations montre que les geais, en étant capables de se souvenir de l'emplacement des aliments qu'ils ont enterrés, sont aussi à même de les retrouver en fonction du temps écoulé depuis qu'ils les ont dissimulés, ce qui signifie qu'ils peuvent lier différentes informations à un même événement, élément caractéristique de la mémoire épisodique.

• La mémoire sociale La capacité à se souvenir des autres semble être un critère d’intelligence. Karen McComb a pu démontrer que les éléphants du Kenya savaient reconnaître les appels d'environ 500 congénères alors que les signatures vocales de chaque individu ne se différenciaient que par d'infimes nuances. C’est en faisant écouter aux membres d'une même famille les sons émis par une congénère décédée depuis 12 ans qu’elle a mis en évidence des réactions familiales typiques : une excitation anormale et des réponses vocales.

Ce phénomène est renforcé chez les dauphins, où la reconnaissance d'un individu dans le temps excède 20 ans, ce qui est rendu possible en se basant sur leurs sifflements, dont la signature vocale est extrêmement stable dans le temps.

3. Existe-t-il un langage chez les animaux ?

Si l’on considère que le langage est associé à l'existence d'une syntaxe et à l'utilisation de signes symboliques pour exprimer une idée, alors le langage est certainement une spécificité humaine. En revanche, si l’on considère uniquement le fait de communiquer entre individus, alors de nombreuses espèces non humaines sont concernées. Les chercheurs ont mis en évidence plusieurs types de communication.

• La danse C’est en travaillant sur la capacité des abeilles à voir ou non les couleurs que Karl von Frisch découvrit par hasard que les éclaireuses exécutaient 2 types de mouvements lors de leur retour à la ruche après la découverte de nourriture : - Une danse en rond si la nourriture est à moins de 25 mètres de la ruche ; - Une danse frétillante, avec des mouvements beaucoup plus complexes, pour une nourriture plus éloignée. Elles sont capables aussi, grâce au rythme et à la vitesse de rotation, de fournir des informations de direction et de distance.

• L’odorat La communication olfactive est également utilisée grâce aux grains de pollen que les éclaireuses ramènent sur son corps.Les vocalisesElles ont été étudiées chez le singe arboricole. À partir de 6 différents cris d'alarme, qu'il combine en fonction de ses besoins, le Mone de Campbell forme des syllabes et des phrases pouvant comporter jusqu’à 25 cris pour signaler la présence d’un prédateur. Les vocalises avec un début de syntaxe pourraient ainsi être les prémices d'une forme primitive de langage.

Les baleines à bosse peuvent produire des sons ininterrompus sur de longues périodes ; ces unités sonores de quelques secondes sont associées pour former des phrases, répétées durant plusieurs minutes. Ces thèmes se répètent pendant plusieurs heures avec une incroyable précision. Le chant des baleines évolue d'une année à l'autre pour un même individu avec l'âge et selon les zones géographiques. Le chant n'est pas uniquement le fait des mâles lors de la saison des amours ; il est aussi utilisé pour communiquer lors des sessions de chasse ou entre la mère et son baleineau.

Un programme informatique appelé CHAT a été mis en œuvre pour décoder le langage très élaboré des dauphins.

4. La culture animale, basée sur l’innovation et la transmission

L'innovation et la transmission sont les deux éléments essentiels de ce que l'on nomme généralement la culture. Sans elles, tous les groupes d'individus auraient des comportements similaires. La culture a longtemps été considérée comme une barrière infranchissable entre l’homme et l’animal et il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que la science mette en évidence 3 origines à l'apparition de ces traits comportementaux individuels. • Le paramètre génétique inné, directement hérité des parents ;

• L’expérience : l’apprentissage par essai/erreurL’apprentissage permet de mettre en lumière la propagation de nouveaux comportements et leur vitesse de propagation. Sa caractérisation est donc essentielle : est-il le résultat d’une somme d’apprentissages individuels indépendants ou d’une transmission sociale ?Les études réalisées sur les mésanges bleues ont montré que l’apprentissage social est essentiel pour acquérir de nouvelles compétences et qu’il existe de fortes variations individuelles en fonction de l'âge et du sexe.

• L’imitation Des études individuelles de macaques dans leur milieu naturel, alliées à des observations de leurs interactions entre eux et avec leur environnement, ont montré que la propagation de nouveaux comportements vers les autres singes du groupe – comme rincer des patates recouvertes de grains de sable – varie en fonction du sexe, de l'âge et des liens de parenté entre individus. Ceux vivant en dehors du groupe mère-enfant ne peuvent apprendre les nouvelles techniques, faute de relations sociales et à cause de leur âge plus élevé. De la même façon, chez les macaques, le plaisir de se baigner dans des sources d'eau chaude s’est transmis entre individus quand ils ont compris les bienfaits qu'ils pouvaient en retirer.

Malgré la petite taille de leur cerveau, les bourdons savent résoudre des problèmes complexes et transmettre une solution technique : un nouveau comportement peut se répandre à partir d'un individu expert à la majorité de la colonie uniquement grâce à des informations visuelles.

5. La vie sociale, accélérateur d’intelligence ?

La vie en groupe n'est pas le fait de toutes les espèces animales, c'est même une chose plutôt rare. L'intelligence collective a été observée chez les arthropodes, qui sont capables de trouver collectivement le chemin le plus court entre deux points, mais aussi chez les fourmis, qui savent créer des cimetières de façon méthodique. Ce concept d'intelligence en essaim est possible grâce au toucher et au son, mais aussi aux phéromones, qui permettent la communication chimique avec l'environnement. Les scientifiques ont démontré leur auto-organisation, une somme de comportements individuels simples induisant des décisions complexes, même en l’absence de chef. Par opposition aux informations personnelles qu’un animal seul peut mémoriser, une coopération permet la mise à disposition d’informations publiques fiables, qui sont utilisées dans deux circonstances particulières.

• La recherche de nourriture Lorsque l'accès à l'information publique est impossible, les oiseaux utilisent uniquement leurs informations personnelles. Ils peuvent également utiliser les réussites de leurs voisins en matière de recherche de nourriture, comme chez les poissons.Certaines espèces animales savent produire des cris imitant les signaux d'alarme d'autres espèces, dans le seul but de les tromper et leur voler leur nourriture.

• La recherche d’un partenaire pour se reproduireLes scientifiques ont démontré que bon nombre d’espèces copiaient leurs congénères pour trouver un lieu où se reproduire en observant le succès de reproduction des couples voisins les années antérieures.Le choix du partenaire sexuel est un moment intense de compétition dans la vie d’un individu. Chez le tétras-lyre, chaque femelle utilise son information personnelle pour évaluer la qualité de chaque mâle, mais chacune observe aussi le choix des autres femelles, ainsi que le nombre de ses tentatives d’accouplement.

Certaines espèces modifient aussi leur comportement en fonction de l'observation faite par d'autres individus : les mâles abaissent par exemple leur niveau de sélectivité quand ils sont observés par une audience mâle. Comme chez l’homme, la ruse est aussi observée chez les gallinacés sauvages : les coqs, qui chantent habituellement en présence de nourriture, sont capables de chanter en son absence dans le seul but d'attirer des femelles.

6. L’intelligence émotionnelle : la cerise sur le gâteau

C’est au début des années 90 qu’une première définition de l'intelligence émotionnelle a été donnée : « Une forme d'intelligence sociale qui implique de contrôler ses propres émotions et sentiments, mais aussi ceux des autres de pouvoir les distinguer entre eux et de les utiliser pour orienter les pensées et ou les actions de l'individu ». Elle met en évidence la contradiction entre les deux termes intelligence et émotion.

Dans notre monde cartésien, les émotions restent une contrainte qui empêche l'individu d'accomplir des actions et de prendre des décisions. En 1997, ce concept est redéfini en la capacité à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres.

Alors, émotions ou sentiments ? Alors qu’une émotion est une modification spontanée et inconsciente du comportement de l'individu, un sentiment nécessite un état de conscience ; il serait donc le résultat à plus ou moins long terme des états émotionnels. Cette dualité entre émotions inconscientes et sentiments conscients permettrait d'attribuer des sentiments à l'homme et des émotions aux animaux, émotions simples ou élaborées, nécessitant des capacités cognitives élevées, comme l’empathie.

C’est en 2006 que des chercheurs vont démontrer l'existence de l'empathie chez la souris ; lorsqu'elle observe une congénère en train de souffrir, elle perçoit et partage sa détresse et, par contagion émotionnelle, devient elle-même plus sensible à la douleur.Un autre comportement induit par l’empathie est observé chez le rat, qui aide ses congénères en détresse, la tendance étant plus forte chez les femelles. Ce comportement est poussé à son paroxysme chez les mamans primates, qui continuent à prodiguer des soins à leur enfant même après sa mort.

La perception de la détresse implique aussi chez les grands singes un comportement de consolation envers les victimes, qui se caractérise par un contact réconfortant volontaire de la part d'un individu envers un tiers en détresse. La consolation est une interaction particulière, car elle exige des capacités cognitives élevées et un fort degré d'empathie, comme chez le loup qui possède un haut degré de socialité.

Les éléphants ont quant à eux largement démontré leur capacité de la compassion : la légende des cimetières d'éléphants a suscité des fantasmes sur la capacité des animaux à sentir la mort arriver. De nombreuses observations montrent que, quand ils croisent un congénère mort, ils s'arrêtent, le touchent et vont même jusqu’à transporter leurs os.

7. Conclusion

Il n'existe pas une, mais des intelligences ; depuis les travaux de Darwin sur l'évolution des espèces, les preuves scientifiques d'une intelligence chez les animaux s'accumulent en même temps que la recherche progresse : le fait d’admettre qu'il existe d'autres formes d'intelligence que le raisonnement rationnel a constitué une étape décisive.

L'idée d'une intelligence multiple chez les animaux date de l'Antiquité grecque, où accepter l'existence d’intelligences non humaines avait pour vocation d’affaiblir l'homme. Il faut espérer que le XXIe siècle, éclairé par les nombreuses découvertes des scientifiques, fera preuve de progrès pour la condition animale.

Les études scientifiques ont montré qu’intelligence et taille du cerveau ne sont pas corrélées : le cachalot, qui possède le plus gros cerveau (8 kilos pour 15 mètres de long) n'est a priori pas 5 fois plus intelligent que l'homme. Chez l’homme non plus d’ailleurs, comme le prouve le poids du cerveau d’Albert Einstein, inférieur à la moyenne humaine.

L'évolution du cerveau humain montre qu'il est en constante réduction depuis ces 28 000 dernières années. Le cerveau des humains actuels est de 15 à 20 % plus petit que celui de leurs ancêtres ; leurs capacités cognitives ne sont pas plus faibles mais différentes, le style de vie étant passé de nomade à sédentaire au cours des 30 000 dernières années.

8. Zone critique

L’homme a encore beaucoup à apprendre de l'intelligence animale… À titre d’exemple, se déplacer collectivement de façon intelligente ne fait pas partie de la panoplie des facultés d'Homo sapiens, contrairement à de nombreuses espèces animales : l’art du déplacement collectif d'un banc de milliers de poissons ou d'un vol de centaines d'oiseaux, même s’il est aujourd’hui expliqué scientifiquement, nécessite encore à l’homme de parfaire le biomimétisme.

Le secret de ces déplacements en groupe réside dans la capacité de chacun à ajuster son comportement selon 3 règles, qui ont été découvertes par le biologiste japonais Ichiro Aoki ; sa modélisation identifie un espace autour de chaque individu, semblable à 3 cercles concentriques. En transformant ce modèle d’Aoki en algorithmes, l’homme pourra progresser dans le domaine des véhicules partiellement autonomes…

C'est en se plaçant du côté de l'animal et non du côté de l'homme que notre compréhension des particularités de l'intelligence de chaque espèce progressera.

Comme l’évoque Étienne Klein dans sa postface, l'histoire de la philosophie s'interroge toujours sur l'existence d'une continuité entre l'homme et l'animal et les récentes découvertes de l'écologie montrent qu’il n’y a plus de certitudes ; grâce à cet essai, Loïc Bollache démontre qu'il existe plusieurs intelligences non comparables entre elles, qui se caractérisent par les capacités d'adaptation des individus.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Loïc Bollache, Comment pensent les animaux, Paris, éditions humenSciences, coll. « Comment a-t-on su », 2020

Autres pistes– Gregory Berns, Dans la tête d’un chien, Paris, éditions humenSciences, coll. « Nature et Savoirs », 2019.– Yolaine de La Bigne, Les secrets de l'intelligence animale, Paris, éditions Larousse, 2018.– Jean-Luc Renck et Véronique Servais, L'éthologie, histoire naturelle du comportement, Paris, éditions Points, coll. « Points Sciences », 2002.

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